20. Carpe diem
« Rien n'a plus de valeur qu'aujourd'hui. »
Johann W. v. Goethe
— Un cigare, comme promis.
Alexandre tendit la petite boîte à l'homme en face de lui. Allongé dans son lit d'hôpital, Paul souffrait d'un désagréable rhume. Les cernes qui commençaient à se dessiner sur les traits de son visage témoignaient des nuits courtes qu'il passait à cause de la maladie.
— Merci, mon grand, parvint à murmurer Paul malgré la toux grasse qui le fit grimacer.
L'homme aux cheveux grisonnant se mit à tousser, masquant son visage de son coude comme pour protéger le caporal du pénible microbe qui le clouait au lit depuis plusieurs jours déjà.
— Veux-tu un verre d'eau ? proposa Alexandre calmement.
Depuis leur dernier appel, il parvenait enfin à tutoyer son vieil ami. Celui-ci esquissa un large sourire sur ses lèvres pâles et gercées, dévoilant son dentier aux dents parfaitement alignées. Il acquiesça d'un simple de signe de tête, retenant la leçon de sa première prise de parole. Le caporal se dirigea vers la petite salle de bain en face du lit de Paul, attrapant le gobelet en plastique posé sur le lavabo.
— Tiens, reprit-il.
Paul se jeta sur la boisson, vidant le verre d'une traite.
— Ta visite me fait plaisir, Alexandre, avoua Paul d'une voix brisée.
Le brun posa sur lui un regard réconfortant, posant sa main droite sur l'épaule du vieil homme.
— Je ne suis pas passé souvent ces derniers temps, excuse-moi.
— Tu as le droit de vivre ta vie, répliqua l'homme. Je ne suis pas le centre du monde...
Il marqua une pause pour tousser de nouveau, grimaçant de douleur.
— Satané rhume, pesta-t-il.
Alexandre eut un rictus amusé.
— Si tu avais écouté les infirmières et arrêté de fumer, tu ne serais pas tombé malade...
— Balivernes ! dit Paul en secouant la tête. Des milliers de microbes traînent ici, ce n'est pas un cigare à la fenêtre qui m'a mis dans cet état.
Le brun haussa les sourcils, insistant du regard. Son ami leva les yeux au ciel.
— Les nouvelles sont bonnes ? demanda-t-il pour changer de sujet.
Alexandre secoua la tête.
— Pas vraiment... Elle ne m'a pas adressé la parole depuis la dernière fois.
Paul tapa du poing sur la couette épaisse qui le protégeait du froid, fronçant les sourcils. À la suite de leur baiser au Parc de la tête d'or, Alexandre s'était empressé d'appeler son ami pour lui raconter la nouvelle, ne pouvant contenir autant d'émotions en lui.
— Nous avons eu une réunion avec le club hier, elle a avoué la raison de son amputation pour la première fois à quelqu'un d'autre que moi.
— C'est une bonne chose, remarqua Paul. Tu as chamboulé sa vie, et grâce à toi, elle se sent prête à s'ouvrir au monde. Avec toi, elle ne se sent plus si fragile.
Alexandre fut surpris d'entendre de telles paroles. Paul disait-il vrai ? Le caporal avait une confiance aveugle en son ami, et en son expérience avec la vie, mais comment pouvait-il comprendre aussi bien Imany sans ne jamais l'avoir rencontrée ?
— Je te suggère d'aller la voir, Alexandre.
Le brun écarquilla les yeux.
— Si elle ne m'adresse pas la parole, je doute fort qu'elle veuille que je me pointe à l'improviste devant chez elle.
— Tu ne comprends pas mon garçon... murmura Paul en toussotant. Elle est chamboulée, totalement perdue par ce qu'il est en train de lui arriver. Tu dois la rassurer, lui montrer le chemin à prendre.
Il fronça les sourcils, interrogeant son ami du regard. Où voulait-il en venir ? Alexandre devait-il se pointer devant la porte d'Imany pour mettre les choses au clair ?
— Tu m'avais dit qu'elle n'habite pas loin de l'hôpital, n'est-ce pas ?
Il acquiesça silencieusement d'un simple signe de tête, attendant patiemment la suite de la discussion.
— Tu devrais aller toquer chez elle, continua Paul.
— Que faire si elle ne m'ouvre pas ? Si elle ne veut plus m'adresser la parole ? Elle ne répond plus à mes messages...
