Chapitre 7

Celui qui scrute le fond de l'abysse, l'abysse le scrute à son tour.

***

Knox et moi, frère et soeur... Est-ce vraiment possible ?

C'est peut-être pour ça qu'il est venu ici, c'est sûrement la raison pour laquelle il avait dit « trouvée » en me voyant  la première fois et c'est sûrement pour ça qu'il cherche une clef. Peut-être qu'il veut la dégoter afin de trouver la porte qui me mènerait au-delà de ce maudit purgatoire ? 

Mais il ne faut pas que je me fasse trop d'idées, après bientôt dix-neuf années passées ici, j'ai eu beaucoup trop de faux espoirs. Et surtout, je n'ai jamais rêvé de lui. Il m'arrivait de revoir ma mère lorsque je rejoignait le monde des rêves pendant la nuit, mais Knox n'était jamais apparu dans mes rêves.

Mon père également, mais ce n'est pas pour autant que je n'en ai pas, n'est-pas ? 

Et puis, - sans me vanter- sa beauté doit être un trait de famille chez nous. Dans mes rêves, ma mère est la plus belle chose qu'il m'ait été donné de voir, et dans la réalité, c'est à Knox que revient ce titre.

Ok, stop Rhyne : l'espoir est ton pire ennemi ici, ne te retrouve jamais entre ses griffes car il risque de te lacérer le coeur...

Et puis, ce serait trop bizarre. L'autre fois, j'ai eu l'impression de voir du désir dans son regard. Celui-là même qui fait flamboyer ses yeux... mais peut-être qu'il s'agit juste d'une envie primaire de retrouver sa sœur ?

Arrête Rhyne !

Respirant un bon coup, je mets cette hypothèse complètement farfelue de côté. Il ne faut pas que je m'éparpille. Soudain, j'entends qu'on toque à la porte. Si j'étais mortelle, je serais sûrement morte d'une crise cardiaque...

— Rhyne, tu prends un bain là ? J'aimerais aller au petit coin...

Je referme le livre. Merde, où est-ce que je pourrais le cacher ?

— Euh oui mais j'ai fini, j'ai laisser l'eau couler sans faire attention... hum.... attend deux minutes je m'habille !

À la hâte, je dépose l'ouvrage sur le sol et asperge mes cheveux et mon visage d'eau. Je retire mon sweat, l'enroule autour du livre et retire ma brassière avant d'enrouler une serviette autour de mon corps. Heureusement que je porte un short !

Je coupe l'arrivée d'eau. Tenant le livre enroulé dans mon sweat-shirt derrière mon dos, j'ouvre finalement la porte en offrant un grand sourire à Viskaya. Ses yeux sont un peu bouffis et ses cheveux ébouriffés. Je me mets de côté en prenant bien soin de cacher le livre et la laisse entrer. Je referme la porte derrière moi et commence à faire les cent pas dans l'obscurité de la chambre.

Punaise ! Comment je vais faire pour déposer le livre dans le bureau de Barinthus ? Je n'ai même pas eu le temps de lire les pêchés de Knox...

Avant que Viskaya ne ressorte, j'enfile un débardeur et enroule la serviette autour du livre, par-dessus le sweat. Lorsque j'entends ma camarade de chambre tirer la chasse d'eau, je trouve finalement une idée.

Mais je n'ai pas le temps de dire un mot, qu'elle se glisse dans son lit sans un bruit avant que sa respiration ne deviennent régulière.

Elle s'est endormie en deux secondes ? 

Pour m'assurer de ne pas être louche si ce n'est pas le cas, je balance :

— Bon, bah moi je vais déposer mon linge à la blanchisserie. Comme ça, je serais sûre que demain mes vêtements seront propres et repassés...

Elle ne répond pas et je sors avec ma boule de vêtements construits avec ma serviette et mon sweat-shirt autour du livre. Encore une fois, il n'y a pas de gardes dans les parages, et heureusement car je doute qu'ils croient un traître mot de l'excuse que j'ai balancé à Viskaya.

