18. L'amour n'est pas un long fleuve tranquille

« Qui apprend à s'aimer n'a pas besoin de leçon pour aimer les autres. »
Raoul Vaneigem


          — Ça te dirait de passer manger avec moi ce midi ? proposa Romain.

— Avec plaisir, répondit Alexandre. À quelle heure est ta pause ?

— À midi pile, et je reprends à quinze-heures. Tu me rejoins devant le lycée ?

Alexandre accepta, puis raccrocha. Il jeta un coup d'œil à l'heure affichée sur son écran : huit heure et quarante-six minutes. Il avait un peu de temps devant lui avant de rejoindre l'adolescent pour dîner. Les yeux toujours rivés sur son smartphone, le brun ne put s'empêcher de cliquer sur l'icône des messages. Bien qu'il savait qu'il n'aurait aucun nouveau message, il fut tout de même déçu, tirant les traits de son visage pour former une grimace. Elle ne l'avait toujours pas recontacté. Assis sur son fauteuil, Alexandre contemplait le contact d'Imany, dont le dernier échange remontait à quelques jours, alors qu'elle n'était pas venue à la réunion du club au Parc Gallo-Romain. Il poussa un long soupir de désespoir, verrouillant finalement son smartphone et le posant sur la table basse du salon. Il se perdit dans ses pensées durant quelques minutes, alors que les images de leur baiser se dessinaient dans son esprit. Le doux visage d'Imany rougissant le fit sourire, ravivant toujours les mêmes émotions en lui ; son cœur se mit à battre fort, tandis que son être tout entier frissonnait. Pourquoi ne l'avait-elle pas rappelé ? Regrettait-elle ? Aurait-il dû attendre plus longtemps avant de s'ouvrir à elle ? Toutes ces questions virent brouiller les doux souvenirs qui défilaient dans son esprit, le ramenant à sa réalité bien calme. Trois jours qu'elle ne lui avait pas adressé la parole, elle qui pourtant avait avoué ne pas se sentir prête à rester seule.

J'ai merdé tant que ça ? se demanda-t-il.

Il prit une grande inspiration, chassant les nombreuses interrogations qui bourdonnaient dans son esprit, puis se dirigea vers la cuisine. Mais quoi qu'il fasse, il pensait à elle. Alors, dès qu'Alexandre attrapa un bol sur le plan de travail presque trop haut pour lui, le sourire éclatant d'Imany apparut.

Tu es complètement fou, mon pauvre...

Ces mots ne suffirent pas à la chasser de sa tête. Bien au contraire, Imany s'ancrait davantage, affolant d'autant plus le cœur du brun qui faillit laisser glisser le bol bleu de ses mains. La vague de frissons qui le parcourut le ramena à la réalité, brutalement. Il le posa sur ses genoux, le remplissant de flocons d'avoine et de yaourt, puis se dirigea de nouveau vers le salon.

Pourquoi ne m'a-t-elle pas encore appelé ? se questionna-t-il.

Il prit une bouchée du déjeuner qu'il venait de se préparer, fixant le ciel bleu de l'autre côté de la grande baie vitrée qui donnait sur le balcon. À droite de celle-ci se trouvait un grand miroir ; habituellement, Alexandre l'évitait, mais aujourd'hui, il ne put s'empêcher de jeter un coup d'œil en direction de son reflet. Là, ce qu'il vit était bien moins douloureux. Son corps semblait moins effrayant, lui paraissait plus supportable. Certes, il avait toujours du mal à regarder ses jambes en face, mais le syndrome du membre fantôme ne le hantait plus ; était-ce pour cela qu'il acceptait un peu mieux son reflet ? Arrivait-il à se regarder dans le miroir parce qu'il ne sentait plus la douleur se répandre dans ses jambes ? Il posa le bol sur la petite table basse, s'approchant du miroir au cadrant en bois foncé. Là, il déposa sa main gauche sur le reflet, dévoilant ses cicatrices sous ses yeux attentifs. Alexandre arrivait à se regarder, et c'était un miracle. Il bougea les moignons qui remplaçaient ses doigts difficilement, les glissant le long de la vitre réfléchissante, ne ressentant aucune sensation.

C'est grâce à elle, songea-t-il.

Imany lui faisait oublier ses démons, et ça, il s'en était rendu compte bien rapidement. Depuis qu'elle occupait son esprit, plus rien ne semblait avoir d'importance à ses yeux. Il sourit bêtement, observant toujours son reflet. Son visage était moins pâle, ses joues et son nez avaient rougi à la suite de ses nombreuses sorties avec le club. Ses cheveux d'un brun intense avaient poussé, bien loin de la coupe militaire qu'il avait connu durant des années.

