CHAPITRE 10 : Duplicat Auxiliaire Coaxial

Assis à son bureau de travail qu'il avait toujours trouvé trop large, Nicholas Lindstradt en était à sa quatrième cigarette de l'heure quand son datapad, négligemment balancé dans un coin de la table, s'alluma enfin.

Depuis que le fuselage du Lance avait vibré, absorbant l'onde de choc invisible émise par l'explosion silencieuse du gros-porteur Prométhéen, il attendait impatiemment un point sur la situation de la part de l'équipe de récupération d'Auster, préférant fuir le poste de pilotage et son agitation anxieuse.

Quitte à regarder des écrans brouillés de parasites et souffler de frustration à cause de l'incapacité des ingénieurs à rentrer en contact avec Cooper, Lindstradt était parti se réfugier dans ses quartiers, nourrissant l'espoir d'échapper ainsi à la tension fiévreuse.

Déverrouillant la tablette d'un geste précipité, le directeur fut assez déçu d'y découvrir un simple message texte en provenance du terminal de l'administrateur système Karavindra.

Celui-ci disait laconiquement : Urgence critique au Nexus. Descends.

Il se frotta les paupières pour chasser la fatigue visuelle qui le faisait larmoyer depuis des jours avant de soupirer, fixant les lignes typographiées sans réellement les voir.

Ces derniers temps, ce foutu système électroneural avait le don de lui taper sur les nerfs en permanence. Il fallait qu'il trouve une solution au plus vite pour remplacer cet engin de malheur.

Quoi encore ? tapa-t-il à l'adresse de son second.

Descends, répéta simplement Karavindra.

Ramassant son paquet de cigarettes et fourrant le datapad à l'intérieur de sa veste, Lindstradt abandonna la quiétude des lieux à contre-cœur.

Il ne pouvait éternellement fuir les responsabilités qu'il s'imposait lui-même, bien que cela le tentât de plus en plus.

Aussitôt qu'il eut franchi le seuil de son sanctuaire, les deux miliciens postés devant le sas en verre sans tain lui emboîtèrent le pas. Lindstradt résista à la tentation de les chasser.

- Des nouvelles d'Auster ? lança-t-il sans leur accorder un seul regard.

- Ils seront sur zone d'ici dix minutes, monsieur, lui répondit un des gardes avec respect.

- Très bien.

Il accéléra le pas, les distançant juste assez pour ne pas avoir à subir d'hypothétiques bavardages. Contrairement aux apparences, il n'avait pas l'esprit tranquille.

Malgré le relatif succès de la mission-suicide qu'il avait lancé en direction du transporteur ennemi, le plus difficile restait à accomplir.

Il avait d'ores et déjà demandé à Moira Shawn de synthétiser plusieurs dizaines de kilos d'octanitrocubane.

Maintenant qu'ils étaient débarrassés du vaisseau Prométhéen, il pouvait envisager la suite avec une sérénité toute subjective.

Le plan d'action qui se dessinait dans son esprit était simple : dans un premier temps, un groupe d'une trentaine de miliciens descendrait sur la planète.

Ils y effectueraient une reconnaissance sommaire et seraient ensuite rejoints par le reste du contingent si la zone ne présentait aucune menace.

Tractant l'explosif industriel, ils le mèneraient jusqu'au Caveau, ou quel que soit le nom que portât le bâtiment qui abritait la chose que les Prométhéens nommaient Nazarah, mettant ainsi fin à l'épicentre de la maladie rongeant cette espèce dégénérée.

Il suffisait de trouver le Caveau à la surface, aux alentours de l'ancienne cité en ruines. Cette dernière n'avait guère été difficile à repérer sur la croûte abîmée de Kappa-Centauri, grâce à la télémétrie longue portée dont était équipé le Lance.

Les images satellites en fausses couleurs qui étaient ressorties sur les écrans du poste de pilotage pouvaient presque rivaliser avec les radars militaires par leur qualité.

En moins de huit heures, épaulés par la puissance de traitement du Nexus, ils avaient réussi à quadriller plusieurs milliers d'hectares de la planète avec une précision quasi-infaillible, et ce malgré l'atmosphère saturée de particules en suspension qui occultait partiellement la visibilité.

Il avait ainsi disséqué les environs de la vieille mégacité détruite il y a un demi-siècle.

Tul-Kathor n'était plus qu'une trouée aride remplie de moignons calcinés, percée de cratères et de tranchées parmi lesquelles on devinait à peine les fondations des chantiers qui avaient autrefois fleuri en son centre.

