✴ 39.

Eris

J'avance d'un pas lourd, mon esprit entremêlé dans une tourmente d'émotions contradictoires. Depuis l'attaque qui a laissé Sheyla dans un état presque comateux, je me sentais déjà anéantie. Mais la nouvelle de la mort de son cher professeur Hephilios a déclenché en moi une douleur que je ne parviens pas à apaiser.

Les mots prononcés par Klein résonnent toujours dans mon esprit. La haine que j'ai vu dans ses yeux m'a fait frémir l'échine.

La cérémonie d'hommage au professeur Hephilios a été aussi solennelle qu'éprouvante. Les visages sombres et les regards pleins de tristesse rappellent la perte immense que nous venons de subir. Je n'arrivais pas à croire qu'il était réellement parti. Je ne le connaissais depuis des années mais j'avais développé une profonde affection et un grand respect pour lui. C'est bizarre, j'ai l'impression que naviguer avec la mort est devenu notre quotidien.

Après la cérémonie, j'ai senti le besoin de me réfugier dans le bureau du professeur Eléa. Je frappe timidement à la porte et l'entends me demander d'entrer. Eléa est assise à son bureau, une pile de documents devant elle. Elle semble concentrée, mais je remarque rapidement la présence d'un mouchoir en papier entre ses doigts.

Je sens mon estomac se nouer d'inquiétude pour elle. Je m'approche doucement et demande d'une voix douce :

- Vous allez bien professeur ?

Elle relève les yeux vers moi, tentant de dissimuler ses émotions derrière un faible sourire.

- Oui, ça va, Eris. Ne t'en fais pas pour moi.

Dommage pour elle car j'ai appris à suffisamment la connaître pour savoir qu'elle ne peut pas cacher sa peine aussi facilement. Je peux lire la douleur dans ses yeux, et comprend qu'elle a besoin d'un soutien autant que moi.

- Ça fait du bien de pleurer vous savez

Elle esquisse un sourire un peu rassurant.

- C'est difficile de perdre un être cher, Eris. Hephilios était un ami proche, un professeur, un mentor. Sa mort nous a tous touchés en plein cœur et on ne s'y attendait tellement pas. Mais je ne veux pas que tu te préoccupes de moi en ce moment. Je suis plus préoccupée de savoir comment toi, tu vas.

Je plonge dans une profonde réflexion, essayant de mettre des mots sur toutes les émotions qui déferlent en moi.

- Je... Je ne sais pas vraiment comment je me sens. C'est comme si toutes ces émotions contradictoires s'entrechoquent en moi. La tristesse, la colère, la confusion... puis tout s'engouffre dans un trou géant au creux de mon cœur. Je me sens perdue ...

Eléa m'écoute attentivement, les yeux emplis de compassion. Elle prend une profonde inspiration avant de répondre.

- Je sais que tu dois avoir peur en ce moment, et que tu te dis peut-être qu'il serait plus sûr de fuir ce monde

- Je sais, je dois apprendre à maîtriser mes pouvoirs

Un sourire chaleureux se forme sur ses lèvres alors qu'elle se lève pour me prendre dans ses bras. Dans ce geste silencieux mais empli d'affection, elle semble me transmettre cette force dont j'ai tant besoin.

Sortant du bureau du professeur, je me dépêche afin de rentrer à la maison. Alors que je me fraye un chemin parmi la foule, j'aperçois une silhouette familière au loin. Mes yeux s'écarquillent de surprise lorsque je réalise qu'il s'agit de Trystan. Sans attendre une seconde de plus, je me précipite vers lui.

- Trystan ! je m'écrie de joie en lui sautant dans les bras.

Le jeune homme, pris au dépourvu, resserre son étreinte autour de moi, ravissant ses sens avec mon odeur familière de musc.

- Hé bien Eris, je ne pensais pas te manquer autant.

- Si tu savais ! Mais qu'est-ce que tu fais ici ? Je ne savais pas que tu étais de retour ! je demande avec empressement.

Trystan secoue la tête tristement et laisse échapper un soupir.

