5. Premiers frissons

« Il est l'heure de partir à l'aventure. »
Baudelaire


          Le vent froid soufflait le long de sa peau, hérissant ses poils. Une fine odeur de rosée matinale chatouillait ses narines, tandis qu'un sourire timide se dessinait sur ses lèvres. Tout était calme, seul le bruit des branches s'entrechoquant venait déranger cette tranquillité. Son cœur battait doucement, son souffle se faisait discret. Une voiture passa par-là, le faisant grimacer face à la pollution nauséabonde qu'elle rejetait, laissant derrière elle une épaisse fumée grisâtre. Il toussa péniblement. Assis dans son fauteuil, les mains agrippées aux roues de celui-ci, Alexandre restait immobile, au milieu d'un fin trottoir. Il n'en croyait pas ses yeux. Était-ce un mirage ? Le vent caressait-il bien son visage pâle ? Il prit une grande inspiration, inhalant une grande bouffée d'air glacial. Oui, tout était bien réel. Alexandre était bien là, dehors, devant la porte de l'hôpital. Une ambulance s'approcha de lui, l'éblouissant des phares insupportables de la marche-arrière.

— Monsieur Duval ? demanda un homme qui descendait de la camionnette.

Il hocha la tête.

— Excusez-nous pour l'attente, reprit l'homme. Approchez.

Le caporal s'exécuta, poussant difficilement ses roues sur le sol boueux. Lorsqu'il s'approcha enfin du blond à la carrure imposante, celui-ci le souleva facilement pour l'aider à s'installer au fond du véhicule. Sous le regard froid d'Alexandre, l'infirmier referma les portes de l'ambulance, faisant ensuite signe au conducteur qu'il pouvait partir. En quelques secondes seulement, le moteur grondait et les graviers secouaient désagréablement le caporal. Il grimaça, regardant par la petite fenêtre étroite en face de lui. Au loin, l'hôpital s'éloignait, disparaissant dans la pénombre matinale. Alexandre se laissa emporter par ses pensées.

Le blindé avançait difficilement, secouant les soldats. Certains s'entrechoquaient maladroitement sous le regard attentif du caporal, droit. La peur s'éteignait peu à peu dans le regard de ses troupes, remplacée rapidement par des contractions nerveuses de mâchoires, des craquages de doits et soupirs lourds. Il examina chaque soldat tour à tour, leur adressant un regard confiant.

Le caporal se devait de rassurer ses troupes, pour le bien des missions. Un soldat déconcentré était un soldat mort, et un soldat mort était une vie de gâchée. Garder tout le monde en vie était le devoir d'Alexandre.

— Nous arrivons, dit un homme.

Le brun acquiesça d'un simple signe de tête. Il fit signe à ses troupes de se préparer. Chaque soldat empoigna fermement son arme, les tenant prudemment contre leurs poitrines. Les secousses du véhicule se stoppèrent, plongeant les troupes dans un calme inquiétant. Dehors, l'ennemi les attendaient sûrement déjà.

— En position, ordonna-t-il.

Aussitôt, les soldats se levèrent et se mirent en ligne.

— C'est parti... chuchota Alexandre.

La lumière les aveugla.

— Tout va bien, Monsieur Duval ?

Alexandre écarquilla les yeux, observant les lieux dans lesquels il se trouvait. Il était toujours là, dans l'ambulance. En face de lui, l'infirmier installé sur la petite banquette fronçait les sourcils, l'examinant du regard. Le caporal fit mine de sourire.

— Tout va bien, répéta-t-il.

L'homme ne parut pas convaincu, effaçant un semblant de grimace et tournant la tête. Alexandre soupira, suivant le paysage du regard. Les rues s'éveillaient peu à peu sous son regard étranger. Les personnes portaient des vêtements de civil ; doudounes, jean, bottines... Aucun uniforme en vue. S'habiller normalement, ne plus enfiler de gilet par balles, ne plus dormir avec son arme serrée contre lui, ne plus craindre le monde qui l'entoure... Beaucoup de choses s'apprêtaient à changer pour Alexandre.