Lorsque le Styx était venu effacer le centre de leur civilisation, les Prométhéens commençaient tout juste à devenir un peuple industrialisé.

De ce qu'en savait Lindstradt, ces créatures avaient possédé une technologie équivalente à l'ère nucléaire des années 1960.

Bricolant des engins dignes de l'aube de la conquête spatiale, ils étaient ensuite allés récupérer les carcasses des brise-glaces abandonnés dans le système solaire au nez et à la barbe du Kohltso, car personne ne surveillait les environs de Io, devenus une véritable décharge stellaire.

Le gros-porteur qui s'était vaporisé à plus de cinquante mille mètres du Lance était probablement l'un de ces titans.

Lindstradt se demandait parfois comment une espèce aussi peu évoluée avait réussi à faire autant de dégâts en moins d'un an, transformant plus de dix colonies en terres interdites à cause des radiations.

Comme tous ceux de sa génération, né peu après la guerre, il avait grandi entouré des noms des planètes humaines tragiquement effacées par les frappes thermonucléaires.

Aujourd'hui encore, il les connaissait par cœur. Errai, Deneb, Xi Aql, et tant d'autres.

Mais, cinquante-quatre ans après cet ignoble conflit, le drame n'était plus qu'une date parmi tant d'autres.

Issu d'une dynastie exclusivement terrienne, ni lui ni ses parents n'avaient jamais connu la douleur de la perte d'une famille exilée hors du cercle solaire.

Ce qui le poussait à piétiner les restes de la vie Prométhéenne n'était pas un stupide désir de vengeance au nom de ses ancêtres bafoués.

À sa connaissance, sa motivation réelle n'avait pas vraiment de nom.

Ce n'était que le résultat absurde d'une société tournée sur elle-même, se complaisant dans son propre égoïsme et se poussant doucement vers le gouffre de l'autodestruction.

Ce qu'il voyait à la place des plaines ravagées de Kappa-Centauri était une promesse d'avenir qui, à défaut d'être meilleur, lui rapporterait potentiellement beaucoup d'argent.

Depuis qu'il connaissait l'existence du Caveau, centre critique qui semblait transformer tout ce qu'il touchait en machine infernale, il ne pouvait s'empêcher de songer à une source de revenus extraordinaires.

La cybernécrose anarchique dont étaient atteints les Prométhéens pouvait sûrement être contrôlée. Les applications du gel structurel, des obélisques, étaient infinies, ouvrant des possibilités qu'il imaginait encore à peine.

S'ils arrivaient à maîtriser l'infusion du fluide ferreux, la chirurgie deviendrait obsolète, sans parler de l'avancée incroyable que cela représenterait dans le domaine des prothèses cybernétiques.

Tout du moins, c'était l'explication officielle qu'il donnait aux rares personnes qui osaient remettre en question ces actions futures.

À force, Lindstradt avait presque fini par se convaincre lui-même qu'il entreprenait cette croisade désespérée pour en tirer le maximum de bénéfices.

La vérité était en fait beaucoup plus simple : il n'avait que faire des vies qu'il mettait en danger, de l'argent ou bien encore de l'amélioration de la condition humaine.

S'il avait fini par commercialiser des outils de mort et de destruction, ce n'était pas pour rien, car au fond, Lindstradt avait toujours méprisé les siens.

Les mener tous vers une fin probablement affreuse serait une conclusion logique à son chemin de vie. Sa propre femme avait été tuée par l'entreprise, son enfant le regardait comme s'il était un inconnu, et il n'en ressentait qu'un vague remords.

Cet enfoiré de mercenaire avait eu raison de bout en bout : il allait sur Kappa-Centauri parce qu'il n'avait rien trouvé de mieux, de plus pertinent, pour exprimer sa nature profondément misanthrope. Cette certitude fataliste s'était ancrée dans son esprit depuis des mois déjà.

Il espérait cependant que cette pulsion n'était connue que de lui seul, car, avec un peu de chance, cet imbécile de Cooper avait explosé en même temps que le vaisseau adverse.

C'est sur cette dernière réflexion que Lindstradt se rendit compte que lui et ses deux chiens de garde étaient presque arrivés au secteur du Nexus.

Son esprit étant trop préoccupé par des pensées moroses, son corps l'avait amené à destination sans qu'il ne s'en rende réellement compte.

