17. Des roses, de la rosette et du sirop de menthe
« La richesse de la rose, c'est sa fragilité. »
Roland Delisle
Alexandre observait Imany, le cœur prêt à exploser dans sa poitrine. La jeune femme, en train de vider son sac au milieu de la roseraie, préparait le pique-nique. Le temps était parfait pour une telle activité, le soleil réchauffant la peau du brun qui souriait bêtement. Aujourd'hui, elle avait opté pour un beau foulard orange, attaché à l'aide d'un joli nœud au-dessus de son front. Elle portait une chemise assortie, et un jean ample. Par moment, elle relevait la tête dans sa direction, rougissant aussitôt que leurs regards se croisaient. Avait-elle le cœur qui battait aussi vite ? À leur réveil, ils ne s'étaient pratiquement pas adressé la parole. Imany s'était rendue dans la salle de bain, laissant Alexandre au milieu du salon, toujours dévisagé par Nyota.
— Tu veux un peu de sirop ? proposa Imany en lui montrant la bouteille en plastique où se trouvait un liquide verdâtre.
Il accepta d'un signe de tête, lui adressant un sourire poli. Installés au cœur de la roseraie de Parc de la tête d'or, Alexandre et Imany s'apprêtait à pique-niquer. La jeune femme déballait les sandwichs triangle à la rosette lyonnaise, tendant une portion au brun qui la remercia. La jeune femme se posa sur un petit muret de briques claires, au bord de la fontaine, en face du brun qui pris une première bouchée du sandwich.
— C'était une très bonne idée, cette sortie, dit-il alors. Il fait beau, et il n'y a personne en plein milieu de semaine.
Le Parc de la tête d'or, lieu très fréquenté par les touristes et lyonnais habituellement, était effectivement vide en ce midi d'avril. Seuls quelques retraités passaient par là.
— La roseraie n'est pas non plus la partie la plus fréquentée du parc, fit remarquer Imany.
Alexandre hocha la tête. Sur ce point-là, elle n'avait pas tort.
— C'est mon lieu préféré du parc, annonça-t-il.
— À moi aussi, répondit-elle. Il est à la fois calme et si beau.
Ils restèrent silencieux un instant, avant qu'Alexandre le brise le silence qui les séparait :
— Comment te sens-tu, aujourd'hui ?
Imany hésita un instant avant de répondre, réfléchissant sûrement à son état actuel.
— Je me sens mieux qu'hier, dit-elle avec certitude. Mais ce n'est pas encore la grande forme.
Il grimaça, désolé. La jeune femme paraissait pourtant aller mieux, était plus souriante, bien que parfois abattue.
— Ça me fait du bien de sortir et d'oublier un peu tout ça, reprit-elle. Et de dormir, surtout !
Ils rirent en chœur. Sur ce point-là, Alexandre la comprenait que trop bien. Ces deux dernières nuits avaient été d'un repos réparateur pour le caporal. Cela faisait des mois qu'il n'avait pas aussi bien dormi.
— Et toi ? demanda-t-elle alors.
— Pareil, dit-il simplement. Je dors très bien.
Une nouvelle pause dans la discussion, où il en profita pour terminer le sandwich qui commençait à se réchauffer. Imany l'imita, prenant une gorgée du sirop à la menthe dans son verre en plastique.
— Je peux te poser une question ? sortit-elle du silence.
— Tu viens de le faire, la taquina-t-il.
Elle dessina une grimace sur son visage, le faisait rire.
— Oui, bien-sûr, dit-il plus sérieux.
Elle marqua une petite pause, entrelaçant nerveusement ses doigts. Il posa une main délicate, tentant de la calmer. Elle sourit timidement.
— Est-ce qu'il t'arrive de faire des cauchemars de ton accident ? osa-t-elle demander. Enfin, je veux dire... De le revivre ?
Alexandre fronça les sourcils, ne comprenant pas pourquoi la jeune femme se posait soudainement une telle question. Ne venait-elle pas de dire qu'elle dormait mieux ? Il afficha un air perplexe sur son visage, mais répondit tout de même à sa question :
— Souvent. Quand je me suis réveillé de mon coma, je crois avoir cauchemardé de mon accident à peu près toutes les nuits pendant des mois. C'était presque impossible de dormir plus d'une heure, j'étais automatiquement réveillé en sueur, avec d'horribles images en tête qui m'empêchaient de dormir.
Imany le contemplait de ses grands yeux noisette, buvant la moindre de ses paroles. Elle avait encore besoin d'être rassurée, le brun pouvait le sentir.