Une blonde passa derrière l'ambulance à l'arrêt, tenant la main d'un petit garçon. Le regard d'un vert profond du petit glaça le sang du caporal. Un léger sourire se dessina sur ses lèvres tandis que l'enfant l'observait s'éloigner. Ce garçon était en sécurité ici, et cette simple idée de savoir qu'il ne mourrait pas avant ses parents suffit à soulager la peine d'Alexandre. Au Mali, trop d'enfants trouvaient la mort. Le souvenir d'une fillette inerte qu'il avait tenue dans ses bras créa une boule amère dans sa gorge.

Pense à autre chose.

Les yeux sombres de la petite disparurent difficilement de sa mémoire. Il soupira, passant ses moignons à travers ses cheveux emmêlés.

— Nous arrivons dans quelques minutes.

Le brun prit une grande inspiration. Son pouls commençait à s'accélérer. D'ici quelques minutes, Alexandre serait seul dans un appartement pour débuter sa nouvelle vie, et cette idée l'effrayait au plus profond de lui. Vêtu d'un pull noir épais et d'un bas de jogging sombre, il jeta un coup d'œil au trousseau qu'il tenait dans sa main.

Inspirer, expirer.

Un exercice infaillible lorsqu'il s'agit de calmer son pouls. Une chaleur agréable se répandit dans son corps, l'apaisant peu à peu de toutes tensions. Le véhicule ralentit, faisant une marche-arrière. Quelques secousses plus tard, le conducteur annonça qu'ils étaient arrivés à l'adresse laissée par Paul. L'infirmier en face d'Alexandre ouvrit alors les portes, le soulevant pour le faire descendre de nouveau. Un magnifique ciel rose décorait le paysage, annonciateur d'une belle journée ensoleillée.

— Vous n'aviez que ce sac ? demanda le conducteur.

Il agita le sac de sport noir sous les yeux d'Alexandre.

— Oui, je n'ai que ça, répondit-il.

L'homme referma bruyamment les portes de la camionnette, verrouillant celle-ci. Le blond, toujours devant, tapa le code inscrit sur un petit bout de papier. Dans un petit bip discret, la porte se déverrouilla. Le brun prit une grande inspiration, suivant les infirmiers. Il poussa péniblement les roues de son fauteuil sur le béton usé par le temps.

— À quel étage habitez-vous ?

— Au troisième, dit-il.

Laissant monter Alexandre dans l'ascenseur, l'infirmier appuya sur le bouton indiquant le troisième étage. Les portes se refermèrent lentement derrière eux. En face, le miroir pourtant installé à hauteur normal, ne lui permettait que d'observer son visage pâle, lui rappelant combien désormais il allait lui être compliqué d'affronter son reflet. C'était à peine s'il arrivait au niveau du nombril des infirmiers.

— Troisième étage, annonça une voix robotique.

Dans un grincement strident, les portes épaisses de l'ascenseur s'ouvrirent de nouveau. Aidé par le conducteur de l'ambulance, Alexandre parvint difficilement à s'en extirper, gêné par l'encadrement de la porte légèrement surélevé.

— Merci, chuchota-t-il honteux.

Ses joues chauffaient, témoins d'un rougissement soudain de celles-ci. Il soupira. Ils s'avancèrent au fond du couloir vivement éclairé, approchant rapidement de la porte de l'appartement.

« Celle avec la petite pastille bleue ouvre la porte d'entrée de l'appartement. Ensuite, la jaune est pour le cagibi et la rouge ouvre la porte du balcon » se souvint-il des paroles de Paul.

Il observa un instant le trousseau, empoignant alors la petite clé bleue. Il enfonça l'objet dans la serrure, tournant celui-ci deux fois.

Clac !

La porte venait de s'entrouvrir, laissant apparaître une fine lueur. Il poussa la porte, le cœur serré. La première chose qu'Alexandre senti fut la terrible odeur de pourri.

Django, se dit-il intérieurement.

Cette odeur, il ne la connaissait que trop bien. Ce parfum nauséabond de la mort, de la décomposition, de cadavre. Quelque chose dans cet appartement était mort depuis des mois, et son odeur tout entière s'y était répandue.

Un des infirmiers toussa, se bouchant le nez à l'aide de ses doigts. Alexandre grimaça :

— Il y a un poisson rouge mort.

Le blond fronça les sourcils.

— Je vais l'enlever, dit l'homme.

Le caporal le remercia d'un simple sourire tandis que l'homme s'éloignait à la recherche de l'animal. La mort avait une odeur particulière, malheureusement familière pour lui. Celle d'une viande que l'on aurait laissée pourrir à l'air libre. En l'occurrence, un mélange de parfums d'eau salée et de moisissure se dégageait du cadavre de Django.

