CHAPITRE 13 : Nitrure de titane


C'est moi, où ces mecs sont vraiment très mal organisés ? interrogea Cooper d'une voix mal assurée.

Il ne tenait pas très bien sur ses jambes.

Auster avait dû lui mettre des claques pour le réveiller, et il était sûr que ce connard avait pris un malin plaisir à frapper plus fort que nécessaire. 

Il en avait encore mal aux maxillaires, ce qui empirait le sale goût qui lui collait au palais.

Lui, le sergent, et la dizaine de malheureux miliciens équipés de fusils Vladof volés se trouvaient près d'une rangée de camions citernes remplis à ras-bord d'hectolitres d'eau, leurs tuyaux de distribution inutilisés entortillés autour des vannes. 

D'après les sigles identifiant plusieurs compagnies agricoles que les engins portaient sur les flancs, les contractuels s'étaient servis aux alentours pour s'assurer une réserve conséquente d'eau potable. Ce n'était pas vraiment cela qui les intéressait, mais plutôt le petit bâtiment de tôle agglomérée quelques mètres plus loin. 

À la farouche résistance qu'ils avaient rencontré aux alentours, ils en avaient sans peine conclu que le rectangle anonyme abritait ce qu'ils cherchaient.

Il fallait maintenant se dépêcher. Les coups de feu à la cadence aléatoire, l'odeur de la violence, tout cela avait fini par donner l'alerte, révélant leur position au gros des troupes endormies. 

Ils en avaient abattu quelques-uns, mais le pire restait probablement à venir.

Légion se faufila à la suite d'Auster en direction de l'arsenal.

Même s'il ne supportait pas le chef de la sécurité à cause de son tempérament de flic fasciste, il devait néanmoins reconnaître que ce type n'était pas un marrant quand il s'agissait de la guérilla en milieu restreint. 

Ce n'était pas un simple nervi à qui on avait filé une arme en guise de décoration. 

Grâce à son brillant esprit tactique, donc, ils s'en étaient sortis sans trop de pertes et ça lui faisait presque mal au cœur de le reconnaître.

— Monsieur, les nuisibles approchent, souffla une jeune femme à l'adresse d'Auster.

Blonde, à queue de cheval, se flattant sûrement d'une quelconque ascendance nordique, elle n'avait absolument rien à envier à ses camarades masculins qui la dépassaient souvent d'une bonne tête. Mais Légion l'avait vue aligner les costauds de Vladof avec une précision redoutable, ce qui lui avait une fois de plus confirmé qu'il ne fallait jamais sous-estimer ce qu'on appelait à tort le sexe faible. 

Avec une arme dans les mains et un entraînement adéquat, ce genre de différence biologique avait tendance à disparaître.

Il était sûr qu'Aélig aurait fait un excellent élément, dans la milice.

— On se dépêche, les harangua Auster.

Ils n'étaient plus que neuf, dont quatre en armes. 

C'était peu, proportionnellement parlant, mais la situation était sur le point de s'améliorer.

— Putain, c'est pas trop tôt, grogna la fille en avisant ce qui se trouvait à l'intérieur de la cabane de fortune après qu'ils en aient forcé l'entrée.

— Quarante-cinq pour cent de pertes pour en arriver là, c'est raisonnable, dit Cooper alors que les miliciens se jetaient littéralement sur leurs exos disposées en vrac à même le sol.

Les hommes de main d'Apkar s'étaient contentés de jeter les armures dans une remise. Sur les quinze qui devaient s'y trouver, il n'en restait plus que dix.

— Ces enfoirés se sont servis, se scandalisa la blonde, tandis que leur sergent ouvrait les cantines militaires à coups de crosse.

Quelqu'un hurla en russe à l'extérieur.

Chacun s'empressa de ramasser les plaques blindées gisant par terre. Cooper réalisa que les enfiler n'allait pas être une mince affaire. 

Certes, ils avaient réussi à survivre jusqu'ici, en ne déplorant que trois ou quatre morts, ce qui constituait déjà un exploit à part entière, et ils avaient trouvé les exos, presque par hasard. 

Maintenant, il fallait les mettre, dans une semi-obscurité horrible, alors que l'ennemi était seulement à quelques mètres. 

Les Inpou étaient certes un modèle de série, ce qui supposait un montage simplifié, mais cela allait quand même leur prendre un temps qu'ils n'avaient pas.

La tenue renforcée se décomposait en plusieurs éléments bien distincts. 

