9. Poulet et contemporain
« Le pardon de l'amitié est le plus sain et le plus doux des bienfaits. »
George Sand
Les jours qui suivirent sa visite à l'hôpital passèrent à une allure époustouflante. Alexandre commençait à se faire ses marques, s'appropriant peu à peu les lieux qui lui servaient de foyer, vivant toujours retranché sur lui-même. Il tentait de faire ce qu'il pouvait pour aménager le petit appartement du retraité, laissant à portée de main les objets dont il avait le plus souvent besoin. Le plus difficile, en dehors du moment d'aller dormir, était la toilette. L'appartement de Paul n'avait clairement pas été prévu pour une personne en situation de handicap, avec dans la salle de bain une baignoire qui paraissait tellement immense qu'elle lui était impossible à pénétrer. Du haut de son petit fauteuil, Alexandre regardait fixement le rebord de celle-ci, la mâchoire contractée. Jusque-là, un simple gant humide et du savon avaient fait l'affaire. Mais il rêvait de sentir l'eau couler sur sa peau. Aussi égoïste que cela puisse paraître écologiquement, le militaire rêvait d'un bain. Il s'imaginait plongé dans une eau mousseuse, bouillante, dans laquelle il pourrait se laisser aller. Au lieu de ça, il était nu comme un ver sur son fauteuil gelé, frissonnant face au contact du gant froid sur sa peau pâle.
Pathétique...
Il se frotta avec dégoût, déçu de ne pas profiter d'un si beau bain, dessinant une grimace qui déforma les traits de son beau visage. Il fit mousser ses cuisses, son torse, puis ses aisselles. Ensuite, sa méthode consistait en rincer le gant abondamment pour venir essuyer le savon qui séchait déjà sur sa peau.
BIP ! BIP ! BIP !
Son téléphone se mit à vibrer sur le rebord de l'évier, le faisant sursauter. Il fronça les sourcils, posant le bout de tissu sur sa cuisse, pour attraper l'appareil.
Qui peut bien m'appeler à cette heure ?
C'était Romain.
Pourquoi m'appelle-t-il à cinq heures et demie du matin ?
— Allô ? dit-il simplement.
— Salut mon pote, répondit le garçon. Je ne te dérange pas j'espère ?
Alexandre jeta un coup d'œil à la mousse qui disparaissait sur son torse, lui laissant un effet de peau sèche et peu confortable.
— Hum... Non, ça va. Qu'est-ce qu'il y a ?
— Je voulais savoir si tu étais disponible ce matin ? Nous aimerions décaler la réunion de demain.
— Oui, acquiesça-t-il.
— Cher bien !
Un court silence s'installa entre eux tandis qu'Alexandre regardait l'heure sur son téléphone.
— On se retrouve quand ?
— Pour tout te dire, je ne sais pas encore... Il faut que l'on trouve l'endroit de la réunion. Ma mère a besoin de la maison, je ne peux pas vous y inviter.
Le jeune garçon marqua une pause suspecte. N'était-il pas en train de demander à Alexandre de les inviter dans son appartement ? Le caporal esquissa un sourire.
— En plus, il fait froid dehors...
— À quelle heure veux-tu faire la réunion ?
Aussi étrange que cela puisse paraître, Alexandre parvint à entendre le sourire du garçon à l'autre bout du fil. Un sourire contagieux.
— Vers dix heures, non ?
— Va pour dix heures.
Le militaire ne put le voir, mais il était pourtant sûr que Romain sautait de joie.
— Tu envoies mon adresse... Non je vais le faire.
— T'es sûr ?
— Oui, répondit-il.
— C'est super, merci beaucoup !
Après quelques salutations amicales, ils raccrochèrent. Alexandre, le sourire aux lèvres, tapota sur son écran jusqu'à afficher le contact d'Imany. Après avoir pianoté un message d'invitation qu'il envoya à Justine, il se décida enfin à appeler la jeune femme.
Bip... Bip... Bip...
— Allez, réponds...
— Allô ?
Il poussa un soupir de soulagement, passant sa main gauche dans ses cheveux déjà décoiffés.