— Où puis-je poser votre sac ? demanda un des infirmiers.

— Juste ici, merci.

Alexandre désigna vaguement l'entrée d'un geste de bras. Il ne fallut que quelques minutes aux deux hommes pour faire le tour des lieux, expliquer au brun ce qui allait se passer dans les mois à venir, lui laisser quelques coordonnées avant qu'ils ne le laissent seul dans l'appartement. La porte se claqua dans un fracas sourd, tandis qu'il l'observait l'enfermer dans ces lieux. Le silence fut son premier colocataire, mais l'odeur horrible qui commençait à lui donner la nausée le ramena rapidement à la réalité.

Bon, par quoi je commence ?

Après avoir examiné pendant de longues minutes l'entrée, composée d'un simple porte manteau en bois clair et d'un petit placard blanc pas plus haut que ses épaules, Alexandre se dirigea enfin vers la première pièce à droite. Il découvrit un petit salon, où se trouvaient une table basse, un petit tapis, un canapé brun. En face attendait un petit écran plat recouvert de poussière. Il se dirigea vers la seconde pièce, qui se trouvait être la cuisine. Banale, mais fonctionnelle, celle-ci était décorée de carreaux rouges et blancs. La machine à café semblait habitée par une minuscule araignée. La suite parentale, composée d'une chambre et d'une salle de bain, était faite de tons plus clairs, alternant entre blanc, beige, et gris souris. Alexandre pris une grande inspiration ; le moment qu'il attendait depuis des mois était enfin là, et pourtant, aucune émotion ne lui montait au cœur. Pas un frisson, pas un sourire. Seulement un soupir, chaud, qui fit voler la poussière de la console à côté de lui.

Le lendemain matin, Alexandre se réveilla en grognant, poussant un long soupir désespéré. Pour la première fois depuis des mois, le bip des appareils médicaux ne l'avait pas dérangé. Pour la première fois depuis des années, il avait réussi à fermer l'œil, se plongeant dans un sommeil réparateur. Pas un cauchemar, pas une sueur, pas un bruit ; rien n'avait osé le déranger dans sa nuit profonde. À côté de lui, il attrapa son smartphone, appuyant sur le bouton pour regarder l'heure. Après avoir plissé les yeux pour les protéger, et baissé la luminosité intense de l'appareil, il parvint enfin à apercevoir un semblant de chiffres.

Neuf heures trente-sept minutes.

Il prit une grande inspiration, frottant ses yeux du bout des doigts. Le brun se redressa à l'aide de la force de ses bras, s'appuyant sur le matelas pour venir s'installer contre le mur. Au-dessus de lui, la fenêtre entre-ouverte laissait apparaître un grand ciel bleu où aucun nuage n'osait s'aventurer. Trop petit pour atteindre celle-ci et pouvoir fermer les volets, Alexandre avait opté pour une manche de pull attachée autour de ses yeux. Ouvrir la fenêtre pour laisser pénétrer un fin courant d'air s'était révélé être une véritable épreuve, alors comment pouvait-il donc s'essayer à fermer les volets ? Mission impossible. Mais la lumière du jour ne gênait pas le soldat, habitué aux nuits comme celles-ci. Quand il se décida enfin à se relever, le nouvel obstacle qui le confronta fut de monter seul sur son fauteuil. Depuis son amputation, Alexandre n'avait jamais fait cette manœuvre à la force de ses bras. Il s'examina un instant. Ses muscles saillants avaient disparu, laissant place à un corps frêle. Il secoua la tête.

Je peux y arriver.

Son regard se concentra sur les accoudoirs de son fauteuil.

Le médecin a dit de me laisser aller en arrière, mais si je m'agrippe aux accoudoirs, je pourrais sûrement me soulever et me placer correctement...

Son instant de réflexion s'éternisa quelques secondes, avant qu'il ne se décide enfin à agir. Déterminé, le brun attrapa les accoudoirs fermement.

Merde.

Il soupira. Sa main gauche, où seuls de petits moignons restaient, n'était pas assez grande pour ne serait-ce qu'attraper une roue. Comment avait-il pu oublier si rapidement ?

Je peux y arriver.