— Crois-tu qu'à mon époque on avait ce genre de problèmes ? demanda le vieil homme, amusé. Mon grand, si elle ne te répond pas, va jusqu'à elle.
Alexandre avait du mal à se faire à l'idée. N'était-ce pas trop faire que d'aller toquer en plein milieu du week-end chez elle ? Voudrait-elle lui ouvrir la porte ?
— Je vois bien que l'idée de t'imposer devant elle te rend perplexe, reprit Paul. Mais tu sais, à mon époque, on allait toquer à la porte de notre tendre pour faire face à la réalité. Ça, ce n'est pas la réalité. Si elle ne te répond pas dans cet écran, c'est peut-être parce qu'elle veut te voir en vrai, en chair et en os. Montre-lui à quel point tu es déterminé, à quel point tu veux d'elle dans ta vie. Elle en a besoin.
— Comment peux-tu en être si certain ?
— Les conseils des vieux amis sont toujours les meilleurs, répondit l'homme en lui adressant un clin d'œil.
— Et si elle ne m'ouvre pas ? s'inquiéta de nouveau le caporal.
— Et bien tu viendras te morfondre ici ! s'exclama le vieil homme en levant les bras en l'air. Bon sang, mon garçon ! Où est passé tout ton courage ? Où est passé cet homme fort qui a défié la mort ?
Les paroles de Paul lui firent l'effet d'une claque rapide et sèche. Un coup derrière la nuque, un tacle en plein milieu des genoux. Alexandre resta muet, fixant son ami dans les yeux. L'homme se redressa difficilement dans son lit, se penchant pour poser une main réconfortante sur l'épaule du caporal.
— Fonce, ordonna-t-il.
— Que vais-je lui dire ? paniqua Alexandre.
— Improvise, répondit Paul fermement. Allez, ouste !
Le brun dessina un sourire amusé sur ses lèvres, saluant son vieil ami qui le remercia de nouveau pour la visite. Quand il se retourna une dernière fois avant de quitter la chambre, Paul avait déjà fermé les yeux, tentant de se reposer comme il le pouvait.
Sacré Paul, pensa Alexandre en refermant la porte derrière lui.
⁂
Le cœur du caporal battait à chamade, s'affolant au fur et à mesure qu'il s'approchait de la porte de l'appartement d'Imany. Des milliers de questions lui traversaient l'esprit, tandis que ses mains devenaient moites. Il s'arrêta dans sa quête. En face de lui, la plaque dorée sous le judas indiquait le nom d'Imany Moyo. Durant quelques secondes qui parurent être des heures, Alexandre observa la porte, silencieusement. De là, il entendait les miaulements de Nyota qui devait être en train de parler à sa maîtresse. Il dessina un sourire incontrôlé sur son visage.
Où est passé tout ton courage ? Où est passé cet homme fort qui a défié la mort ? résonnèrent les paroles de Paul dans son esprit.
Là, il prit une nouvelle inspiration, tendit le poing, et toqua pour de bon à la porte. Les miaulements se turent, et le silence lui sembla durer une éternité. Le verrou de la porte brisa toutes ses inquiétudes, tandis que la porte s'ouvrait lentement.
— Alexandre ? demanda Imany surprise. Que fais-tu ici ?
— Il faut qu'on parle, dit-il naturellement.
Les yeux écarquillés, la jeune femme se poussa pour laisser entrer le caporal. Il accepta l'invitation, pénétrant dans l'appartement sous le regard froid de la chatte à l'autre bout de la pièce.
— Hum...
— Dis-moi ce que j'ai fait de mal, la coupa-t-il. Je ne supporte plus d'attendre, de me poser toutes ces questions... J'ai besoin de savoir quel est le problème, Imany.
Elle prit une grande inspiration, acquiesçant d'un signe de tête. Silencieuse, elle lui fit signe de se diriger vers la partie salon. Il s'exécuta, ne la lâchant pas du regard.
— Ça fait des jours que tu me fuis, que tu m'adresses à peine un regard... Qu'ai-je fait de mal ? reprit-il de plus belle.
Elle s'installa dans son fauteuil, rapidement rejointe par Nyota qui grimpa sur ses genoux en ronronnant.
— Si tu n'es pas sur la même longueur d'onde que moi, tu peux me le dire, continua Alexandre. Mais j'ai besoin de savoir. S'il te plaît.
