— Lys ? murmura-t-elle la voix rauque.

Un autre élancement lui vrilla le crâne. Ses yeux papillonnèrent face à la luminosité, bien trop forte pour ses prunelles habituées aux néons blafards. Où était-elle ? Elle distinguait vaguement deux silhouettes, entourées de murs d'un gris laiteux. L'une des silhouette était entièrement habillée de blanc, comme un personnel d'hôpital. Quand était-elle arrivée là ? Impossible de se souvenir de ce qu'il s'était passé, ni même de si la soirée avait prit fin. Était-ce... Solveig sentit son cœur s'accélérer brutalement. Avait-elle fait un coma éthylique ?

Le bruit d'une machine qui s'emballait la fit sursauter.

— Votre rythme cardiaque est bien trop élevée, Solveig. Respirez. Vous avez réussi le test, tout va bien.

Le test ? De quoi parlait-elle ? C'était la première silhouette qui venait de parler. Une médecin, sûrement. Solveig aurait voulu lui poser des milliards de questions, mais sa voix s'échappait, se dérobait à chaque fois. Ses mains étaient fébriles, et tremblaient douloureusement contre le matelas inconfortable. Pourquoi sa voix refusait-elle de lui obéir ? Et si elle ne pouvait plus jamais parler ?

Une main se posa sur son épaule. Solveig sursauta. C'était l'autre silhouette, celle qui était la plus près d'elle.

— Solveig, tout va bien se passer. Inspire. Je sais que c'est dur de sortir, mais ne t'inquiète pas, ça va aller.

Cette voix... Elle était grave, presque rauque, bien loin des tonalités suraiguës de Lys ou de la profondeur de Samalta. Pourtant, elle aurait pu la reconnaître entre mille. Elle semblait appartenir à une réalité parallèle, un monde oublié et aboli dont elle pensait ne plus jamais revoir le jour.

Isaak ? C'est toi ?

Sa voix ne lui répondait pas, mais son esprit hurlait en silence. Que faisait-il là ? Elle croyait qu'il avait disparu. Non, elle croyait qu'elle avait disparue. Elle croyait qu'elle était morte et que sa vie d'avant avait volé en poussière. Était-ce une nouvelle création fantomatique de son esprit dérangé ? Était-elle en train de devenir folle ?

Un cri d'alerte de l'électrocardiogramme la fit sursauter. La médecin lâcha un soupir, et repoussa Isaak jusqu'à la porte.

— Ce n'est pas très malin d'être venu la voir directement au réveil. Je me vois dans l'obligation de vous demander de sortir. Inutile de contester ! souffla-t-elle face aux débuts de protestations d'Isaak. Et vous, Solveig, je vous remets sous sédatifs pendant quelques heures, histoire que vous vous reposiez un peu. Ne vous inquiétez pas, le retour est toujours un peu compliqué. Vous irez mieux dans quelques heures.

Solveig cligna doucement des paupières. Elle s'aperçut soudainement que des larmes silencieuses s'échappaient de ses yeux, recouvrant son visage d'un voile de tristesse intemporelle.

La voix se fit plus douce.

— Félicitation, Solveig. Vous avez été sélectionnée pour participer au programme Rose des Vents.

Solveig aurait voulu répondre, mais l'univers tremblait déjà, et sa vision se brouillait plus que jamais. Le cosmos sembla soudainement s'éteindre.

Elle sombra.

*

Rose des Vents. Le nom lui revenait, maintenant, en même temps que la mémoire dont on l'avait privée durant le Simulacre.

Le Simulacre... comment son cerveau avait-il pu être manipulé de la sorte ? Elle n'avait jamais échoué, bien au contraire. Elle avait été en plein dedans. Sa fausse mort, son arrivée en 2030, ses dix jours de vie différentes... Tout n'avait été qu'une manigance afin de voir son comportement et sa capacité à réagir face à une situation inconnue.

On l'avait prévenue, pourtant. Le Simulacre était l'épreuve la plus dure mentalement. Elle allait perdre tout espoir, ne plus se souvenir de rien. Elle n'était pas obligée d'y participer, si elle ne le sentait pas. Cela allait la marquer à tout jamais.

Elle le savait, bien sûr, mais n'y avait pas vraiment cru. Comment aurait-il pu en être autrement ? Ses souvenirs faisaient partie de sa réalité. Les lui cacher, c'était faire d'elle une autre personne. Elle était persuadée qu'elle trouverait toujours un moyen de se souvenir de la vraie vie. Elle était Solveig. Elle ne pouvait pas être quelqu'un d'autre. Elle retrouverait toujours sa mémoire cachée.

Elle n'avait simplement pas compris qu'ils ne comptaient pas lui effacer ses souvenirs, mais en ajouter d'autres.

Ses propres funérailles, son arrivée dans une autre ère... Cela avait semblé si réel ! Elle ressentait encore le grand vide suivant sa mort, le néant s'accrochant à chacun de ses pas. Chaque souvenir était gravé noir sur blanc dans son esprit, plus fort encore que tous les autres souvenirs qu'elle possédait déjà.

Combien de ses souvenirs étaient faux, réécrits par son esprit ? Qu'est-ce qui lui prouvait que sa vraie vie n'était pas là-bas ? Dire qu'elle n'y avait passé que dix jours, et qu'elle commençait déjà à douter de la réalité... Jude adulait Inception. Elle aurait sans doute adoré pouvoir discuter de théories scientifiques, donner son avis sur les différentes perceptions de la réalité, poser des questions et éclater de rire.

Mais Jude n'existait pas. Elle ne la reverrait plus jamais.

Le Simulacre, c'était la dernière épreuve, celle qui s'assurait que le testeur était assez fort d'esprit pour pouvoir s'insérer dans un jeu, mais surtout le quitter. Et dire que la médecin affirmait qu'elle l'avait réussi ! Elle pouvait officiellement participer. Si elle souhaitait continuer, la conférence de presse aurait lieu ce soir, et demain, ce serait le grand saut dans l'inconnu.

La tête la tournait. Elle était sélectionnée. Elle pouvait entrer dans un jeu vidéo. Vivre dedans. Influencer l'histoire, créer une nouvelle réalité. C'était une nouvelle page de l'histoire des jeux vidéos qui s'écrivait, une histoire où, plus que jamais, chacun avait son mot à dire.

Cette aventure, elle en avait rêvée. Et pourtant... l'idée d'entrer dans une telle réalité, alors que le Simulacre avait été si dur, la terrifiait. Non, pire encore, cela la submergeait.

Elle n'était pas prête.

Elle ne le serait jamais.