Il prit une grande inspiration, fermant les yeux un instant. Que cherchait-il à faire au juste ? Se recentrer sur lui-même ? Cette attitude lui valut un petit sourire amusé.

N'importe quoi.

De sa main droite, Alexandre attrapa l'accoudoir en face de lui, posant simplement sa main gauche sur le second. S'il ne pouvait attraper le fauteuil, il pouvait au moins s'appuyer dessus. Et si son fauteuil pouvait supporter son poids, il pouvait bien s'en servir de support pour le soulever.

Un, deux, trois...

Il s'élança en avant, soutenant son buste difficilement pour venir le positionner sur le fauteuil. Contrairement à ce à quoi il s'attendait, le brun ne bascula pas en arrière, mais en avant, prenant le dossier de son fauteuil en pleine figure. Durant quelques secondes, il resta là, contractant la mâchoire.

Pas glorieux.

Ne prêtant pas plus longtemps attention à son échec, il se retourna difficilement à l'aide de ses bras, s'installant convenablement dans son fauteuil. L'avantage de sa main gauche était qu'il n'y sentait rien, tandis que sa main droite le brûlait face à cet exercice matinal. Il attrapa les roues, tirant son corps à travers l'appartement en quête de la cuisine. La veille, Alexandre était descendu dans une petite superette du coin faire quelques courses ; il avait essentiellement acheté des conserves. La cuisinière, bien trop haute pour lui, s'était avérée trop dangereuse pour qu'il ne se tente à faire cuire son cassoulet. Il avait finalement abandonné, grignotant la moitié d'une baguette. Il allait devoir trouver une alternative à ce problème, et rapidement. Empoignant une petite assiette qu'il posa sur le plan de travail, Alexandre peina à attraper le fil du grille-pain pour l'attirer proche du rebord. Une fois sa mission terminée, il pu enfin placer deux tranches épaisses, qui ressortirent dorées. Il y étala une fine couche de confiture, s'approchant du balcon.

Pour le balcon, c'est la rouge...

Il sortit le petit trousseau, enfonçant la clé ornée d'une pastille rouge dans la serrure, et s'avança vers l'extérieur. Le vent, en ce matin de mars, était glacial. Il enfonça sa tête dans son cou, priant quelques secondes pour devenir une tortue et pouvoir s'enfouir dans une carapace chaude et réconfortante. Au lieu de ça, Alexandre frissonnait à en attraper un rhume.

Ça caille ici...

La température française le changeait du Mali, où les degrés ne baissaient que très peu en fonction des saisons. Il prit malgré tout une grande inspiration, rafraichissant ses poumons. La sensation fut telle qu'il eut l'impression qu'une fine couche de glace recouvrait les parois de ses organes. Il jeta un coup d'œil à son smartphone, hésitant. Était-ce trop tôt ?

Pourquoi attendre ?

Il appuya sur l'écran à la recherche de sa fiche de contacts. Il fit défiler les noms en quête de celui de Romain, puis cliqua sur « appeler ».

Bip.

Bip.

Bip.

— Allô ? demanda une voix à l'autre bout du fil.

La voix du jeune garçon n'avait pas changé. Son intonation, toujours joyeuse, esquissa un sourire sur les lèvres d'Alexandre qui répondit :

— Salut, c'est Alexandre.

— Salut, mec ! Ça fait un bail. Je commençais à croire que tu étais mort, où un de ces trucs.

Son cœur se tordit. Ne l'était-il pas ?

— Comment tu vas ? le questionna Romain.

— Pour tout te dire, plutôt bien. Et toi ?

— Tranquille hein, répondit l'adolescent. Alors, qu'est-ce que tu racontes de beau ?

Un court silence les sépara, tandis qu'Alexandre réfléchissait encore à la raison de son appel. Se sentait-il déjà prêt à assister à ces séances dans le « club des amputés » dont Romain faisait la promotion ? Souhaitait-il vraiment rencontrer Imany, Justine et Romain ?

— Je suis sorti de l'hôpital.

— Grave bien ! Quand ça ?

La voix du garçon était à peine audible, visiblement dérangée par de la nourriture.

— Hier matin, dit le brun.

— Grave bien, répondit Romain. Tu peux sortir de chez toi ?

— Oui.

Alexandre ne savait pas comment s'y prendre en parlant avec lui. Plutôt de nature introvertie, le caporal avait souvent du mal à se confier à des personnes inconnues comme il était en train de le faire.