La première chose qui le fit frissonner alors qu'il s'approchait du bunker électroneural fut la température toujours aussi glaciale qui y régnait.

Évidemment, il avait oublié de prendre des vêtements plus chauds, comme à chaque fois qu'il visitait le royaume des profondeurs dans lequel officiait Karavindra.

Ce dernier se dirigeait d'ailleurs vers lui, la mine sombre et les yeux cernés derrière ses lunettes rondes.

- Faut que tu voies ça, dit-il sans le saluer, lui fourrant une épaisse parka dans les mains.

Chassant les miliciens d'un geste négligent, Lindstradt enfila le manteau doublé, remerciant son second à mi-voix.

Un calme bienvenu régnait dans les environs, malgré la présence de nombreux techniciens près du sas blindé qui scellait l'entrée de la chambre froide.

Plusieurs d'entre eux avaient amené des consoles portables, juchées sur des roulettes et reliées aux armoires électroniques qui parsemaient les murs environnants.

S'interrogeant sur ce qui avait bien pu provoquer un tel attroupement, le directeur suivit Karavindra en ignorant les regards désespérés que lui adressaient les laborantins massés dans le vasistas.

- Qu'est-ce qui se passe ? demanda-t-il à l'ingénieur en chef, alors que celui-ci écrasait son passe sur le lecteur du portail.

- Viens constater par toi-même, déclara simplement Karavindra.

Luttant contre le désir de le rappeler sèchement à l'ordre, Lindstradt regarda les vantaux gelés s'ouvrir en coulissant dans un grincement.

Chez Hélion, il était de notoriété publique qu'il ne s'approchait jamais du noyau du Nexus, retenu par une superstition idiote depuis l'accident d'Atlas-Horizon.

Aujourd'hui ne ferait pas exception, et Lindstradt resta au seuil sans le franchir.

Face à lui se dressait un mur de ténèbres zébré de constellations bleutées et clignotantes et il devina les racks terrés dans l'obscurité.

Ces placards informatiques lui avaient toujours fait penser à des cercueils luminescents.

Il se tenait à l'entrée d'une catacombe glaciale.

- Je ne vois rien, signala-t-il, refermant le col du manteau rembourré pour se protéger de l'air arctique que laissait échapper la chambre.

- Attends, le prévint Karavindra d'un ton sinistre en faisant claquer sa Maglite.

Le rayon blanc et cru de la lampe torche dissipa l'ombre à l'instar d'une aube artificielle, révélant l'intérieur mort du bunker.

Lindstradt recula instinctivement.

- Mon Dieu, souffla-t-il, complètement perdu devant le spectacle étrange qui se jouait dans la pièce refroidie à l'azote.

- Putain, ça, oui, soupira Karavindra d'un ton blasé.

Prenant racine autour de la géode de réglisse, des excroissances de la même teinte s'étaient étendues sur plusieurs mètres, formant une corolle d'une géométrie parfaite.

D'autres extensions plus fines, semblables à des branchages atrophiés par la malnutrition, avaient envahi les alentours, recouvrant les racks et l'appareillage de la salle d'une chape trouée, avalant les LED dans leur trame noirâtre.

En-dessous de ce tapis tressé, les armoires de stockage et les compartiments de processeurs continuaient à ronronner sur leur rythme tranquille, indiquant ainsi que tout le système physique fonctionnait parfaitement.

Une impulsion lumineuse terne, d'une nuance lie-de-vin, parcourait parfois ce réseau de veinules qui vampirisait la machinerie pétrifiée.

Tout cela présentait une ressemblance troublante avec un jardin fuligineux dépourvu de toute beauté végétale. On aurait plutôt dit le cadavre minéralisé d'un lierre rabougri.

L'air polaire, toujours cristallisé à vingt-cinq degrés en-dessous de zéro, avait déposé une fine couche bleutée sur les racines que le Nexus semblait avoir fait pousser, le noyau s'épanouissant en une fleur figée et cauchemardesque d'un noir de jais profond.

- Qu'est-ce qui s'est passé ? éructa Lindstradt, brisant finalement son silence interloqué.

S'arrachant avec difficulté de cette vision de mauvais rêve, il reporta son attention sur son adjoint. Dardant le projecteur portable sur les entrailles déformées du Nexus, Karavindra avait enfoncé sa main libre dans une des poches de son pantalon de toile luxueuse.

Lindstradt ne lui avait jamais vu un air aussi perplexe qu'à cet instant.

