Vivre (ou mourir)
"Je ne vois pas pourquoi on vous a envoyés ici aujourd'hui, dit la réceptionniste.
-On nous a demandé de venir, répond papa. La secrétaire du Dr. Ryan nous a téléphoné pour nous convoquer.
-Non. Pas ici. Et pas aujourd'hui.
-Si, insiste-t-il. Ici, et aujourd'hui. "
Agacée, elle se retourne vers son ordinateur et fait défiler l'écran.
"C'est pour une ponction lombaire ?
-Non, ce n'est pas pour une ponction lombaire, grogne papa, de plus en plus exaspéré. Le Dr. Ryan tient-il une consultation aujourd'hui, au moins ? "
Je les laisse se débrouiller ensemble et vais m'asseoir dans un coin de la salle d'attente. Tous les suspects habituels sont là : dans un coin, les chauves à chapeau, branchés à leur perfusion, parlant diarrhées et nausées; un garçon cramponné à la main de sa mère, la tête couverte de nouveaux petits cheveux aussi précaires que les miens; une fille sans sourcils faisant semblant de lire un livre. Elle s'est dessiné un trait de crayon au-dessus de la courbe de ses lunettes. Elle voit que je la regarde et me sourit, mais je n'en veux pas, de son sourire. C'est une de mes règles : ne pas créer de liens avec des gens en train de mourir. Il n'y a rien de bon à en attendre. Un jour, je me suis fait une amie, ici. Elle s'appelait Angela, on s'envoyait des mails tous les jours et puis, tout à coup, plus rien. Finalement sa mère à téléphoné à mon père pour lui dire qu'Angela était morte. Morte. Comme ça, sans même me prévenir. J'ai donc décidé de ne plus l'encombrer de qui que ce soit.
J'attrape un magazine que je n'ai même pas le temps d'ouvrir. Papa me tape sur l'épaule et m'aide à me lever :
"On a gagné, dit-il.
-Quoi ?
-On avait raison, c'est elle qui avait tort, annonce-t-il en faisant un petit geste d'adieu amical à la réceptionniste. Elle ne comprend rien à rien, la pauvre femme. En fait, nous sommes bel et bien attendus dans le bureau du grand patron. On y va tout de suite. "
Le Dr. Ryan a une petite saleté sur le menton. Quelque chose de rouge, que je ne peux m'empêcher de fixer tandis que nous nous installions face à son bureau. De la sauce tomate, ou de la soupe, peut-être. Ou alors, il vient de finir une opération ? C'est peut-être de la viande crue.
"Merci d'être venus", dit-il en tapotant des doigts sur la table.
Papa avance sa chaise plus près de la mienne et appuyé son genou contre le mien. J'ai la gorge serré et résiste à la tentation de me lever et de partir. Si je n'écoute pas ce qu'il va nous annoncer, je ne le saurai pas et peut-être qu'alors ça ne se réalisera jamais.
Le Dr. Ryan, lui, n'hésite pas. Sa voix est ferme.
"Je suis désolé, Tessa, les nouvelles ne sont pas bonnes... D'après les résultats de ta dernière ponction lombaire, ton cancer aurait atteint le liquide rachidien.
-Et ce n'est pas bon, ça ? " dis-je en plaisantant. Il ne rit pas.
"C'est très mauvais, Tessa. Cela indique que les cellules leucémiques attaquent le système nerveux central. Je sais que c'est terrible pour toi d'entendre ça, malheureusement les choses évoluent plus vite que nous ne l'avions prévu.
-Quelles choses ?
-Tu as franchi une étape, Tessa", répond-il en changeant de position sur sa chaise.
Il y a une grande centre derrière son bureau, à travers laquelle j'aperçois la cime de deux arbres. Leurs branches, leurs dernières feuilles et un morceau de ciel.
"Quelle étape, exactement ?
-La seule chose que je puisse faire est de te demander comment tu te sens, Tessa. Es-tu fatigué ? As-tu plus de nausées ? As-tu mal aux jambes ?
-Un peu.
-C'est difficile de me prononcer, mais je te conseille de faire tout ce que tu souhaites faire. "
Pour confirmer son diagnostic, il sort quelques diapos qu'il nous projette comme des photos de vacances, en nous faisant remarquer des taches sombres, des lésions, des débris visqueux flottant à la dérive. On croirait qu'on a lâché dans mon corps un enfant muni d'un pinceau, d'un pot de peinture noire et de trop d'enthousiasme
Papa tente en vain de ne pas pleurée. De grosses larmes silencieuses s'échappent de ses yeux. Le docteur lui tend un mouchoir.
"Et qu'est-ce qu'on fait, maintenant ?
-Il se peut que Tessa réagisse bien au traitement intrathécal. Je suggérerais quatre semaines de méthotrexate et l'hydrocortisone. Si cela réussit, les symptômes s'amélioreront et on pourra poursuivre le traitement d'entretien. "
Le médecin continua à parler, papa à écouter, mais moi je n'entends plus rien.
C'est vraiment en train d'arriver. On nous avait prévenus mais personne n'avait imaginé que ce serait si rapide. Je n'irai jamais en classe. Plus jamais. Je ne serai jamais célèbre, je ne laisserai rien derrière moi digne d'intérêt. Je n'irai jamais à l'Université, je n'aurai jamais de métier. Je ne verrai pas mon petit frère grandir. Je ne voyagerai pas, je ne gagnerai pas d'argent, je ne conduirai pas, je ne tomberai pas amoureuse, je ne quitterai jamais la maison et n'aurai jamais de chez-moi à moi.
C'est vraiment, vraiment vrai.
Une pensée fulgurante me traverse comme un éclair, une sorte d'élancement qui me déchire de part en part, au point d'éliminer tout le reste. Je ne pense plus qu'à cela. Un hurlement muet m'assourdit. J'ai été malade si longtemps, avec le ventre gonflé, mal au coeur, les ongles dédoublés, les cheveux qui tombaient et cette sensation de nausée permanente qui m'envahissait jusqu'aux os. Ce n'est pas juste. Je ne veux pas mourir comme ça, pas avant d'avoir vécu. Cela me semble si évident que j'en reprends presque espoir, c'est dingue. Je veux vivre avant de mourir. C'est la seule chose à faire.
L'image de la pièce où nous nous trouvons actuellement reprend soudainement des contours nets.
Le professeur en est maintenant aux médicaments à l'essai, aux tests cliniques qui ne l'aideront probablement pas, moi, mais, peut-être plus tard, d'autres malades. Papa pleure toujours silencieusement. Je regarde par la fenêtre et me demande pourquoi la lumière semble baisser si vite. Est-il tard ? Depuis combien de temps sommes nous assis là ? Je regarde ma montre, il est trois heures et demie et déjà le jour s'achève. Nous sommes en octobre. Tous ces gamins qui viennent de rentrer en classe avec des trousses et des cartables neufs pensent déjà aux vacances de semi-trimestre. Bientôt ce sera Halloween, la nuit du feu d'artifice. Noël. Le printemps. Pâques. Et puis mon anniversaire, en mai. J'aurai dix-sept ans.
Combien de temps puis-je tenir ? Je ne sais pas. Tout ce que je sais, c'est que j'ai le choix : ou je reste blottie sous mes couvertures et je continue à mourir ou je reprends ma liste là où j'en étais et je continue de vivre.
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Voilà. Un petit imagine triste. C'est un thème qui me tenais vraiment à coeur donc voilà.
J'espère qu'il vous a plus mes petites brioches (J'AI FAIMMMMM)
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Bisous.
Helllia
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