Chapitre 10

Je suis prête à affronter le monde. La question est de savoir si le monde est prêt à me recevoir.

Knox m'a demandé de préparer des affaires pour notre petite escapade. Je suis honteuse de l'avouer, mais je suis excitée comme une gosse s'apprêtant à voler pour la première fois. Il ne m'a pas dit où nous allions nous rendre, mais il m'a fait un brefing sur le comportement que j'allais devoir adopter et le rôle que j'allais jouer pendant notre petite sortie. Il m'a donné rendez-vous à ma cachette secrète – qui ne l'est évidement plus – lorsque la nuit sera tombée, après le couvre-feu.

Viskaya a bien remarqué que je ne tiens plus en place, elle n'a pas arrêté de me lancer des regards suspicieux, mais j'ai préféré garder ce qui se passe entre Knox et moi secret. Pas que je ne lui fais confiance, mais si les choses tournent mal, elle ne sera pas impliquée dans cette histoire.

Une fois les cours terminés, je retourne dans ma chambre pour prendre un bain et préparer ma tenue. Lorsque la porte claque derrière moi, mon cœur s'arrête.

— Tu veux ma mort ou quoi ? J'ai frôlé l'arrêt cardiaque !

Viskaya croise les bras sur sa poitrine.

— Tu as failli mourir il y a quelques jours, un simple claquement de porte te fais frôler la mort et tu te lances dans une histoire louche, ça fais pas un peu beaucoup là non ?

Je l'ignore et continue de ranger mes affaires.

— Rhyne, ne fais pas ça. Elle se rapproche de moi et pose sa main délicate sur mon bras pour me stopper.

J'ai l'impression de me faire sermonner par Barinthus.

— Je sais pas ce que tu manigances, mais ce ne peut qu'être dangereux. Tu veux mourir avant l'heure ?

— La mort vient à ceux qui savent attendre, ainsi qu'aux autres. Alors bon...

Je dois l'avouer, savoir que mon sort ne lui est pas indifférent alors que nous ne nous connaissons que depuis quelques semaines me réchauffe le cœur. Je commence à tenir également à elle, mais je tiens encore plus à ma liberté. Barinthus et Osh m'ont appris que la crainte du Haut Conseil est plus forte que l'amitié, je ne veux pas qu'ils se servent également de Viskaya, je ne veux pas qu'elle devienne un pion dans leur bataille contre moi.

— Tu sais ces mauvaises choses qui arrive aux gens biens ?

Je plonge mon regard dans le sien, elle me renvoie mon expression.

— Et bien c'est moi.

J'embrasse sa joue, ferme mon sac à dos et rejoins le point de rendez-vous donné par Knox. Depuis la mort d'Eddine, la sécurité a été renforcée et plus de gardes rôdent désormais dans les couloirs. Deux dans chaque étage, et deux autres tenant la porte de sortie du bâtiment. Heureusement, aucun garde ne se trouve derrière le bâtiment. J'ouvre une fenêtre du premier étage, saute sur un arbre en m'accrochant à une branche épaisse, puis atterris silencieusement sur la pelouse.

C'est quand même fou de voir à quel point la prétendue "sécurité renforcée" est en réalité aussi bancale que l'ancienne...

— Je savais que je te trouverais ici.

J'ai parlé trop vite.

Reconnaissant cette voix entre mille, je jure dans ma barbe en me tournant vers Osh. Debout contre le mur du bâtiment, il me dévisage déçu, mais pas surpris.

Je l'observe silencieusement, en me mordant nerveusement la lèvre inférieure.

Il va tout faire foirer, c'est sûr.

— Et maintenant, qu'est-ce qu'on fait ?

Il passe la main dans ses cheveux en soufflant bruyamment. Je peux sentir ses émotions le secouer même s'il essaye de garder une mine indéchiffrable.

— Tu vas me dénoncer ? Je crache.

— C'est beaucoup plus compliqué que ça, il souffle.

— Alors dis-moi.

— Je déteste cette situation Rhyne, je ne supporte pas de nous voir nous disputer comme ça.

Moi aussi, s'il sait combien ça me fait mal de désormais ressentir de la méfiance envers lui..

— Comment tu comptes faire si ça dérape et que tu te retrouves déchue. Seule, sans rien ?

— J'ai assez de ressources pour vivre confortablement jusqu'à la fin de ma vie. Si je meurs dans trois jours.