En premier, ils devaient passer une combinaison intégrale faite de couches multiples de Kevlar et de caoutchouc empli de liquide antichoc aux endroits vitaux. Ensuite venait le suaire plus rigide de fibres de carbone enduites de nitrure de titane et tressé de céramique, destiné à encaisser des impacts qui auraient traversé la première couche plus solide. 

En dernier lieu, il fallait assembler l'armure assistée proprement dite autour de la colonne en iridium collée dans le dos. Un puzzle dont les pièces pesaient plusieurs dizaines de kilos, et qu'il fallait emboîter au centimètre près.

Les liaisons dynamiques se chargeaient du reste et l'impression d'écrasement disparaissait en trente secondes.

Il restait heureusement assez de casques pour tout le monde.

Avant d'enclencher l'affichage tête haute de sa visière, Légion échangea un regard avec Auster.

À l'expression morose de ce dernier, l'ex-mercenaire conclut qu'il le détestait toujours avec autant de hargne.

Dehors le calme était revenu, mais il savait que ce n'était qu'une impression factice. 

 Un nombre indéterminé de nuisibles de Vladof les avait très certainement encerclés, attendant qu'ils fassent le premier pas pour engager les hostilités. 

C'était bien plus malin que de tenter un assaut frontal. Ils n'étaient pas si mal organisés que ça, de toute évidence.

— Monsieur, dit la voix de la jeune femme, étouffée par son heaume. Nous sommes hors de portée du Lance. La barrière König...

— Je sais, la coupa sèchement Auster.

Cooper se demanda s'ils couchaient ensemble. 

Si ce n'était pas le cas, il devrait peut-être tenter sa chance, s'il s'en sortait. 

Elle lui plaisait bien, cette petite blonde.

Ils s'étaient massés près de la sortie du préfabriqué, à moitié accroupis.

Serrant le tuyau du camelback entre ses dents, Légion tira une gorgée d'eau tiédasse avec soulagement. Il mourrait de soif. 

Le gargouillement se répercuta sur le réseau com de leurs exos.

— Arrêtez de faire ça, le prévint Auster, la voix déformée par la tension.

— Mais j'ai soif, se défendit-il.

Puis il se souvint que l'eau qu'il était en train d'ingurgiter était de la pisse recyclée par l'armure. 

Et probablement pas la sienne, parce qu'il n'avait pas fait spécialement attention au matricule en l'enfilant.

Il recracha l'embout.

— Désolé, s'excusa-t-il.

On ne faisait déjà plus attention à lui. Une rafale dessina une série de trous disparates sur la porte. Dehors, ça commençait à s'impatienter.

— OK, expira Auster.

— Donc, ajouta Cooper, étirant le mot sur deux syllabes exagérées. C'est ce qu'on appelle un état de siège, monsieur.

Quelque chose explosa tout près, pulvérisant tout le côté gauche de la cabane de tôle et les arrosant copieusement de ferraille tordue et ondulée. 

Une odeur d'essence s'engouffra à l'intérieur. Le générateur électrique venait d'imploser. Un câble de haute tension se retrouva projeté dans leur direction, sifflant furieusement, manquant de peu l'épaule de Légion. 

Il recula instinctivement, bousculant les autres dans un cliquetis métallique.

— Qui a fait ça ? expira le sergent.

Par le trou filtraient plusieurs exclamations interloquées.

— Pas Vladof, comprit Cooper.

— OK, répéta le chef de la sécurité.

Il y eut un silence.

— On tente, ajouta-t-il.

Aélig avait couru jusqu'à en perdre haleine, mettant le plus de distance possible entre le camp et elle. Le sol mou sous ses pieds était dangereusement humide, glissant, et elle avait failli se briser les chevilles à plusieurs reprises, se tâchant les genoux dans la chute. 

Elle était seule dans le noir complet et n'osait pas y penser.

Elle louvoya un court instant entre deux collines hautes de quelques mètres seulement, formant une cuvette naturelle où le vent polaire avait du mal à se glisser. 

Elle s'empêtra dans un espèce de lierre collant, puis finit par trouver un abri derrière un grand rocher décomposé et colonisé par la mousse sombre endémique sur le continent. 

Encore fébrile après sa longue course trébuchante, la jeune femme mit une ou deux minutes à retrouver un rythme cardiaque normal.

La brise jouait dans les buissons épars situés un peu plus haut, elle l'entendait plus qu'elle ne le devinait. Se rendant compte qu'elle n'avait plus le boîtier d'Aresh dans la main, elle eut un sursaut de panique avant de se rappeler qu'elle l'avait caché dans la poche intérieure de son manteau trop large. 

Crispant ses doigts autour du mince pavé comme s'il s'agissait d'une bouée de sauvetage, elle tourna et le retourna en cherchant un commutateur existant, jusqu'à se souvenir que ça ne fonctionnait pas ainsi.

