« Le seul mauvais choix est l'absence de choix. »
Amélie Nothomb

          Alexandre tenait la main d'Imany fermement alors qu'ils patientaient silencieusement devant la grande porte blanche. Depuis leur dernière discussion, ils n'étaient pas revenus sur le sujet de leurs sentiments et de leur relation, si bien que le brun ignorait ce qu'ils étaient réellement. Mais la simple idée de pouvoir passer du temps avec elle l'apaisait, alors, pour une fois, il prenait sur lui et ne posait pas plus de questions. La jeune femme, à côté de lui, semblait également plus reposée qu'habituellement ; quand elle remarqua qu'il était en train de la fixer, elle lui adressa un large sourire plutôt que de détourner le regard. Quand le verrou de la porte se fit entendre, le brun relâcha la main de la jeune femme, prenant une grande inspiration.

— Salut ! s'exclama Justine visiblement très enjouée. Entrez !

Ils pénétrèrent dans l'appartement de la blonde sans dire un mot, découvrant une entrée colorée où de nombreuses plantes et fleurs étaient posées au sol. Alexandre avait toujours trouvé Justine très artistique, et sa douceur se ressentait à travers sa décoration très vive. Il ne fut pas bien étonné de découvrir les murs recouverts de peintures de toutes sortes, aux formes géométriques étranges à son goût.

— Romain est déjà dans le salon à droite, faites comme chez vous ! Je suis super contente de vous accueillir chez moi.

Ils se dirigèrent vers la petite entrée, s'aventurant dans une pièce à l'ambiance très différente de celle du couloir. Ici, tout était très épuré. Des chaussons de danse étaient accrochés dans un cadre au-dessus du fauteuil où se trouvait Romain, de nombreuses bougies dans les teintes rose pâle étaient réparties sur la table basse, et les meubles étaient tous d'un blanc éclatant.

— Installez-vous, reprit Justine en leur faisant signe de s'approcher du canapé.

Alexandre lui adressa un sourire. La jeune femme les avait appelés hier, tard dans la soirée, complètement excitée, leur proposant de passer dîner avec elle. Et voilà que le club des jeunes amputés se réunissait dans le salon de la danseuse. Le caporal n'en était pas sûr, mais il sentait que leur hôte du jour avait une grande nouvelle à leur annoncer. Elle était enjouée, semblait pressée de les accueillir pour ce repas, et ne tenait plus en place.

— Comment allez-vous ? demanda-t-elle.

Justine s'installa sur le pouf blanc qui traînait par terre, regardant tour à tour les membres du club.

— Et bien... commença Alexandre. Je dois avouer que je vais très bien, ces derniers jours.

Il prononça ces mots en jetant un coup d'œil en direction d'Imany, qui souriait timidement.

— Moi aussi, continua-t-elle.

Tous les regards furent concentrés sur Romain, qui se mit à rire. Ils froncèrent les sourcils, tandis que l'adolescent secouait la tête, amusé.

— Comme d'hab', répondit-il. La pêche !

— Je suis vraiment super contente de vous inviter pour ce dîner ! reprit Justine. J'aurais dû le faire depuis bien longtemps... Mais là...

Elle marqua une pause.

— Là, c'est l'occasion idéale !

Alexandre l'interrogea du regard, alors que les joues de la blonde s'empourpraient.

— Attendez, je vais chercher des coupes ! Qu'est-ce que vous voulez boire ?

— Des coupes ? questionna Romain l'air soudainement intéressé. On fête quelque chose ?

La danseuse haussa les épaules, lui adressant un sourire complice.

— Je veux bien du jus de fruit si tu en as, demanda poliment Imany.

— La même chose pour moi, ajouta le brun.

Romain hésita un instant avant de demander :

— Tu as de la bière ? demanda-t-il.

Alexandre se mit à rire, secouant à son tour la tête.

— L'alcool est interdit pour les mineurs, fit-il remarquer.

L'adolescent lui adressa un clin d'œil, alors que Justine lui rapportait une bouteille en verre décapsulée.

