16. Nouveau jour

« Même sans espoir, la lutte est encore un espoir. »
Romain Rolland.


          Quand Alexandre ouvrit les yeux, Imany se trouvait toujours contre lui, recroquevillée comme dans une bulle fragile. Ses yeux secs étaient encore douloureux de la veille, et la lumière qui passait à travers les volets l'éblouissaient désagréablement. Il grogna, s'étirant le dos. Au même moment, la jeune femme à ses côtés se tournait dans le lit, se réveillant doucement. Quand elle eut les yeux totalement ouverts, elle les écarquilla de surprise et rougit timidement.

— Excuse-moi, je me suis endormie...

— Moi aussi, dit-il simplement.

Elle poussa un court soupire, comme soulagée de l'apprendre. Elle tourna la tête gênée, déboussolée par les dernières heures qu'elle venait de vivre. Imany n'était pas totalement guérie, il lui faudrait du temps, mais un exercice comme celui de la veille ne laissait pas intact. Hier, elle avait fait un grand pas en avant, et aujourd'hui était un nouveau jour.

— Par rapport à hier... commença-t-elle.

— On a dit quoi ? la coupa-t-il. On n'en reparle pas.

Elle sourit, rassurée de l'entendre. Elle semblait calme et reposée, bien qu'un peu secouée par ses émotions. À l'intérieur d'elle, tout devait encore bouillir, comme dans une cocotte-minute prête à exploser. Mais elle n'avait plus rien à faire sortir, désormais. Imany allait seulement devoir s'y faire, s'habituer à ces émotions qui vivaient en elle.

— Tu veux manger quelque chose ? proposa-t-il en se redressant difficilement.

Hum... Avec plaisir, accepta-t-elle poliment.

Il se pencha vers son fauteuil quand elle accouru de l'autre côté du lit.

— Je veux t'aider, dit-elle.

— Ce n'est pas la peine, refusa-t-il, trop gêné.

Elle s'interposa entre lui et son fauteuil, lui attrapant l'épaule.

— J'insiste, reprit-elle. Comment puis-je t'aider ?

Elle lui adressa un sourire, tandis qu'il hésita quelques secondes. Il finit par accepter que la jeune femme le soutienne pendant qu'il s'installait dans son fauteuil. L'exercice fut effectivement plus facile accompagné. Une fois qu'il eut remercié la jeune fille, celle-ci lui proposa d'ouvrir les volets de la chambre pour aérer la pièce ; les occasions comme celle-ci étaient rares, alors il accepta. Ça ne ferait pas de mal à la pièce où l'odeur avait du mal à sortir.

— Il y a de la confiture au frigo, dit-il. Et du pain de mie dans le placard, si tu veux.

Elle accepta.

— Où manges-tu, d'habitude ? demanda-t-elle.

— Sur mes genoux, la table est trop haute pour moi, avoua-t-il difficilement.

Alexandre était peu à l'aise, mais il savait qu'elle connaissait ses faiblesses, et lui en cacher ferait de lui un véritable imbécile après le moment passé la veille.

— Pourquoi pas sur la table basse du salon ? dit-elle.

— J'avoue que j'avais la flemme de transporter la nourriture jusque là-bas, surtout que l'évier et l'éponge son inatteignable pour moi.

Elle grimaça, lui adressant un sourire gêné.

— Mais je suis là ! s'exclama-t-elle presque joyeuse.

Si Alexandre ne connaissait pas le chaos qui rongeait la jeune femme, il aurait presque pu croire aux sourires forcés qu'elle lui adressait depuis le réveil.

— Calme-toi, dit-il en posant sa main sur la sienne.

Elle poussa un soupire, relâchant ses épaules comme se libérant d'un poids invisible.

— J'ai l'air stressée, c'est ça ?

— Ce n'est pas qu'un air, Imany.

— Excuse-moi... murmura-t-elle.

Il secoua la tête, amusé.

— Ce n'est pas pour moi que je dis ça, mais plutôt pour toi. Tu viens à peine de te lever, prends le temps...

Elle s'appuya sur le plan de travail quelques minutes, silencieuse. Alexandre s'occupa de remplir un plateau, posant la confiture sur celui-ci, ainsi que des assiettes et le sachet de pain de mie complet.

— Ça faisait des mois que je n'avais pas aussi bien dormi, annonça-t-elle timidement.

Il se retourna, lui adressant un sourire sincère.

— Moi aussi, répondit-il. Si longtemps...