La blague ne semble pas détendre l'atmosphère comme je l'espérais.

— Rhyne, je m'inquiète beaucoup pour toi. Tu dois me laisser t'aider, j'ai...

Je le coupe et attrape ses mains.

— Non, tu ne peux pas m'aider. Car si le Haut Conseil l'apprend, tu seras sévèrement puni et je sais combien tu aimes ton travail. Je ne pourrais pas me le pardonner s'il t'arrive malheur.

Il me prend dans ses bras et me serre fort. J'hume son odeur tandis qu'il m'embrasse le front.

— Allez vas-y, je sais que Knox t'attend.

Je lui envoie un sourire sournois avant de courir m'enfoncer dans les bois. La nuit est tombée, mais je sais exactement où aller. Traversant les bois silencieux, j'apprécie la caresse du vent et le calme ambiant.

Qui ne dure pas longtemps.

Mon sang se glace tandis qu'un froid insidieux et poisseux déferle sur moi. Je n'entrevois qu'une vague ombre, mais tout mon corps se raidit. Je me compose un visage inexpressif. Même les bois paraissent se figer, et de recroqueviller.

Le froid m'encercle. Je ne vois rien, je n'éprouve que cette sensation désagréable, répugnante. Soudain, j'entends dans un coin reculé de mon esprit le chuchotement d'une voix caverneuse et sans âge :

Jolie créature, ta chair est-elle exquise ?

Je veux déglutir, mais ma gorge est comme scellée. Je regarde fixement les arbres, essayant de disparaître, d'être invisible aux yeux de cette masse de ténébreuse et glaciale qui rôde autour de moi. Ses pas sont silencieux, mais le sentir faire des tours autour de moi.

Contemple-moi.

Je veux poser mes yeux sur cette chose, je suis comme poussée par un besoin vitale de la regarder, de croiser son regard, ses ténèbres vrombissantes

Contemple-moi.

J'enfonce mes ongles dans les paumes de mes mains, me concentrant sur cette douleur pour ne pas faillir, pour ne pas succomber à la bête. J'essaye d'inonder mon esprit de pensées agréables pour éloigner les ténèbres repoussantes. Un bain chaud et de la bonne nourriture, les rires d'Osh, de Barinthus et de Viskaya. Le regard effronté de Knox.

Knox. T'as intérêt de venir à la rescousse sinon je reviens pour te hanter !

La voix continue :

Je rongerai tes os de mes crocs, ta peau me servira de veston. Contemple-moi.

Une brise matinal. Un lever de soleil timide. L'herbe humide qui me chatouille les pieds. Les souvenirs de ma mère et de mon père.

Maintenant, le froid m'encercle plus près, si près que je tout mon corps se met à trembler.

Contemple-moi.

J'enfonce plus profondément mes ongles dans mes mains. Mes dents se mettent à claquer, j'empêche un hurlement de savoir de ma bouche. Des larmes menaces de couler sur mes joues.

Et alors que je suis sur le point de céder, alors que mes yeux sont douloureux de cet effort pour ne pas regarder, un bruit métallique retentit et le froid disparaît. J'etends le son sourd de quelque chose tomber et lorsque je daigne enfin lever les yeux, mon regard se pose sur un massacre noir découpé en deux dont chaque côté baigne dans une mare de sang de part et d'autre de Knox.

Il essuie sa lame sur son pantalon sombre et m'observe avec nonchalance. Est-ce qu'il vient réellement  d'exécuter une bête devant moi, sans exprimer la moindre émotion ?

— Content de savoir que tu n'as pas été assez bête pour le regarder.

— Qu'est-ce que c'était ? Ma voix n'est qu'un murmure.

Il ignore ma question pour s'approcher de moi et je me fais violence pour ne pas reculer. Du sang a éclaboussé sur ses vêtements et sur son visage, mais ne semble ne pas s'en soucier le moins du monde. Avec son physique parfait, cette épée souillée et cette hémoglobine sur ses vêtements, il a l'air de sortir tout droit d'un champ de bataille.

Il pose sa main sur mon épaule et ce qui suit est une des expériences les plus étranges que j'ai vécu. De hautes ombres chaudes nous encercles et me lèchent entièrement le corps. Puis elles s'écartent, la chaleur disparaît, et nous nous retrouvons au milieux d'une immense pièce pleine à craquer de monde, si bruyante que les murs semblent sur le point d'exploser.

— Bienvenue dans le royaume des humains.

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