CHAPITRE 11 : La Clause Insondable

Avec une mauvaise volonté évidente, Vol'Zan suivit l'ingénieur humain à travers les coursives grises jusqu'au monte-charge le plus proche.

Serrant et desserrant les doigts sur un rythme rapide tout le long du trajet, Karavindra n'arrivait pas à dissimuler l'agitation qui l'avait envahi.

— Cooper est vivant, expliqua-t-il une fois qu'ils furent à l'intérieur de l'ascenseur. Il s'en est fallu de peu.

Le Thanyxte s'en fichait pas mal. 

Sur ce vaisseau étranger, une seule vie en dehors de la sienne était importante, et ce n'était pas celle de l'ancien mercenaire, si bien qu'il ne fit pas de commentaires. 

Se détachant de son support dans un roulis hydraulique, l'élévateur se mit en branle avec lenteur.

— En quoi ça me concerne ? s'intéressa-t-il finalement.

Comme la plupart de ses semblables, l'administrateur système évitait de le regarder en face. Il lui répondit donc en fixant son propre reflet indistinct dans les portes chromées.

— D'après ce que j'ai compris, il a réussi à se faufiler jusqu'à une vieille capsule d'évacuation, en compagnie d'un de vos congénères.

— Quoi ? s'étonna Vol'Zan en pivotant dans sa direction.

— Il y avait un Stygien sur le vaisseau, continua l'autre, toujours sans lever les yeux.

— Et alors ? rétorqua l'alien. Qu'est-ce que voulez que ça me foute ?

— À vous, rien, je suppose. Mais vous pouvez nous aider à comprendre ce qu'il fabriquait sur un gros-porteur Prométhéen.

— Vous n'avez qu'à lui poser la question, en fait, s'irrita-t-il.

L'homme aux lunettes eut une grimace contrariée.

— On ne comprend pas ce qu'il dit, apparemment, soupira-t-il ensuite.

— Je vois, dit Vol'Zan.

Il suivit Karavindra hors du monte-charge en silence. 

L'humain le mena à proximité des sas de purge, près de la baie d'amarrage, les mêmes qui avaient autrefois servi à contenir le Prométhéen blessé, alors qu'ils se trouvaient encore sur la colonie agricole.

L'étroit couloir était ici entièrement encombré par des miliciens en exo complète. Certains, dont Auster, avaient retiré leur casque.

— Où est Lindstradt ? s'enquit Karavindra auprès du sergent.

— En route, répondit l'intéressé avec son calme habituel.

S'arrêtant à quelques pas derrière l'adjoint du directeur, Vol'Zan essaya de distinguer ce qui se trouvait au milieu de la cohue formée par les armures bichromes, mais même du haut de ses deux mètres, il ne vit rien de captivant.

Occupant à lui seul une bonne moitié de la largeur du tunnel, le chef de la sécurité s'était approché de lui.

— Vous êtes là, constata-t-il sur le ton de l'évidence. Suivez-moi.

Il s'exécuta sans répondre, guère mécontent de s'éloigner de la petite foule humaine qui surpeuplait les alentours exigus.

— Attendez-ici, lui commanda laconiquement Auster en indiquant ce qui ressemblait à un compartiment de stockage à moitié vide. On viendra vous chercher quand on aura besoin de vous.

— C'est ça, répondit Vol'Zan avec indifférence.

Il ne comprenait pas vraiment ce qui se passait, mais cela ne le gênait pas. 

Les humains et leurs éternels problèmes... qu'ils n'étaient pratiquement jamais capables de résoudre seuls. La guerre en avait été le parfait exemple. 

Ces mollusques roses étaient des enfants convaincus de tout connaître, mais qui venaient supplier le Styx à la moindre incartade en pleurnichant. 

C'était la même chose chez Hélion, quoique à une échelle plus réduite.

Leur idiosyncrasie changeante avait le don de l'énerver plus que de raison. 

Il avait hâte que tout cela finisse pour enfin quitter cette entreprise de malheur.

Haïdès s'assit sur une caisse recouverte d'une bâche poussiéreuse, sans spécialement prêter attention à son environnement. 

