Chapitre 6

Le remède à l'ennuie ? C'est la curiosité.

***

Après dîner, je décide d'aller à la bibliothèque de l'académie. Je m'y rends souvent, au moins une ou deux fois par semaine, et la plupart du temps je m'amuse à faire du bruit pour énerver les Érudits, ces vieux grincheux.

La bibliothèque a son allure habituelle : l'immense salle aux voûtes de pierre faiblement éclairée et ses interminables couloirs tapissés de livres est toujours d'une beauté poignante. Le silence y est absolu.
Quelques érudits et bibliothécaires se trouvent probablement dans les parages, mais ils quittent rarement leurs pupitres. Les dimensions de ce lieu sont impressionnantes : c'est comme un château à l'intérieur de l'académie.

Je lève la tête pour examiner les deux galeries supérieures aux balustrades ornées. Des lustres en fer projettent une mosaïque d'ombres et de lumières dans la salle principale où je me tiens. J'adore cette pièce, le désordre de ses lourdes tables et de ses fauteuils en velour blanc à ses canapés usés placés devant des cheminées monumentales.

La bibliothèque compte en tout trois étages, révélant une multitude de cachettes possibles – salles, alcôves, couloirs et cages d'escalier délabrées.
Le lieu parfait pour me cacher des autres et rester seule avec moi-même.

Le sol en marbre poli de la salle luit doucement sous mes pieds. Je ne sais pas exactement où aller, mais j'ai une très bonne idée de ce que je recherche : un ouvrage qui parle de la fameuse clef que semble chercher Enfant de Satan. Malheureusement, impossible d'en parler aux bibliothécaires sans qu'ils ne posent de questions et que ça ne remonte aux oreilles du Conseil. 

Je passe devant une série de rayons, certains austères, d'autres abondamment sculptés. Les rares appliques sont disposées à intervalles espacés, si bien que je dois souvent avancer dans une obscurité presque complète. Le marbre luisant du sol cède la place à d'antiques blocs de pierre gris, et le raclement de mes chaussures est le seul bruit dans la salle. J'ai l'impression de rompre un silence millénaire.

Quelqu'un a pourtant emprunté ce passage pour allumer les appliques. Et j'avais une petite idée de qui était ce quelqu'un...

Le silence de la bibliothèque devient semblable à la respiration d'un être vivant. Je me suis entraînée à marquer et à garder en mémoire les passages, les issues et les détours de ce labyrinthe. Hormis les bibliothécaires, personne ne connaît cette pièce mieux que moi et je suis certaine que Knox est repartit bredouille.

Bien fait !

J'ignore depuis combien de temps je marche quand j'atteins un autre mur, à un angle de la salle. À cet endroit, les rayons sont sculptés dans un bois très ancien et leurs extrémités ornées de sentinelles gardant éternellement les volumes qu'ils contiennent. Les appliques ont disparu et le mur du fond est plongé dans l'obscurité.
Heureusement, on a laissé à côté de la dernière applique une torche qui est trop petite pour risquer de mettre le feu à cette maudite bibliothèque, mais qui aurait l'inconvénient de se consumer rapidement.

En soufflant d'exaspération, je songe au fait que je peux abandonner mes recherches pour le moment et regagner ma chambre pour réfléchir aux moyens de soutirer des renseignements à Enfant de Satan. Tout ce que je sais, c'est qu'il est à la recherche d'une clef. Mais sans plus d'informations, il m'est impossible de trouver un ouvrage parlant de cet objet. J'ai déjà examiné un mur de la bibliothèque sans résultat. Je peux remettre celui du fond au lendemain...

Soudain, un bruit aigu me sort de mes pensées. Regardant autour de moi en alerte, je cherche l'origine de ce bruit. J'aurais juré avoir entendu un bruit semblable à... des griffes raclant du bois. Je jette un regard aux étagères remplies d'ouvrages, mais ne trouve aucune trace de griffures. Pourtant, j'ai entendu le bruit à une distance très réduite. Juste à côté de moi. Mes poils se hérissent.

Je lâche un petit rire en secouant la tête de gauche à droite.

Je dois sûrement devenir folle, à cause d'Enfant de Satan...