Elle détourna le regard, attrapant le plateau pour l'emporter sur la petite table basse du salon.

— Tu veux un verre de jus d'orange, cria-t-il depuis la cuisine.

Imany accepta, venant chercher les verres pour permettre à Alexandre d'avancer jusqu'au salon. Elle s'installa sur le canapé, tandis qu'il se mettait dans l'angle de la petite table, attrapant un bout de pain qu'il s'empressa de recouvrir de confiture. Après tout, lui aussi avait un petit creux. S'étant endormis directement après leur discussion la veille, ils avaient sauté le repas du soir.

— Merci, reprit Imany.

Alexandre, qui prenait une bouchée de sa tartine, se contenta de plonger son regard dans le sien.

— J'espère que je m'en sortirai, avoua-t-elle. Je l'espère sincèrement.

— J'en suis sûr, dit-il simplement.

Un court silence les sépara, tandis qu'elle déjeunait à son tour. Ils se jetèrent des coups d'œil timides de temps à autre, mangeant le reste du temps. Quand ils eurent fini, Alexandre reprit la parole :

— Ça fait du bien, de ne pas être seul.

Elle rougit aussitôt, se mordillant la lèvre nerveusement.

— Merci d'être venue.

Elle ne répondit pas, plongeant son regard dans le verre de jus d'orange qu'elle vida en une fraction de secondes.

— Alexandre ? l'appela-t-elle.

Il la questionna du regard, lui jetant un petit coup d'œil.

— Je suis heureuse de t'avoir rencontré.

Le brun haussa les sourcils, tandis que son cœur s'emballait de nouveau. Jamais Imany n'avait avoué quelque chose d'aussi personnel depuis leur rencontre, et cet aveu provoqua en lui de nombreuses émotions toutes aussi douces les unes que les autres.

— Moi aussi, finit-il par répondre. Très heureux.

Il ne la lâchait pas du regard, attendant qu'elle continue à exposer le fond de ses pensées. Au fond, Alexandre aurait aimé ajouter quelque chose, mais étaient-ils sur la même longueur d'ondes ? Comprendrait-elle ce qu'il avait à lui dire ?

— J'ai peur de me retrouver seule. J'ai l'impression que je n'y arriverais pas.

Il sourit simplement.

— Tu n'auras qu'à m'appeler, répondit-il. Quand tu auras besoin de moi, je serai là.

Ils avaient tellement d'aisance à s'ouvrir l'un à l'autre, ce qu'ils partageaient aujourd'hui était bien loin des premiers jours qui avaient suivi leur rencontre chez Romain.

— Et si j'ai toujours besoin ? questionna-t-elle.

Le pouls du brun s'emballa davantage, alors que tout son corps était parcouru d'une vague de chaleur intense.

— Alors je serai toujours là, dit-il en ne la lâchant pas des yeux.

— Rentre avec moi, s'il te plaît, finit-elle par demander.

Un large sourire se dessina sur les lèvres d'Alexandre, qui accepta aussitôt d'un signe de tête. Des milliers de papillons battaient dans son ventre, tandis que son cœur vibrait à mille à l'heure pour la première fois de sa vie.

— Avec plaisir, dit-il. Mais il va falloir que tu fasses quelque chose avant...

Elle fronça les sourcils, le questionnant du regard.

— Il faut que tu rassures les autres, ils étaient inquiets hier.

Elle acquiesça.

— Je n'y manquerai pas.

Il aurait aimé lui demander si elle était sûre qu'elle voulait l'emmener avec elle, mais revenir sur sa question ne lui donnerait-il pas envie de renoncer ? Imany s'ouvrait encore difficilement à lui, et cette discussion était signe qu'elle lui faisait confiance, et que la veille l'avait profondément touchée. Au fond, lui non plus n'avait pas si envie que ça de se retrouver seul. Il avait pris goût à sa compagnie, bien que des centaines d'émotions parcouraient son être en quelque secondes à chaque fois qu'il était en sa présence.

— Veux-tu que l'on fasse quelque chose aujourd'hui ? demanda Alexandre.

Imany hésita un instant, comme perdue dans ses pensées.

— Je pense me reposer aujourd'hui... Mais demain, on pourrait peut-être aller pique-niquer au Parc de la tête d'or ?