— Salut, murmura-t-il.
— Salut, répondit-elle cordialement.
Ils marquèrent une pause. Le silence était pesant, presque mortel. Alexandre se mordilla la lèvre inférieure nerveusement, se demandant alors si elle ressentait la situation pareillement. Lui en voulait-elle toujours ? Était-elle toujours aussi irritée ?
— Oui ? demanda-t-il.
Visiblement, Imany était juste impatiente de terminer cet appel. Il grimaça.
— Je t'appelle concernant la réunion de demain. Elle est décalée à ce matin, à dix heures, chez moi.
— Oh...
Pourquoi une telle déception se faisait-elle ressentir dans sa voix ? N'était-elle pas disponible ?
— Je ne suis pas sûre de revenir, reprit-elle.
Alexandre fronça les sourcils, se mordant trop fort la lèvre.
Aïe !
— Ne fais pas ça à cause de moi... chuchota-t-il.
Il avait prononcé ces mots comme s'il souhaitait qu'ils se perdent en chemin et qu'ils ne parviennent jamais à ses oreilles. Pourtant, la jeune femme avait bel et bien entendu.
— Je ne me sens pas capable de revenir, dit-elle.
« Mon ami, si cette femme ne voulait pas que le monde connaisse ses secrets, elle a ses raisons. Respectez-les. » résonnèrent les paroles de Paul dans son esprit. Il médita un instant, laissant Imany dans un silence profond.
Et puis merde.
— Viens, reprit-il.
Elle ne répondit pas, ne trouvant sans doute pas les mots.
— Viens, s'il te plaît.
— Je ne suis pas sûre d'arriver à affronter les regards des autres, répondit-elle. Pas après ce que vous avez découvert. Je ne sais même pas pourquoi j'ai répondu au téléphone...
— Attends, dit-il alors qu'elle s'apprêtait à raccrocher.
Un soupir lourd se fit entendre.
— Comment ça, nous ?
— Ne joue pas à l'idiot, tu sais très bien de quoi je te parle Alexandre.
Il fronça les sourcils.
— Il n'y a que moi qui ai vu... répondit-il.
Un court silence, cette fois-ci plus hésitant.
— Ne me dis pas que... Tu pensais que j'avais dit aux autres ce que j'avais vu ?
Elle ne répondit pas, le laissant seul à l'autre bout du fil, l'esprit plein de questionnements.
— Il n'y a que moi qui sais.
— Romain et Justine ne savent pas ?
Il secoua la tête, comme si elle pouvait le voir, dessinant un sourire amusé face à son geste.
— Je ne leur ai rien dit, finit-il par dire.
— Pourquoi ?
— Comment ça pourquoi ?
— Pourquoi ne leur as-tu rien dit ?
— Si tu n'as pas voulu nous en parler, tu avais tes raisons. Puis, ça ne m'est même pas passé par l'esprit...
Il marqua une pause. Avait-elle déjà souffert de bruits de couloirs ? Avait-elle été victimes de moqueries, de mensonges et de trahisons ? À en voir son comportement, Alexandre était prêt à parier gros sur le fait qu'Imany avait été trahie de nombreuses fois.
— Merci, souffla-t-elle.
Elle aussi chuchotait de peur qu'on ne l'entende. Elle aussi se cachait du monde, fuyant son histoire qui lui collait à la peau.
— Tu vas venir ? demanda-t-il alors.
— Laisse-moi y réfléchir, dit-elle hésitante.
La négation ne faisait plus partie de son discours, ce qui signifiait qu'il avait gagné quelques points.
— Je t'envoie mon adresse, j'espère te voir tout à l'heure.
J'espère te voir... Quel idiot !
— D'accord... Salut.
— Salut.
Elle raccrocha. Alexandre laissa le téléphone à son oreille, écoutant le bruit désagréable de l'appareil. Puis, comme s'il avait été trop long, son téléphone coupa lui aussi. Au fond de lui, le militaire espérait que ce n'était pas sa dernière conversation avec elle ; il en était persuadé, il pouvait la sauver.