— Aresh, souffla-t-elle.

Un filet de lumière, de l'épaisseur d'un cheveu, se dessina à la surface, illuminant ses paumes d'une douce lueur céruléenne. Il l'avait entendue.

 Elle en pleura presque de soulagement. Ses doigts tremblaient.

— Il faut que tu m'aides, chuchota-t-elle.

Le long rectangle s'ouvrit, s'escamota, devint fleur de lotus fractale, s'épanouissant dans un reflet azur plus profond.

— Cela commence à être récurrent, dit l'origami complexe. Sans aucun bénéfice pour moi, je tiens à le signaler.

Aélig sentit un bloc froid et lourd lui descendre dans l'estomac.

— Aresh, répéta-t-elle, et sa voix était incertaine.

— C'est bon, répondit l'IA. Tu veux quoi ?

— Il faut que tu amplifies le... le signal, expliqua-t-elle, se ressaisissant du mieux qu'elle le pouvait. Pour que je puisse contacter le Lance.

Elle déglutit. Ses jambes ne la portaient plus. 

Elle repensait aux cadavres broyés dans la prison du Thanyxte et à la chaîne, et elle s'assit.

— S'il te plaît, ajouta-t-elle d'un ton éteint.

— Donne-moi le terminal, se contenta-t-il de prononcer.

Elle mit quelques secondes à comprendre de quoi il parlait. 

Dans le creux de sa main, le boîtier avait adopté une forme qu'elle n'avait encore jamais vue : deux protubérances aigues, incurvées, presque fourchues, sortaient de la base comme une paire de canines tordues. 

Extrayant la radio de sa main libre, elle la posa dessus d'un geste incertain. 

Le pavé de l'IA se colla instantanément au récepteur-émetteur, le vampirisant via le port de charge à l'arrière et prenant la forme d'une seconde batterie qu'on y aurait soudé à la va-vite.

— Je vais chercher le bon canal, signala Aresh.

La radio se mit à grésiller, déversant ensuite un vaste braillement de voix multiples s'exprimant en russe, puis un discret bip suivi d'un silence crépitant.

— Hm, fit Aresh, et Aélig comprit qu'il allait lui annoncer une mauvaise nouvelle.

— Quoi ? s'inquiéta-t-elle.

— La barrière König, dit-il.

— Je pensais... commença-t-elle.

— Je suis impuissant contre les lois de la physique, l'interrompit-il. Je ne contrôle ni la gravité, ni la rotation d'une planète, ni, disons, les propriétés cinétiques d'un dispositif de protection. Essayer d'envoyer une onde radio, même amplifiée, contre le König, c'est comme lancer des balles de ping-pong contre le mur d'un coffre-fort en espérant qu'il s'ouvre.

Aélig fit de son mieux pour ne pas geindre de désespoir. 

La terre froide lui glaçait les cuisses jusqu'en haut du dos. Un silence de tombeau s'installa, seulement troublé par les crachotements parasites sporadiques émis par la radio.

— Oh, dit soudain Aresh. Je crois que quelqu'un a entendu la balle de ping-pong.

— Qui que vous soyez, dégagez de mes coms, cracha haineusement un homme qu'elle avait déjà entendu. C'est une ligne sécurisée.

— Monsieur Akoulov, expira-t-elle, un peu trop faiblement à son goût.

À l'autre bout, elle sut que le pilote du Lance marquait une pause interloquée. 

Sa voix résonna à nouveau, artificiellement déformée par la distorsion :

— On se connaît ?

— Je suis la fille du directeur.

Il y eut un autre blanc, plus long, cette fois-ci.

— Oh ! s'étonna Akoulov. Ah !

Il s'éclaircit la gorge.

— Et monsieur le directeur, il est où ?

— Quelque part dans un camp fortifié de Vladof-Sokoviev, probablement attaché, synthétisa froidement Aélig, s'étonnant de son propre calme.

— Ce qui explique en partie pourquoi mon vaisseau est cerné par des véhicules de la concurrence lourdement armés, ironisa-t-il. Heureusement que celui qui est aux commandes a été réactif et a enclenché les systèmes de sécurité avant que ces connards ne montent à bord. Et quand je dis ça, je parle bien sûr de moi !

Aélig dut s'empêcher de rouler les yeux au ciel et se rendit compte qu'il ne pouvait pas la voir.

— Iaroslav Konstantinovitch, le rappela-t-elle à l'ordre. À l'instant où je vous parle, une quinzaine de miliciens essaie de se frayer un chemin au milieu de vos compatriotes bellicistes. Venez nous chercher.