Le Parc de la tête d'or était un parc situé dans le sixième arrondissement de Lyon. Son nom lui venait d'une célèbre légende selon laquelle une tête en or aurait été cachée au sein du parc. Beaucoup de rumeur situait cet objet dans le grand lac, à l'entrée Ouest, mais jamais personne n'avait trouvé le trésor caché de Lyon. Ce parc, immense, abritait une partie Zoo, et une autre avec des serres et jardins. Alexandre aimait y aller plus jeune, avec sa mère.

— Avec plaisir, dit-il.

Elle sourit, heureuse.

— Super, ajouta-t-elle simplement.

Alexandre suivait Imany dans les rues lyonnaises, en quête de son domicile. La jeune femme vivait, tout comme Romain, dans le cinquième arrondissement de Lyon, à une quinzaine de minutes du Lycée Saint Just en transports en commun. Cependant, il avait proposé s'y rendre en extérieur, pour profiter du soleil, mais surtout pour éviter une nouvelle crise dans un lieu public. Les bus lyonnais étaient très bruyants, et le moindre cri pouvait le faire replonger. Malgré sa volonté de combattre ses démons, le caporal, encore instable de la veille, avait jugé préférable d'éviter une crise aujourd'hui. Devant lui, Imany marchait timidement, peu à l'aise à l'idée de ne pas avoir caché son crâne nu. Par moment, elle se retournait pour veiller à ne pas trop devancer le brun, dont le rythme était bien moins rapide que le sien. En fauteuil, certains passages des trottoirs pouvaient être plus difficiles à traverser que d'autres, même s'il ne l'avouait pas. Mais ça, elle le savait, parce qu'elle le comprenait mieux que personne.

— Mon ami Paul ne doit pas être très loin de chez toi, dit-il, brisant le silence.

Imany se retourna, lui jetant un coup d'œil interrogateur.

— Il est à l'hôpital pour amputés, ajouta-t-il.

Oh, répondit-elle simplement, faisant mine de voir de quoi il parlait.

Elle tourna dans une ruelle, et il accéléra sa course pour ne pas la perdre de vue. Imany semblait nerveuse, peut-être stressée. Regrettait-elle son choix de l'emmener avec lui ? Voulait-elle finalement se retrouver seule ? Il n'osa pas poser la question, de peur de la froisser.

— Nous ne sommes plus très loin, finit-elle par dire.

Il se contenta de sourire, continuant sa course désespérée. Ses mains, après la vingtaine de minutes passées à faire avancer son fauteuil, le brûlait atrocement. Les muscles de ses bras, fébriles, commençaient à trembler de tétanie. Il grimaça, ne s'arrêtant pas pour autant ; car il était comme ça. Alexandre ne lâcherait pas tant que l'objectif ne serait pas atteint, quitte à en faire saigner la paume de ses mains.

— Nous y voilà, annonça-t-elle.

Ils s'arrêtèrent devant un petit portillon au pied d'un vieil immeuble d'une dizaine d'étages. Imany chercha quelques secondes ses clés dans son sac, puis parvint finalement à pénétrer dans la résidence.

— Je vais t'aider à monter la pente, dit-elle gentiment.

Il ne refusa pas, laissant tomber ses mains rougies par le trajet sur ses jambes. Elle fit le tour de son fauteuil, le poussant jusqu'à l'entrée de l'allée. Là, elle ouvrit la porte, puis l'entraîna dans un minuscule ascenseur. C'était à peine s'ils pouvaient monter à deux à l'intérieur.

— À quel étage habites-tu ?

— Sixième, répondit-elle.

Il appuya sur le bouton. Le silence fut de marbre, et pourtant, c'était comme s'il entendait la tension qui paralysait Imany. Son souffle était bruyant et rapide, saccadé comme la veille.

— Sixième étage, annonça la voix robotique de l'ascenseur, brisant le lourd silence.

La jeune femme l'aida à sortir des lieux, puis il la suivit dans le petit couloir aux nombreuses portes. Elle se stoppa devant une porte où un épais paillasson représentait un chat noir. Il sourit.

— Je n'ai pas fait le ménage... Je ne pensais pas inviter quelqu'un...

— Tout le monde dit ça, et pourtant, les maisons sont finalement très bien rangées, dit-il, amusé.

Elle haussa simplement les épaules, détournant le regard. Quand elle ouvrit la porte, des miaulements se firent aussitôt entendre. Un large sourire se dessina sur les lèvres d'Imany, laquelle se pencha pour attraper un chat svelte et noir. Il fronça les sourcils.

— C'est le même chat que sur ton paillasson ? demanda-t-il.