⁂
Assis dans son fauteuil, le dos douloureux, Alexandre observait le jeune garçon parcourir l'appartement. Le brun s'aventura dans le salon, dans la cuisine, terminant enfin par la chambre où le lit était encore défait et les volets toujours grands ouverts. Derrière lui, Justine visitait timidement les lieux, lançant quelques regards en direction du militaire qui restait figé au milieu du couloir, les nombreux déplacements étant trop pénibles pour lui. Après de longues minutes de débats sur les diverses pièces, Romain s'installa enfin dans le vieux canapé, suivi de la jeune femme.
— C'est mignon ici, dit Romain.
— C'est l'appartement d'un ami de l'hôpital, répondit Alexandre. Il me l'a prêté le temps de son hospitalisation.
— C'est très gentil à lui, fit remarquer Justine.
Elle adressa un sourire amical au militaire, qui le lui rendit.
— Ce n'est pas trop difficile pour toi de vivre seul ? osa-t-elle enfin demander.
La blonde grimaça, sachant que sa question pouvait être blessante. Alexandre haussa les épaules, secouant la tête.
— Certaines choses sont assez agaçantes et frustrantes, mais je me débrouille. Une infirmière passe deux fois par semaine pour checker l'état de mes moignons, c'est souvent l'occasion pour moi de lui demander de me descendre un verre des placards, de m'aider à fermer ma fenêtre ou autres.
Elle parut soulagée de l'entendre, n'effaçant pourtant pas sa grimace.
— Si tu as besoin d'aide, n'hésite pas, ajouta-t-elle. Je sais que ça peut être difficile.
— Je n'hésiterai pas, merci.
— Tu sais si Imany va venir ? demanda la jeune femme.
Il secoua la tête, croisant les doigts. Elle sourit.
— Comment ça va, toi ? demanda-t-il.
— Je me remets bien, affirma-t-elle. Le plus dur est sûrement le deuil.
Il sourit, compatissant face au sort de Justine. L'accident qu'elle avait vécu avait dû être terrible, et les scènes de cet instant devait la hanter jours et nuits. Alexandre le savait mieux que personne. Un tel événement ne disparaissait jamais de l'esprit meurtri.
— Parfois, ma meilleure amie me manque. D'autres fois, je lui en veux d'avoir brisé mon rêve. Et souvent, je m'en veux d'avoir été la seule à rester.
Le cœur d'Alexandre se serra tandis que le visage de Justine pâlissait. Elle tenta de sourire, mais les traits de son visage formèrent rapidement une grimace disgracieuse, preuve de toutes ses peines.
— J'étais une danseuse de haut niveau. Elle aussi. Nous avions été acceptées en STAPS à Lyon, c'était notre rêve de gosse.
— Je suis désolé, dit-il.
En réalité, il ne savait que dire de plus. En une fraction de secondes, la vie de Justine avait tourné au cauchemar.
— Ne peux-tu pas reprendre la danse ? demanda innocemment Romain.
Tous les regards se tournèrent vers la jeune femme, qui haussa les épaules.
— La question est est-ce que j'en ai vraiment envie ?
Romain fronça les sourcils, ne semblant pas comprendre les questionnements de la blonde assise à côté de lui. Alexandre, lui, lisait en elle comme dans un livre ouvert.
— Tu crains le niveau que tu auras en y retournant, dit-il. C'est pour ça que tu n'as pas repris.
Elle hocha la tête, continuant :
— Les médecins m'ont dit que je pouvais reprendre la danse grâce à cette prothèse, mais je sais que je ne serai plus la même. Je ne brillerai plus pareil.
— Tu devrais tenter, répondit Romain. Je suis sûr que tu parviendras à faire quelque chose de magnifique !
Elle sourit, lui tapotant l'épaule. Au même moment, quelqu'un frappa à la porte. Tous les regards se retournèrent.
— Tu veux que j'y aille ? demanda le jeune garçon.
— S'il te plaît.
Le brun se redressa, disparaissant dans l'encadrement de la porte. Quelques secondes plus tard, il arriva seul, le regard triste.
— C'était le facteur... soupira-t-il.