Imany caressait silencieusement la féline sous le regard pétillant d'émotions du caporal.
— Parle-moi, Imany... supplia-t-il.
— Alexandre... murmura-t-elle.
Il l'interrogea du regard, impatient.
— Merci d'être venu, dit-elle finalement.
Il ne répondit pas, attendant que la jeune femme continue. Elle marqua une pause, prenant lourde inspiration.
— Avant de dire quoi que ce soit, je tiens à m'excuser pour ces derniers jours. J'ai été une vraie imbécile de t'ignorer de la sorte, reprit Imany.
Sa voix se brisa.
— J'ai besoin de te poser une question, avoua-t-elle.
Il prit son mal en patience, lui faisant signe de continuer.
— Ce qu'il s'est passé l'autre jour, pour toi, c'était réel ?
— Bien-sûr que oui, dit-il la voix brisé, vexé par la question de la femme en face de lui.
Elle baissa les yeux, focalisant son regard sur ses doigts qui s'entrelaçaient nerveusement. Alexandre poussa un soupir las, secouant la tête.
— Je n'arrive pas à comprendre pourquoi tu te poses cette question, dit-il tout bas.
Elle ne répondit pas, toujours muette et immobile sur son fauteuil.
— Tu as quelque chose à me dire, reprit-il. Je le vois, je le sens...
— Ce n'est pas le moment, répliqua-t-elle.
— Pourquoi ? commença-t-il à s'emporter, haussant le ton.
— Parce que j'ai besoin de toi.
Il fronça les sourcils. Les propos d'Imany étaient totalement incohérent. Malgré tout, son cœur s'emballa tout de même face aux propos qu'elle venait de dire, se laissant emporter dans un flot d'émotions plus douces, bien loin de la colère qu'il éprouvait au début de leur conversation.
— Je ne comprends pas... répondit Alexandre.
— Pour l'instant, il n'y a que toi et moi, dit-elle. Je ne veux pas penser à autre chose.
Pourquoi changeait-elle aussitôt de sujet ? Son comportement ne semblait plus être le même que quand il était entré dans son appartement.
— Imany...
— Non, s'il te plaît. Je veux vivre l'instant présent, juste profiter.
Il se tut, attendant qu'elle continue. Mais elle resta silencieuse.
— Pourquoi m'as-tu ignoré, dans ce cas ? Si tu souhaites tant être avec moi, vivre ce moment présent ?
— J'avais besoin de réfléchir, Alexandre.
Elle s'approcha de lui, posant Nyota sur le fauteuil.
— Ne pose pas de questions, s'il te plaît. Profitons, simplement.
La voix d'Imany était tremblante, tout comme ses mains qu'elle venait de poser sur les épaules du brun qui gardait les sourcils froncés.
— Et après ?
— Ce qui compte, c'est maintenant.
Elle s'approcha d'Alexandre, lui offrant un délicat baiser sur la joue.
— J'ai eu peur, reprit-elle. Ce sont énormément d'émotions, et je ne savais pas si j'étais prête à les accueillir.
Alexandre savait qu'Imany lui cachait quelque chose, mais il n'insista pas. Si telle était sa volonté, il l'acceptait ; difficilement, mais il l'acceptait. Lui aussi avait besoin d'elle, parce qu'elle était le seul remède à ses maux.
— Promet-moi de me dire ce que tu ne veux pas m'avouer le moment venu, accepta-t-il alors. Fais-m'en la promesse.
Elle acquiesça d'un signe de tête. Imany semblait autant bouleversée que lui face aux émotions nouvelles qui naissaient en eux. Il ignorait ce qu'elle ressentait véritablement, mais sa simple présence suffisait à l'apaiser.
— Promis, murmura-t-elle.
Ils échangèrent un baiser passionné, leurfaisant oublier quelques secondes de plus les tourments douloureux de la vie.Alexandre ferma les yeux, se laissant emporter de nouveau par cette vagueimmense de sentiments ; arriverait-il à garder la tête hors de l'eau,ou coulerait-il ?
-ˋˏ Merci d'avoir lu ce chapitre ! ˎˊ-
Hello ☀️ très contente de vous dévoiler ce nouveau chapitre.
Alors, que cache Imany selon vous ? Pourquoi semble-t-elle si étrange ? Aurait-elle un autre secret ? 👀
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