— Je l'ai fait personnaliser, dit-elle. Je te présente Nyota.

La fameuse, pensa Alexandre, se rappelant qu'Imany en avait parlé lors d'un des premiers rendez-vous du club.

Il pénétra dans les lieux, s'engouffrant directement dans la cuisine qui faisait aussi visiblement office de salon. Une fois arrivé proche de la jeune femme, qui portait toujours la féline dans ses bras, il tandis sa main gauche pour tenter de la caresser. Nyota, visiblement aussi timide que sa maîtresse, recula pour éviter tout contact avec l'inconnu.

— Elle est très peureuse, ajouta la jeune femme. Elle ne voit jamais personne à part moi, ici.

Alexandre fit mine de comprendre.

— Tu veux un verre d'eau ? proposa-t-elle, reposant Nyota au sol.

— Volontiers, accepta poliment le brun.

Il la suivit jusqu'à l'évier, examinant les lieux qui l'entouraient. Comme il l'avait prédit, l'appartement d'Imany était très bien rangé ; aucun vêtement ne traînait au sol, aucune poussière ne volait, sans compter les quelques boules de poils noirs sur le fauteuil à côté duquel il passa. La chatte, au loin, le dévisageait d'une façon qui l'amusait ; il lui adressa un sourire, mais l'effaça aussitôt, se rendant compte qu'il devait avoir l'air d'un imbécile. L'espace salon était composé d'une petite table basse en bois clair, entourée de deux fauteuils blancs et d'un petit canapé deux places gris foncé. Un tapis aux couleurs vives recouvrait le vieux parquet, apportant une belle touche à la décoration ternes. Les murs, d'un gris taupe, étaient totalement vierge. Aucun tableau, aucune photo, rien. Il dirigea son regard vers la cuisine, dans des teintes beaucoup plus sombres, où un petit plan de travail recouvrait un lave-vaisselle et un mini-frigo.

Comment arrive-t-elle à faire rentrer plus de trois yaourts dans ce petit truc ? pensa Alexandre, surpris.

— Bienvenue chez moi, dit-elle timidement.

Il se retourna pour croiser son regard, lui adressant un large sourire.

— Je suis content d'être ici, avec toi.

Imany se mit à rougir, enfouissant son regard dans le verre d'eau qu'elle vida d'une traite.

— Je suis rassurée de ne pas être seule, finit-elle par répondre. Je craignais de replonger.

Il se contenta d'hocher la tête, signe qu'il la comprenait. Ses nuits les plus sombres avaient été celles passées seul à l'hôpital, après s'être ouvert au psychologue qui le suivait sur ses premiers mois de rééducation.

— Ça me fait plaisir de passer du temps ici, je suis touché que tu me présentes Nyota.

Il dirigea son regard amusé vers la chatte qui faisait sa toilette sur le fauteuil qui semblait être son favori à en témoigner les nombreux poils qui le recouvraient.

— Peut-être qu'un jour elle viendra vers toi, dit Imany. Mais pour ça, il va falloir que tu viennes souvent...

— Serait-ce une invitation ? s'étonna Alexandre.

Son cœur se remettait à battre rapidement. En quelques secondes, la jeune femme arrivait à le rendre complètement fou.

— Peut-être, avoua-t-elle en détournant le regard.

Elle était nerveuse, Alexandre le voyait à son sourire en coin, qu'elle effaçait par moment pour mordiller sa lèvre inférieure.

— Ça me va, ajouta-t-il en souriant.

Imany se contenta de caresser la tête de Nyota, un sourire en coin.

Le reste de la journée passa rapidement ; ils s'installèrent sur le canapé, enchaînant les téléfilms bidons qui passaient à la télévision, se moquant du jeu d'acteur de certains personnages, donnant tout de même une chance aux scénarios tous plus farfelus les uns que les autres. Finalement, Imany finit par poser sa tête sur l'épaule d'Alexandre, et s'endormit. Il l'avait observée plusieurs minutes, avant de lui aussi s'autoriser à fermer les yeux le temps de quelques secondes, sous les yeux insistant de Nyota qui la fusillait du regard.


-ˋˏ Merci d'avoir lu ce chapitre ! ˎˊ-


Hello ! ☀️
Suite au chapitre précédent, la relation entre Imany et Alexandre évolue un peu...

Alors, pensez-vous qu'ils vont s'ouvrir bientôt l'un à l'autre ? Imany fera-t-elle le premier pas ? 🥰

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