Chapitre 8

Quiconque lutte contre des monstres devrait prendre garde, dans le combat, à ne pas devenir monstre lui-même.

***

Je suis allongée sur le ventre sur une table en métal dure et glaciale. En regardant tout autour de moi, je constate que tous les murs sont blancs, immaculés, impersonnels et que je suis entourée d'équipements chirurgicaux. Mon dos et ma tête me font horriblement souffrir. J'ai l'impression que mon esprit a déserté mon corps.

Compressée, je remarque que ma poitrine est entièrement bandée, de sa naissance, jusqu'au milieu de mon ventre. J'essaye de me relever, mais je tombe en hurlant lorsqu'une enorme douleur me percute le dos et me meurtrie.

Qu'est-ce qu'il m'arrive ?
La douleur est si forte que j'ai du mal à réfléchir!

Soudain, je me rends compte que je suis plus légère que d'habitude. Des larmes d'anticipation commencent à couler le long de mes joues.
Cette sensation de lourdeur familière dans mon dos n'est plus présente. Je ne sens plus ces plumes douces et robustes caresser ma peau. Le coeur s'effritant, je me tord le cou pour regarder derrière mon dos, mais ne trouve rien d'autre que deux taches sanglante sur mon bandage.

Elles ne sont plus là.

Le cri le plus déchirant et le plus désespéré qu'une âme puisse faire retentir en ce monde, se rue hors de ma bouche pour faire écho à ma douleur. La pièce se met à trembler, les objets se mettent à fouetter l'air, se percutant les uns aux autres dans une tumulte digne des enfers.

La porte de la pièce s'ouvre, et une dizaine de personnes entrent pour me maîtriser. Ils me plaquent contre la table tandis que mes cris et me sanglots remplissent la pièce. J'ignore la douleur qui me déchire la chair et leurs avertissements.

Ils me les ont arrachés.

Je me réveille en sursaut, me cramponnant aux draps pour retrouver mon équilibre. J'ouvre grand les yeux et cherche dans l'obscurité la certitude que ce n'était pas réel.

Les ombres lèchent les coins de la pièce. La seule lumière éclairant la pénombre vient de la salle de bain. J'inspire par la bouche, remarquant soudain que ma nuque est trempée de sueur. Instinctivement, je porte la main à mon dos et un sentiment familier vient serrer mon coeur.

Ce n'est qu'un cauchemar.

Aussi réaliste soit-il,

Aussi douloureux soit-il,

Ce n'est qu'un cauchemar.

Revivre ce moment de ma vie, celui où mes ailes m'ont été volées alors que je n'avais que huit ans est toujours aussi difficile. Mon coeur ne bat toujours pas régulièrement et mes mains sont moites et tremblantes.

Calme toi Rhyne...

Rabattant la couverte sur le côté, je joins la salle de bain et passe de l'eau froide sur mon visage. Une fois les tremblements disparus, je décide de rejoindre ma chambre. Je titube légèrement, encore perdue entre rêve et réalité.
Je sors de la chambre en refermant silencieusement derrière moi. Aucun garde ne rôde dans le couloir, je rejoins mon étage sur la pointe des pieds, mais alors que je me retrouve à l'intersection entre les escaliers et le couloir, je percute quelqu'un de plein fouet et me retrouve sur les fesses.

— Bon sang, tu peux pas faire gaffe !

Je lève la tête et foudroie l'idiot du regard... qui n'est autre que Knox. Dans l'obscurité du couloir, des ombres noires semblent lécher sa peau et l'envelopper. Croyant rêver, je ferme les yeux un instant et quand je les ouvre à nouveau, je croise la mine arrogante d'Enfant de Satan.

— Qu'est-ce que tu fous ici ? je crache.

— Je pourrais te poser la même question.

Je lève les yeux au ciel, mais je suis pas sûre qu'il me voit à cause de l'obscurité.

— Encore à le recherche de tes objets magiques ?

— Pas du tout, je me balade.

— La nuit tombée ? C'est courant chez les démons ?

— Ah ah ah, je suis mort de rire, lance-t-il d'un ton pince sans rire.

— Tu compte rester sur le cul pendant longtemps ?

Soudain, je me rends compte que j'ai toujours pas bougé. Et pour ne pas perdre la face, je croise les jambes et l'observe depuis ma position.

— J'aime bien être dans cette position.

— Et moi j'aime ce que je vois.

Mon coeur rate un battement.
Je me racle la gorge.

— Et qu'est-ce que tu vois ?

Pourquoi j'ai dit ça ?