- En réalité, mon voyage de recherche n'était pas encore terminé, répond-t-il, la voix chargée d'émotions. Mon mentor et moi avons été contraints de revenir d'urgence suite à la nouvelle de la mort du professeur Hephilios

Mon visage se voile de tristesse, et les étincelles de bonheur s'éteignent peu à peu dans mes yeux.

- Tu étais donc à la cérémonie ?

Il hoche la tête, dégageant avec tendresse une mèche de cheveux qui tombait devant mes yeux .

- Allez ne prend pas cet air, il n'aurait pas aimé nous voir nous morfondre.

J'esquisse un faible sourire, mais la tristesse dans mon cœur demeurait. Finalement, je secoue légèrement la tête et essaie de me ressaisir.

- Malgré tout cela, je suis heureuse de te voir, j'ajoute rapidement, cherchant à apporter une lueur de positivité à leur conversation sombre. Même si je dois rentrer chez moi maintenant.

Trystan acquiesçe avec compréhension.

- Bien sûr. Nous nous reverrons bientôt, ne t'inquiète pas

Je prends une dernière inspiration avant de me détourner et de m'éloigner lentement, jetant un dernier regard en arrière pour le saluer, tandis qu'il reste immobile, observant ma silhouette disparaître au loin...

Je sens un étrange mélange de soulagement et de tristesse lorsque j'ouvre la porte de la maison. Jason me suit, le visage inquiet, et nous allons dans la cuisine.

Le regard perdu dans le vide, je m'assieds sur une chaise en bois, le cœur lourd et l'esprit embrumé. Je ne peux m'empêcher de penser au professeur Hephilios, à sa mort brutale, à tous les événements sinistres qui ont secoué notre petit monde ces dernières semaines. Mes pensées se bousculent dans sa tête, créant un poids invisible qui m'oppresse.

Jason ouvre le réfrigérateur, espérant trouver un peu de réconfort dans la nourriture. Mais il est rapidement désillusionné en constatant le peu de provisions qui restent. Il se tourne vers moi, espérant que je lui propose une alternative. Cependant, je suis lointaine, absorbée par mes propres pensées.

- Tu n'as pas faim ? S'enquit-il, cherchant à percer la bulle de silence qui nous entoure.

Je secoue la tête, incapable de trouver l'appétit en moi. Chaque bouchée me semble futile et insignifiante en ce moment.

Jason ne se laisse pas décourager et tente une autre approche.

- Sais-tu quel mois nous sommes ? M'interroge-t-il, espérant susciter une lueur de conscience chez moi.

Je lève les yeux, surprise par sa question. Quel mois était-ce déjà ? Les jours se sont mêlés les uns aux autres, formant un amas confus dans mon esprit tourmenté.

Puis, je réponds d'une voix hésitante.

- Décembre... les fêtes de fin d'année.

Jason secoue la tête, un sourire en coin.

- Non, Eris, je ne parle pas des fêtes de fin d'année. Je parle de ton anniversaire.

Je semble encore plus déconcertée. Je n'avais pas du tout pensé à mon anniversaire ces derniers temps.

- Cela n'a pas d'importance en ce moment, je murmure d'une voix faible.

Mon cousin refuse cependant de baisser les bras aussi facilement.

- Non, Eris, c'est parfaitement le moment, déclare-t-il avec conviction. Je comprends que tu te sentes mal à cause de la mort du vieux Hephilios et de tout ce qui s'est passé ces dernières semaines, mais nous devons avancer, continuer à vivre et ne pas nous laisser submerger par la tristesse.

J'écoute les paroles sincères de mon cousin, mais la douleur au fond de moi est si forte que je ne parviens pas à me projeter ailleurs.

- Ça doit être horrible de voir quelqu'un mourir devant soi, je chuchote, une pointe de tristesse dans la voix.

Soudain, un mal de tête douloureux s'empare de moi. Une vive douleur m'irradie depuis mes tempes, rendant tout autre pensée ou conversation impossible. Je pose une main tremblante sur mon front, sentant les pulsations douloureuses de mon propre cœur résonner dans mes tempes. La douleur me glace, m'immobilise.