C'est pas mal... se complimenta-t-il.

Alexandre attrapa son téléphone sur la table basse. Toujours sur le contact d'Imany, il prit une grande inspiration. Lorsqu'ils s'étaient quittés trois jours plus tôt, la jeune femme osait à peine lui adresser la parole. Ses joues, toujours aussi rouges, avaient trahi la gêne qui s'était emparée d'elle après qu'ils se soient embrassés. Depuis, Imany était silencieuse, et ça, Alexandre n'arrivait à s'y faire.

« Salut » commença-t-il à écrire.

Il marqua une pause. Par quoi commencer ? Il prit une nouvelle cuillère de son déjeuner, comme pour s'aider à méditer.

« J'espère que tu vas bien. Je voulais te laisser du temps, mais je ne peux m'empêcher de penser à toi, et à ce qu'il s'est passé la dernière fois... »

Non, je n'aime pas du tout, pensa-t-il en effaçant les mots qu'il venait d'écrire.

« J'espère que tu vas bien. Je ne peux m'empêcher de penser à la dernière fois, et des millions de questions traversent mon esprit. J'aurais aimé en parler avec toi, quand tu seras prête. »

Il grimaça. Les mots qu'ils choisissait n'étaient pas vraiment les bons, et le message qu'il venait de pianoter sur son clavier ne lui plaisait pas.

Je ne vais pas me prendre la tête, il faut que je sois naturel... Autant écrire les choses telles qu'elles viennent.

« Ma chère Imany,

J'espère que tu vas bien.

Je ne peux m'empêcher de penser à la dernière fois, et de nombreuses questions me hantent. J'aurais aimé en parler avec toi, obtenir des réponses.

Quand tu seras prête, fais-moi signe.

P.S. : J'ai hâte de revoir ton sourire ; il est le seul qui puisse guérir mes plaies.

Alexandre. »

Puis il l'envoya, verrouillant aussitôt son téléphone et le cachant dans sa poche. Il poussa un soupir de soulagement.

L'adolescent qui s'approchait de lui dessinait un large sourire sur son doux visage. Alexandre lui adressa un signe de main, attendant que celui s'approche. Autour d'eux, un flot d'adolescents traversait trottoir, jetant des coups d'œil peu discrets en direction du caporal qui n'y prêta pas attention.

— Salut mon pote, dit Romain une fois arrivée à sa hauteur.

Il lui tapa la main amicalement, sous les regards désormais surpris des autres lycéens qui tournaient la tête, gênés.

— Où veux-tu manger ? demanda finalement le caporal.

Le jeune homme hésita un instant.

— Il y a une boulangerie sympa un peu plus haut dans la rue, tu y as déjà mangé ? demanda-t-il.

Alexandre secoua la tête, signe que non.

Lets gooo ! s'exclama Romain en levant le point, l'air excité.

Le caporal rit tout bas, suivant l'adolescent dans la montée. En quelques secondes seulement ils arrivaient dans les lieux, entrant dans une boulangerie chaleureuse décorée exclusivement de bois sombre et de sièges en cuirs marron. La serveuse prit le soin de retirer une chaise à la table qui se trouvait au fond pour qu'Alexandre puisse s'y installer sans bouger de son fauteuil, tandis que Romain s'enfonçait dans la banquette en face de lui. Une fois qu'ils eurent commandé et que leurs croquemonsieurs furent servis, la femme qui devait avoir la quarantaine s'éloigna, servant les nombreux clients qui venaient d'entrer dans les lieux.

— Comment vas-tu ? demanda Alexandre.

Romain était déjà en train d'engloutir le plat brûlant, faisant rire le brun qui l'observait.

— Cha va, et toi ?

— Ça va plutôt bien, répondit Alexandre.

Il marqua une pause pour à son tour goûter le croquemonsieur posé dans son assiette. Les saveurs étaient exquises, le faisant écarquiller les yeux.

— Je t'avais dit que c'était bon, fit remarquer Romain.

— Très ! valida le brun en prenant une nouvelle bouchée.

— Je n'ai pas cours mercredi après-midi, on pourrait peut-être faire une réunion avec le club, si tout le monde est disponible, proposa l'adolescent.

Alexandre acquiesça d'un signe de tête, affichant un large sourire sur son visage. Serait-elle là ? Elle n'avait toujours pas répondu à son message.

— Par rapport à la dernière fois... commença-t-il.

Il essuya sa bouche dans la serviette en tissu blanc.

— Comment ça avance avec Emma ? reprit-il. Nous n'avions pas pu terminer notre discussion.