Sortant le mince parallélépipède de l'IA par habitude plus que par nécessité réelle, il le fit pensivement tourner entre ses doigts.

Voilà plus d'une demi-journée qu'Aresh avait quitté son enveloppe initiale pour s'immiscer dans les processeurs du prototype Shiva, prenant un risque insensé afin d'accompagner Cooper. 

Comme souvent, il avait agi de sa propre initiative. 

Leur relation avait toujours été... compliquée. Vol'Zan savait que ce qui restait de Fah-Shir-Vâa aurait préféré trépasser plutôt que de subsister sous cette forme diminuée et coupée des ressources du Styx. 

Il n'y avait qu'à voir le nom que le fragment s'était choisi. 

Ar'esh, la contraction d'Arayt'Esh, ce qui, dans la variante senzar du dialecte stygien, se traduisait littéralement par « je suis la mort qui respire » ; ce qui en disait long sur son état d'esprit.

Il ne pouvait pas se détruire lui-même, ce n'était pas dans sa nature. 

Pour qu'il disparaisse, il fallait que son boîtier originel, celui qui contenait sa matrice, soit définitivement brisé ; ce qui était impossible à réaliser, dans cette partie de la galaxie tout du moins. Seul le Styx savait comment étouffer ses propres enfants. 

En se téléchargeant intégralement dans l'exo du mercenaire, il avait probablement espéré disparaître en même temps que lui.

C'était une attitude compréhensible. Coincé depuis près d'un demi-siècle dans un sarcophage qui lui broyait l'esprit, n'ayant à disposition que les réseaux archaïques d'une autre espèce, Aresh dépérissait lentement. 

Il en avait perdu l'envie d'apprendre, se privant par conséquent d'un des moteurs principaux de sa raison d'être. 

En l'arrachant de sa carcasse empoisonnée et pourrissante, Haïdès n'avait fait que retarder l'inévitable. Même une structure aussi importante que le Nexus n'avait pas suffi à sortir Aresh de son ennui. 

Chaque jour, il s'enfonçait de plus en plus dans la dépression et le silence, et il ne pouvait pas y faire grand-chose.

Quand le boîtier s'alluma enfin, marquant le retour de la partie consciente de l'IA à l'intérieur, il se demanda si un jour Aresh finirait par s'éteindre définitivement ou s'il devrait s'en charger quand l'inévitable surviendrait.

— J'ai vu des choses, énonça l'esprit artificiel sans intonation distincte. Ce vaisseau était un tombeau flottant, tapissé de chair morte capable de se mouvoir grâce à un tokamak parasité. Cybernécrose. Cela appelait quelqu'un.

— Le Nexus est infecté, répondit Vol'Zan. Il est en train de dévorer le Lance. Je lui donne six mois, pas plus, avant que le duplicat ne se répande.

— J'ai vu, affirma l'IA. Il faut partir. Et vite.

— Oui. La pourriture était à l'intérieur depuis le début, je pense.

— Difficile de savoir, soupira Aresh. L'entité logée dans la géode n'est guère bavarde. Mais j'ai cru comprendre qu'il s'appelait Venbarak. C'est en tout cas le nom que lui donnait le système de défense biomécanique du gros-porteur.

— Et le signal ? interrogea-t-il.

— Un chant de baleine. Il cherchait à joindre les siens, mais ignorait s'il serait entendu.

— Votre nature est proche ?

— Non, trancha immédiatement Aresh. Très loin de là. Il a peine conscience du monde extérieur, il ne cherche même pas à le connaître. Ce n'est pas non plus assimilable à ce qui corrompt les Prométhéens. Tout ce que je sais, c'est qu'il aime la poésie russe du dix-neuvième siècle.

— Tu admettras que c'est assez maigre, comme informations, ironisa Haïdès. Et ce qui se terre sur Kappa-Centauri, tu as pu comprendre ce que c'était ? Ce Caveau dont parlait l'albinos ?

