Tout va bien.

«Tout va bien

C'est ce qu'elle se répétait lorsque l'obscurité chassait la lumière. C'est ce que ses parents lui avaient dit lorsqu'elle s'était confiée sur sa peur du noir. Elle le savait, les monstres relevaient de son imagination, on le lui avait assez répété. Alors elle chercha du réconfort sous sa couette, un refuge de tissu où elle se sentait bêtement en sécurité. Son cœur battait si fort qu'elle l'entendait lorsqu'elle essayait de capter le moindre son. Les rêves ne faisaient pas de bruit. Alors pourquoi le bois craquait et les volets grinçaient seulement la nuit ? Elle tentait de faire taire cette petite voix qui lui rappelait que, dans les ténèbres les plus complètes, elle ne pouvait pas voir si on l'observait.

«Tout va bien

Une fois, elle avait osé dire à son père que la nuit était propice à une intrusion d'inconnus chez eux. Il avait rigolé assez fort avant de lui répliquer que, de toute façon, il n'y avait rien à voler ici, qu'ils étaient bien trop modestes pour attiser la moindre convoitise. Elle avait voulu lui répondre "Et moi ?", elle était terrifiée à l'idée qu'on puisse l'enlever de sa famille. Mais elle n'en fit rien, c'était une pensée très égocentrique et elle avait déjà anticipé le rire moqueur de son paternel qui lui aurait fait plus de mal que de bien. Elle était donc restée silencieuse, elle avait souri autant qu'elle le pouvait en hochant la tête. Elle avait reçu un léger baiser sur le front et s'était retrouvée seule dans son lit face à des démons irréels, comme c'était le cas aujourd'hui.

«Tout va bien

Elle le sentait, ce regard pesant au coin de la pièce, cet être invisible qui la toisait. Elle ne connaissait pas sa forme réelle, elle ne savait même pas s'il en avait une. C'était encore plus terrible. Elle aurait préféré savoir s'il avait des dents pointues, des pupilles jaunes infernales et des griffes à la place des doigts. Là, ce n'était qu'une ombre qui se fondait au décor si sombre. Elle tremblait sous son drap, elle serra fort son petit ours contre son cœur. Il lui apportait un soutien inespéré. Elle arriva à calmer ses pulsations cardiaques pendant quelques minutes.

«Tout va bien

Elle murmurait encore cette phrase comme un sortilège. Comme si ça pouvait la protéger. Dans un élan de courage, elle jeta un œil par-dessus son bouclier de tissu et elle ne vit rien. Absolument rien ne ressortait de la pénombre. Et pourtant, son corps était paralysé, elle aurait aimé avoir la force d'allumer la lumière qui trônait au milieu de la pièce. Seulement, ça voulait dire se lever, faire du bruit, se faire repérer et être encline à se faire attraper par une main imaginaire. Bien sûr, c'était idiot. Si le monstre était là dans sa chambre, il devait bien savoir où elle se trouvait. Elle pensait naïvement qu'en restant sagement là où elle se cachait, il n'amorcerait aucun mouvement vers elle. Sans rébellion, il n'avait pas à intervenir.

«Tout va bien

Les tremblements devenaient de plus en plus forts. Elle en était maintenant sûre, il se rapprochait d'elle. C'était inattendu, elle avait pourtant bien fait attention à ce que sa respiration ne soit pas trop forte. Et elle restait figée depuis une heure, attendant patiemment que le soleil réapparaisse. C'était un nuage noir qui s'avançait silencieusement dans sa chambre, une chose impalpable mais qui incarnait le danger. Elle avala sa salive assez bruyamment, elle ne savait plus quoi faire pour que son imagination un peu trop fertile s'estompe.

«Tout va bien

C'était faux, tout n'allait pas bien. Elle se sentait terriblement mal dans ce lieu qui aurait dû être synonyme de sécurité pour elle. Il était à quelques centimètres d'elle, son visage informe derrière la couette. Si cette chose avait un corps physique, elle aurait sans doute senti son souffle. Elle plongea dans une terreur incontrôlable. Que faire ? Continuer de se terrer dans son lit en espérant qu'il finisse par se lasser ? Descendre sa maigre défense et l'affronter ? Après tout, ce n'était que son imagination, ce n'était pas réel, elle ne risquait rien. Et quand bien même ce serait sa dernière action, elle était épuisée, elle condamnait son esprit à une vigilance constante, ce n'était plus possible. Alors elle décida de réunir le peu de forces qui lui restait et baissa son draps.

«Tout va bien

Pendant quelques instants de flottement, il ne se passa rien. Tout était calme, elle souffla, tout allait bien, finalement. Ils avaient raison. Puis, dans un silence pesant, presque mortel, il se matérialisa devant elle. Il ne ressemblait pas à un démon, au contraire, il avait un visage angélique. Il lui ressemblait, non, c'était lui. Celui qui avait détruit une partie de sa vie, celui qui lui avait volé son innocence et qui avait découpé les dernières bribes de sa confiance en elle. Il la regardait en souriant. Elle pleurait de peur. Il ne bougeait pas, il se contentait d'observer l'ascendant qu'il avait sur elle. Elle resta terrifiée de longues minutes. Elle avait envie de disparaître, que sa vie s'arrête ici et maintenant, que cette angoisse qui ne la quittait jamais vraiment se dissipe enfin. Son vœu ne se réalisa pas. Dans son désespoir, il ne lui restait qu'une possibilité, l'attaquer. Elle saisit maladroitement son oreiller derrière elle et le brandit vers le monstre. Bien entendu, le coussin n'atteignit pas son but vu qu'il n'avait pas de corps physique. Mais il se dématérialisa un court instant, un moment de répit dont elle se délecta avec joie. Malheureusement, l'ombre se recentra et reprit une forme humanoïde. Cette fois-ci, c'était une petite fille qui émergeait en face d'elle. Elle connaissait ses traits. Elle faisait face à son propre corps. Sauf que cette enfant imaginaire était couverte de cicatrices et semblait dénuée d'émotion. Soudain, elle comprit ; ce qu'elle fuyait éperdument, ce n'était pas la nuit, non, c'était une partie d'elle-même. Celle qui hurlait en elle, la petite fille meurtrie qui se démenait pour survivre. Elle arrêta de se débattre et, exténuée, elle tomba en arrière en fermant ses paupières. Elle laissa son passé se confondre en elle jusqu'à ce qu'elle plonge dans l'immensité onirique.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top