5- Balle perdu
Après avoir traversé le portail menant au bosquet, Sophia s'est retrouvée dans un lieu sombre où des particules de poussière argentée voltigent autour d'elle. Elle s'avance vers le tintement qui se fait de plus en plus entendre devant elle.
Au fur et à mesure qu'elle s'avance, le tintement se transforme en murmure. Une voix qui l'appelle dans les abysses qui l'entourent, se projetant en écho et rebondissant telle une goutte clapotante. Le souffle lui demande de se souvenir, mais n'apercevant rien autour d'elle, elle lève la tête et demande :
— Qui êtes-vous ?
Le silence lui fait face, mais deux orbes s'illuminent avec intensité, la forçant à se protéger les yeux avec son bras. Devant elle, la vision de l'extérieur s'éclaircit comme deux miroirs où Draguir apparaît sous son regard.
— Draguir !
Elle l'appelle pour lui demander de l'aide, mais celui-ci ne l'entend pas. Il a un regard voilé par une nuit sans étoiles, furetant tout autour de lui.
— Il ne t'entend pas, car c'est moi qui contrôle ton corps, ramène la voix à son intention.
Sophia se retourne, mais le vide l'entoure sans lui montrer de présence physique. Elle renouvelle sa question, agacée par ce petit jeu :
— Vous êtes qui à la fin, et où suis-je ?
— Tu es en toi, répond-il, j'aimerais obtenir des réponses avant de te libérer, alors patiente ! gronde-t-il de surcroît.
Sophia fronce des sourcils, ne comprenant pas les intentions de l'être l'accompagnant. Celui-ci lui indique de regarder dans les miroirs derrière elle, car il souhaite jouer aux devinettes. Telle une spectatrice, la demoiselle s'exécute en se tournant et découvre avec effroi son fauconnier, tenter une action et tomber lamentablement sur le sol. Elle s'entend l'appeler et s'avancer pour le rassurer, sentant une douce chaleur se propager dans son corps pendant que son enveloppe le berce dans ses bras.
— Il a beau être toujours sur la défensive, avec toi, il se laisse étrangement faire...
L'être murmure ses paroles tandis que la demoiselle prie à genoux devant les miroirs. Draguir a l'air de s'écarter à contrecœur alors que son enveloppe reste inerte.
— C'est ici que ça va se gâter, rigole la voix.
— Que veux-tu dire ? demande Sophia, inquiète en se retournant vers elle.
— Regarde et écoute, ordonne-t-elle.
Elle soupire, lasse et reprend place, observant l'action se jouant sous son regard. Sa main se tend en attrapant celle de l'homme encapuchonné qui l'accueille avec un air malicieux. Malgré que les fils contrôlant son corps soient totalement inexistants, elle reconnaît le fauconnier sous le capuchon de sable. Son aura meurtrière se dégage jusqu'à lui donner des sueurs froides. Elle frissonne, mais se concentre sur ce qu'il se passe en extérieur, comprenant qu'elle entend la conversation entre les deux hommes. L'ombre dans les abysses l'observe attentivement et s'exclame :
— On va voir si tu es attentif. Si tu réponds juste, je t'octroierai un indice sur moi.
Sophia tente de suivre les deux conversations, mais a beaucoup de difficulté à se concentrer.
— Première question : quel est le nom de H ?
L'être s'excite comme un présentateur télévisé et imite le son du temps s'écoulant pendant la réflexion de la demoiselle. Elle sait qu'elle l'a entendu, mais avec les interruptions intempestives de l'ombre qui glapit autour d'elle.
— Le temps sera bientôt écoulé ! presse la voix.
— C'est bon, c'est bon, peste-t-elle en soufflant. Je dirai Hellekial, un truc comme ça.
L'ombre s'esclaffe de bon cœur, émettant un grognement qui indique à Sophia la véritable identité de l'être se trouvant avec elle. Elle examine discrètement son poignet et remarque que la présence d'Evy a disparu.
Le petit dragon s'amuse à jouer avec les nerfs de sa protégée, surtout quand elle a tendance à perdre temporairement la mémoire lorsqu'il la force à rester dans son esprit. Il ne remarque pas qu'il a été démasqué et continue d'exploser de rire dans les oreilles de la demoiselle qui fait exprès de garder la même attitude.