— D'un, j'ai la citoyenneté suisse, donc ce ne sont pas mes compatriotes, précisa Akoulov. De deux, je pilote un croiseur de classe Askold démilitarisé, ce qui veut dire qu'il ne faut pas compter sur moi pour venir canarder les troupes ennemies.

— Il n'y a pas d'armes, sur le Lance ? s'étonna-t-elle.

— Non. Et ne vous y trompez pas, je le regrette aussi, soupira le pilote. Voler sans canons peut paraître absurde quand on est une compagnie d'armement. Mais les conventions de navigation interstellaire sont très strictes quand il s'agit de bâtiments commerciaux. On ne monte pas de mitrailleuses sur un paquebot de plaisance, tout ça, enfin, vous voyez le tableau.

Elle inspira bruyamment, se demandant pourquoi tous ses interlocuteurs récents étaient si peu coopératifs. Le désespoir commençait à lui ronger les viscères comme si elle venait d'avaler un flacon d'acide qui se dissolvait lentement.

— Il y a bien quelque chose que vous pouvez faire, non ? demanda-t-elle d'un ton plus aigu qu'elle ne l'aurait souhaité. À part me parler des conventions de navigation interstellaire d'un air caustique, évidement.

— Évidement, la rassura Akoulov dans un grésillement désagréable. Il nous reste cinquante-trois miliciens et deux ou trois chars Tesla qui traînent dans la soute. Mais nous ne les avons pas envoyés, car vous comprenez, avec l'absence de certains cadres supérieurs, on a du mal à prendre des décisions. Sans compter notre méconnaissance de la situation... Enfin bref ! Si vous voulez blâmer quelqu'un, référez-vous-en à monsieur Karavindra, c'est lui qui est en charge.

Aélig sourit bien malgré elle. Le ton sardonique du pilote, traînant et dépourvu de crainte, avait quelque chose de particulièrement décalé.

— On n'y manquera pas, commenta-t-elle. Et les véhicules de la concurrence autour du vaisseau?

— Ce n'est pas un problème.

— Je vous transmets ma position, alors, ajouta-t-elle. Le camp est... trois cents mètres à l'ouest, je dirais.

— Très bien.

Après avoir confirmé la réception des métadonnées que lui transmit Aresh, Akoulov lui promit que le reste de la milice d'Hélion serait bientôt sur place. 

Probablement étonné par cet étrange appel, techniquement irréalisable, il ne lui posa pas d'autres questions et Aélig mit fin à leur conversation irréaliste.

Une lointaine explosion, assourdie par la distance, la fit sursauter. 

Cela venait des environs du mirador. 

Elle se surprit à espérer que le Thanyxte allait bien.

Vol'Zan allait relativement bien, mais il savait que cela ne durerait pas.

Un attroupement cliquetant se formait déjà en bas des pilotis de la structure, et il n'avait plus de balles. Avec un râle désespéré, il abandonna le fusil à verrou, brisa le projecteur d'un coup de coude et plongea les alentours du mirador dans les ténèbres.

Du regard, il chercha une échappatoire, mais la seule issue se trouvait être l'échelle, qui résonnait déjà de la lourde ascension de plusieurs personnes. 

Il pouvait toujours tenter de passer par l'extérieur, mais cela signifiait descendre en plein vivier ennemi, alors c'était exclu. Le sachant pris au piège, Vladof attaquait de front. 

Ramassant un pistolet au sol, il se posta à droite de l'échelle, dans l'angle mort, et retint sa respiration après avoir vérifié le compteur digital qui affichait le nombre de cartouches restantes.

Le temps lui parut très long.

Il ne voulait pas mourir ici. 

Ç'aurait été beaucoup trop bête.

Quatre cents mètres plus loin, en contre bas, près d'un alignement de camions citernes, le petit incendie qu'il avait allumé s'éteignait lentement, se décomposant en une venimeuse fumée chimique. Entre les volutes d'un blanc sale, cassé, galopaient parfois des silhouettes aux contours flous. 

Il n'avait absolument aucun moyen de savoir de quel camp elles étaient.

Quand le premier soldat pointa sa tête casquée sur la plateforme, arme de poing en avant, Vol'Zan le repoussa brutalement en arrière de sa botte. 

Dans un hurlement vibrant de panique et de surprise, sa victime dégringola sur ses collègues et, profitant de la confusion, l'alien tira dans le tas sans viser, juste pour la forme. 

Canarder des exos avec un si petit calibre revenait à leur lancer des graviers à mains nues. 