— Mais je crois que c'est normal. Il paraît que quand on vit un événement traumatisant, il faut des années pour revenir à la normale.
Si on y revient, se dit-il.
Il se tut cependant, en voulant inquiéter la jeune femme plus qu'elle ne le semblait déjà. Alexandre attrapa un nouveau sandwich dans le petit emballage en plastique posé sur le muret.
— Depuis mes opérations, j'ai souvent cauchemardé du moment où j'apprenais que j'avais un cancer du sein, reprit-elle courageusement. Enfin... J'ai plus l'impression que ce soit un souvenir plutôt qu'un cauchemar. C'est tellement...
— Identique à la réalité, la coupa-t-il. Je sais...
Il grimaça, lui tendant tout de même la main.
— C'est même pire que la réalité, pire que les souvenirs, dit-il. Tout y est amplifié.
Elle le questionna du regard, terminant à son tour la dernière bouchée du sandwich qu'il lui restait. Alexandre prit une grande inspiration, contractant la mâchoire quelques secondes.
— Au fond, on sait ce qu'il va se passer. Mais on y est prisonnier. On tente d'échapper tant bien que mal au destin, mais il finit toujours par nous rattraper. Le nombre de fois où j'ai essayé de ne pas marcher sur cette bombe artisanale...
Sa voix se brisa, tandis que son cœur se serrait douloureusement dans sa poitrine.
— Je me souviens exactement de l'endroit où elle était, pourtant, je finis toujours par la prendre. Dans le cauchemar, la souffrance est inévitable. On subit, en boucle, à en perdre la tête. La réalité, on ne la vit qu'une fois, et un souvenir peut rapidement être remplacé par un autre. Mais un cauchemar est une véritable torture.
Elle hocha la tête, validant ce qu'il était en train de dire. La gorge d'Alexandre se noua, alors qu'il tentait d'avaler sa salive, en vain.
— C'est comme être forcé de regarder un film d'horreur, en boucle. On est spectateur, et on n'a pas le choix de l'être...
— Comment as-tu fait pour ne plus cauchemarder de ton accident ? demanda-t-elle tout bas.
Alexandre sourit désespérément, tentant de contenir les larmes qui commençaient à lui monter aux yeux. Ses yeux pétillaient de tristesse tant les maux étaient puissants.
— Je suppose que ça vient tout seul, au fur et à mesure, répondit-il dans un murmure qui se perdit dans le vent.
Il marqua une pause, prenant une gorgée du sirop vert qui remplissait son gobelet.
— Le plus dur, c'est que ce cauchemar a été remplacé par un autre bien plus horrible.
Imany grimaça, désolée. Le brun, à côté d'elle, prit une grande inspiration, puis afficha son plus grand sourire.
— Mais ces deux derniers jours, je n'ai pas refait de cauchemars. Rien. J'ai dormi, simplement.
— Moi aussi, assura-t-elle. C'est pour ça que je crains d'être seule, désormais. J'ai goûté au repos, et ça faisait si longtemps que je n'y avais pas eu le droit...
— Je comprends, dit-il.
Un court silence les sépara, durant lequel ils ne se lâchèrent pas des yeux. Alexandre pouvait lire l'espoir dans ceux d'Imany. Arrivait-elle à lire en lui tout aussi bien ? Que lisait-elle ? Savait-elle à quel point il était en train de s'accrocher à elle ? Plus les minutes en sa compagnie passaient, plus le caporal sentait son cœur s'affoler. Bientôt, il agoniserait sous les émotions que lui faisait ressentir la jeune femme.
— Comment reprendre confiance en soi quand ce qui nous a le plus détruit ressurgit chaque nuit ? osa-t-elle demander, sortant du silence.
Alexandre plongea son regard dans le sien.
— En le combattant.
Imany baissa les yeux, fixant son sandwich. La jeune femme se posait les bonnes questions, et là était déjà le chemin de la guérison. Alexandre le savait, parce qu'il était sur la même voie qu'elle. Des milliers de questionnements lui avaient traversé l'esprit, des heures durant lesquelles il refaisait le monde à sa façon. Et s'il avait ces réponses, c'était uniquement parce qu'il avait essayé, qu'il était tombé, et qu'il avait recommencé. Le caporal avait persévéré, combattant comme il le pouvait ses démons. Autrefois, son défouloir aurait été le sport, mais maintenant qu'il était invalide, il devait se raccrocher à autre chose. Elle était sa raison de combattre, son espoir de s'en sortir. Imany était l'ange annoncé par la bonne-sœur de Fourvière ce jour froid d'hiver, le bonheur venu toquer à sa porte. S'en rendait-elle seulement compte ?
