45 - Manipuler
Ne t'approche pas de moi, monstre abject.
Sophia tente de repousser Draguir avec ses jambes, alors que de sous son œil mi-clos elle le voit s'approcher tel un prédateur, tandis que le matelas s'enfonce sous son poids. Après que le maître ait fini de faire jouer avec elle comme une poupée de chiffon passant sous un train, elle s'imagine que le fauconnier veut prendre ce qu'il reste de sa pitoyable humiliation pour violer toute son intimité.
Tant de haine découle en ce moment même dans ses veines. Cette colère qui alimente de plus en plus la douleur que son corps ressent avec une telle puissance. Et bien sûr, elle ne parle pas de ses deux copains qui vont se délecter du spectacle !
Allez tous pourrir en enfer. Que le diable de mon monde vous fasse subir les pires tortures, si ce n'est pas moi qui m'en charge avant.
Le goût du sang coulant dans sa bouche, lui donne des idées noires, ce qui l'enivre dans sa fureur. Draguir accueille son regard meurtrier avec sérieux avant qu'il ne s'empare de son esprit et la projette de force dans sa tête. Un voile sombre et épais et l'engloutit dans sa pesanteur quand elle sent ses mains se poser sur elle.
Crois-tu que tu vas t'en tirer à si bon compte ? Tu te fourres le doigt dans l'œil.
Sophia se retrouve sur cette eau lisse sur ce fond noir. L'endroit où elle peut partager des moments en totale intimité avec Evy, mais sa présence est bien loin d'elle à présent. Sa forme argentée s'écroule en poussière quand elle essaie de la visualiser.
Étrangement, elle ne ressent pas la souffrance de son corps, et machinalement elle se regarde pour voir l'étendue des dégâts. Mis à part sa tenue habituelle qui est en parfait état, rien ne lui paraît anormal. Quoique...
Ton esprit est encore puissant.
Elle se retourne pour repérer la personne à qui appartient cette voix, mais l'obscurité la plus totale lui fait face. Seuls ses pas sur la surface de l'eau envoient des ondes bleutées.
— Qui est là ?
L'écoulement de l'eau résonne dans sa tête. La résonance de pas qui se déplace se répercute en échos, brouillant ainsi toutes ses chances d'attaques vers une cible immobile. Un courant électrique lui traverse le bras, la faisant plier l'échine. Sophia a l'impression que de lourdes chaînes s'emparent de ses poignets, la forçant à tomber à genoux, mais rien n'apparaît sous son regard.
— Laisse-toi faire, susurre la voix. Ton corps guérit.
— Montre-toi !
La jeune femme ne le croit pas quand il lui dit qu'elle guérit se disant qu'ils sont surtout en train de lui faire des expériences bizarres. Elle tire sur ses bras pour se dépêtrer de cette position inconfortable, mais rien n'y fait.
— Je suis juste en face de toi.
— T'es mignon toi, lance-t-elle sarcastique. Comment veux-tu que je te vois, je ne suis pas contorsionniste !
— Tant d'agressivité, ricane-t-il.
Et en plus, il se fout de ma poire.
L'ombre de Draguir claque des doigts permettant aux chaînes de s'évaporer en même temps qu'elle tirait dessus. Sophia tombe à la renverse, puis elle se masse les poignets et le bas du dos par automatisme.
— Alors c'est là que tu te caches quand tu n'es pas en projection.
Elle lève la tête vers l'intrus, mais il se garde bien d'être emmitouflé dans sa cape. La jeune femme se relève et croise les bras en tapant du pied. Draguir sourit en faisant seulement apparaître sa dentition, la voir comme ça en face de lui lui fait fondre le cœur.
— Tu n'es pas très bavarde.
— Certes. Je voudrais savoir ce que je fais ici et qui tu es par la même occasion ? rétorque-t-elle froidement.
— Chaque chose en son temps, ma belle.
Sa réponse lui donne l'impression qu'on lui passe une lame de rasoir sur le corps, mais Sophia ne se démonte pas pour autant. Les poings serrés, elle s'avance vers lui la main tendue pour lui arracher sa cape. Captant son intention, il la repousse de son ombre avec violence.
— Ça, je ne te le permet pas, gronde-t-il sévèrement.
Sophia regarde sa main où l'ombre s'écoule entre ses doigts avant de disparaître. Elle se sent paralysée. Loin de ce sentiment de faiblesse qu'elle a eu à l'encontre de Hellakiel quand il lui faisait sa fête, mais le tremblement qui s'empare de ses membres, lui indique clairement que la personne qui est présente avec elle est d'un niveau bien plus supérieur.
Draguir se rapproche d'elle en voulant s'excuser, alors que la jeune femme ressent son souffle glacial, lui hérisser le poil. Il lève la main et la glisse dans son cou pour la rapprocher de lui, mais instinctivement elle lui empoigne le poignet et le passe par-dessus son épaule. Son rire se propage avant que son corps ne disparaisse. L'ombre s'étale sur la surface lisse de l'eau avant de se fondre dans l'obscurité.