— Pas vraiment, regretta l'autre à mi-voix. Mais je pense que la Thanyxte qui était sur place pourra peut-être nous en apprendre plus. Après tout, c'était elle qui passait le signal du Nexus à l'intérieur pour voir comment réagissait l'entité qui possédait le vaisseau.

— Et comment a-t-elle réagi, exactement ?

— Elle a essayé de nous tuer. De toute évidence, ce n'est pas très amical, expliqua laconiquement Aresh. L'humain Cooper est dans un état critique, j'ignore comment il a survécu à l'explosion. Leurs armures sont probablement moins fragiles que je ne l'aurais cru...

Vol'Zan allait répondre quand il entendit des pas lourds derrière les cloisons qui l'entouraient. Les percevant également, l'IA s'éteignit dans une étincelle cyan, ne souhaitant pas se montrer à la vue de n'importe qui.

Le Thanyxte, lui, ne bougea pas, se contentant de ranger le boîtier à l'intérieur de sa vieille combinaison.

— C'est l'heure. Bougez-vous, aboya sèchement le sergent Auster en se figeant sur le seuil.

Il s'était débarrassé de son exo extravéhiculaire, devenant immédiatement bien moins impressionnant. Dépliant sa haute stature, l'alien se redressa enfin, provoquant chez lui un mouvement de recul involontaire. 

Vol'Zan aurait souri s'il en était capable. 

Auster, comme tous les autres, faisait juste semblant de ne pas avoir peur de lui, dans un acte de bravade. Cette attitude était à la fois pathétique et étrangement satisfaisante à contempler.

Conservant une distance prudente entre eux, le chef de la sécurité l'escorta en direction d'une subdivision de purge atmosphérique, dans le vasistas duquel les attendaient Lindstradt, Karavindra et deux autres miliciens en armes.

L'ingénieur serrait un gobelet fumant entre ses mains, et le breuvage brunâtre que celui-ci contenait répandait une odeur chaude et capiteuse dans l'atmosphère fade.

— Merci d'être venu, lui déclara Lindstradt d'une voix qui laissait entendre tout, sauf de la gratitude véritable.

Tournant le dos à la baie blindée, Vol'Zan fixa sur lui un regard plein de mépris.

— Nous voudrions que vous interrogiez l'individu Thanyxte qui se trouve derrière cette porte, poursuivit le directeur en indiquant cette dernière. Demandez-lui ce qu'il fabriquait sur le vaisseau, s'il a un rapport avec l'Ereshkigal...

— Et s'il sait ce qui se cache sous la surface de Kappa-Centauri, ajouta son adjoint après avoir pris une gorgée de thé avec un soupir satisfait. Vu que les vôtres sont de toute évidence impliqués dans tout ce... merdier...

Cette dernière affirmation le fit sortir de son habituelle réserve.

— Combien de fois je dois vous répéter que ce ne sont pas les miens ? grogna-t-il avec une froideur de mauvais augure.

Voyant Auster porter la main à son pistolet de service dans un réflexe morbide, il s'ébroua pour imiter un ricanement.

— Putains d'humains, cracha-t-il en se dirigeant vers le vantail clos du sas.

— Comment peut-on être sûrs que vous n'allez pas nous mentir ? l'apostropha Lindstradt, faisant mine de ne pas avoir entendu l'insulte qu'il avait pourtant laissée échapper d'une voix sonore.

— Aresh traduira, répondit plus calmement Vol'Zan, bien qu'il ne pût être sûr de l'entière coopération de l'IA dans la situation présente.

— Il a intérêt, commenta le directeur, mais le Thanyxte ne l'écoutait déjà plus, franchissant la séparation blindée qui menait au sas d'évacuation.

L'épaisse chaîne qui avait autrefois retenu le Prométhéen blessé à la tuyauterie gisait toujours dans un coin de la pièce, formant, avec les tâches de sang jaunâtre mal nettoyées, un triste rappel de ce qui s'était déroulé ici quelques semaines en arrière.

Recroquevillée contre un panneau de composite tout au fond du compartiment, une mince silhouette faite de ténèbres fixait le vide de ses yeux invisibles.

