Prologue
« Le vrai courage est le juste milieu entre la peur et l'audace. »
Aristote
En cet après-midi d'avril, le soleil était de plomb et la chaleur étouffante. Rien de plus normal pour la commune de Ouattagouna, dans la région du Gao, connue pour son climat aride. Les habitants, habitués, vivaient sous une moyenne de trente degrés à l'année, résistant parfaitement à la sécheresse du pays. Alexandre, lui, ne s'y habituait toujours pas. Traversant l'étendue infinie de sable et de roches orangées, il frotta son front, épuisé. La sueur dégoulinait sur son visage, collant un peu plus la poussière qui s'y déposait. Alexandre ne venait pas au Mali pour bronzer, ni pour traverser le fleuve Niger. Non, il marchait des heures durant, dans un désert sec et brûlant, avec pour seule nourriture des rations de combat, bien que de très bonne qualité. Il ne se rappelait d'ailleurs ni de la dernière fois où il avait bronzé, ni du dernier vrai repas qu'il avait mangé. Cela faisait bien longtemps qu'il vivait ici. Trop longtemps. Ses pieds, dans ses chaussures épaisses, le brûlaient. Les ampoules des jours passés s'étaient percées, le gênant un peu plus au fur et à mesure qu'il avançait. Du sable. À perte de vue. C'était comme si le monde ne reflétait qu'un désert sans fin. Au-dessus, une petite vaguelette de chaleur frétillait sous le soleil cuisant. Aussi étrange que cela puisse paraître, Alexandre sentait cette chaleur que dégageait le sol. Il était pris au piège entre le soleil cuisant et le sol brûlant. En s'éloignant des blindés, il devenait de plus en plus difficile de marcher. Le désert sous ses pas semblait s'enfoncer un peu plus à chaque fois qu'il avançait. Le sable orange dansait dans le vent bouillant. Mais malgré cette chaleur écrasante, Alexandre portait son uniforme complet ; recouvert de la tête au pied, il baignait dans sa sueur. Il avait pris le soin de protéger son visage d'un foulard sombre et épais, cachant ses yeux sous ses lunettes qu'il ne quittait que la nuit.
— Caporal, à deux heures, derrière l'arbre, fit remarquer un soldat.
Alexandre plissa les yeux, scrutant l'horizon. À quelques dizaines de mètres de là, derrière un petit arbre biscornu, se trouvait une silhouette immobile. D'ici, impossible de savoir si cette personne vivait encore. S'agissait-il d'un ennemi ? D'une personne apeurée ? Ou pire, d'un corps ? Silencieusement et d'un geste rapide de la main, l'homme fit signe aux troupes de rester sur leurs gardes et d'avancer. Le soldat se devait d'être toujours attentif, le danger restant imminent à tout instant. Le groupe s'avança. Seul le bruit du vent qui remuait le sable venait perturber le calme inquiétant du désert malien. Ils approchèrent lentement de la silhouette, scrutant les moindres détails qui les entouraient. À tout moment, l'ennemi pouvait sortir de sa cachette et frapper. À tout moment, il fallait être prêt. Une règle d'or à appliquer. Prêt à combattre, prêt à donner sa vie pour ses camarades et pour son pays.
— L'individu ne bouge pas, Caporal.
Alexandre l'avait remarqué bien avant qu'on ne le lui dise. Plus ils s'approchaient, plus il semblait évident que cette personne était morte. L'ennemi aurait déjà frappé, une personne apeurée se serait déjà enfuie. Cette fois-ci, c'était différent : la silhouette ne bougeait pas d'un poil, apparaissant au fil de leur avancée. Et plus ils approchaient, plus Alexandre remarquait la position étrange de l'individu.
— Restez sur vos gardes, soldats. L'ennemi nous tend peut-être un piège.
Quand ils arrivèrent à hauteur de l'arbre, leurs visages grimacèrent de dégoût. Certains détournèrent le regard, d'autres échangèrent des messes basses, tandis qu'Alexandre s'approchait un peu plus. L'individu était mort. Pendu à une branche épaisse, une corde autour du cou, le corps inerte de l'homme pendait le long du tronc sec. Des morts, ils avaient l'habitude d'en voir, mais rarement dans un tel état de décomposition. Pratiquement momifié, le pendu était totalement desséché. Des lividités cadavériques recouvraient son corps, lui donnant un aspect tantôt violacé, tantôt maronné. Sa peau ressemblait à une enveloppe transparente au travers de laquelle le sang sec était visible, son abdomen gonflé prêt à éclater.
— Ça doit faire une bonne semaine qu'il est là... examina Alexandre.
Il l'observa un instant, cherchant autour de lui un quelconque signe de présence ennemie. Rien. Ils étaient absolument seuls dans cet océan de sable sans fin.
— Il y a quelque chose d'écrit sur son torse, Caporal.
Alexandre se retourna, examinant plus en détail le corps. Malgré son foulard abritant son visage, en s'approchant du cadavre, l'odeur nauséabonde de la mort le grimacer de dégoût ; un haut le cœur le fit sursauter, tandis que sa gorge se nouait péniblement. Il protégea son nez à l'aide de son bras.
— Quelque chose ne tourne pas rond, chuchota-t-il.
Il s'approcha de l'homme, analysant son visage. Les yeux étaient anormalement rouges, contrastant avec le reste de son corps. Du sang séché. C'était du sang.
Quelqu'un lui a crevé les yeux.