Romain fit les gros yeux, fronçant les sourcils. Il lui fit signe de la tête, attirant l'attention d'Alexandre vers la foule d'adolescents qui commandaient des paninis au comptoir.

— Après, chuchota-t-il.

— Pas de souci, murmura Alexandre.

Un court silence les sépara, interrompu par le brouhaha ambiant de la boulangerie.

— Et toi, avec Imany ? demanda Romain.

Le caporal faillit s'étouffer. Son cœur se stoppa net, tandis que ses poumons se vidaient douloureusement de leur air.

— Ne fais pas cette tête, tu es grillé à des kilomètres, ajouta l'adolescent, l'air amusé.

Alexandre sentit ses joues chauffer sous la tension, avalant difficilement sa salive. Pouvait-il se livrer à lui ? Pas qu'il n'ait pas confiance en lui, mais plutôt par respect pour Imany.

— Je ne dirais rien, ajouta Romain comme lisant dans ses pensées.

Le brun prit une grande inspiration, laissant un court silence peser entre eux. Ses moins devinrent moites, tandis que son pouls accélérait de nouveau.

Hum... Et bien... marmonna-t-il.

Romain fronça les sourcils, le questionnant du regard.

— Elle est venue chez moi le soir du pique-nique, avoua-t-il. Puis je suis allé chez elle le lendemain. Ensuite, nous avons déjeuné au parc de la tête d'or.

L'adolescent écarquilla les yeux, entrouvrant la bouche de surprise.

— Quoi ?! s'exclama-t-il.

Chuuuut ! siffla Alexandre.

Le garçon en face de lui se redressa, lui faisant une petite tape amicale sur l'épaule gauche. Quand il s'installa de nouveau sur la banquette en cuir sombre, Romain fronça les sourcils.

— Pourquoi j'ai l'impression que tu ne me dis pas tout ? demanda-t-il.

Alexandre grimaça, haussant les épaules, silencieux.

— Tu ne me dis pas tout, conclut Romain. Dis-moi tout !

— Je ne sais pas...

Romain fit mine de bouder, tirant les traits de son jeune visage.

— Allez... supplia-t-il tel un enfant. Je t'ai promis que je ne dirai rien.

Le brun hésita un instant, buvant une gorgée de l'eau froide qui remplissait son verre.

— Je l'ai embrassée, reprit-il alors. Mais tu ne le répètes pas !

L'adolescent mima une bouche cousue, alors que ses yeux pétillaient de surprise et de joie.

— Incroyable, murmura-t-il. Comment a-t-elle réagi ?

Que dire ? Qu'elle l'avait embrassé à son tour, puis qu'elle s'était ensuite murée dans le silence ? Qu'elle ne l'avait pas rappelé depuis ? Il soupira, baissant les yeux vers son assiette déjà vide.

— Justement... Là est tout le problème, répondit Alexandre.

Ah...

— Elle m'a embrassé de nouveau, puis elle n'a plus rien dit depuis. Pas un mot pendant le pique-nique, pas un message, pas un appel. Rien. Depuis trois jours.

Romain grimaça, l'air désolé.

— Elle a sûrement besoin de temps, suggéra-t-il. Mais c'est déjà bon signe qu'elle ne t'ait pas repoussé. Elle t'a quand même embrassé elle aussi !

Alexandre haussa les épaules, l'air las.

— Je lui ai envoyé un message ce matin, mais elle ne m'a toujours pas répondu.

— Tu veux que je te dise ? répondit Romain. Imany est actuellement en train de se poser des milliers de questions, comme toi, mais je pense qu'elle a surtout besoin de temps. Elle peut se braquer très facilement, alors laisse la. Elle viendra naturellement vers toi au moment venu...

Les paroles de l'adolescent le réconfortèrent profondément. Il esquissa un large sourire, sous le regard tendre de Romain qui finissait son repas.

— Je te conseille alors que je n'ai moi-même jamais été amoureux... murmura-t-il, l'air à la fois amusé et abattu.

— Ça ne veut pas dire que tu ne peux pas me conseiller, répliqua Alexandre. Au contraire, tes paroles me réconfortent, sincèrement. Ces trois derniers jours ont été un véritable enfer. Je suis très content d'être ici, et de pouvoir t'en parler.

— Même si je t'ai forcé à cracher le morceau ? demanda Romain timidement.

Alexandre haussa les sourcils, affichant un air amusé.

— Crois-moi, si je n'avais pas voulu cracher le morceau, je ne l'aurais pas craché. J'ai été entraîné pour, fit remarquer le caporal.

Romain rit alors, tapant sur la table.

— Alexandre un, Romain zéro, dit-il.

Le brun termina son verre d'eau d'une traite, marquant une pause.