Ce n'était pas bon signe. Ahmal était le meilleur expert dans le domaine.

Rares étaient les phénomènes cybernétiques qui échappaient à son champ de compétences.

- Franchement, soupira-t-il avec lenteur. Franchement... j'en ai aucune foutue idée...

Il balaya le foisonnement sombre à l'aide de la lumière une nouvelle fois, espérant peut-être ainsi chasser les ronces aux reflets rougeâtres.

- C'est arrivé quand ? interrogea Lindstradt alors qu'ils s'éloignaient de l'entrée béante, fuyant le froid et la désolation incompréhensible qui l'avaient envahie.

Verrouillant le sas d'un mouvement las, Karavindra lui adressa un regard rempli de détresse.

- Je l'ignore, avoua-t-il. Nous l'avons découvert en ouvrant la chambre il y a une heure. J'ai mis Victor... monsieur Layto sur le coup, c'est le meilleur que j'ai. Il est trop tôt pour tirer des conclusions pour l'instant, mais nos premières observations semblent indiquer qu'il s'agit d'un espèce de duplicat auxiliaire coaxial...

- Un dupliquoi ? l'interrompit-il, agacé.

- En gros, le Nexus est en train de générer un second réseau complètement identique à l'original, résuma Karavindra en raccrochant la lampe-torche à sa ceinture à l'aide d'un mousqueton cramoisi.

- Et c'est déjà arrivé ? Sur les versions précédentes, je veux dire ? demanda Lindstradt en mettant le plus de distance possible entre lui et la porte hexagonale du coffre-fort.

- Pas à ma connaissance, dit Karavindra en le suivant de près. Je me demande sérieusement si ce ne sont pas ces satanés Thanyxtes qui ont trafiqué le noyau quand ils sont venus...

Le directeur haussa des épaules.

L'apparition de ce corail sombre, ou duplicat, ou peu importe le nom que cette chose noire portait, le laissait indifférent.

- Et notre Stygien à nous, il en pense quoi ? s'intéressa-t-il après une courte pause.

L'expression surprise de l'ingénieur en chef lui apprit que l'idée de se tourner vers Vol'Zan ne l'avait même pas effleurée.

- Je vais le faire venir, promit Karavindra. Et je vais croiser les doigts pour qu'il accepte de se montrer plus coopératif que d'habitude.

- Tiens-moi au courant, dit simplement le directeur en se débarrassant de son manteau, qu'il posa négligemment sur le poste de travail mobile le plus proche. Des nouvelles de Cooper ? s'enquit-il ensuite.

- Non, se désola son interlocuteur. Nous avons perdu la liaison radio dès son entrée dans le vaisseau. Les données vidéo sont à peine exploitables. Mais le gros-porteur n'est plus, ce n'est pas ce que tu voulais ?

- J'ai quand même envoyé une navette inspecter les débris, prononça Lindstradt.

- C'est tout à ton honneur, commenta son second.

- Je te laisse régler ton problème, poursuivit le directeur en lui tournant le dos.

Il n'avait plus aucune envie de rester à proximité de ce maudit système électroneural.

Que Karavindra et son équipe se démerdent, pour changer.

Saluant son intervention par un reniflement peu amène, Karavindra le regarda partir en compagnie de son escorte armée habituelle.

Ces derniers jours, Lindstradt avait pris la fâcheuse habitude de se balader en permanence avec deux ou trois miliciens en armes, comme s'il souhaitait renfoncer son autorité déjà incontestable. Cela gênait l'ingénieur pour une raison inconnue.

Aujourd'hui encore, il n'avait pas osé lui dire qu'ils feraient mieux de tout laisser tomber et de rentrer sur Carrière.

Même s'il savait qu'il ne se mettrait jamais en danger grâce à sa position dans l'entreprise, Karavindra était loin d'envisager l'abordage de Kappa-Centauri avec sérénité.

Et maintenant que le Nexus avait été saboté par il ne savait quelle horreur alien... comment savoir si cela ne les mettait pas en danger immédiat ?

- Amenez-moi le Thanyxte, ordonna-t-il à Victor Layto.

L'assistant de laboratoire grimaça d'appréhension à la seule perspective de devoir aller chercher l'alien dans son antre.

Il obéit tout de même, laissant son outil de diagnostic pour quitter la pièce d'un pas hésitant.

Karavindra en profita pour s'approcher et jeter un œil circonspect aux relevés qu'affichait l'écran de contrôle sur lequel travaillait l'ingénieur quelques instants auparavant.