Instinctivement, son regard se dirigea vers le torse nu du cadavre. Difficile de déchiffrer ce qu'il y était écrit. Après des jours en plein soleil, le corps humain avait tendance à très mal vieillir ; en plein air et sous cette chaleur, il se desséchait avant d'entamer sa putréfaction. En quelques jours, il finissait momifié, rongé intérieurement par les quelques larves pondues sur lui.
— On... vous... voit, parvint-il à déchiffrer.
Il fit volte-face. Les soldats autour de lui cherchèrent à leur tour. L'ennemi n'était pas loin et le leur faisait savoir. Où pouvait-il bien se cacher ? Alexandre scruta la montagne au loin ; avec tous ces reliefs, il était facile pour l'adversaire de se camoufler. Sur ce point-là, l'avantage leur était offert. Un avantage bien trop conséquent.
— On retourne aux blindés, tout de suite ! ordonna-t-il sèchement.
Il se devait de garder les troupes en vie, et cette mise en garde représentait un trop grand danger pour que la patrouille continue son chemin. Laissant ses soldats le précéder, Alexandre ferma la marche, progressant à reculons. Son instinct lui chuchotait que quelque chose n'allait pas. L'atmosphère s'était alourdie en une fraction de seconde, rendant l'air pesant. Il pointait son arme devant lui prêt à tirer. Ses mains ne tremblaient pas, son pouls restait calme.
— Caporal, à six-heures ! cria un soldat.
Aussitôt, il se retourna cherchant la cible en braquant son famas droit devant lui. Deux hommes arrivaient à toute vitesse dans leur direction, sur des motocross, visages cachés et armés jusqu'aux dents.
— À terre ! dit Alexandre.
Aussitôt, les troupes se plaquèrent au sol, cachées par la dune imposante. Du regard, Alexandre balaya rapidement la plaine désertique à la recherche d'un endroit où abriter ses soldats. Sa troupe en supériorité numérique, mais il ne pouvait se permettre de mettre la vie de ses soldats en danger. À quelques mètres seulement, des rochers leur offraient la possibilité de se camoufler tout en gardant l'ennemi en vue. D'un geste rapide, il fit signe aux troupes de s'avancer en vitesse vers les lieux. En rampant, les soldats se réfugièrent aussitôt vers ces terres inconnues. Il les suivit, jetant quelques coups d'œil par-dessus la dune. L'ennemi n'était plus très loin, le bruit sourd des motos se rapprochant dangereusement. Prêts à les recevoir, appuyés contre les rochers brûlants, les soldats attendaient l'adversaire, armes pointées. Le cœur d'Alexandre battait rapidement, mais il n'avait pas peur. Un soldat n'avait pas le droit d'avoir peur. Puis, de quoi pouvait-il bien être effrayé ? La mort était partie intégrante de leur combat. La seule chose pour laquelle il pouvait s'inquiéter, c'était de préserver la vie de ses soldats. Le groupe importait plus que tout et il était prêt à donner sa vie pour chacun de ses camarades.
Celui qui peut tuer, peut mourir...
Il n'était pas immortel, et chaque instant au Mali le lui rappelait. Pourtant, lorsque le danger devenait imminent, une infime partie de lui était prête à tout. Alexandre était un être humain pour qui la mort pouvait l'emporter à tout instant, et pourtant une part de lui faisait croire le contraire. Il sentait comme une grenade exploser en lui dans ces moments-là, qui lui criait de se lever et de tirer. Mais il devait la contenir. Il ne pouvait mettre sa troupe en danger.
Inspirer, expirer, inspirer, expirer...
Se contrôler, le plus dur pour un soldat. Alexandre continua de reculer, sur ses gardes, prêt à ôter la vie à quiconque oserait approcher ses soldats. Un pied après l'autre, il veillait à ne pas trébucher. Il fallait rester concentré. Il fallait rester en vie. Un pied après l'autre. Un bruit sourd retentit. Il ferma les yeux, étouffant un cri. Que venait-il de se passer ? Autour de lui, le monde tournait. Une vive douleur s'attaqua à tout son corps tandis qu'il atterrissait violemment sur la dune. D'apparence douce, celle-ci lui fit l'effet d'un sol de marbre. Il poussa un nouveau cri. Quand il regarda autour de lui, Alexandre se trouvait à plusieurs mètres de ses troupes. Le visage de ses camarades étaient horrifiés, les traits complètement déformés par leurs émotions. Leurs yeux étaient écarquillés, emplis d'une lueur qu'Alexandre ne connaissait que trop bien : la peur.
— Caporal ! crièrent des voix lointaines.
Du sang partout. Sur ses mains, sur son visage, sur son uniforme. Il dégoulinait, empestant le fer. Alexandre eut l'impression de sombrer dans un trou profond, de se sentir aspirer. Était-il en train de mourir ? Un sifflement insupportable résonnait dans son crâne. Il grimaçait de douleur. Son corps tout entier brûlait. Ses muscles se contractaient étrangement, tandis qu'il se sentait léger. Était-ce possible de se sentir à la fois aussi mal et aussi bien ? Sa vision se floutait peu à peu tandis que des silhouettes sombres se penchaient au-dessus de lui.
— Caporal, vous m'entendez ? Caporal ?
Il toussa difficilement.
— Caporal, répondez !
Des coups de feu retentirent, puis plus rien.
-ˋˏ Merci d'avoir lu ce prologue ! ˎˊ-
Hello ! ☀️
Je suis très contente d'enfin vous publier le prologue de mon premier roman original.
Alors, qu'avez-vous pensé de cette entrée en matière ? Qu'est-il arrivé à Alexandre lors de cette mission ? Les pronostics sont ouverts, et la réponse arrive très vite... 😏
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