Vol'Zan fit un pas en avant, pas plus, tandis que dans son dos, la porte réintégrait son cadre dans un sifflement étouffé.

Il n'avait jamais vu un de ses semblables porter une tenue pareille. 

Ce n'était clairement pas une umbrarmure, même si cela y ressemblait beaucoup. 

Elle était tout aussi lisse et luisante en apparence, mais s'articulait autour d'une colonne segmentée, pointue, recouvrant le corps de la Stygienne presque d'un seul bloc souple. 

La teinte ne collait pas non plus, tirant sur le violacé sombre et organique des profondeurs d'une nébuleuse plus que sur le noir pur, bien que la différence fût tenue sous cet éclairage atone.

En le voyant entrer, elle ne se releva pas. 

Trop fatiguée, peut-être, ou trop impressionnée, c'était impossible à déterminer, avec ce casque sans visière apparente qui dissimulait sa gueule.

De ce qu'il pouvait juger de sa stature, elle n'était pas assez grande pour être une sobekienne, ni assez trapue pour appartenir à la race zméide, et la présence de membres inférieurs l'excluait d'office des apophides.

Il sortit Aresh, le contraignant à adopter une forme sphérique d'une torsion habile. Comprenant ce qu'on attendait d'elle, l'IA se mit à flotter gentiment à un mètre de son épaule.

— On attend, se fit entendre la voix impatiente et assourdie de Lindstradt à travers la vitre derrière lui.

Il l'ignora.

— Qu'est-ce que tu portes ? demanda-t-il, usant de la langue du Styx.

La femelle leva sa tête masquée vers lui.

— Pas senzar, réussit-elle à prononcer. Énochien.

Cela s'annonçait plus difficile que prévu. L'énochien était un dialecte vernaculaire, marginal, quasiment éteint sur Svarog. 

C'était le verbe des marais, pas de la ville, et Vol'Zan ne le connaissait que mal. 

Il allait devoir faire avec.

— Qu'est-ce que tu portes ? répéta-t-il, en énochien cette fois-ci.

Dans un froissement imperceptible, elle se mit enfin sur ses deux jambes, entraînant son faux appendice caudal à sa suite. D'un geste souple de son poignet acéré, elle appuya sur un poussoir indétectable à la base de son crâne. 

Coulissant les unes sous les autres, les dizaines de fines lamelles qui composaient son heaume se rétractèrent dans l'espèce d'excroissance qui ornait le haut de sa tête. 

Avec une surprise distante, Vol'Zan réalisa que la colonne vertébrale de l'armure était plantée directement dans sa chair, et que sa peau était entièrement noire.

Le Prométhéen albinos sur Odyssée avait dit vrai. Ils existaient bel et bien, il en avait la preuve concrète sous les yeux. 

La carnation de la femelle était entièrement saturée de mélanine, lui conférant une coloration d'un jais primordial et velouté, brouillant les traits ciselés de son faciès. 

Seuls ses larges iris turquoise tirant sur l'outremer, fendus par une pupille contractée en myosis à cause de la lumière ambiante, étaient clairement visibles.

— C'est une enveloppe, dit-elle, sans véritablement répondre à sa question initiale.

Debout, elle ne dépassait guère le mètre soixante-dix. 

Son ossature fine indiquait qu'elle était encore très jeune, âgée d'un demi-cycle, pas plus, soit à peu près deux fois moins que lui.

Physiquement parlant, elle était à peine adulte.

— Ton nom ? s'enquit-il.

— Iktara, articula l'intéressée, sans rien ajouter ensuite.

Elle le regardait avec méfiance. C'était logique. Elle n'était pas sans ignorer qu'elle se trouvait sur un croiseur humain et il était bien connu que les Thanyxtes les évitaient comme s'il s'agissait d'une eau croupie. Sa présence était pour elle incompréhensible.

Iktara ne demanda pas son nom à lui. 

Tout d'abord, parce qu'elle le connaissait sûrement, comme tout le peuple de Styx né au courant de ce siècle, et ensuite, même si ce n'était pas le cas, il était un mâle et contrairement à la société sapiens, la leur était loin d'être égalitaire au niveau de la prise de parole.