Le jeune fauconnier ne s'attendait pas à une telle réaction de sa part, mais se souvenant qu'à ses yeux, il est un parfait inconnu, il s'abstient d'insister en la surveillant de loin. Sophia soupire d'exaspération. Or en ne le sentant pas revenir, elle s'assied sur le sol et se met à réfléchir.
Je l'ai peut-être vexé, à vouloir le démasquer, qui sait ?
Cette pensée lui rappelle un lointain souvenir qui refuse de remonter à la surface. Même dans sa tête, sa vision se grise quand elle tente inexorablement de farfouiller dans sa mémoire, la lassant de ce nouveau handicap.
Avec ses doigts, elle joue à créer des mini vaguelettes sur l'eau. La tête posée contre son autre paume, elle s'imagine débouler à travers cette zone morte qu'est Blackvoïd pour lui redonner vie. C'est vrai que Pharekth n'est pas sans reste en ce qui concerne le désert, mais c'est comme pour les pays de son monde. C'est la planète qui est faite ainsi. Alors qu'elle sent au plus profond d'elle, que cette partie d'Imaginarium n'existait pas avant. Cela devait être un magnifique endroit, muni d'une forêt immense où des créatures légendaires vivaient en harmonie, avant de s'effondrer dans la poussière.
Draguir se rapproche en silence derrière elle en sentant les tourments de sa sauvageonne. Or, il découvre ce qui se dessine en trois dimensions sur la surface de l'eau et en reste éblouit en soufflant :
— Magnifique.
Sophia redresse la tête, puis remarque la personne apparue à ses côtés. Il est toujours caché, mais son corps lui paraît détendu et observe ce qui les entoure. Sans m'en rendre compte, elle a recréé Blackvoïd comme elle se l'imaginait à l'instant.
Des colonnes d'eau tourbillonnent avec en leurs centres des sirènes qui sautillent d'un point à un autre. Des dragons volent et zigzaguent entre les arbres avant de se poser avec prestance sur le sol. Des créatures plus extraordinaires les unes que les autres apparaissent et disparaissent sous leurs yeux ébahies.
Mais la vision change quand apparaît un homme sous un capuchon de sable. Il balaye le paysage d'un revers de la main, chaque colonne, chaque créature s'effritent avant de voler en poussière. Le sol se craque dans un tremblement.
— Que fais-tu ? Demande Draguir inquiet.
Elle ne sait que lui répondre, car elle-même ne contrôle plus ses pensées. Draguir s'extrait de son esprit, puis demande à Méric si la guérison de la demoiselle se passe bien, car il a ressenti une sensation malveillante autour de lui.
— Son corps réagit bien, confirme son ami.
Il regarde sa douce sauvageonne avec tendresse avant de se reconnecter à elle. Sophia et lui observent attentivement la scène se jouant devant nous. Plusieurs ombres encapuchonnées se déplacent autour d'un liquide bouillant au-dessus d'un feu, tandis que deux autres combattent l'un contre l'autre avant de disparaître.
L'un des combattants gravement blessés se transforme en un immense dragon, dont le flanc est couvert de sang. Il s'avance avec lourdeur dans une forêt et s'étale de tout son long face à une femme. Elle l'attendait en tendant les bras vers sa gueule. La créature se redresse pour prendre une profonde inspiration et évacue un jet de flamme sur la boite avant de s'écrouler. Le reste de la scène s'évapore dans un brouillard, en même temps qu'une larme s'échappe sur la joue de la jeune femme.
Elle renifle bruyamment, devant la tristesse de se spectacle. Draguir tourne sa tête vers la sensibilité de sa sauvageonne, son cœur bat la chamade tant il a envie de la prendre dans ses bras pour la consoler. Sophia ne sait pas où se mettre à force de sentir qu'il l'observe avec insistance.
Tout à coup, Sophia se redresse en ressentant une chaleur familière à son poignet. Evy se matérialise dans le dos de la jeune femme, montrant la prestance devant Draguir. Son corps lui d'écailles argentées, alors que les pointes de ses ailes se posent aux côtés de sa maîtresse, faisant reculer le fauconnier de son air menaçant. La connexion est rétablie.
Envole-toi, susurre-t-il dans son souffle.
Sophia prend appui sur ses jambes et pousse de toutes ses forces, alors qu'à l'extérieur les deux hommes sont projetés du corps de la jeune femme par une onde de choc. Le réveil de la demoiselle est brutal quand elle se cogne de plein fouet contre le plafond, éjectant au passage Draguir qui se trouvait sur elle. Elle scanne rapidement la pièce pour trouver une échappatoire.
— Mais bordel tu me disais lui remettre la bague ! accuse Keith.
— On a été projeté et il en a profité pour se glisser sur son poignet, tente de justifier Méric.
— Barricader les sorties, hurle Draguir.
Dans la confusion, ils ne comprennent pas ce qui a pu se passer. Le fauconnier pousse rapidement ses meubles contre la porte et la lucarne, alors qu'il ressent sa présence derrière son dos. Il se retourne, mais Sophia l'attrape par le cou, puis le soulève sans effort. Draguir a le regard confus, son intervention ne s'est pas déroulée comme prévu.
