84 - Fin de chantier

....!!!

Vous ne rêvez pas... si les notif' sont opé, of course.

Juste pour fêter un an de désert sur cette pauvre fic délaissée... Je ne suis pas fière... mais après avoir eu une conversation qui finissaif par "faut nourrir les auteur(e)s".... 😆bah j'ai été nourrie. Merci 

🖤🖤

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"Mais là, t'en es où ?!

- J'sais pas ! J'en suis verte !

- Mal au coeur ? Au bide ?

- Tête... c'est toi qui me files la migraine là !

Elle le fusille de ses pupilles sombres, l'air mauvais.

- Ok, ok ! 

Il lève les bras, bat en retraite, ça la fait pouffer malgré elle, au ton de ses mots répétés. Elle y entend Joe Pesci dans l'Arme Fatale. Sauf que là, c'est pas du déjà vu qu'elle doit pondre. D'ici trois jours, date de son décollage vers les Caraïbes, faut qu'elle ait écrit les premiers 20k  de cette satanée série de zombies qui ne s'assument même pas sous leur nom générique. Un draft, juste un draft de 20k... Autant boire la mer qui la sépare des Caraïbes quoi. Trop drôle pour ce genre de connerie, sortir des traits d'esprit inutiles, ça elle est balèze... Elle a décroché son doctorat pour ce genre de vannes si productives pour son vrai job... Pfff.

Combien d'années s'est elle déjà farci de cette encyclopédie du gore moderne, de cette apocalypse version XXIème siècle, à coups de sourire ultrabright et de punchlines durant les comicon pour que la ligne d'audimat ne flanche pas aux yeux d'AMC ?

Elle a lâché le décompte. C'est même pas vrai. Saison 9, 2018, bonheur professionnel, bonheur absolu, consécration. Chute depuis, dans les scores. Faut bien l'admettre. Ce décompte là, lui vrille les boyaux.

Sauf qu'Andrew, lui, ne la lâche pas, planté comme une pousse de bambou devant son grand bureau vide, dépoussiéré, habité de son seul iMac 27"  immaculé. C'est son dernier showtime, il en est conscient, il a déjà eu son entretien, et ne veut pas louper sa dernière révérence. Il a raison, il va retourner sur son île bretonne, et n'aura plus la même amplitude, le même rayon de visibilité. Au bout de huit années, plein pot, ça doit faire drôle de savoir qu'on ne reviendra pas à la prochaine rentrée, qu'on restera chez soi, sur son île ventée et humide en plein mois de mai. Invisible. Frigorifié. Britannique en somme.

Un petit grattement à la porte restée entreouverte attire leur attention, la fait tourner le regard, le fait tourner tout court. 

"On vous attend...?

Une voix minuscule, comme le gabarit, les relance gentiment, avant de disparaître, gênée par l'ambiance glaciale du bureau froid et aseptisé. Elle a du mal à respirer cet air sans saveur tout à coup. Elle ne va pas pouvoir continuer se dit elle. Pas sans lui, pas dans ces conditions.

"On arrive...

Sa voix la réchauffe comme il revient à elle.

"Ouai c'est vite dit...

Pourquoi être aussi ronchon ? Parce qu'elle pique une nouvelle fois du nez sur son écran gigantesque qui lui crache sa page blanche sur 27" dans sa magnifique diagonale, fière, prétencieuse technologie... N'empêche que c'est bien incapable d'écrire une seule ligne, la belle technologie, aussi hype soit elle ! Elle ne retient pas un autre soupir grognon.

"Fais moi mourir avec panache !

- Du sang et de la crasse... j'baigne dedans...

- De la Lumière et de la Poussière !

- C'est ça, ouai... T'as peut être olus qu'une demi saison, mais moi, j'ai encore une grosse dizaine d'épisodes d'ici ton départ en panache comme tu dis !

- Ils ne doivent pas savoir, ni même s'en douter hein. Norman le premier, Jeff aussi et je ne parle pas de...

- Sauf que j'ai que de la merdre entre les oreilles ! Et j'aime pas faire de la merde !

- T'en es capable... T'es capable de tout. Tu l'as juste oublié. 

- Ca fait trop longtemps que ça dure cette histoire... Ca pourrit sur patte, risible pour une ZA, tu me diras.

Elle ricane, amère. Encore un trait d'esprit improductif. La vérité c'est qu'elle n'a pas envie qu'il arrête. Il a soldé, il a signé, elle sait bien. Elle n'a pas sa voie au chapitre - nan mais...! - et encore moins à plaider sa cause auprès de la DRH pour le garder. Fait chier, merde.

- T'es juste fatiguée, là...

-Mouai... J'ai pas fini mon contrat moi. L'audimat aura ma peau, comme mon prédécesseur sans doute...

- M'en parle pas... Tiens, je t'invite après la post prod'...