— D'où est-ce que tu viens ? poursuivit Vol'Zan.

Marquant une hésitation, Iktara regarda la vitre assombrie qui se trouvait derrière lui. 

Saisissant qu'elle ne pourrait pas se faufiler jusqu'à la sortie sans rencontrer une résistance conséquente, elle finit par se réinstaller au sol, s'y asseyant en une posture soumise.

— Thelxinoe, prononça-t-elle.

Cela n'avait aucun sens.

— Te fous pas de moi, la prévint Haïdès avec calme. Thelxinoe est un trou noir.

— Vous vous trompez, neuro-ingénieur Vol'Zan, répondit-elle, trahissant un respect craintif par l'usage du nom de son ancienne fonction. Thelxinoe est la demeure de la Clause Insondable, bien que vous, Sobekiens de Svarog, lui donnez un autre nom.

— Lequel ?

— Vous l'appelez Structure.

Un bourdonnement discret lui confirma qu'Aresh s'efforçait de retranscrire ce qu'elle disait en temps réel aux humains présents de l'autre côté via leurs écrans.

— Qu'est-ce qu'elle raconte ? s'offusqua justement Lindstradt.

Vol'Zan n'en avait qu'une vague idée. 

Ce n'était pourtant pas la première fois qu'il entendait cette théorie fumeuse. Ninhursag, le commandant balafré de l'Ereshkigal, lui avait également assuré que l'amas inerte de Thelxinoe était encore habité et que les Thanyxtes noirs venaient de là. 

L'ancienne planète du Styx s'était pourtant effondrée sur elle-même il y a soixante-dix mille ans environ, engloutissant la lumière, l'énergie et la matière qui l'entouraient sur plusieurs millions de kilomètres. 

C'était une ouverture sur les abysses, un siphon qui donnait sur le néant, et personne n'avait les moyens de s'en approcher sans y laisser la vie.

Il y réfléchirait plus tard.

— Qu'est-ce que tu faisais sur le vaisseau Prométhéen ? continua-t-il son interrogatoire.

— Ce qu'on m'a dit de faire.

— À savoir ? insista Vol'Zan.

— Je devais essayer de communiquer avec celui dont la conscience était projetée à l'intérieur du transporteur. Nous voulions qu'il nous explique où se cachait Venbarak, car nous étions incapables de comprendre le signal que l'Ereshkigal a récupéré ici-même, expliqua la femelle comme si elle récitait une leçon apprise par cœur.

Sa diction était extrêmement monotone, même pour une Thanyxte. Haïdès commençait à comprendre une infime portion de ce qui était en train de se passer. Iktara était donc en lien avec l'équipage de Ninhursag. Restait à savoir comment et surtout, pourquoi.

— C'est l'Ereshkigal qui t'envoie ? demanda-t-il alors.

— Non, se défendit Iktara, relevant légèrement le museau, qu'elle avait plus plat que lui. C'est la Clause Insondable.

— Est-ce que c'est cette Clause qui est autrefois descendue sur Kappa-Centauri lors de la guerre ?

Elle eut un court signe affirmatif.

— La Clause l'a déterré il y a longtemps. Ils ont réveillé le Caveau alors que je n'existais pas encore, dans l'espoir qu'il les aide.

— À faire quoi ? s'étonna Vol'Zan, de plus en plus perplexe.

— À comprendre la Clause Insondable, rétorqua Iktara avec un ton qui laissait entrevoir une logique qu'elle jugeait implacable. Pour que celle-ci nous révèle enfin le sens véritable de notre présence sur Thelxinoe. Mais le Caveau a refusé de communiquer.

— Et donc, vous l'avez ensuite laissé s'en prendre aux Prométhéens, compléta-t-il. Ce qui a donné naissance à un beau bordel que le Collectif de Svarog a été obligé de nettoyer. J'ai été exilé à cause de vos conneries mystiques, t'es au courant ?