Plusieurs corps blindés s'écrasèrent en bas par effet de domino, se redressant dans les secondes suivantes. Combattre Vladof de cette position était comme lutter contre une hydre : il aurait beau couper la première tête, trois autres repousseraient aussitôt.

Ils l'auraient à l'usure. Autant opter pour la seconde solution. 

Il abandonna le pistolet.

Le Thanyxte passa par-dessus le parapet, s'accrochant aux croisillons d'acier. 

La prise de son bras droit était mal assurée, car un tison lui torturait le muscle en permanence. Il se mit à descendre, doucement, à tâtons, se forçant à ne pas trop regarder en bas. Il posa les pieds sur une barre de soutien transversale, épaisse seulement d'une dizaine de centimètres.

Un humain vociféra hargneusement et la seconde d'après, une rafale rebondit près de ses chevilles, arrachant une grande partie de la poutrelle.

 — Sheh, jura-t-il.

Il évita de justesse une autre série de tirs en s'accrochant à une autre branche sombre, mais eut moins de chance avec la deuxième. 

Un picotement désagréable se logea dans ses côtes flottantes et il faillit basculer dans le vide. 

Il se serait écrasé trente mètres plus bas s'il ne s'était pas cramponné de toutes ses forces.

— В ГОЛОВУ ! В ГОЛОВУ СТРЕЛЯЙТЕ ! hurla un humain dans une série de syllabes sans aucun sens pour lui.

Fou de douleur, Vol'Zan sentit que son esprit perdait peu à peu le contrôle, lâchant les commandes de son corps. 

Comme dans un cauchemar saumâtre, il se sentit descendre les barres croisées du mirador avec une souplesse et une rapidité qui lui paraissaient impossibles en tenant compte de son état actuel, maculant le fer d'hémoglobine pâteuse.

Son flanc saignait, son bras s'était rouvert sous l'effort, et pourtant son corps lui fournissait l'énergie pour se mouvoir.

Encore et encore. Jusqu'à l'arrêt cardiaque.

Quelque chose d'étranger s'était logé dans son crâne.

 D'instinct, il sut que ç'avait toujours été là, et que c'était ce que l'umbrarmure tirait à la surface de sa conscience quand il se trouvait au seuil critique en la portant.

Il finit par atterrir au sol, s'accroupissant dans l'herbe dans un mouvement d'une fluidité surnaturelle. Une silhouette beugla en braquant une lampe torche dans sa direction.

Il la désarçonna dans un bond de batracien, enfonçant les griffes dans sa glotte, arrachant les plaques et le revêtement de la combinaison jusqu'à atteindre la chair. 

Il sentit un soldat sans armure lui sauter sur le dos dans une tentative misérable de l'arrêter, mais il s'en débarrassa en l'envoyant valser cul par-dessus tête.

— Bouge plus, putain d'animal ! cria quelqu'un en anglais.

Ramassé sur lui-même, Vol'Zan chercha une voie de repli en tournant la tête. 

C'était peine perdue. 

Un véritable mur de militaires le cernait de toutes parts, et la lumière de leurs lampes montées sur les rails des fusils d'assaut l'aveuglait presque.

L'alien se redressa, dépliant ses deux mètres de muscles. 

Le mur hérissé d'armes automatiques recula comme un seul homme.

Ils hésitaient visiblement à ouvrir le feu, car ils savaient qu'il était bien plus précieux vivant.

Et ce même s'il venait de tuer plusieurs d'entre eux de la plus atroce des manières : en se jetant sur leur jugulaire.

— C'est fini, répéta l'humain.

Sheh, lâcha Vol'Zan en sautant droit devant lui.

Ils tirèrent presque tous à côté, mais quelques balles se plantèrent dans son estomac, le faisant hurler de rage et de douleur décuplées. 

Il en fallut une demi-douzaine d'autres pour le mettre à terre. 

Un canon brûlant se colla à son cou. La détente fut pressée dans un déclic violent.

Vol'Zan cracha, les yeux révulsés et s'évanouit, cessant de bouger.

Il reprit connaissance quelques minutes plus tard, haletant dans un gargouillement ignoble. Il n'y avait plus personne autour de lui, et il ne savait pas pourquoi. 

Une balle lui avait traversé la gorge et il s'étouffait littéralement dans son propre sang.

Son cœur ralentissait avec une lenteur vicelarde. Incapable de se mettre debout, il s'obligea à ramper. Quitte à crever, autant que cela se fasse dans l'eau. 

Mais le marécage était trop loin, à des millions d'années-lumière, aussi inaccessible que le Styx.

Il n'arrivait presque plus à respirer.

Il était en train de mourir.  

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