Je rejoins le bureau de Barinthus sans encombres et dépose le livre à sa place à mon plus grand regret.
Mais lorsque je ressors, je tombe nez à nez avec Osh.

Merde.

Il me regarde avec étonnement et suspicion.

— Qu'est-ce que tu fais là ?

Je croise les bras sur ma poitrine.

— Et toi ?

Il lève les yeux au plafond.

— J'ai fini mon tour de garde.

— Ça n'explique pas ce que tu fais devant le bureau de Barinthus.

— J'avais un mauvais pressentiment et mon instinct disait vrai.

Je hausse les épaules.

— Alors qu'est-ce tu fais là ? Il réitère en croisant à son tour ses bras sur sa poitrine.

— J'avais faim, alors je suis partie piocher dans la réserve de Barinthus.

— Et qu'est-ce que tu fais avec une serviette et un sweat ?

— Euh

Bon, j'ai pas d'excuses en stock là...

Il me sonde du regard mais je ne flanche pas.

— Si tu me crois pas, tu n'a cas sentir mon haleine. Je n'arrive pas à croire que tu doute de ma sincérité, tu me déçois franchement.

Oui, faire culpabiliser les autres pour me dédouaner, j'adore.

Il secoue la tête.

— Pas besoin, allez retourne dans ta chambre.

J'hausse les sourcils.

— Tu t'es mis en mode « sentinelle » Oshi ?

Il fait les gros yeux.

— « Oshi » ?

— Oui c'est mignon. J'aime bien moi, dis-je.

— Très bien, Rhynounette.

Je grimace.

— Évite tout de suite. On oublie les surnoms mielleux.

— Je suis d'accord avec toi.

Soudain, j'entends de nouveau ce bruit aigu qui avait résonné dans la bibliothèque. Je bande les muscles et jette un coup d'oeil dans le couloir.

— Qu'est-ce qu'il y a ? Me demande Osh.

— Tu n'as pas entendu ?

Il me dévisage.

— Laisse tomber, dis-je. Tu peux me raccompagner à ma chambre ?

Osh me dévisage davantage avant d'observer la pénombre nous entourant. Alors qu'il me raccompagne, je ne peux pas chasser cette impression d'avoir quelqu'un... non, quelque chose de malsain entrain de m'observer dans le noir...

Alors que nous sommes bientôt arrivés devant ma chambre, je me ravise. Le regard suppliant, je me tourne vers Osh, le forçant à s'arrêter.

— Dis, je peux dormir avec toi ce soir ?

Cette fois-ci, son expression reflète l'étonnement. La première et seule fois où nous avons dormi ensemble, c'était lors de ma disparition dans ma cachette dans les bois, il y a pratiquement deux ans.

— Pourquoi ça, il y a un problème ?

Je me gratte l'avant-bras, mal à l'aise. Cette sensation d'être observée ne veut pas s'estomper, j'ai l'impression que des yeux de glace me fixent. Osh doit voir la peur et l'inquiétude dans mon regard puisqu'il se rapproche de moi en scrutant les alentours.

— Qu'est-ce qu'il se passe ?

— J'ai l'impression de... d'être observée.

— Par qui ?

— Par « quoi », je corrige.

Osh continue d'explorer les horizons. Mais même avec sa vue surdéveloppée, il ne trouve absolument rien qui cloche.

Il doit sûrement me prendre pour une folle.

— Alors ? Je peux dormir avec toi ? J'insiste.

Osh se gratte l'arrière de la tête. Tic qui le prend lorsqu'il est nerveux ou gêné.

— Rhyne, tu sais très bien que c'est interdit. Si le Conseil l'apprend...

— Il ne l'apprendra pas, puisque personne ne nous dénoncera, assuré-je.

Il ne semble pas convaincu et regarde le plafond comme si les membres du Conseil avait le don de voir à travers la pierre.

— C'est interdit, chuchote-t-il.