Ce qu'il vit dessus n'obéissait à aucune logique.

Selon les programmes d'analyse indépendants, le Nexus-C se portait à merveille. RAS.

C'était comme si cette espèce d'infection électronique n'existait tout simplement pas.

Personne n'avait encore osé toucher la matière rigide qui se trouvait dans la chambre froide.

Sur son ordre, ils s'étaient contentés de projeter le système maître du noyau sur les écrans de maintenance en attendant de cerner le véritable problème.

Se sentir aussi dépassé mettait les nerfs de Karavindra à rude épreuve.

Le fait de devoir s'en remettre au Thanyxte qui avait élu domicile dans les cales lui était insupportable.

Il détestait devoir faire appel à quelqu'un d'extérieur quand il était question de son propre domaine, d'autant plus quand il s'agissait d'un alien méprisant tout ce qui ne relevait pas de sa précieuse technologie du Styx.

Quand, précédé d'un Victor Layto extrêmement mal à l'aise, Vol'Zan fit son entrée dans la pièce, Karavindra ne put s'empêcher de faire la moue.

Devant l'alien, les regards se baissaient aussitôt, chacun évitant de croiser ses yeux flavescents comme s'ils craignaient de se transformer en pierre.

- Qu'est-ce que vous me voulez ? demanda le Thanyxte sans préambule.

Ravalant sa fierté à l'instar d'un morceau avarié, l'ingénieur en chef lui montra ce qui se passait dans le grand coffre-fort.

Restant à bonne distance à cause du froid, l'alien observa l'intérieur parasité pendant un long moment, les bras croisés sur la poitrine.

- Est-ce que vous avez déjà rencontré ça ? demanda Karavindra, voyant l'autre s'enfermer dans le silence.

- Non, prononça Vol'Zan.

Cela découragea l'ingénieur plus qu'il ne le laissa paraître.

- Nos premiers relevés indiquent qu'il s'agit d'un duplicat, précisa-t-il. Mais je n'arrive pas à comprendre d'où vient la matière. On ne peut pas créer quelque chose à partir du vide. Ces... ronces... ne peuvent pas juste surgir comme ça.

- Non, répéta le Thanyxte. L'explication la plus probable est que le plasma se trouvait déjà à l'intérieur du noyau.

- Impossible, trancha Karavindra, très sûr de lui. S'il y avait une quelconque... substance exotique... à l'intérieur de la structure du noyau, nous l'aurions forcément détectée.

L'alien expira bruyamment, marquant ainsi son scepticisme.

- Montrez-moi les métadonnées, exigea-t-il en se détournant du bunker ouvert.

Peu enchanté de se plier ainsi à ses demandes, Karavindra le mena à contre-cœur au poste de travail de Layto.

Les voyant converger dans sa direction, ce dernier s'éloigna précipitamment.

Vol'Zan parcourut l'écran du regard sans toucher à quoi que ce soit, ce dont l'ingénieur en chef lui en fut silencieusement reconnaissant.

- Le système n'indique rien d'anormal, constata le Thanyxte, faisant ainsi la même conclusion que Karavindra auparavant.

- Je sais lire un rapport de diagnostic préliminaire, trancha brusquement l'intéressé.

- Ça ne fait aucun doute, dit Vol'Zan d'un ton qui transpirait l'ennui. Je connais le principe de fonctionnement de l'électroneural, mais je ne me suis jamais intéressé aux détails, alors, éclairez-moi : d'où ça vient ?

Karavindra lui adressa un regard condescendant.

- S'il vous plaît, ajouta Vol'Zan.

- D'accord, céda-t-il. C'est une architecture en trois unités, imbriquée dans un carcan lithographique. Un procédé de construction mis en place par Almaz-Anteï il y a vingt-cinq ans, juste après la découverte du Pyroxène Diopside, dans les environs d'Irukandji. On suppose que c'est un xénolithe issu du centre galactique... les technologies électroneurales sont les premières à utiliser le Pyroxène, parce que c'est un matériau capable d'emmagasiner cent zettabytes au nanomètre cube, et...

- J'ai compris, le coupa Vol'Zan, qui ne l'avait certainement écouté que partiellement. Et bien, si j'étais vous, je ferais une radiographie du noyau.

- Une... un Röntgen ? s'hallucina Karavindra.

- Ou une IRM, ajouta l'alien. Je ne sais pas ce que vous autres utilisez.

