26. Gentle Cat
« Il ne faut jamais dire adieu, cela porte malheur »
Anne Hébert
Le cœur d'Alexandre battait rapidement tandis qu'il fixait Imany. En face de lui, la jeune femme jouait nerveusement avec la serviette en tissu, la froissant dans ses mains tremblantes. Il prit une grande inspiration, dirigeant son regard vers l'extérieur, observant quelques passants traverser la ruelle, l'air pressés. Il n'avait pas dit un mot depuis qu'ils étaient entrés dans le bar à chats, attendant froidement qu'elle fasse le premier pas. Le serveur leur apporta rapidement leurs cafés et parts de gâteau.
— Merci, dit Alexandre en lui adressant un sourire.
Sa voix était brisée. Imany attrapa le café, y plongeant une petite cuillère argentée, toujours muette. Le caporal poussa un long soupir, las, imitant le geste de la jeune femme.
— Je suis désolée, murmura Imany timidement.
Le brun plongea douloureusement son regard dans le sien, grimaçant. Ses yeux le brûlaient de sécheresse tant il avait pleuré la veille.
— Ce n'est pas grave, répondit-il difficilement. L'important est que tu fasses ce que tu aimes.
Imany fronça les sourcils, le questionnant du regard.
— Mets-toi simplement à ma place, Imany. Juste le temps d'un instant. Rends-toi compte à quel point cette découverte m'a fait mal, à quel point j'ai eu l'impression que tu me prenais pour un con. Je l'ai vécu comme une réelle trahison, et j'ai eu besoin de temps pour digérer la nouvelle. Je ne l'ai toujours pas acceptée, mais je me suis fait à l'idée que je n'avais pas le choix.
La jeune femme laissa de nouvelles larmes perler le long de ses douces joues.
— Je ne veux pas que tu pleures, dit-il sagement. Je ne veux pas que mon dernier souvenir de nous soit un moment triste.
Elle acquiesça d'un signe de tête, essuyant son visage d'un revers de main rapide.
— J'ai été égoïste de réagir comme ça, reprit Alexandre.
— Ne dis pas ça... sanglota Imany.
— Sur le moment, je n'ai pensé qu'à moi. J'ai vu mon propre bonheur s'éteindre, sans penser aux émotions que tu ressentais toi.
Il tendit sa main droite en direction de la sienne, l'attrapant délicatement.
— Raconte-moi tout, dit-il en souriant malgré les douloureuses émotions qui étouffaient son cœur. Depuis le début.
Il s'était fait à l'idée qu'il ne pourrait pas la retenir, et ne souhaitait pas laisser un mauvais souvenir à Imany de ce dernier rendez-vous au Gentle Cat. Il lâcha la main de la jeune femme, coupant un bout du gâteau au chocolat posé dans son assiette. En face de lui, Imany semblait soulagée que la discussion soit bien loin de la dernière qu'ils avaient pu échanger. Elle hésita un instant avant de prendre la parole, se raclant la gorge en grimaçant.
— Depuis le début ? demanda-t-elle.
Alexandre acquiesça d'un signe de tête, lui adressant un sourire rassurant. Voyant qu'elle ne reprenait pas la parole, visiblement perdue dans ses pensées, il demanda :
— Quand as-tu su que tu partais pour le Zimbabwe ?
— Un peu avant de voir l'annonce de Romain dans l'hôpital où je faisais ma dernière visite, en février. J'ai tout de même décidé de l'appeler, je me suis dit que ça me ferait du bien de voir du monde avant mon départ. Je ne pensais pas...
Elle marqua une pause, prenant une gorgée de son café qui semblait encore bouillant.
— Pourquoi ne l'as-tu pas dit directement au groupe ? demanda Alexandre.
Imany grimaça timidement.
— Je craignais que vous me fassiez changer d'avis. Mais je dois partir, je le sens au fond de moi que ma place n'est plus ici.
Alexandre prit une nouvelle bouchée du gâteau, attendant patiemment la suite. La jeune femme semblait chercher ses mots.
— J'ai eu peur que vous ne vous comportiez pas pareil, reprit Imany. Tu sais, comme avec celle qui n'est là que pour quelques mois...
— Tu as craint que nous ne construisions pas quelque chose avec toi, reformula Alexandre. Je vois très bien.
Elle acquiesça, prenant une nouvelle gorgée de son café.
— Tu as de la famille, là-bas ? demanda-t-il.
— J'ai pris contact avec la sœur de ma mère qui vit toujours là-bas, elle va m'héberger le temps que je trouve un logement sur place.
— L'avais-tu déjà rencontrée ?
— Non, jamais. Mais elle est très heureuse que je rejoigne la famille, ajouta Imany.
— J'imagine, dit simplement Alexandre. Sais-tu ce que tu feras une fois là-bas ?
— Je vais enseigner l'histoire et le français.
— C'est génial ! s'exclama Alexandre à contrecœur.