Sophia écrase son poing contre son visage avec une telle force que les meubles et la porte explosent sur son passage, l'envoyant valser sur des mètres en contrebas. Méric et Keith tentent de s'interposer, mais ils sont projetés l'un après l'autre par-dessus le balcon.
Ses ailes la porte vers l'extérieur l'esprit embrouillé, le corps meurtri, mais avec une rage surpuissante. Le soleil l'aveugle, en l'empêchant momentanément d'avancer. Or, elle n'a qu'une seule idée en tête : les tuer, tous !
Sophia, reprends-toi. hurle Evy en panique.
Continue comme ça, ma belle, s'impose une autre voix dans sa tête.
Gan à profiter de la faiblesse de Draguir et Sophia lors de ses soins pour s'immiscer dans sa tête au travers du jeune fauconnier. En amont, il avait récupéré la boite contenant Evy dans la grotte de son défunt frère, pour pouvoir libérer toute sa puissance et mieux la contrôler.
Les complaintes d'Evy se font écraser par les murmures encourageants du fauconnier qui alimente sa soif de vengeance. Tel un pantin, elle rejoint le bas de la montagne où beaucoup de ses compagnons se rassemblent pour tenter de s'approcher d'elle, mais elle les ignore et les repousse d'un geste.
Suit le chemin que je te trace, tu trouveras la première personne qui t'a fait tant souffrir... indique Gan en s'évaporant.
— Il faut la stopper ! hurle Jojo.
— Elle est protégée par lui, rétorque Draguir.
Comprenant ce qui arrive à sa sauvageonne, Draguir se relève de sa chute, puis se place devant Sophia le visage en sang. il la toise avec une colère grandissante, déployant ses puissantes ailes dans son dos.
Ignore-le, et fonce ! ordonne son marionnettiste.
Elle ne prend pas de gants quand elle repousse son obstacle pour forcer le passage. Draguir a un mouvement de recul avant de lui attraper le poignet et de la projeter à terre en la bloquant par le cou. Aucun son ne sort de sa gorge, mais sa mâchoire est crispée. Ses yeux se remplissent d'un noir ébène, quant à ses veines, ils noircissent en grandissant sur ses bras.
La pression qu'il exerce est puissante, mais elle est son égale. Sophia arrive à remonter son genou et l'expulse avec son pied. Il la lâche in extremis, ce qui laisse le temps à la demoiselle de se dégager et de s'envoler pour rejoindre l'entrée qui lui est indiquée dans son esprit. Elle s'engouffre dans la mine, balayant les prisonniers et les tortionnaires avec le battement de ses ailes. Ils se protègent les yeux du sable et de la poussière voletant autour d'eux.
Des racines se détachent de la roche et se dirigent à son encontre. Herba à décider de s'attaquer à sa protégée pour lui faire entendre raison. Sophia la toise d'un œil sévère, mais quand les racines tentent de l'intercepter en s'accrochant à ses chevilles, elle les brûle avant qu'elles ne puissent s'enrouler davantage.
Ils commencent à m'exaspérer tous là... s'agace Gan avec un soupire gutturale.
— Sophia, tu n'es plus toi même, hurle Herba en haut de la grotte. Reprend tes esprits tout de suite, tu es contrôlé.
La jeune femme plisse les yeux devant la dernière information, elle ne se sent pas la moins du monde contrôler, mais le fauconnier de la peur exerce une pression sur son esprit pour qu'elle croie avoir le maintient total de son corps. Son faux raisonnement se confirme quand elle voit Draguir apparaître au côté de la déesse.
Trop c'est trop !
Son pied s'écrase dans un fracas assourdissant contre le sol, provoquant une onde de choc tout autour d'elle. De multiples fissures craquent avant de se propager contre la roche. Des gravillons tombent sur les rochers avant qu'un éboulement s'ensuive. Elle s'extirpe à temps avant que le mine soit totalement inaccessible, tout comme l'entrée principale.
Je vais être tranquille un moment. Le temps qu'ils puissent me retrouver, je serai déjà répartie, pense-t-elle.
Et je repartirai avec toi ma belle, souffle Gan.
Elle regarde les derniers cailloux rouler sur le sol, sentant des vibrations provenir de l'extérieur, avant de se retourner pour s'enfoncer dans les profondeurs des galeries.
Sophia ne met pas longtemps pour rejoindre sa destination sous les indications de la voix. Elle a été surprise de ne rencontrer aucune âme vivante sur son chemin, alors que sa main se pose sur le verrou qu'elle chauffe pour le faire fondre.
Le cadenas tombe lourdement sur le sol, suivi de la porte qui s'écrase dans la cellule. Elle est là, la regardant avec stupeur, les iris jouant entre le pourpre et le coucher d'un soleil. La jeune femme s'avance lentement, regardant sa proie comprendre que cela en est fini pour elle quand ses doigts se resserrent autour de son cou.
Sophia la soulève contre la roche, alors que ses bras tombent le long de son corps dû à la lourdeur de ses chaînes, et sur un ton menaçant elle lui prononce ces derniers mots :
— Terminons ce chapitre que l'on avait entamé à l'orée du bois sacré !
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