Jason s'approche précipitamment et s'agenouille à côté de moi. Inquiet, il me demande ce qui se passe. Je suis incapable de parler, pointe ma tête avec difficulté, tentant de montrer la source de mon mal-être.

Le regard anxieux, il me demande de me détendre, de respirer profondément. La douleur diminue lentement, mais me laisse tout de même secouée et épuisée.

- Tu vas mieux ? demande-t-il précipitamment.

Je hoche faiblement la tête.

- Je... Je vais bien, je réussis à articuler avec un peu de difficulté.

Il ne semble cependant pas convaincu. Soudain, la porte d'entrée s'ouvre brusquement, révélant la silhouette élancée de ma mère. Son visage est marqué par l'inquiétude, son regard nous scrutant avant de nous rejoindre dans la chaleur de la cuisine.

- Qu'est-ce qui se passe ici ? Questionne-t-elle d'une voix pleine de curiosité.

Les bras croisés, elle reprend d'une voix grave.

- Il se passe quelque chose que j'ignore. Vous sortez sans rien dire, vous revenez comme si de rien n'était... Vous avez changé ces derniers temps, et je le sens. Ne me dites pas le contraire.

Jason et moi échangeons un regard inquiet. Ma migraine ressurgit à ce moment précis, se propageant dans tout mon crâne. Je pose ma main sur ma tempe, sentant mon cousin se rapprocher de moi pour me soutenir.

- Ça va, Eris ? m'interroge ma mère, sa voix remplie de sollicitude.

Reprenant mes esprits, je bredouille.

- Oui, ça va juste... ces derniers temps, c'est difficile pour moi.

Le regard inquisiteur de ma mère se fait plus perçant.

- Est-ce à cause de ton amie qui est à l'hôpital ? demande-t-elle, sa voix vibrante d'inquiétude maternelle

Je reste bouche bée, surprise qu'elle évoque ce sujet. Jason, voyant que je suis anxieuse, décide de répondre à ma place.

- Oui, cette histoire a beaucoup secoué Eris. Elle est vraiment préoccupée.

- Ah je vois ! Cette mine c'est parce que vous êtes allée la voir.

Toujours soutenue par Jason, je secoue la tête pour signifier que non, je ne suis pas allée la voir récemment. La culpabilité m'envahit, regrettant de ne pas avoir été présente pour elle dans ces moments difficiles.

- J'ai juste besoin de me reposer, je soupire avant de monter les escaliers.

Alors que je grimpe, chaque marche me rappelle que j'aurais dû aller la voir plus tôt. Mes pensées tourbillonnent dans ma tête, les émotions se mêlent dans mon cœur. Je me sens désemparée et coupable ...

J'ouvre lentement les yeux et suis immédiatement désorientée. Mon corps est allongé sur le sol froid, à quelques pas de mon lit. Je me redresse en me frottant les yeux, cherchant à me souvenir de ce qui s'est passé. Je regarde ma montre et neuf heures du matin. Comment j'ai pu atterrir ainsi à terre ? Rien ne me revient en mémoire et je me sens confuse.

Me relevant péniblement, je me traîne difficilement jusqu'à la salle de bain. Lorsque je me regarde dans le miroir, mon visage est pâle et marqué par des cernes profondes. Mes yeux fatigués révélèrent à quel point j'ai l'air épuisée. Je ne peux m'empêcher de me demander ce qui a bien pu me conduire dans cet état.

Déterminée à chasser toute trace de fatigue de mon apparence, je prends un bain revigorant et en sors, me sentant un peu plus énergisée. Je me change rapidement et revêts ma tenue. Je prends alors une profonde inspiration et, regardant ma bague, je me dirige directement à Atlasia.

Arrivée au coeur de la cité vibrante, je décide d'aller vers l'hôpital pour enfin voir Sheyla. Dans les couloirs de l'hôpital, je sens le poids de la tristesse s'alourdir sur mes épaules. Je frôle les murs, me frayant un chemin jusqu'à la chambre.

Lorsque j'y entre, mon cœur se serre douloureusement en voyant Sheyla condamnée dans cette prison. Elle semble paisible, un voile de tristesse sur son visage endormi. Je m'approche lentement de la sphère, posant délicatement ma main dessus.