Plus la conversation avançait, plus elle rappelait douloureusement au brun qu'elle allait partir. Il but son café silencieusement, terminant le fondant au chocolat qui commençait à refroidir dans son assiette.
— Je suis vraiment désolée, reprit Imany. J'ai été égoïste aussi de ne pas partager ça avec toi. Nous avons... nous avons partagé tellement de choses toi et moi, mais je n'ai même pas été capable de te parler du plus important.
Il ne répondit pas. Une boule d'amertume grimpa dans sa gorge tandis que ses mains devenaient moites sous le stress.
— J'avais peur que ça ne soit pas pareil entre nous, avoua-t-elle. Tout ça me faisait tellement du bien...
Il s'approcha d'elle, faisant le tour de la table, tandis qu'Imany se mettait à sangloter de nouveau.
— Tu sais, je crois que je te comprends, dit-il. Et quelque part, je te remercie d'avoir fait que ces moments aient été magiques. Si j'avais été au courant, je me serai montré plus distant.
Elle posa la tête sur son épaule alors qu'il déposait un tendre baiser sur son front.
— Tu m'en veux ? demanda-t-elle timidement dans un murmure presque inaudible.
— Une part de moi t'en veux forcément, mais mon cœur ne t'en voudra jamais. Je suis heureux que tu vives tes rêves, mais profondément triste de devoir te laisser partir si tôt.
Alexandre ne pouvait pas être plus ouvert à elle qu'à l'instant. Ces mots, il n'aurait jamais pensé les prononcer tant ils étaient intimes. Mais après tout ce qu'ils avaient partagé, il ne pouvait se contenter de garder en lui ses impressions. Oui, il souffrait, mais il était également très heureux pour Imany, et elle avait besoin de l'entendre. Elle avait besoin d'être rassurée avant de partir, et surtout qu'ils restent en bons termes.
— J'ai mal réagi parce que je ne m'y attendais pas, reprit-il. Je savais que tu me cachais quelque chose, mais je ne pensais pas à ça. En fait, je n'étais pas du tout préparé au fait que tu partirais si vite de ma vie.
Elle sourit difficilement, relevant sa tête pour affronter son regard.
— Je commençais à peine à goûter à quelque chose d'heureux, et je pense que c'est le moment où on est le moins préparé à l'éventualité de le voir partir. Je pensais t'avoir à mes côtés pour quelques temps encore.
— Tu m'as tellement apporté... chuchota-t-elle en essuyant les quelques larmes qui coulaient le long de sa joue.
Alexandre dessina un tendre sourire.
— À moi aussi, assura-t-il. Tu m'as changé. Tu as fait de moi un homme heureux. Brisé, mais heureux. Et ça, ça n'a pas de prix.
Il prit une grande inspiration, retournant à sa place en face de la jeune femme.
— Tu as été le remède à beaucoup de maux, ajouta-t-il.
— Tu as été la clé de mon acceptation, répondit Imany. Elle n'est pas encore sûre, mais c'est quelque chose que je n'ai jamais connu. Pour la première fois, je ne pense pas jours et nuits à mon corps. Je n'y fais pratiquement plus attention, et quelque part, je crois que ça veut dire que je l'ai accepté.
Le brun sourit de nouveau.
— Moi aussi, dit-il en jetant un coup d'œil vers les moignons de sa main gauche.
Il se souvenait des premières fois où il avait affronté son reflet dans le miroir ; cette fois-ci, tout lui semblait bien moins douloureux. Il regardait les cicatrices que la vie lui avait laissées avec beaucoup moins de haine. Elles représentaient son expérience, ce qu'il avait vécu, et ainsi, tout le monde savait. Il était fort, et ça se voyait.
— Je suis presque fier de ces cicatrices, avoua-t-il. Elles montrent qui je suis vraiment, et qui j'ai été aussi.
— Je suis fière des miennes aussi, parce qu'elles me rappellent chaque jour à quel point j'ai été forte, mais aussi le combat que j'ai gagné.
Alexandre rit doucement. Le chemin avait été difficile, mais il était profondément fier de lui, d'eux. C'était sûrement la mission dont il était le fier depuis son retour, et le soldat en lui le libérait peu à peu du poids lourd des souvenirs, laissant les cicatrices comme témoins de ce qu'il avait traversé. Maintenant, il était temps de vivre.
— Je t'ai écrit une lettre, ajouta Imany en sortant une enveloppe de sa sacoche. Je veux que tu la lises dans les moments difficiles.
Elle lui tendit le papier vierge alors qu'il écarquillait les yeux, surpris.
— Je n'ai rien à t'offrir... avoua-t-il gêné.
— Le simple souvenir de ce que nous avons traversé me suffira. Et puis, je m'allongerai dans mon lit, en regardant le plafond, et te parlerai. Comme si tu étais là, quelque part.
Il sourit difficilement, tordant les traits de son visage en une grimace douloureuse.
— J'ai une chose à te demander, continua-t-elle.