Un lourd silence envahit la pièce, tandis qu'une certaine tension se ressentait sur le visage de Romain. D'un coup, le garçon éclata de rire, dévoilant un sourire contagieux.
— Vous devriez voir vos têtes !
Derrière lui, Imany Moyo apparu dans l'entrée du salon, jetant un coup d'œil en direction d'Alexandre.
— Je ferais un super bon acteur, reprit-il.
— Même pas en rêve, se moqua Justine.
Il fit mine de bouder, esquissant une grimace comique sur son visage d'adolescent.
— Imany, content de te voir.
— Moi aussi, dit-elle simplement.
Elle pénétra timidement dans les lieux, s'installant sur le petit fauteuil à gauche du militaire. Il ne la quitta pas du regard.
— Salut, dit-elle.
— Salut.
Il lui adressa un sourire tendre, qu'elle lui rendit. Romain s'avachit de nouveau dans le canapé, fier de sa blague, regardant tour à tour les personnes dans la pièce. Le silence était pesant, presque gênant. Depuis son arrivée, personne n'osait parler, tout le monde était devenu muet. Justine jouait nerveusement avec ses doigts, Romain textotait sur son téléphone, Imany regardait ses pieds tandis qu'Alexandre réfléchissait à un moyen de briser ce moment glacial.
— Il faudrait qu'on instaure un planning, dit-il alors. Vous savez, pour nous organiser des sorties, des choses.
— Bonne idée, répondit Justine.
— Quoi, mon film ne vous a vraiment pas plu la dernière fois ?
Ils éclatèrent de rire.
— Tu en penses quoi, Imany ? la questionna Alexandre.
Il tentait de l'intégrer au groupe tant bien que mal. Elle leva les yeux vers lui.
— Je suis d'accord avec Justine, je trouve que c'est une bonne idée.
— Super ! Et si on partageait un peu nos passions ? Nous ne nous sommes que présentés à travers nos...
Romain marqua une pause, cherchant ses mots.
— Nos amputations, finit Alexandre.
Imany baissa les yeux, redevenant muette comme une tombe. Était-elle prête à parler de son amputation aux autres ? Était-ce encore trop tôt ? Alexandre ne préféra pas la lancer dans ce terrain miné.
— Romain, tu peux commencer si tu veux, dit Justine.
Il se redressa fièrement dans le sofa, bombant le torse. Quelques sourires amusés se dressèrent sur leurs visages.
— Moi j'adore le cinéma, la guitare, la musique, et mes amis. J'adore mon chien aussi, mais quelquefois il est trop pot de colle. J'aime bien le poulet, les blagues, le skate-board aussi. J'en fais de temps en temps à Hôtel de Ville.
Alexandre sourit à la mention des lieux. L'Hôtel de Ville de Lyon n'avait donc pas perdu ses éternels skateurs depuis toutes ces années.
— Je crois que j'ai fait le tour, pensa-t-il à haute voix.
— Moi je suis passionnée par la danse et le sport en général. J'aime beaucoup voyager, les randonnées, et la musique aussi. Il m'arrive de chanter. Sinon, j'aime bien l'art, en général.
Elle jeta un coup d'œil vers Alexandre, lui faisant signe de continuer le tour de parole. Il prit une grande inspiration.
— Difficile à dire. Après tant d'années passées à survivre, je ne me suis pas posé cette question depuis bien longtemps... J'aime Lyon, son histoire, sa beauté, sa gastronomie. J'aime le cinéma aussi, même si je ne suis pas sûr de pouvoir regarder les films de guerre d'antan maintenant que...
Il marqua une pause, reprenant ses esprits.
— Maintenant que j'ai vécu les films, conclut-il rapidement.
Tous les regards se rivèrent sur elle. Si peu à l'aise, elle se recroquevilla légèrement comme pour se cacher du regard de ses camarades. Elle se racla la gorge nerveusement, enroulant une mèche de sa perruque brune le long de son index.
— J'adore cuisiner et voyager. Quand je ne peux pas partir ailleurs, m'évader, la cuisine ramène à ma réalité quelques souvenirs d'ailleurs. Je suis passionnée d'Histoire, et souhaiterait devenir historienne un jour. Aussi, j'aime beaucoup mon chat...