— Je crois que les filles sont disponibles jeudi, reprit Romain, hésitant.

Jeudi... Mais quel jour sommes-nous ?

Un nouveau coup derrière la tête. Alexandre jeta un coup d'œil à son écran.

Mardi.

— Je serai là.

Une nouvelle pause. Tenant son téléphone dans la main droite, Alexandre jeta un coup d'œil aux moignons cicatrisés de la main gauche. Il lui était impossible de les bouger. Allait-il un jour retrouver la mobilité de sa main gauche ?

— Cher(*) bien !

Cher ? se demanda Alexandre.

Visiblement, les années passées au Mali l'avaient coupé de son pays natal, voire pire ; de sa ville qu'il aimait tant.

— Où nous retrouvons-nous ? demanda alors le caporal.

— Chez moi ! J'habite dans le cinquième.

— Je ne suis pas très loin, répondit Alexandre, j'habite dans le deuxième.

Pour rejoindre les lieux, il n'aurait qu'à prendre le métro puis le funiculaire en direction de Fourvière.

— Grave bien ! J'habite vers Saint-Just, tu vois ?

— Parfaitement, dit Alexandre, souriant.

— Bah vas-y, on se retrouve devant le lycée à dix-sept heures ?

— Romain, j'aurais une question s'il te plaît ? demanda-t-il, gêné.

— J't'écoute ?

— Est-ce qu'il y a un ascenseur vers chez toi ?

— J'habite au rez-de-chaussée, t'inquiète.

— Merci, répondit le brun, soulagé.

Un court instant de silence les sépara. Alexandre prit une grande inspiration, tentant de nouveau d'agiter ses moignons gauches.

— Bon, bah... À jeudi ?

— Ouais, à jeudi.

Un nouveau silence, puis le garçon à l'autre bout du fil osa enfin raccrocher. La discussion avec Romain sonnait cette fois-ci comme une promesse. La première fois, Alexandre en était ressorti souriant, désormais, il avait la boule au ventre. Rencontrer des gens... Cela faisait des mois, des années qu'il n'avait pas parlé à des inconnus. Depuis un moment, le caporal n'avait pas ressenti cette boule douloureuse se former dans son ventre. Ses tripes se tordaient, son estomac se contractait, tandis que ses poumons se remplissaient difficilement. Alexandre était stressé.

Après avoir passé de longues minutes à tourner en rond dans l'appartement, visitant au moins une dizaine de fois chaque pièce, le brun enfila une veste qu'il attrapa dans son sac. Jetant un dernier coup d'œil aux fenêtres, toutes fermées, il referma la porte derrière lui, veillant à bien fermer les lieux à double tour. Une fois dehors, il se mit à rouler, profitant de l'air frais qui parcourrait ses cheveux pas coiffés. Tout autour de lui, le monde lui semblait incroyablement familier et à la fois si inconnu. Comme si la vie avait continué sans lui. Comme s'il n'avait été que le spectateur d'un film qui avait duré des années. À quelques mètres de lui, une femme jeta un coup d'œil à son pantalon, vide, baissant alors les yeux. Les personnes qu'il croisa ensuite eurent toutes la même réaction ; la surprise, l'observation, puis la pitié. Tous, sans exception, avaient baissé les yeux en comprenant qu'Alexandre n'avait plus de jambes. Une réaction qui créa une boule de rage douloureuse au plus profond de lui. Les cauchemars et les remords qui le hantaient ne suffisaient donc pas ? Devait-il réellement supporter que chaque jour toute personne qu'il croiserait l'observerait avec pitié, effroi, parfois même dégoût ? Il contracta la mâchoire, évitant les regards des autres passants. Les minutes défilaient, les paysages aussi, sous le regard vide d'Alexandre. Son cœur battait lentement, son corps frissonnait, des cheveux noirs s'emmêlaient sous la pression du vent.Il soupira. Alexandre se sentait horriblement seul, profondément vide, entièrement mort.


(*) À Lyon, les Lyonnais disent « cher » pour dire « grave ».


-ˋˏ Merci d'avoir lu ce chapitre ! ˎˊ-


Hello ! ☀️
Premiers pas à l'extérieur pour Alexandre...

Alors, quel sera le plus difficile pour lui à votre avis ? Comment va-t-il s'en sortir ? A-t-il bien fait de rappeler Romain ? 😉

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