Alexandre la questionna du regard.
— J'aimerais que tu ne viennes pas à l'aéroport, dit-elle. Ce serait beaucoup trop difficile pour moi de partir. C'est une grosse faveur, je sais, mais ça m'aiderait beaucoup.
Le cœur du brun se serra.
— Ça veut dire que c'est la dernière fois que je te vois, remarqua-t-il.
Elle hocha la tête, mordillant nerveusement sa lèvre inférieure déjà gercée. La gorge du caporal se noua, tandis que son cœur se tordait dans sa poitrine.
— Ce serait se dire au revoir comme si on allait se retrouver bientôt, dit-elle. Je ne veux pas que mon dernier souvenir avec toi soit dans l'aéroport, ces souvenirs-là sont beaucoup trop douloureux.
— D'accord, accepta-t-il soudainement.
Imany poussa un long soupir, l'air soulagée.
— Merci, dit-elle simplement.
Il sourit, baissant les yeux en direction du chat qui se frottait à la roue droite de son fauteuil en ronronnant. Il se pencha par-dessus l'accoudoir, caressant le dos du félin qui miaula, surpris.
— Alexandre ?
Il redressa la tête, plongeant son regard dans celui d'Imany.
— Oui ? demanda-t-il.
— Merci pour tout ce que tu as fait pour moi, reprit la jeune femme.
Elle entrelaçait nerveusement ses doigts, l'air stressée. Il posa une main délicate sur les siennes comme pour la calmer.
— Tu n'as pas à me remercier, dit Alexandre.
Elle attrapa son sac à main. Le moment était venu de se quitter.
— Je suis très heureux de t'avoir rencontré, ajouta-t-il la voix brisée.
Imany grimaça timidement, se redressant. Elle passa au comptoir, tandis qu'Alexandre sortait du bar à chats. Quelques secondes plus tard, elle était dehors avec lui. La rue, en cet après-midi d'été, était vide. Sans le brouhaha lointain des voitures, le brun était sûr qu'ils auraient pu entendre leurs cœurs battre à chamade, prêts à exploser.
— Je suis désolée, reprit-elle.
Sa voix tremblante indiqua à Alexandre que les pleurs n'étaient pas loin. Il devait faire quelque chose, qu'il ajoute quelques mots pour arranger cela. Les au revoir étaient douloureux, mais nécessaires. Il l'avait compris, finalement ; si elle restait, Imany serait malheureuse.
— Ne t'excuse pas de vouloir vivre ta vie comme bon te semble, jamais. Écoute toujours ton cœur, n'éteint jamais les émotions qu'il te chuchote au fond de toi.
Il tendit la main, attrapant la sienne. La jeune femme tremblait.
— Je suis fier de toi, ajouta le brun.
Ses yeux pétillaient d'émotions, la lueur de l'espoir se mêlant à l'humide tristesse.
— Merci d'avoir croisé mon chemin.
Elle ne répondit pas, se penchant en sa direction. Elle déposa un baiser humide et salé sur ses lèvres, tandis que des larmes perlaient le long de ses joues.
— Je t'aime, Alexandre Duval, murmura-t-elle.
Puis elle lâcha sa main, s'écarta de lui, et lui tourna le dos. Il pouvait voir à sa silhouette vouté et tremblante qu'elle était en train de pleurer. Mais il la laissait partir, la main tendue dans sa direction. Le contact encore chaud de leurs peaux le faisait frissonner, tandis que son pouls s'accélérait douloureusement. Alexandre restait immobile, regardant Imany s'éloigner. Elle ne se retourna pas, et tourna au coin de la rue.
— Je t'aime aussi, Imany Moyo, dit-il, le vent emportant ses paroles.
Il fit alors demi-tour, le cœur serré et la vision floue. Lui aussi pleurait. Le silence de la solitude le rattrapa rapidement alors qu'il s'avançait dans la ville animée, le cœur ouvert. Il était temps de reprendre son bout de chemin, et, même si cela rimait avec la perdre, il se sentait prêt. Un soldat était toujours prêt. Malgré les pleurs, il dessina un large sourire sur son visage pâle. En face de lui, le soleil brillait dans le ciel bleu. Il réchauffait sa peau, et son être. Il était en vie, et c'était le plus important.
« Certaines personnes sont de passage dans nos vies pour une raison précise, pour nous apporter quelque chose. Ils pansent nos blessures, embaument nos cœurs, puis repartent » résonnèrent les paroles de Paul dans son esprit.
Il tourna au coin de la rue, disparaissant à son tour.
-ˋˏ Merci d'avoir lu ce chapitre ! ˎˊ-
Hello ☀️ comment allez-vous ? Personnellement, je suis très triste de publier cet avant dernier chapitre d'Imany. Et oui, déjà... On se retrouve la semaine prochaine avec l'épilogue...
Alors, qu'avez-vous pensé de cet avant dernier chapitre ? 👀
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top