— Comment fais-tu pour combattre tes démons ? le questionna-t-elle.
Les yeux noisette de la jeune femme étaient plongés de nouveau dans les siens, alors qu'Alexandre dévorait ses lèvres. Elle sourit timidement. Pouvait-il le lui dire ? D'ailleurs, comment pouvait-il lui dire ? Ne l'effrayerait-il pas ?
— Alexandre ? demanda-t-elle de nouveau, se penchant devant lui en fronçant les sourcils.
Elle attendait une réponse, alors que le cœur du caporal s'emballait à chamade. Il prit une grande inspiration, tentant de calmer les milliards de papillons qui faisaient vibrer tout son être. Mais rien n'y faisait ; ses mains moites tremblaient sous la pression et l'émotion, tandis que son cœur accélérait encore un peu plus le rythme. Imany posa sa main sur la sienne, le reconnectant à la réalité. Elle n'était qu'à quelques centimètres de lui, l'air inquiète.
— Tout va bien ? s'inquiéta-t-elle. Je suis désolée de te poser autant de question...
Il lui adressa un sourire doux, glissant ses doigts entre ceux de la jeune femme. Elle fronça les sourcils tandis que ses joues s'empourpraient.
— Qu'y a-t-il ? demanda-t-elle de nouveau.
Imany pensait sûrement qu'Alexandre était en train de faire une crise, comme celle devant le Gentle Cat. Mais elle était bien loin du compte. Toujours muet, complètement paralysé par ses sentiments, il se contentait de la contempler de ses yeux doux. Comment pouvait-il le lui faire comprendre ? Son esprit bouillonnait sous la pression de son cœur prêt à exploser. Ce qu'il y avait, il ne pouvait l'exprimer. Il combattait ses démons à ses côtés, les chassant dans l'oubli, loin de lui. Mais surtout, ses sentiments pour elle faisait le ménage en lui. Il prit une nouvelle inspiration, puis lâcha sa main. Il poussa les roues de son fauteuil, s'approcha d'elle, puis attrapa son visage. Alors que la jeune femme écarquillait les yeux, Alexandre se pencha en sa direction, déposant un délicat baiser sur ses lèvres pulpeuses. Ce moment, il se l'était répété de nombreuses fois ces derniers jours. Il en avait rêvé, aussi. Et voilà qu'il l'embrassait pour de bon, lui déclarant officiellement le fond de sa pensée et la nature de ses sentiments. Elle ne le repoussa pas, fermant à son tour les yeux, se laissant porter par le flot d'émotions qui parcourait son être au même moment que leurs lèvres étaient liées. Quand ils se séparèrent, le brun dessina un sourire timide sur son visage alors que Imany rougissait de plus belle, entrelaçant ses doigts nerveusement.
— Qu'est-ce que... qu'est-ce que ça veut dire ? osa-t-elle à peine demander.
Alexandre ne lâchait toujours pas son visage, caressant la douce peau matte de la jeune femme.
— Tu m'as donné la force de me battre au quotidien, dit-il. Notre rencontre a été un miracle, pour moi.
Une larme perla le long de la joue d'Imany, faisant froncer les sourcils à Alexandre.
— Je n'aurais pas dû, excuse-moi... murmura-t-il d'un ton coupable. J'aurais dû te demander avant de...
— Je me sentais si seule avant de te rencontrer, le coupa-t-elle en sanglotant. J'avais l'impression que la maladie me faisait m'attacher à la moindre belle chose de ma vie... Je...
Elle se tut, sous le regard surpris du brun qui essuya ses larmes d'un geste doux.
— Je te l'ai dit, tu ne seras plus jamais seule... chuchota-t-il.
Elle redressa la tête, puis s'approcha de lui à son tour, déposant un rapide et doux baiser. Puis elle baissa les yeux timidement, terminant son verre de sirop de menthe. Alexandre se pencha pour venir lui embrasser le front.
Je crois que je suis en train de tomber amoureux, Imany Moyo...
-ˋˏ Merci d'avoir lu ce chapitre ! ˎˊ-
Hello ! ☀️ Enfin THE chapitre ! J'avais tellement hâte de vous le dévoiler 🥺
Alors, qu'en avez-vous pensé ? Que va-t-il se passer ensuite ? Pensez-vous qu'Imany se laissera tomber dans les bras d'Alexandre si rapidement ? 🤔
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