Alexandre parut surpris de l'entendre parler aussi longtemps sans bégayer. Elle jeta un coup d'œil en sa direction, hésitante.
— Comment s'appelle ton chat ?
— Elle s'appelle Nyota, avec un y.
— C'est super beau comme nom. Ça a une signification particulière ?
Elle hocha la tête, affichant son plus beau sourire.
— Dans ma langue, ça veut dire étoile.
— Sans indiscrétion, quelle est ta langue ? Enfin je veux dire, d'où viens-tu ? s'intéressa Justine.
Imany n'avait jamais semblée aussi heureuse de parler d'elle. Son visage ravissant affichait un large sourire, tandis que son regard pétillait de mille étoiles.
— Le Swahili, répondit-elle heureuse. Je viens du Zimbabwe.
Elle était donc originaire de l'Afrique australe.
— Tu y es née ? demanda Romain.
Lui aussi se montrait intéressé par la discussion. Elle hocha simplement la tête, l'air nostalgique.
— Ma mère et moi sommes arrivés lorsque j'avais cinq ans.
Sa voix s'était affaiblie à la mention de ce fait. Alexandre fronça les sourcils, tandis que les deux autres amis attendaient impatiemment la suite de l'histoire. Imany, timide, se gratta le front comme pour disparaître.
— Tu y es retournée depuis ?
— Quelques étés, oui. Mais pas depuis l'année dernière...
De nouveau ce ton nostalgique. Lui était-il arrivé quelque chose là-bas ?
— Tu nous y emmèneras un jour ! s'exclama Romain.
Justine ricana, tandis qu'Imany haussait les sourcils. Il était vraiment un garçon attendrissant, plein de rêves. Personne d'autre que lui n'aurait pu avoir meilleure initiative que de rassembler ces amputés brisés par la vie. Ici, au moins, il se sentaient normaux.
— Pourquoi pas, murmura Imany.
Visiblement, la jeune femme commençait à se faire à la situation. S'était-elle faite à l'idée qu'elle pouvait avoir des amis normaux, qui ne la trahiraient pas ?
— Vous avez envie de faire des choses particulières ? demanda Justine, changeant de sujet.
Quelques secondes furent nécessaires pour réfléchir au futur planning. Les réunions étaient certes intéressantes, apaisantes et joyeuses, mais faire des activités les aideraient sûrement à reprendre leur vie normale, comme une bande d'amis normale. Alexandre n'était pas peu fier de son idée.
— Nous aimons tous sensiblement les mêmes choses, répondit Imany.
— La musique, les films, l'Histoire et la nourriture. Surtout la nourriture, dit Romain.
Ils rirent vivement, amusés par les paroles du jeune garçon. Effectivement, tous avaient mentionné la gastronomie.
— Nous pourrions nous faire un restaurant un de ces jours, ou un musée.
— Et pourquoi pas les deux en même temps ? demanda Romain.
— Mais tu n'as pas cours, toi ? s'amusa Alexandre.
— Ah, si, c'est vrai.
La discussion s'effaça quelques secondes, laissant place à un calme reposant. Pour la première fois depuis la création de ce club des amputés, le silence n'était pas pesant. C'était comme s'asseoir entre bons vieux amis et profiter de la présence de chacun ; la parole n'était pas nécessaire, l'instant présent étant le plus important.
— Nous pourrions dresser une liste de choses que l'on pourrait faire, proposa Justine.
— Bonne idée, répondit Alexandre.
Romain ouvrit son sac, sortant un petit tas de post-it jaunes. Il fouilla sa trousse à la recherche de quoi écrire, et en sortit un quatre couleurs Star Wars. Un sourire amusé s'esquissa sur le visage d'Imany.
— Quoi ?
— Rien, répondit-elle gentiment.
Il soupira, souriant à son tour.
— Musée ! s'exclama Justine. Il y en a plein à Lyon.
Romain se mit aussitôt à écrire, préparant une liste de tirets à remplir. Là, il se gribouilla ce qui semblait être le mot « musée », mais qui pour tous était illisible.