Elle se doute que c'est son ami à écaille qui contrôle son corps, mais ce qui la surprend, c'est qu'elle ressent tout ce qui se passe en extérieur. Sophia sent deux mains se poser sur ses épaules. Machinalement, elle regarde dans les miroirs, mais la personne doit se trouver derrière elle. La demoiselle sent le souffle chaud et nauséabond de l'homme, qui lui retourne l'estomac et lui envoie des relents dans la gorge. Evy se calme tout à coup, prêtant attention à ce que l'homme murmure à l'oreille de Sophia :
— Je ne sais si tu m'entends, ma chère déesse, mais fais-moi le plaisir de t'éloigner. Je ne voudrais pas écorcher une jolie peau aussi tendre que la tienne, susurre-t-il suave.
Des millions de frissons parcourent l'échine de Sophia sous la sensation désagréable qu'elle ressent. Son corps se crispe sous la tension que l'homme émet. Evy grimace en sentant son aura répugnante et grogne :
— Oh, je ne vais pas laisser ma Sophia se faire toucher par cet imbécile.
Activant les ficelles de son mécanisme, il déplace l'enveloppe de la demoiselle vers le chêne central. Les deux remarquent que le fauconnier s'exalte de l'obéissance de Sophia, ce qui a le don de l'énerver et de faire rager Evy. Sophia délaisse les miroirs, se concentrant sur son ami.
— Dis-moi la voix, tu ne m'as pas dit si j'avais répondu juste ou non ? rétorque-t-elle.
— Hum ? Oh, tu me parlais ? répond-il dans les nuages. Désolé, je ne t'écoutais pas.
— Je vois ça !
Il émet un faible rire avant de se taire de nouveau et d'observer l'échange électrique entre Draguir et l'autre fauconnier, ignorant totalement la présence de Sophia. Celle-ci aperçoit l'homme tourner autour du chêne près duquel elle se trouve, et profite de ce qui attire tant le dragonnet pour tenter de rentrer en contact avec Draguir.
Elle se répète son prénom encore et encore, fixant son ange gardien, combattant le fauconnier avec rage. Sophia ne se laisse pas perturber par le liquide prenant forme dans la source, envoyant des projectiles contre Gan, ni par les commentaires d'Evy qui hurle à l'uppercut.
Réceptionnant enfin le retour de son appel, Sophia reprend possession entièrement de son corps et cligne des yeux pour se réhabituer à sa propre vision. Elle remarque que Draguir s'effondre, épuisé avant de se décaler de justesse, apercevant un projectile s'écraser contre le tronc du chêne. Le liquide bleu dégouline sur l'écorce, soulageant Sophia de ne pas l'avoir reçu en pleine poire.
— Mais tu vas me foutre la paix, saleté ! hurle de rage Gan.
Sophia se cache derrière l'arbre et observe le fauconnier combattre contre une forme d'eau translucide ondulant au-dessus de la source. Draguir s'est volatilisé, sa projection est arrivée à son terme, la laissant seule avec le fou furieux.
La forme d'eau décoche une pluie de flèches visqueuses sur Gan qui esquive sans mal en se protégeant avec sa cape de sable qui absorbe les attaques. Il contre-attaque en envoyant des ondes, tendant sa main en avant. La forme porte ses mains aux oreilles, ressentant des ultrasons l'envahissant. Un cri strident se dégage du liquide qui se gonfle avant d'exploser dans tous les sens.
Sophia a le temps de se protéger derrière l'arbre pour éviter d'être touchée, quant à gan il se fait toucher au bras en se plaquant au sol. En colère, il s'essuie le bras du liquide, rongeant sa peau et bougonne :
— La connaissant, il ne lui faudra pas longtemps avant de recouvrer sa forme, elle a gagné en puissance...
Il jette un œil vers le chêne et sourit de manière malsaine. Sophia sent son cœur battre à tout rompre, sentent que le fauconnier peut la prendre en étau à tout moment.
Je vois que tu as deviné qui je suis !
Elle sursaute quand elle entend Evy et examine son poignet. Le bracelet a repris place sur son poignet, la tête de son ami la regardant avec un air taquin luit de sa belle couleur argentée. Par contre, la moitié de son corps relié à l'implant se dégrade dans une teinte toujours aussi terne. Il tord sa gueule vers sa protégée en plissant son regard émeraude, rétablissant définitivement la connexion entre eux.
As-tu cru que tu allais m'avoir longtemps ? Je t'ai grillé lorsque tu as ri. rétorque-t-elle par le biais de ses pensées.
Ravie de te revoir, bichette.
Et, moi donc !
