6- La sphère des univers

— Je vous avais ordonné de ne pas tirer, sombre crétin ! crache Patrick.

Sophia perçoit la voix de son père dans le voile qui se lève sur ses yeux. Une douleur lui transperce l'épaule la faisant grimacer.

— Rassemblez-vous. Et, cette fois-ci, attendez que je vous lance un ordre avant de faire n'importe quoi, continue-t-il.

— Patrick, elle se réveille, annonce Leah, la voix éraillée.

L'homme se précipite vers sa fille, voyant qu'elle peine à ouvrir les yeux, la tête posée sur les genoux de la louve.

— Sophia, ma chérie, tu n'as rien ? sollicite-t-il tremblant d'inquiétude.

— Elle se remet délicatement. Son pouvoir de guérison n'est plus en sa possession, apaise la déesse.

Sophia lève la main pour effleurer la barbe naissante de son père et murmure :

— Papa ?

Patrick sourit, heureux de la voir se réveiller. Il tend sa main et effleure ses cheveux. Elle remarque que derrière lui se trouve Gabriel et aperçoit les yeux rougis de Leah au-dessus d'elle.

— Je vais t'aider à te relever, ma puce, l'invite son père, appuie-toi sur mon bras.

Elle ne se fait pas prier et se redresse péniblement grâce à l'aide de son père en ne comprenant toujours pas pourquoi sa présence est ici. Son regard balaye le bosquet en remarquant la barrière d'eau qui les sépare du reste du campement des soldats se trouvant dans le bois. Les hommes courent dans tous les sens sous l'afflux des ordres qui pleut sur eux.

Sophia se tourne et fait à présent face à Loa, déesse des eaux et des océans, qui se tient fièrement devant elle. La déesse s'approche de la jeune femme en l'observant discrètement. Elle tend son bras vers son visage et effleure délicatement sa joue tandis qu'un sourire se dessine sur ses lèvres.

— Je suis tellement heureuse de faire enfin ta connaissance, avoue Loa.

— Vous ne pouviez pas le faire avant ? interroge Sophia devant son absence sur Imaginarium.

— Malheureusement non.

La déesse se détourne et se dirige vers le chêne central. Elle pose sa main sur celui-ci en restant perdue dans ses pensées mélancoliques. Sophia se rapproche d'elle en lui indiquant qu'elle ne comprend pas, mais une douleur brutale la lance dans le bras. Elle s'arrête et l'examine en remarquant qu'elle a l'épaule couverte de bandages jusqu'au bout de ses doigts. Elle soulève le tissu en se demandant :

— Qu'est-ce que ?

— Je ne ferais pas ça si j'étais toi, prévient Gabriel.

Patrick s'avance et lui rappelle sa petite intervention périlleuse avant qu'elle ne tombe dans les pommes.

— Je n'ai pas pu extraire la balle, explique Gabriel, le pouvoir de Loa a pu apaiser ta souffrance, mais tu as peiné à le contenir et n'as pas pu guérir proprement.

— Ta puissance a dépassé la mienne. Je ne peux plus intervenir sur toi, rajoute la déesse avec un air mélancolique.

Loa soupire en contournant l'arbre avant de faire face au groupe de l'autre côté. D'un geste, une bulle se forme et se détache en trois parties, prenant chacune un aspect différent. La déesse s'avance et explique leurs représentations :

— Tu es puissante, certes, mais tu as égaré une chose essentielle que tu dois absolument retrouver, commence-t-elle, vous allez avoir plusieurs objectifs pour pouvoir obtenir l'objet tant convoité.

La bulle de gauche ressemble à un petit garçon, celle du milieu à une pousse d'arbre et la dernière à une épée.

— La première forme, ce ne serait pas Guénaël ? interroge Leah, surprise de la ressemblance.

Loa hoche la tête et reprend sa description :

— Comme tu l'as soulignée, jeune louve, le petit garçon doit être retrouvé, indique-t-elle. Il est malencontreusement entre les griffes d'un fourbe, qui ne montre pas ses véritables intentions. L'un de tes collègues, je crois Fauconnier, lance-t-elle en direction de Gabriel.