— Plus sincèrement, je pense vraiment qu'elle a besoin de temps. Ça a l'air très difficile pour elle de s'ouvrir, et si elle l'a fait avec toi, elle a besoin d'y réfléchir. Regarde, je suis sûre que tu sais pourquoi elle a été amputée, et où.

Le caporal acquiesça d'un signe de tête.

— Elle te fait confiance, Alex. Mais pour ça, elle a besoin de temps pour accepter cette évolution soudaine. Ça a dû être tellement difficile pour elle de faire ça.

Il avait raison. Imany était une jeune femme qui avait énormément souffert, et goûter soudainement au bonheur devait totalement chambouler les émotions auxquelles elle s'était habituée ces derniers mois.

— Imany a beaucoup souffert dans sa vie, répondit-il.

Romain grimaça de nouveau, tendant sa main qu'il posa sur l'épaule d'Alexandre.

— Elle reviendra, il faut simplement que tu l'attendes.

Je l'attendrai, pensa-t-il.

Mais il resta muet, la main droite tremblant sous les nombreuses émotions. Il plongea son regard dans celui de l'adolescent, lui adressant un sourire qui ressemblait plutôt à une grimace.

— J'ai peur, commença Romain. Avec Emma.

Le caporal fronça les sourcils, ne s'attendant pas à ce changement de sujet. Il écarquilla les yeux, regardant autour de lui.

— Elles sont parties, reprit le jeune homme. Il y avait ses amies.

Le brun fit mine de comprendre, hochant la tête silencieusement.

— De quoi as-tu peur ? demanda-t-il alors, perplexe.

— D'être moi, avoua l'adolescent.

Alexandre attendait patiemment la suite, silencieusement. En face de lui, le brun était hésitant, se mordillant la lèvre inférieure nerveusement.

— Tu sais, par rapport à ce qu'il m'est arrivé...

— En quoi cela pourrait-il changer quelque chose ? le questionna le caporal.

— Je suis... différent.

Le brun secoua la tête, dessinant un sourire amusé sur ses fines lèvres.

— Romain, tu es un garçon incroyable, pourquoi prêterait-elle attention à un détail aussi insignifiant ?

— Pour moi, c'est un gros détail.

— Pour toi, répéta Alexandre. Pour elle, ça ne changera rien à la personne que tu es. Bien au contraire.

L'adolescent le questionna du regard.

— C'est une épreuve que la vie t'a forcé à vivre, une épreuve que tu as combattue avec beaucoup de sagesse.

— J'ai du mal à comprendre où tu veux en venir... avoua le lycéen.

— La dernière fois, au parc, nous discutions tous les deux du fait que tu étais différent des autres, tu te souviens ?

Il acquiesça de la tête.

— Rappelle-toi, nous disions que tu étais plus mature que tous les autres élèves de ton lycée, que tu avais grandi, que tu avais changé. Tu es un garçon avec beaucoup de vie en toi, et je pense que tu sous-estimes à quel point tu peux apporter du bien dans la vie des autres.

Romain sourit timidement. La discussion qu'ils échangeaient ensemble le touchait profondément, à en voir ses joues rougir. Alexandre marqua une pause, avant de reprendre :

— Tu es un garçon extraordinaire qui donne goût à la vie, assura le caporal. Je ne vois pas en quoi ce serait différent avec elle.

— Et si elle avait peur, elle aussi ? Peut-être qu'elle me voit comme une victime, comme un garçon facilement froissable...

Eh, Romain ! le coupa Alexandre. Arrête de te monter des films.

L'adolescent se tut, baissant les yeux vers ses doigts qu'il entrelaçait avec nervosité.

— Elle te verra tel que tu es, comme un jeune-homme fort et mature qui rayonne et aime la vie.

Un court silence les sépara, durant lequel le caporal rassembla la vaisselle sales sur le petit plateau au centre de la table.

— Merci, finit par dire Romain.

— Merci à toi, répondit Alexandre. Maintenant, fonce. Ne te pose plus de questions.

Le lycéen se redressa, jetant un coup d'œil à l'horloge derrière lui. Il était bientôt l'heure pour lui de partir.

— Et si on faisait une réunion avec le club cette semaine ?

— Je suis là tout le temps, accepta Alexandre. Je te laisse organiser ça, vous êtes les bienvenus chez moi...

— T'es le meilleur ! s'exclama Romain en partant.



-ˋˏ Merci d'avoir lu ce chapitre ! ˎˊ-


Hello ! ☀️ J'ai beaucoup apprécié écrire ce petit chapitre où Romain s'ouvre un peu à Alexandre... Il est si mignooon notre Romain 👀

Alors, que devrait-il faire selon vous ? Foncer ? 😏

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top