- Je suis désolée, Sheyla, je murmure d'une voix chevrotante. Je ne suis pas venue plus tôt, je ne savais pas comment te faire face...

Je baisse doucement la tête, sentant une boule d'émotions retenues se former dans ma gorge. Je continue ensuite à parler, me confiant à mon amie endormie.

- Le professeur Hephilios est mort, je reprends, ma voix trahissant l'amertume et la peine. Je me sens tellement bête. Je ne sais même pas si tu m'entends. Je ne sais plus comment faire face à tout ça. Tout le monde me dit que ça ira, j'attends toujours que ça passe.

Les larmes roulent sur mes joues alors que les mots sortent de ma bouche, ma voix se brisant parfois.

- S'il te plaît, réveille-toi vite.

Je reste ainsi, silencieuse, pendant quelques instants avant de me ressaisir et de quitter la pièce.

Je suis de retour à l'académie. Je pousse doucement la porte en bois de mon professeur, révélant une Elea surprise de me voir là.

- Eris, ma chère, que fais-tu ici ? Je pensais que tu étais rentrée chez toi pour te reposer, s'exclame-t-elle en se levant de son fauteuil.

J'affiche un demi-sourire et réplique.

- Je suis venue me changer les idées. La meilleure façon d'oublier ses soucis est de s'entraîner, n'est-ce pas ?

Elle acquiesçe, les yeux pétillants d'admiration pour ma détermination.

- Tu as complètement raison. Je suis ravie de voir comment tu envisages les choses.

Mais tandis que je m'apprête à répondre, une douleur aiguë se propage rapidement dans mon crâne. Je pousse un cri involontaire de douleur, serrant ma tête entre mes mains. Elea se précipite vers moi, inquiète, et me demande de me calmer.

- Ça ne s'arrête pas, je gémis. J'ai mal, vraiment mal.

La douleur est insupportable, j'ai l'impression que mon cerveau va exploser. Je me force à suivre les instructions du professeur, prenant de profondes inspirations pour tenter de me concentrer sur autre chose que la douleur.

Elea s'approche ensuite de son plan de travail, cherchant frénétiquement parmi les pots et les flacons étiquetés, jusqu'à ce qu'elle trouve enfin ce qu'elle cherche. Elle mélange habilement quelques herbes avec un liquide provenant d'une petite fiole qu'elle garde précieusement dans sa poche, créant une potion salvatrice.

Une fois la potion prête, elle me l'apporte et me la fait boire doucement.

- Maintenant, respire profondément, instruit-elle.

J'obéis, sentant peu à peu la douleur s'atténuer, remplacée par une sensation apaisante. Je ferme les yeux, laissant enfin un soupir de soulagement s'échapper de mes lèvres. Je la regarde et confesse dans un murmure.

- Mes nuits sont éprouvantes. J'ai l'impression que ma tête est attaquée à chaque instant.

Elle semble comprendre parfaitement et acquiesçe.

- Je t'assure que ça ira. Je t'aiderai du mieux que je le peux.

Elle me tend le reste de la potion, en m'expliquant que je dois la boire avant de dormir et dès que la douleur se manifeste. Je prends la potion délicatement, hochant la tête pour signifier ma compréhension.

Curieuse et désireuse de résoudre ce qui m'arrive, je fixe Elea et lui demande.

- Mais qu'est-ce que j'ai, au juste ?

Elle soupire doucement et répond d'une voix calme.

- Je ne sais pas encore. Mais pour l'instant, va chez toi te reposer.

Avant de quitter le bureau, Elle m'arrête brusquement.

- Écoute-moi bien, Eris. Ne parle à personne de cette douleur. Personne ne doit savoir. Nous devons garder ça entre nous, d'accord ?

Je sais que je peux lui faire confiance, mais je souris un peu inquiète avant de hocher la tête en signe de promesse.

Je me réveille plus tard dans nuit en hurlant le nom d'Alex. Qu'est ce que ce rêve que je viens de faire veut dire ? Je touche la potion que le professeur Eléa m'a donné plus tôt en journée. Il faut que je parle à Alex ...

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top