— Restaurant, ajouta Imany.
Alexandre se mordilla la lèvre inférieur, tic qu'il avait lorsqu'il réfléchissait.
— Un concert ?
— Ça risque d'être compliqué avec nous, non ? demanda Justine, hésitante.
Il haussa les épaules.
— On le fera nous-même ! dit Romain. Je jouerai de la guitare, et tu chanteras.
— Et je cuisinerai, ajouta Imany.
— Moi, je mangerai et j'écouterai, blagua Alexandre.
Ses amis éclatèrent de rire, tandis que Romain continuait de dresser la liste des activités du club des amputés.
— Aller au cinéma ? proposa l'adolescent.
Tous hochèrent la tête, approuvant l'idée.
— Aller voir un spectacle de danse ? demanda Alexandre.
Il jeta un coup d'œil en direction de Justine, qui aussitôt sauta de bonheur.
— Oui, oui, oui !
— Quelle danse ? questionna Romain.
Ils réfléchirent un instant.
— J'aime bien le contemporain, ajouta Justine. Ça fait passer de belles émotions.
— Partons sur le contemporain, dit Alexandre.
Elle le remercia d'un regard complice, tandis qu'il lui adressait un sourire amical. Imany était silencieuse depuis plusieurs minutes. La jeune femme paraissait pensive. Alexandre prit le temps de l'observer. Les yeux noirs de celle-ci étaient profonds, si profonds qu'il aurait pu s'y noyer. Sa perruque descendait jusqu'à ses épaules en un carré sombre et brillant. Ses lèvres pulpeuses étaient recouvertes d'une fine couche d'un rouge à lèvres transparent et brillant. Quand elle redressa la tête, il tourna aussitôt le regard, tel un adolescent pris en flagrant délit.
— Imany, une autre idée ?
— Peut-être que je pourrais vous faire voyager le dimanche en vous cuisinant des choses ? Une sorte de repas d'amis ?
Elle n'avait pas semblé hésitante sur le terme désignant le petit groupe, ce qui valut un sourire des trois personnes qui l'entouraient.
— Toujours partant pour bien manger, dit Romain.
— Vous n'avez rien de prévu les dimanches midi ? questionna-t-elle, surprise.
Ils secouèrent la tête.
— Mes parents sont toujours à Marseille, je ne descends que très rarement les voir. J'ai beaucoup de travail en STAPS, l'université n'est pas de tout repos.
— Tu es quand même allée en STAPS ? demanda Alexandre.
Elle hocha la tête.
— Et comment vis-tu tes études ?
— Je sèche les cours de danse. Je ne pense pas avoir mon semestre.
Il grimaça.
— Aller voir un cours de danse de Justine ! proposa Romain.
— C'est non, dit-elle fermement.
Alexandre prit une grande inspiration, sentant la situation se tendre légèrement.
— Faisons que des choses qui vont à tout le monde, dit-il sagement.
— Je disais ça pour te forcer à y aller... Excuse-moi.
— Je sais bien, mais je ne me sens pas prête.
— Aucun souci, répondit Alexandre. Nous t'encouragerons, c'est ce que cherchait à dire Romain.
L'adolescent hocha la tête, l'air désolé. Elle lui frappa l'épaule amicalement. La fin de la réunion se déroula dans une ambiance amicale très agréable. Cela faisait des années qu'Alexandre ne s'était pas senti autant en sécurité et à son aise. Ici, il se sentait chez lui. Ils continuèrent d'établir la liste des activités possibles, jonglant entre propositions sérieuses et blagues taquines. Imany se fondait parfaitement dans le petit groupe, pleinement intégrée. Quand elle partit avec les deux jeunes, Alexandre parvint à entendre un murmure de sa part.
« Merci » avait-elle chuchoté avant de disparaître de l'autre côté de la porte d'entrée, laissant Alexandre seul dans un espace silencieux. Il sourit.
-ˋˏ Merci d'avoir lu ce chapitre ! ˎˊ-
Hello ! ☀️
J'ai beaucoup aimé écrire ce chapitre !
Alors, qu'avez-vous pensé de ce chapitre globalement ? 🥰
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