Celui-ci se crispe quand Loa détaille l'homme au regard de serpent sous son capuchon de sable.

— Gan, lâche-t-il entre ses dents.

— C'est bien lui. Il est d'ailleurs également à la recherche de l'épée, finit-elle dans un souffle avant de reprendre. Il faudra une équipe qui puisse le pister et me le ramener ici. Le pauvre doit être apeuré sans sa terre natale.

— Je me demande s'il n'est pas mieux ici, vu ses géniteurs, rajoute Sophia en haussant les épaules.

— Sophia ! gronde Patrick.

— Bah quoi, c'est vrai ! proteste-t-elle. Son père est un psychopathe qui souhaite voir tous les univers anéantis et sa mère est aussi cinglée que son père. Sans vous offenser, rajoute-t-elle à l'intention de Loa.

— Je t'en prie, répond-elle en levant la main.

— Je le sais déjà tout ça, répond-il en se pinçant l'arête du nez, Gabriel m'a fait un rapport.

Elle le regarde surprise en pointant du doigt alternativement Gabriel et son père :

— Vous deux ? Vous bossez ensemble ? fait-elle estomaquée.

Gabriel se passe une main sur la nuque, gêné que son secret soit dévoilé, tandis que son père soupire d'exaspération. Il se redresse et fait un geste à l'un de ses subordonnés. Un homme avec un coquart à l'œil et l'uniforme trempé s'avance en tenant une lourde mallette sous son bras qu'il dépose au pied de son chef.

Patrick se baisse et déverrouille la mallette noire en y insérant une clé qui sort de sa poche intérieure. Tous se penchent au-dessus de son épaule et admirent une sphère bleu marine avec des points scintillants.

— Que représente cette sphère ? demande Sophia hypnotiser par l'objet.

— La réponse est dans la lettre que ton grand-père t'a laissée, répond-il, et au vu de ta question, tu ne l'as pas lu.

Sophia secoue la tête par la négation. Son père l'invite à la lire de suite :

— Prends le temps de la lire, je dois m'entretenir avec la ravissante demoiselle, si cela ne vous dérange pas ? sollicite-t-il auprès de la déesse.

— Nous avons encore le temps. Et, je suis également curieuse de savoir ce que contient cette chose, s'approche-t-elle avec de grands yeux.

— Très bien.

Il referme la mallette et incite Gabriel à rester avec Leah. Sophia se cale contre le tronc à l'abri des regards et sort l'enveloppe de sa poche. Soigneusement, elle déplie la lettre et entame sa lecture :

« Ma grande,

Si à ce jour, tu prends connaissance de cette lettre, c'est que je ne serai plus de ce monde et que j'aurais rejoint ta grand-mère.

Il y a tant de choses que je n'ai pu te dévoiler avant que tu ne reviennes de ce merveilleux univers qu'est Imaginarium.

J'espère que, quand ton retour se fera, nous célébrerons ensemble ta victoire, mais mes jours sont comptés et malheureusement, je ne pense pas avoir le temps de te resserrer dans mes bras.

Depuis ta dernière venue avec ce jeune garçon, le docteur du village voisin est venu me voir pour une visite de routine, mais son constat était sans appel. Tes parents savaient que j'avais des soucis cardiaques, mais ils avaient préféré ne rien vous dire pour ne pas vous inquiéter.

À l'instant où je t'écris cette lettre, mes valises attendent au pied de la porte avant que je ne retourne en ville.

Ce garçon, qui t'accompagnait, ne soit pas en colère après lui. Il est, comme on dit sur notre planète, un ange gardien. Il n'a pas eu la chance d'être élevé dans les mêmes conditions que les tiennes, mais a su te protéger à de nombreuses reprises, surtout quant à l'âge de quatre ans, quand tu avais disparu en forêt.