Lorsque je sors finalement de la bibliothèque, je me rends directement dans ma chambre. Je ne me suis pas rendue compte que j'ai passé plusieurs heures à faire des recherches. La nuit est tombée et les couloirs sont presque vides. Quand je gagne mes appartements, Viskaya sort de la douche et je ne peux m'empêcher d'envier sa peau hâlée. C'est comme si elle avait passé des heures à se prélasser sous le soleil... ou près des flammes de l'enfer. Ça dépend du point de vue.

— Tiens, te voilà enfin. Knox voulait te garder rien que pour lui ? demande-t-elle d'un ton taquin.

Je fronce les sourcils.

— Absolument pas. Et tiens, puis que tu en parles... tu m'expliques pourquoi tu t'es volatilisée ?

Elle sourit d'avantage, me lançant même un regard complice.

— Je voulais vous laisser un peu d'intimité. Tu as l'air de bien l'apprécier.

— Je l'apprécie autant que le fait de m'enfoncer un cactus dans le rectum, répliqué-je.

Viskaya éclata de rire avant de se changer dans la salle de bain. Elle en ressort quelques minutes plus tard avec une sorte de robe très... inédite.

— Qu'est-ce que c'est ? Dis-je en observant la robe aux fines bretelles en dentelles et à la matière satiné.

Viskaya fait un tour sur elle-même.

— Tu aimes bien ?

Je fais la moue.

— C'est la première fois que je vois ce genre de tenue, c'est plutôt jolie mais trop... léger.

Elle éclate de rire.

— C'est une nuisette. Les humaines en raffolent, surtout leurs compagnons, dit-elle en faisant une vague avec ses sourcils.

Faut vraiment qu'elle m'apprenne à faire ça...

— Une... nuisette ?

— Oui, j'en ai d'autres en stock. Tu veux essayer ?

Je secoue vivement la tête. Pas questions que je me trimbale avec ce genre de tissus sur le dos !

— Euh, peut-être plus tard...

— D'accord pas de soucis, j'en ai une panoplie.

Et tandis qu'elle s'enfonce dans son lit et que la lumière s'éteint, je me demande comment est-ce qu'elle peut savoir que les humains raffolent de ce genre d'accoutrement, et surtout, comment a-t-elle pu s'en procurer un ?

Cette nuit-là, je m'assure que Viskaya dort profondément avant de me faufiler en dehors de ma chambre vêtue de mon pyjama. Toutes les lumières du couloir sont éteintes mais j'arrive à trouver mon chemin grâce aux nombreuses années que j'ai passeé dans ce bâtiment.
À cette heure-ci, aucun garde ne rôde puisque qu'aucun ange n'ose enfreindre le règlement et s'aventurer dans les couloirs la nuit tombée. Ils ne s'attendent donc pas à trouver une fille dépourvue d'ailes, habillée d'un short en coton et d'un sweat rôder dans la pénombre.

Après avoir quand même vérifié qu'aucun garde ne se trouve dans les parages, je monte silencieusement les escaliers et jette un coup d'œil dans le couloir sur ma gauche une fois sur la dernière marche. Personne en vue. J'avance en rasant le mur dans le large couloir, silencieuse comme une ombre et lorsque j'arrive devant le bureau de Barinthus, je pose mon poignet contre le scanner. Un bip bruyant résonne dans le couloir et je bande les muscles, prête à me sauver au cas où un garde vient jeter un coup d'œil. Mais personne ne débarque pour me traîner par la peau du cou. Après un soupire de soulagement, je rentre dans le bureau.

Il fait complètement noir, et je ne cherche pas à allumer la lumière. Rien de mieux que ça pour me faire prendre la main dans le sac...
Après avoir buté mon genou contre le fauteuil en cuire, j'étouffe un gémissement de douleur en m'écroulant au sol.

J'aurais un sacré bleu demain...

Je reste quelques secondes au sol, à écouter ma respiration tout en habituant ma vue à la pénombre. Une fois que je vois assez nettement le canapé sur ma gauche, et l'immense bureau en face de moi, je me remets sur mes deux pieds et m'approche de ce dernier.