— J'ai du jus de pomme, ça vous va ?

Ils hochèrent simplement la tête, attrapant ensuite les coupes pleines.

— C'est la première fois que je rencontre des personnes qui boivent du jus de pomme et de l'eau dans des coupes de champagnes en plastique... dit Romain amusé.

Le club éclata de rire.

— Nous sommes différents, ajouta Alexandre.

— Est-ce que ça justifierait que je boive ma bière dans une coupe ? les questionna l'adolescent en versant le liquide mousseux dans son verre à pied.

— Totalement ! s'exclama Justine toujours aussi heureuse. Les gens spéciaux peuvent faire des choses spéciales !

— C'est sûrement la bière la plus classe que je n'ai jamais bue ! dit Romain en tendant son verre sous leur nez.

Ils rirent de plus belle. Tous ces sourires affichés sur les visages de ses amis faisaient chaud au cœur d'Alexandre, qui se contentait de les observer silencieusement. Imany semblait heureuse, elle aussi.

— J'ai une grande nouvelle à vous annoncer, avoua la blonde en reposant sa coupe sur la petite table basse.

— Sans blague, on n'avait pas compris, la taquina l'adolescent.

Elle rit timidement, prenant ensuite une grande inspiration.

— Vous savez qu'avant mon accident j'étais danseuse de haut niveau, et que mon plus grand rêve était d'en faire mon métier... Malheureusement, cette nuit-là, je pensais avoir perdu le droit de rêver...

Alexandre attendait impatiemment que la jeune femme continue son discours, tandis que Romain semblait complètement hystérique.

— J'ai été acceptée dans la formation que je voulais faire, dans une prestigieuse école de danse... annonça finalement Justine.

Imany, Romain et Alexandre poussèrent tous les trois des cris de joie, tandis que la blonde éclatait en sanglots. À ce moment, le caporal regretta de ne pas pouvoir se lever pour sauter et extérioriser son bonheur ; il ne connaissait pas très bien Justine, mais il savait combien cette nouvelle qu'elle venait de recevoir était la meilleure depuis des mois, et il en était profondément touché. Imany, très émue, avaient les yeux pétillants d'émotion, prête à pleurer. Romain sauta sur le canapé, se ruant aussitôt sur la blonde pour la prendre dans ses bras.

— Mais lets gooo ! s'exclama le lycéen.

— Je tenais à partager cette nouvelle avec vous parce que j'ai puisé la force dans ce club, parvint-elle a murmurer. C'est grâce à vous si je vais de l'avant...

Les larmes perlaient à flots intenses sur ses joues empourprées. Alexandre et Imany s'approchèrent du pouf, se joignant à l'étreinte. Le caporal fit de son mieux, se penchant difficilement auprès de la danseuse en pleurs.

— Tu peux être fière de toi pour le chemin parcouru, dit-il. Tu t'es battu, et tu as gagné le combat.

— Merci, souffla-t-elle.

Quand l'étreinte amicale fut finie, le club trinqua à la santé de la danseuse. Tous étaient très émus par la nouvelle que Justine venait d'annoncer.

— J'intègre une sorte de remise à niveau spécialisée dans une semaine, à Paris, continua-t-elle.

— C'est super, répondit Alexandre. Comment sens-tu ce retour ?

Justine haussa les épaules.

— À vrai dire, je ne le sens pas. Je préfère ne pas y penser. J'ai postulé sur un coup de tête, puis j'ai passé quelques entretiens téléphoniques avec la directrice pour lui expliquer mon cas. Elle a énormément aimé les anciennes chorégraphies que je lui ai envoyées, et a hâte de me rencontrer...

— Tu peux être fière de toi, assura Romain. C'est incroyable le parcours que tu as fait !

— Je crains un peu d'avoir perdu la patte, mais je vais tenter. Quoi qu'il arrive, je ne serais pas déçue. Je ne veux pas avoir de regrets.

— Tu as entièrement raison, dit Imany. Carpe diem.

Justine sourit, acquiesçant d'un signe de tête.

— Carpe diem, répéta-t-elle. 

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