Jamais, je ne cesserai de le remercier de t'avoir sauvé.

Tu as pu découvrir une partie de tes origines, même si celle-ci provient d'une fiole que j'avais confectionnée avec Herba. Et, que Jojo a pu y insérer un peu de magie de son monde. Car c'est ça qui fera la différence entre ces déesses et toi. C'est ce petit plus que tu portes en toi ! ...

Une tâche humide s'imprègne sur la lettre en lisant ces deux paragraphes. Tout en reniflant, Sophia poursuit sa lecture :

[...] Une chose cruciale que tu dois savoir, maintenant que tu fréquentes ce monde.

Jojo a dû te parler de la disparition des univers qui reliaient Imaginarium. Des dimensions qui se connectaient et qui permettait à ceux qui souhaitaient se reposer, s'arrêter à l'auberge ou y trouver refuge.

H, n'a pas entièrement gagné en les détruisant. Car avant de disparaître, Timéa, qui s'était amusée à se rendre dans chaque monde, avait collecté une partie de leurs essences. Elle les a confiés à la seule personne en qui elle avait confiance. Elle avait conscience de quel danger planait autour de ce trésor perdu et l'a mise à l'abri de la menace.

Herba m'est apparue en rêve pour m'expliquer cela avant que tu ne découvres ton lien avec Imaginarium et m'aies invité à me rendre sur l'île non loin de chez toi. J'ai pu revoir un lieu se rapprochant de l'univers que je chéris au fond de mon cœur.

C'est là que Herba m'a confié cette sphère, ce trésor contenant l'âme de chaque monde. Elle savait que les personnes la recherchant ne penseraient pas à venir jusqu'ici pour la récupérer.

Car si cette sphère se retrouvait entre de mauvaises mains, elle pourrait être détruite à tout jamais, alors que la vie y est plus présente.

Je l'ai confié à ton père, qui la protégera jusqu'à ce que tu en aies connaissance. Il a toujours été informé de cet univers que nous partageons. Et, déjà petit, il voulait fonder une organisation qui protégerait tout être venant d'un monde différent. Aujourd'hui, je suis très fier de lui. Il en est à la tête et fait tout son possible pour sauvegarder chaque être de nos mauvaises intentions. Je parle bien sûr de nous, les humains !

Elle sourit à sa dernière phrase, malgré les larmes qui ruissellent sur son visage.

Ma grande, il est temps pour moi de partir. De te confier cette sphère et l'âme d'Imaginarium. Tu sauras rétablir la paix et préserver sa beauté, j'en suis certain.

Tu vas grandement me manquer, ma chère Sophia, j'espère au moins te revoir avant de regagner les cieux.

Je t'aime fort, ma petite déesse.

Papy Jean. »

Sophia sert la lettre entre ses mains, pleurant de tout son être en repensant à son grand-père. Evy se faufile entre les bandages pour la rassurer, ayant entendu l'écoute mentale de sa protégée. Il oriente sa gueule vers son visage, mais ses yeux émeraude sont attirés par le tronc sur lequel est appuyée Sophia.

— Qu'est-ce qu'il y a Evy ? renifle-t-elle inélégamment.

— Retourne-toi, immédiatement ! presse-t-il.

Elle se redresse et se retourne avant de tomber à la renverse, bouche bée. Une couche de sève translucide conserve deux corps debout, l'un en face de l'autre. Leurs longs cheveux s'éparpillent autour des silhouettes qui dorment profondément. L'une des femmes est Herba qui tient dans la main de l'autre femme dans la sienne.

Evy geint devant la représentation des corps. Sophia se redresse et s'avance en posant sa main sur la paroi. Elle sursaute en ressentant les vibrations d'un cœur qui bat à l'unisson à l'intérieur du cocon.

— Je pensais que tu ne remarquerais pas mes sœurs dans cet état, surgit la voix de Loa dans son dos.

Sophia se retourne et fait face au regard attristé de la déesse qui contemple ses sœurs endormies.