Je repère le tiroir où Barinthus avait fourré l'encyclopédie du passé d'enfant de Satan, je l'ouvre et sort l'ouvrage au poids conséquent. Je le dépose sur le bureau et m'assois sur la chaise rembourrée de mon cher directeur.

La couverture est cuir sombre, et un nom presque illisible à cause de la noirceur de la pièce y est imprégné : Knox Andarios. Une ficelle rouge entouré autour d'un bouton maintient le livre fermé. Impatiente, je la déroule à une vitesse folle avant d'ouvrir l'ouvrage, excitée à l'avance de ce que je m'apprête à trouver.
Malheureusement, il fait tellement noir qu'il m'est impossible de lire correctement. Seuls les anges confirmés sont dotés d'une vue surdéveloppée et je suis réduite à l'état d'une pauvre mortelle devant ce fichue livre !

Je ne peux pas allumer la lumière sinon les gardes vont comprendre que quelqu'un se trouve dans le bureau du directeur, ma seule solution pour assouvir ma curiosité, serait de prendre le livre pour me réfugier dans ma salle de bain afin d'y voir clair.

Mais si je me fais prendre la main dans le sac, je risque gros. De toute façon, que peuvent-ils me faire de pire que me retirer mes ailes ? Je ne risque pas la déchéance pour avoir fourré mon oeil dans le passé d'un ange noir...

Ma décision prise, je me relève, cache l'ouvrage sous mon sweat-shirt et me dirige vers la porte. Lentement, j'ouvre cette dernière et lance un coup d'œil dans le couloir.

Aucun garde.

J'ai bien l'impression que c'est mon jour de chance !

Ni une ni deux, je m'élance tel une souris avec un chat à ses trousses en essayant de faire le moins de bruit possible. Le cœur battant a tout rompre, je descends les escaliers, jette un coup d'œil à la gauche, et une fois que je vois le couloir désert, je rejoins ma chambre. Je referme doucement la porte derrière moi pour ne pas réveiller Viskaya et rejoins la salle de bain sans un bruit, prenant bien soin de fermer la porte derrière moi.

Au cas où Viskaya se réveille, je fais couler l'eau du robinet pour faire croire que je prends un bain. Quoi de plus normal que de m'octroyer ce genre de fantaisie la nuit tombée ?

Rabattant le couvercle des toilettes, je m'assieds dessus en posant le livre sur mes genoux. Passant mes doigts sur les lettres gravées sur la couverture, je l'ouvre sans plus de cérémonie.

Sur la première page du livre est écrit le nom de l'ange noir.
Je tourne la page et tombe sur ce qui ressemble à une page d'identité, recelante d'informations personnelles juste en dessous d'une photo de lui.
Je ne sais pas qui était le photographe, mais il a sûrement du se faire dessus vu toute la rage et la puissance que Knox dégage rien que dans ce cliché. Dans ses yeux luisent une lueur, comme s'il avait une idée derrière la tête et qu'il savait qu'elle allait causer de nombreux dégâts irréversibles.

Ce mec me file la chair de poule.

Après avoir fini de dévisager son portrait, je me concentre sur les informations écrites en dessous de celui-ci.

𝙽𝚘𝚖 : 𝙰𝚗𝚍𝚊𝚛𝚒𝚘𝚜
𝙿𝚛é𝚗𝚘𝚖 : 𝙺𝚗𝚘𝚡
𝙰𝚗𝚗é𝚎 𝚍𝚎 𝚌𝚛é𝚊𝚝𝚒𝚘𝚗 : 𝟷𝟿𝟿𝟾
𝚃𝚊𝚒𝚕𝚕𝚎 : 𝟷𝚖𝟾𝟹
𝙿𝚘𝚒𝚍𝚜 : 𝟽𝟼 𝚔𝚐
𝙽𝚊𝚝𝚞𝚛𝚎 : 𝙰𝚗𝚐𝚎 𝙽é

Knox est un Ange Né! Comment se fait-il qu'il a été envoyé ici ? Hormis moi, il n'y a aucun descendant d'ange spirituel ici, et maintenant le voici, mais peut-être que...

Oh...

Mon...

Dieu...

Non, c'est impossible... Nous sommes peut-être frère et sœur ?

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