Foutus anges. Pas foutus de faire leurs propres choix mais de suivre le règlement à la lettre...

Je me rapproche de lui et attrape ses mains.

— S'il te plaît, dis-je sur le même ton.

— C'est pas bien. C'est contre le règlement, murmure-t-il encore plus bas.

Il craint que les membres du conseil nous espionnent ou quoi ?

Bon, je n'ai aucune envie de rester dans ma chambre alors que j'ai l'impression qu'une bête monstrueuse me regarde comme un papi pervers derrière son rideau. Et ma seule solution pour qu'Osh accepte ma requête, est de me la jouer demoiselle en détresse. Le point faible de mon ami est bien son coté chevaleresque.

Activant mon mode actrice, je m'appuie contre son torse et plonge mes yeux dans les siens. Je n'ai pas besoin de faire beaucoup d'efforts pour avoir l'air larmoyante, des perles salées chatouillent mes paupières inférieures tandis que je fais la moue.

— Osh, s'il-te-plaît... j'ai peur toute seule.

Je sens sa détermination s'effriter au fur et à mesure que les larmes commencent à couler sur mes joues et que mon corps s'appuie contre sien.

— J'ai besoin de toi... mon Osh.

Il ferme les yeux, marmonne des mots de malédictions puis soupire longuement.

Gagné !

Ouvrant finalement les yeux, il m'essuie les yeux du revers de la main et pose un baiser sur mon front.

— Tu es vraiment trop forte, déclare-t-il d'un ton résigné.

— Je sais, dis-je victorieuse.

Les appartements de Osh se situent au dernier étage de l'académie. Contrairement à certains gardes qui on décidé de vivre dans leur demeure au Paradis et de se rendre au Purgatoire seulement pour travailler. Osh a décidé de vivre carrément dans l'Académie et de se rendre dans sa maison dans les nuages que quelques fois dans l'année.
Quand je lui ai demandé à quoi elle ressemblait, il m'avait dit qu'elle possède sa propre conscience et obéit à chacun de ses désirs. Par exemple, si il souhaite manger quelque chose de spécial, il lui suffit de le penser pour qu'une assiette lui apparaisse. N'est-ce pas merveilleux ?

Après avoir vérifié qu'aucun garde ne se trouve dans les couloirs, Osh me fait pénétrer dans le corridor, ouvre la porte, et me pousse -littéralement- à l'intérieur de la pièce.
Ses appartements n'ont pas changés : simples, masculins, stricts. Tout est là où il faut et je suis persuadée que si j'ose bouger quoi que ce soit, Osh le remarquera directement.
Des armes recouvrent minutieusement le mur à gauche de l'énorme lit couché, juché au-dessus d'un tapis de velours brun clair qui recouvre l'intégralité du sol. Une bibliothèque en bois ancien regorgeant de livres se trouve juste à la gauche d'un bureau au style sophistiqué.
Un table de nuit avec un livre sur l'armement est posée sur la table de chevet à gauche de lit, celle de l'autre côté contient le collier en pierres noires que je lui avait offert pour son dix-neuvième anniversaire, un an plus tôt. Je m'approche de celui-ci et le prends. Il est lourd, mais les pierres sont toujours étonnement douces et brillantes.

— Tu l'as toujours ?

— Bien sûr, pourquoi est-ce que je m'en séparerait ?

Je me retourne, il est tout prêt de moi. Je ne l'ai même pas entendu bouger.

— Je sais pas, dis-je simplement.

Le vent venant de la fenêtre entrouverte sur ma gauche me caresse les jambes.

— On va se coucher ? je demande de but en blanc.

Osh me sourit.

— Je vais d'abord prendre une douche, ensuite je te rejoindrais.

— D'accord.

Tandis qu'il entre dans une pièce qui n'est autre que son dressing et ressort avec une serviette et des vêtements de rechange, je me glisse sous les couvertures du lit et gémis presque de bonheur. Le lit d'Osh est vraiment, vraiment plus confortable que le mien !