Les deux compères se penchent pour épier le fauconnier qui fouille le sol à la recherche d'un objet. Soudainement, un hurlement animal résonne derrière la barrière d'arbres. Le craquement des branches se fait plus intense avant de voler en éclat dans tous les sens. Les arbres s'écartent un à un en ressentant la présence de la louve qui fonce sur eux.
Gan peste sur cette nouvelle intrusion, il sait que s'il reste là plus longtemps avec les forces se trouvant derrière la louve, il aura du mal à s'échapper. Il profite de cette occasion pour s'éclipser, laissant les arbres se faire déraciner par la gueule béante de Leah.
La louve arrive triomphante au centre du bosquet, hurlant à la lune en se dressant fièrement sur ses quatre pattes. Derrière elle, les soldats la regardent ahuris de son exploit et surtout de ne pas l'avoir en ennemi. Gabriel sourit fièrement aux côtés de Patrick.
Sophia remarque son père et ne comprend pas du tout pourquoi il est ici. Les émotions la submergent, la laissant glisser le long du tronc. Leah s'approche de la jeune femme en reprenant sa forme humaine, l'aidant à se relever en la soutenant par les bras :
— Tu m'as fait une de ces frayeurs ! gronde-t-elle inquiète. Ne me refais plus jamais ça !
— Désolée, chuchote-t-elle.
Leah l'examine avant de braquer ses yeux sur la source en ressentant une présence familière. L'étrange liquide propulsé plus tôt dans le bosquet se recompose en gisant sur le sol. En face de la source, une masse se forme, s'allongeant et se modelant pour sculpter la forme physique d'une femme. La louve se décale de Sophia et, sous ses yeux ébahis, s'incline devant le spectacle.
La forme translucide se stabilise et glisse sur la peau de la femme qui s'avance lentement hors de son enveloppe. Une robe échancrée se dévoile au fur et à mesure que ses pieds nus frôlent la mousse tapie sur le sol. Tous ont la bouche grande ouverte devant la splendeur du spectacle.
Une chevelure brune avec des pointes bleu-cyan ondule sur ses épaules, dessinant un visage fin d'une douceur infinie. Sophia reconnaît sans mal la déesse se trouvant sous son regard. Elle l'avait croisée sur la place de Cascalaris et dans le souvenir qu'Evy lui avait transmis. Les deux femmes sont tellement sous le charme de l'apparition de la déesse qu'elles ne remarquent pas les soldats, construire un pont de fortune pour rejoindre le bosquet.
Ils s'avancent prudemment, les armes levées, en direction de la femme encore à demi translucide, accompagnés de Patrick et Gabriel en tête. Sophia arrive à détacher son regard et court s'interposer à l'entrée qu'a créée la louve :
— Ne faites pas un pas de plus, si vous tenez à la vie, menace-t-elle.
Les hommes s'arrêtent un instant en voyant la jeune femme leur bloquer le chemin. L'un d'eux lève son arme en la pointant sur Sophia, mais celle-ci sourit de façon machiavélique en repérant son geste. Lentement, elle défait la fermeture de son manteau qu'elle laisse glisser sur ses épaules avant de tomber sur le sol. La froideur de la nuit caresse la chaleur de ses ailes qui se déploient de long en large. Evy montre son hostilité envers le groupe d'hommes et se met à rugir plus menaçant.
— Ne tirez sous aucun prétexte, ordonne Patrick.
— N'avancez pas, siffle Sophia en avertissement.
L'un des soldats perd son sang-froid devant la menace et presse la détente de son fusil d'assaut. La balle traverse la main de Sophia qui tente de la stopper avant de se loger dans son épaule. La demoiselle sourit de plus belle, pensant que ses blessures se refermeront, mais elle s'écroule à terre en perdant beaucoup de sang.
Patrick accourt auprès de sa fille, suivi de Gabriel qui envoie son poing dans le visage du soldat, l'envoyant valser dans le fleuve. Ils traversent tous deux à temps quand une barrière d'eau s'est mise à se former à l'entrée du bosquet pour empêcher les soldats de pénétrer dans la zone et de créer plus de dégâts.
Sophia sent la mousse accueillir son corps, ne comprenant pas pourquoi ses blessures restent béantes. Gabriel la secoue par les épaules en l'insultant sur sa stupidité, quand Patrick ordonne la venue d'un médecin. Quant à Leah, sous les bruits de la détonation, elle a repris sa forme canine et s'avance aux côtés de la déesse. La femme se penche sur Sophia, souriant par la bonté qui traverse sur son visage.
La déesse pose ses mains sur les blessures de Sophia, qui avant de sombrer dans l'inconscience, murmure son nom dans un souffle :
— Loa.
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