— Une proie sans défense qui s'offre à moi.

Pardon ?

— C'est pas parce que je n'ai pas d'aile que je te suis inférieure, enfant de Satan, je crache en me relevant d'un bon.

Il éclate de rire, ce qui a le don de me faire fulminer.

— Dans ce cas là ça te dis de faire un jeu ?

Sérieusement ?

— Il fait nuit.

— Et alors ? T'as peur du noir ?

— Absolument pas.

— Et bah alors pourquoi refuser ? À moins que tu saches déjà que je te suis supérieur et que tu as peur de perdre.

Je lève à nouveaux les yeux au ciel.

— Ok, à quoi est-ce que tu veux jouer ?

— Au chasseur et à la souris.

— Je suppose que je suis la souris ?

— Je peux l'être aussi. Si tu préfère te terrer, je viendrais te chercher et je serais ton chasseur, mais si tu préfères me poursuivre, je serais ta souris. À toi de voir si tu préfères fuir ou m'affronter. Celui qui attrape l'autre en premier donne une conséquence au perdant.

J'ai pas vraiment compris, mais pas besoin de lui dire.

— Ok compris. Du coup, on commence quand ?

— Maintenant.

En un clignement d'œil, il ouvre une fenêtre et saute sans plus de cérémonie. J'entend quelque chose battre l'air et je comprend qu'il a déployé ses ailes.

Tricheur.

Je m'empresse d'emprunter les escaliers pour descendre au premier étage. Impossible de sortir par la porte principale qui est gardée par plusieurs gardes, alors j'ouvre une fenêtre du premier qui donne sur un arbre. Comme chaque fois que je veux m'évader de ce lieu incognito, je saute de la fenêtre et atterris sur une branche de l'arbre. Je saute ensuite sur le sol et cherche Knox dans le ciel.

Je décide de rejoindre les bois obscures, je suppose que les créatures de l'enfer préfèrent s'enfoncer dans les ronces et les épines que dans le champs de fleurs préféré d'Osh.

Plus je m'enfonce dans les bois, et plus je regrette d'avoir participé à ce jeu débile. Si ça se trouve, Knox est remonté tranquillement dans sa chambre et doit être en train de dormir pendant que je me bats avec une branche pour récupérer une mèche de cheveux...

J'aurais du laisser un mot à Osh pour le prévenir que je pars faire une balade nocturne afin qu'il ne se fasse pas de soucis. Il est toujours très inquiet quand il s'agit de moi, une vrai mère poule.

Je me rend compte que je me trouve maintenant dans mon jardin secret. La nuit, c'est encore plus magnifique. L'eau du lac brille d'une lueur douce tandis que les hautes herbes me caressent les mollets. Un silence religieux règne autour de moi, seulement troublé par la mélodie de la cascade d'eau. C'est tellement paisible...

Un bruit presque inaperceptible vient briser cet instant. Personne à part moi ne l'aurait entendu, mais je connais par cœur les notes de cet endroit et un corps étranger vient d'en jouer une fausse.

Knox.

Je préfère faire comme si je ne l'avais pas remarqué et continue de regarder devant moi en ouvrant grand les oreilles. Je l'étends s'avancer, le silence de ses pas me surprend, je n'ai jamais connu quelqu'un d'aussi discret. Mais pas assez pour me prendre par surprise.

Allez mon minou, approches-toi que je t'attrape...

J'avance pour qu'il ne comprenne pas que j'écoute ses mouvements et fais mine et regarder dans les arbres devant moi, sans jamais tourner la tête dans sa direction. Et dire que Monsieur se trouvais si fort, je vais le fais redescendre de son trône en quelques secondes.

Ses bruits de pas sont assez près de moi. Je dirais qu'un mètre nous sépare. Mon coeur bat la chamade tandis que je me prépare mentalement à l'attaquer.

Je compte dans ma tête jusqu'à trois et me retourne brusquement avant de lui sauter dessus. À la dernière minute, il esquive mon attaque et je me rattrape sur les bras pour ne pas tomber. Lorsque je me retourne, il s'apprête à me plaquer contre le sol mais je me déplace d'un pas et il me loupe. Il déploie ses ailes pour s'équilibrer et je reste scotchée devant le spectacle qui s'offre à moi.

Ses ailes brilles d'un éclat métallique, puissantes et majestueuses. Elles semblent avaler toute la lumière aux alentours pour la transformer en obscurité.

Ce moment de fascination scelle mon destin. Knox fonce vers moi, je contracte les muscles mais ce que je redoutais n'arrive finalement pas.