La colère qui perçait dans sa voix lui fit baisser la tête.

— Vous avez été exclu parce que vous avez touché à l'esprit des vôtres d'une manière intolérable, prononça Iktara d'un ton très bas. Vous avez enfoncé des puces dans les cerveaux malades de ceux qui s'étaient autrefois battus à vos côtés, et ils sont devenus encore plus fous qu'ils ne l'étaient déjà.

— Ils étaient foutus de toute manière, cracha-t-il avec haine. Alors autant qu'ils se rendent utiles, non ? Les dommages collatéraux sont toujours inévitables, quand il s'agit d'expériences.

— La vie doit être préservée, fit-elle comme s'il s'agissait d'une évidence.

Il voulut la frapper pour lui arracher la langue. Mais cela n'aurait été guère productif, alors il se retint.

— Connais-tu l'emplacement exact de ce Caveau ? interrogea-t-il.

— Oui. Les humains sont aussi là pour lui ? devina Iktara avec une sorte de tristesse. Que lui veulent-ils ?

— Mettre un terme à son existence, dit simplement Vol'Zan.

La femelle n'eut absolument aucune réaction à cette annonce, dardant sur lui son regard bleu et mort.

— C'est regrettable, commenta-t-elle enfin.

— L'Ereshkigal va-t-il les en empêcher ?

— Il est rentré depuis des jours. J'étais seule. Voilà longtemps que la Clause s'est détournée du Caveau, et de Kappa-Centauri. Je ne devais que lui poser des questions sur Venbarak.

Haïdès s'abstint évidemment de lui dire que ce qu'elle et les siens cherchaient avec autant d'abnégation se trouvait probablement dans le bunker électroneural du Lance. 

Un instinct profondément enfoui dans les replis de son être lui hurlait que ce secret-là ne devait être divulgué à quiconque, et surtout pas à elle.

— Et lui, c'est qui ? demanda-t-il à la place.

— On dit que c'est le troisième à être encore en vie, répondit Iktara. Nous espérions qu'il nous aide à faire parler la Clause.

— Vous êtes plutôt obsessionnels, constata Vol'Zan avec animosité.

— La vie doit être préservée, répéta-t-elle son dicton cryptique.

Il n'aurait su dire ce qui le répugnait autant chez cette créature naïve. 

C'était peut-être ses yeux livides et délavés comme un mauvais ciel, ou sa peau dépourvue de couleur et de lumière. Le noir d'encre dont elle était enduite lui paraissait contre-nature. 

Iktara était une aberration persuadée d'être née dans une singularité gravitationnelle.

— Ce que tu portes, continua-t-il, poussé par une curiosité involontaire. Est-ce relié à ta moelle épinière ?

— Je ne comprends pas.

— Ton armure. Est-ce qu'elle est dans ta chair ? reformula-t-il.

— C'est ainsi que je suis venue au monde, prononça-t-elle.

Jamais il n'avait entendu parler d'une telle absurdité.

Elle ne lui demanda pas ce que l'équipage mammifère comptait faire d'elle une fois qu'elle l'aurait mené jusqu'au Caveau. Son sort futur ne semblait pas vraiment la préoccuper.

Haïdès se rendit compte qu'il n'avait plus aucune envie de s'attarder dans le même espace qu'elle, comme s'il craignait de se faire contaminer par la folie glaciale qui habitait ses pupilles contractées. Il attrapa donc le boîtier d'Aresh suspendu dans les airs, attendant qu'il reprenne son apparence initiale avant de le ranger. 

Toujours assise contre le mur, la femelle sombre fixait ses propres pieds, parfaitement immobile.

— J'espère que vous avez eu ce que vous vouliez, s'enquit Vol'Zan, une fois qu'il eut rejoint Lindstradt et ses compatriotes derrière la vitre en verre trempé.

Le directeur se contenta de plisser du nez sans lui répondre.

— Nous avons surtout hâte que vous ne soyez plus là, vous et votre fichue boîte parlante, expliqua Karavindra d'un ton presque amical.

L'alien s'abstint de rétorquer quoi que ce soit. 

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