- À quoi ça m'avancerait d'amener un appareil d'imagerie médicale dans le bunker pour le pointer sur la géode ?!

- Si mon intuition est bonne, et elle l'est généralement, votre architecture à trois unités, là, elle vient littéralement d'imploser, précisa le Thanyxte. Je suis sûr que si on prélève un échantillon de matière, on y retrouverait des traces de votre fameux xénolithe.

- Mais comment... souffla l'ingénieur en chef en se passant la main dans la barbe. Le Pyroxène ne peut physiquement pas imploser.

- Parce que ce n'est pas vraiment du Pyroxène, j'imagine, corrigea Vol'Zan. Je ne suis pas géologue, mais je n'ai jamais entendu parler d'une roche capable de former un réseau informatique. J'ignore ce que les vôtres ont déterré à Irukandji, mais ce n'est certainement pas un simple caillou aux propriétés de stockage exceptionnelles.

- Est-ce que votre IA peut confirmer ça ? demanda-t-il, bien que cette perspective ne l'enchantât guère. Elle est dans le Nexus depuis longtemps, non ?

- Aresh pourrait, oui. Si seulement il ne s'était pas transféré dans l'exo de Cooper, dit l'alien avec indifférence.

- Oh, commenta Karavindra.

Il n'ajouta rien, fixant le portail recouvert de givre d'un air catastrophé.

- Et vous êtes sûr que ce n'est pas la délégation de l'Ereshkigal qui... fit-il mine de commencer.

- Certain, le coupa le Thanyxte. Comment auraient-ils fait ? La géode a excrété plusieurs centaines de mètres cubes de matière exotique. Ils n'auraient pas pu amener une telle quantité sans qu'on s'en rende compte.

- Mais ils auraient pu déclencher le phénomène, insista Karavindra. En chauffant la structure, par exemple. Ce qui expliquerait la mise en sécurité et le refroidissement d'urgence de la chambre.

- Peut-être, admit Vol'Zan. Impossible de leur poser la question.

- Je sais bien, s'irrita Karavindra. Je ne fais qu'émettre des hypothèses. Et je pensais que vous me seriez d'un plus grand secours.

- Désolé. Je connais seulement les grandes lignes de vos principes informatiques. Les nôtres sont... très différents, dit le Thanyxte. Contrairement à Aresh, je n'ai pas eu l'envie d'approfondir ma maîtrise du sujet. Je ne peux pas vous dire si ce phénomène a été déclenché par un facteur extérieur ou intrinsèque.

- Ça n'aide pas, constata l'ingénieur en chef.

Près de lui, à distance respectable de l'alien, Victor Layto échangeait des murmures inquiets avec ses collègues du secteur.

Karavindra savait cependant que personne, parmi eux, n'allait clairement exprimer un désaccord quelconque.

C'était comme ça, ici, chacun cultivait sa propre omerta.

Il se demandait parfois comment les employés d'Hélion, et l'espèce humaine en général, en étaient venus à se montrer aussi passifs peu importe les circonstances.

Depuis des siècles, ses compatriotes vivaient dans une société qui piétinait les individus sans que ceux-ci ne protestent.

Le microcosme de l'entreprise n'allait pas y faire exception.

- Allez me chercher les rayons X, commanda Karavindra au bout d'une courte pause.

Une fois encore, ce fut Layto qui s'y colla.

Laissant le Thanyxte près de la console, l'ingénieur en chef se dirigea vers son bureau impersonnel en priant d'y trouver encore une boîte de chaï.

S'il cédait à ses vieux démons, il y ajouterait certainement une goutte de brandy.

À situation exceptionnelle, comme on disait...

Peut-être même que cela l'aiderait à mieux supporter la présence gênante du Thanyxte.

Il était à mi-chemin quand il sentit son datapad s'allumer en vibrant à l'intérieur de sa veste déboutonnée. C'était un message de Lindstradt, rédigé avec sa négligence coutumière.

Le contenu le figea sur place durant une dizaine de secondes.

- Merde, fit-il à mi-voix en revenant vers l'antichambre surpeuplée du Nexus.

En le voyant se planter devant lui avec un air agité, Vol'Zan n'eut absolument aucun signe d'intérêt à son encontre à l'exception d'un regard énigmatique.

- Ils ont récupéré Cooper, dit Karavindra, cherchant ses mots. Mais il n'était pas seul. Votre présence est requise.

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