- Tes courants d'air glacés sur plaine de bruyère en plein mois d'août, très peu pour moi, merci ! L.A. est plus clémente à mon teint...

- Comme tu voudras : on se retrouve à L.A. ! C'est mes gosses qui vont jubiler.

- Tu perds pas le nord pour un britannique...

- Aller, ils trépignent à côté, faut y aller. Lesdits enfants, Norm' et Jeff, j'veux dire, n'attendent que toi... Viens boire un coup, c'est la fin de tournage, toujours !

Elle soupire en lui lançant un regard résigné. Il a raison. Ce n'est pas maintenant qu'elle va assurer la suite. Autant profiter de ce qui est déjà bouclé. Elle se lève, tenue par une lassitude évidente. Andrew tend le bras vers elle, avec son sourire engageant. Elle se sent vieille, usée. Comme ce show ancestral.

Il ouvre la porte  pour lui laisser passage. 

Elle passe le seuil et actionne sa seule véritable arme face à la horde qui l'attend. Elle aperçoit la tête de Jeff qui, seul, surplombe tout le monde réuni dans le grand espace décoré de guirlandes de papier luisant et kitch à souhait.  Il ouvre la bouche d'un grand "Aaah !" silencieux mais ravi. Son oeil pétille comme la coupe ambrée qu'il lève pour elle. 

Pas très loin, Norman se tourne plus discrètement vers elle, son sourire plus mesuré , son visage mat éclairé de ses yeux bleus, bien plus clairs au naturel, comme ses cheveux tirant vers le blond foncé , parsemés de fils d'argent, restent longs mais luisants de santé. Alinéa sine qua non stipulé en gras dans son contrat. Lui est toujours plus doux et plus juvénile à cette période de l'année, la fin de tournage d'une saison qui en a encore essuyé des vertes et des pas mûres. Il hoche la tête en lui souriant davantage. Elle sait qu'il sait que tout ça, c'est grâce à elle et son travail acharné. Elle lui rend son témoignage de soutien d'un clin d'oeil rapide, offrant son sourire blanc à toute l'assemblée présente et enjouée devant elle, alors qu'elle irait bien se coucher sur-le-champ.

Si Andrew part, elle aura toujours Norm' pour soutien. Elle va devoir tout miser sur lui. Il en a la carrure, et c'est peut de le dire ! Elle n'est pas très inquiète. Faut encore lui en parler, c'est sûr mais il est prêt, elle en est convaincue. Après, va falloir assurer à lui proposer un truc qui tienne la route.  Mais il est prêt. Peut-être moins à encaisser le départ de son copain, son ami, son frère. 

Jeff a rejoint le brun qu'elle voit lui chuchoter un truc à l'oreille avant qu'il ne s'esclaffe et que Norman rit plus modérément de ses yeux tout plissés. Ils se sont trouvés ces deux là. C'était pas gagné mais la crème de l'un a pris à l'enthousiasme naturel du plus grand. Elle se formalise qu'elle les regarde comme ses propres enfants, les aime comme sa propre famille.

Tous se tournent donc vers elle, comme une horde d'affamés, avides de la suite... qu'elle n'a pas. Mais non, la horde est souriante, bienveillante et détendue. Elle ne va pas être capable d'apprécier, de profiter du moment. C'est mort. Un comble de se taper un tel coup de flippe quand on baigne depuis des lustres dans une apocalypse zombie du matin au soir.

Une petite brune, à la tête bouclée à la limite du contrôle, s'approche, tout sourire, toute belle dans sa petite robe noire seyante, le regard subtilement maquillé pour la rendre tout juste majeure. Elle sait qu'elles sont quasi de la même année, et éprouve un relent de jalousie. Mais elle, elle doit se tenir devant la caméra, autant prendre la lumière au max et suivre le scénar', pour peut qu'il soit écrit correctement. Elle soupire en prenant aimablement la coupe des petits doigts blancs généreusement tendus. Elle la soulève dans le même élan, sortant la naine de son champ de vision pour sourire de toutes ses dents à toute son équipe, à toute sa famille. Même si elle ne sait pas où elle va la mener dans cette aventure qui se délite à vue d'oeil. Elle doit faire bonne figure et ne rien laisser paraître.  A aussi c'est une partie de son job.

Il n'entend que sa voix forcée commencer son discours qu'il a l'impression d'avoir déjà entendu alors qu'il referme une dernière fois la porte derrière lui et qu'il lit encore la plaque de laiton brossé gravé d'un nom et d'une fonction. Il sursaute et se retourne au toast exclamé, par réflexe, regardant la femme aux longs cheveux noirs d'ébène qui lui tourne le dos.

"Santé !"

Puis revient à l'inscription, pour la toute dernière fois. 

Angela Kang - Show Runner

*22.02.22*
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