Lorsque j'entends une porte se fermer doucement et de l'eau couler, je me pelote encore plus dans les couvertures. Qu'est-ce que Viskaya va penser demain si elle se réveille avant que je n'ai rejoint la chambre ?J'espère qu'elle dormira encore lorsque je ferais mon retour. Je ne désire pas qu'elle me pose tout un tas de questions comme à son habitude, et je n'ai aucunement envie de lui mentir, mais je ne lui avouerais sûrement pas que j'ai passé la nuit avec Osh. Elle se fera des idées.

Quelques minutes plus tard, la porte s'ouvre à nouveau et Osh entre dans la chambre. Il porte un t-shirt blanc et un pantalon en toile de la même couloir, des cheveux sont détachés et retombent mollement sur ses épaules.

Soudain, une idée me vient en tête.

— Je peux te brosser les cheveux ? Je demande en me redressant.

Osh me dévisage.

— Euh oui, si tu veux.

Il retourne dans la salle de bain et revient quelques secondes plus tard avec une brosse argentée. Il s'assoit sur le bord du lit et je me mets sur les genoux derrière lui. Je passe ma main dans ses cheveux mouillés et délicieusement doux, puis commence à les brosser. Osh reste silencieux, et me laisse faire tandis que je m'occupe de lui, le sourire aux lèvres.
J'ai toujours voulu lui brosser les cheveux. La chevelure des anges confirmés et nés est toujours d'une splendeur ahurissante. J'aurais bien aimé m'occuper de la tignasse interminable de Barinthus, mais je doute qu'il me laisse faire.

— Dis, tu penses que Barinthus laisse Mona lui brosser les cheveux ?

Osh rit doucement.

— Mona a beau être sa femme, Barinthus tiens à ses cheveux autant qu'à ses ailes. Il doit sûrement l'observer du coin de l'œil si c'est le cas.

Mona est connue pour deux choses : son incontestable talent pour la cuisine, et pour les catastrophes.

— Tu laisseras ta compagne s'occuper de tes cheveux toi ?

Aussitôt dit, je regrette instantanément d'avoir posée cette question. Malaise assuré...
Osh reste silencieux quelque secondes et je me demande s'il va me répondre, jusqu'à ce que je l'entende soupirer.

— Je ne pense pas que j'aurais besoin d'une compagne. Enfin, pour procréer et perpétuer notre espèce oui, mais avoir une relation fusionnelle comme celle que Mona et Barinthus ont, je ne crois pas.

— Pourquoi ?

Osh se retourne, m'obligeant à arrêter de le brosser et plonge ses yeux dans les miens.

— Chaque ange à deux âmes qui lui sont destinés : son âme sœur, et sa tentation.

Encore un miracle de Dieu, mais précéder par un choix qui risque de bouleverser d'innombrables destins .

— Alors Mona est l'âme soeur de Barinthus ? je demande.

Osh hoche la tête.

— Et toi, tu as trouvé ton âme soeur ? je lui demande.

— Non, il répond en tournant la tête.

Je me remets à la brosser.

— Et ta tentation ?

Il se racle la gorge.

— Je pense, oui.

Je m'arrête brusquement et le force à se retourner.

— Bah qu'est-ce que tu attends ? Cours ! Présente-toi à elle et revendique-la !

Les yeux de Osh deviennent durs et mélancoliques à la fois. Je repose la brosse tandis qu'il replace une de mes mèches derrière mon oreille.

— Rhyne, il ne faut jamais céder à la tentation. Ou on risque de se mordre les doigts.

Je lève les yeux au ciel.

— Pas besoin de m'en convaincre. Y'a qu'à regarder ce qu'il est arrivé à Eve et Adam...

Quelques minutes plus tard, nous nous glissons dans les draps, Osh m'entourant de ses bras puissants. Et tandis que je m'endors doucement contre lui, la sensation d'être observée vient de nouveau détruire mes chances de faire de beaux rêves.

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