— Qui est la deuxième en face de Herba ? demande-t-elle curieuse. Il me semble avoir réalisé le tour de toutes les déesses, à moins que...

— Tu l'as deviné, c'est Timéa, souffle-t-elle tristement.

Loa s'avance vers la sève en indiquant :

— Je ne peux te raconter leurs histoires maintenant, ce n'est pas mon rôle.

— Pourquoi ? s'enquit Sophia, perplexe.

Loa soupire avant de se décaler du tronc à contrecœur. Elle invite la demoiselle à la suivre pour rejoindre les autres. Sophia observe une dernière fois la représentation de Herba et Timéa sans connaître leurs secrets. Elle se rassure du fait que Flamma n'a pas pulvérisé la déesse des vies et se dirige à son tour vers le groupe. Patrick prend sa fille dans ses bras, lui offrant une étreinte chaleureuse.

— Bien, maintenant que les détails concernant cet objet sont réglés, nous pouvons parler de l'étape suivante, entame Loa.

Sophia remarque que la mallette noire n'est plus sur le site et interrompt Loa en demandant où elle se trouve à son père :

— Je l'ai confié à la déesse, indique-t-il, je n'ai pas envie que tu la trimballes avec toi à Imaginarium.

Elle comprend l'intention de la laisser cacher à la vue de leurs ennemis, mais une chose la turlupine en repensant à son retour dans l'univers parallèle. Devinant la question silencieuse de sa fille, il répond pour la rassurer :

— Je partirai bientôt en mission après avoir prévenu ta mère de ton absence suite à un stage que j'aurais inventé pour éviter les soupçons. Avec Gabriel, nous allons retrouver le petit que Loa nous a parlé plus tôt.

— Et je les accompagne, s'exclame Leah toute réjouissante.

— Hein, quoi ? Mais tu ne veux pas retourner à Imaginarium, revoir ton frère ? rétorque Sophia, surprise.

— Si, bien sûr, mais je m'étais accrochée à ce gamin. Que ce soit une illusion de Flamma ou non, je me dois de le retrouver, elle sourit chaleureusement. En plus, face à Gan, je ne serai pas de trop.

— Et tu pourras te connecter à nous, si tu souhaites de nos nouvelles, ajoute Gabriel.

Sophia lève les yeux devant leurs déterminations, et sait qu'elle ne pourra pas les retenir, quoi qu'elle dise.

— Je ne sais pas comment je vais m'en sortir sans vous, souffle-t-elle, vous avez été d'un excellent soutien durant cette dure épreuve.

— On le sait. Et, Loa nous a expliqué que la prochaine étape, tu devras partiellement la faire seule. Ce qui nous a aidés dans notre décision.

Leah s'approche et la serre dans ses bras en lui demandant de prendre soin d'elle avant de se décaler. Gabriel lui adresse un signe de tête avant de s'éloigner avec la louve. Sophia se tourne vers son père qui a le regard pétillant de chagrin :

— Papa, craque-t-elle la gorge serrée.

— Viens là, ma chérie. Il la prend dans ses bras et lui frotte le dos. Sache que tu es et tu seras toujours ma fille forte et courageuse, même si tu es tête en l'air aussi.

Elle glousse devant sa remarque en restant cramponnée à son veston.

— Le duo de choc te rejoindra quand nous aurons retrouvé le gamin. Tu as encore beaucoup à accomplir.

Il s'écarte et d'un doigt redresse le menton de sa fille :

— Sois fière de toi, car moi, je le suis.

Sophia se jette à son cou, profitant de ce dernier instant avec son père. Quelques instants plus tard, Gabriel, Leah et Patrick s'éloignent sur le pont de fortune, disparaissant avec les soldats derrière les arbres du bosquet qui se resserrent entre eux. Loa les observe, versant sa petite larme sous l'émotion de la séparation, se souvenant de la perte de ses enfants depuis longtemps disparus. Elle se reprend et se tourne vers Sophia avec un air solennel :

— À nous deux maintenant.  

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