Sans même que je ne m'en rende compte, il passe son bras sous mes jambes et dans mon dos. L'instant d'après nous nous envolons.

Je n'arrive pas à y croire.

Je passe mon bras autour de son cou. Mon coeur bat la chamade tandis que nous sortons des bois et que nous nous retrouvons dans le ciel obscure. Le vent fait voler ma capuche qui découvre mon visage mais je m'en fiche qu'il me voie.

Je vole.

Un sourire illumine mon visage tandis que des larmes coulent sur mes joues.

Je vole.

Knox n'a pas idée de ce qu'il me fait vivre. Tandis qu'il nous fait traverser doucement le ciel jusqu'à l'académie je reste muette d'émerveillement. Je ne me rappelle pas avoir été aussi heureuse depuis ma venue à l'académie. Il a fallu qu'un homme me porte pour me faire voler, pour que ce vide qui m'a toujours brisé se comble de bonheur.

Je vole.

Lorsque nous arrivons à l'académie et que Knox me pose dans le couloir, je remet ma capuche et essuie mes larmes. La gorge nouée et les yeux humides, je me tourne vers lui.

— Merci. Tu n'as pas idée de ce que tu viens de m'offrir...

— Une défaite à plate couture ?

Il me nargue ?!

J'ignore son ton arrogant et lui saute au cou.

— Non. Mon premier envol.

Je le serre plus fort. Peu importe qu'il garde les bras le long de son corps, je continue de le serrer.
Je le lâche finalement. Il me fait une révérence avant de partir sans un mot. Je l'observe s'enfoncer dans l'obscurité, les jambes en coton et le coeur toujours en folie.

Après m'être un peu remise du choc, je monte les escaliers pour rejoindre mon étage. Soudain, je jure avoir vu une ombre passer à côté de moi. Vaporeuse et sombre, elle disparaît lorsque je me retourne.

Je frissonne.

Je dois sûrement rêver, encore sous le choc de mon vol...

Après avoir vérifié une dernière fois que je suis bien seule, je monte les dernières marches de l'escalier et traverse le couloir pour joindre ma chambre. Soudain, je sens une humidité sous mes pieds nus, une substance visqueuse et tiède jonche le sol. Il fait complètement noir et j'ai énormément de mal à voir ce qui m'entoure. Intriguée, je me mets à genoux et pose ma main sur le sol.

Ma main rencontre un liquide poisseux et tiède. Je lève mes doigts imbibés de cette substance vers mon nez pour sentir son odeur. Elle est métallique. Je ne la connais que trop bien.

Du sang.

Paniquée, j'essaye de me relever à la hâte mais tombe sur les fesses, en plein dans une flaque de sang. Mon coeur bat à tout rompre et mes sens sont en alerte.
Si le sang est tiède, ça signifie que quelqu'un l'a perdu il y a seulement plusieurs minutes. Elle doit sûrement être là, agonisante.

Tremblante de peur, j'inspire et expire pour retrouver mon calme. Mes yeux s'habituent à l'obscurité et je remarque une forme sur le sol. Je reconnais la morphologie d'un homme. Incapable de me relever, nauséeuse et tremblante de peur, je progresse à quatre pattes sur le sol ensanglanté pour rejoindre la victime.

Je reconnais immédiatement le corps athlétique jonchant le sol : Eddine. Mais la première chose qui me frappe, c'est son absence d'ailes. Je pose ma main sur son dos et rencontre la chaire meurtrie et saignante.

Quelqu'un lui a arraché les ailes. Ses belles et puissantes ailes qui faisaient de lui l'ange le plus performant de l'académie.

Je cherche son poul, mais avec son absence de réaction, je ne peux que confirmer mes craintes.

Eddine est mort.

Quand ce fait traverse mon esprit, mon coeur cesse de battre. L'Ombre. Je n'ai donc pas rêvé, il y avait bien quelqu'un -non, quelque chose- à côté de moi. La peur s'insinue dans mon esprit et des larmes de frayeur menacent de couler sur mes joues. Je plaque ma main sur ma bouche pour étouffer un sanglot, mais mon estomac se retourne lorsque je goûte par mégarde le sang d'Eddine.

Je vomis. Pliée en deux, aux pieds d'Eddine j'expulse tout le contenue de mon estomac, ma gorge me brûlant jusqu'à ce qu'il ne reste que de la bile et que les contractions de mon ventre mes fassent souffrir.

Eddine est mort.
Et son meurtrier rôde dans l'académie.

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