41- Bastos de Givre

— Nous pourrons traverser ? s'inquiète Astos.

Sophia lance un regard soucieux envers Herba qui hoche la tête en levant la tête. Un passage se forme en hauteur dans la barrière. La jeune femme se rapproche de plus en plus et se positionne au-dessus de trou.

Tidus et Lyvia attendent en bas pour récupérer la cage. Le coup d'œil que lui lance la jeune femme ne lui échappe pas. Une rancune s'empare à son égard la prévenant de sa sournoiserie, mais la raison de ce sentiment lui échappe tout autant.

La cage descend en même temps que les lianes se créer dans ses mains, tel un cordage se hissant dans ses paumes. Dans un calme olympien, Patrick et Astos évitent tout commentaire d'encouragement ou de sarcasme, alors que la boule se balance dangereusement, lui faisant avoir de sacrée sueur froide.

— Je ne voudrais pas te presser Sophia, crie Astos quand ils arrivent à la pointe des arbres, mais la corde craque !

Elle regarde l'emplacement où les lianes s'effilochent, puis stoppe la descente par un accoues violant, provoquant vraisemblablement des haut-le-cœur à ceux qu'elle espère protéger. Ses yeux se plissent pour repérer ce qui a attiré son attention.

Une ombre aussi noire que les ténèbres essaient de couper le cordage. Sophia envoie une autre salve de lianes qui s'entortille autour de la cage, mais l'ombre ne se laisse pas démonter pour autant.

Une peur grandissante au fond de son cœur l'étreint, alors que ses tentatives à relancer d'innombrables lianes échouent face à cet intrustion.

— Tidus et Lyvia vont nous rattraper, lâche-nous.

Astos la supplie de les laisser tomber, mais si lui est résistant, elle ne peut le faire en sachant que son père se trouve à plusieurs mètres au-dessus du sol. Patrick la regarde avec un sang-froid sans pareil, ressentant l'angoisse qu'elle éprouve. La jointure de ses doigts blanchit autour des barreaux de la cage.

L'ombre s'agrandit, bloquant peu à peu la lumière et l'empêchant de voir son père et Astos. Sophia ressent toujours la pression de la cage entre ses doigts, mais elle a beau hurler leurs noms, aucun son ne parvient à leurs oreilles. À l'aveugle, elle continue de faire descendre cette maudite cage, en espérant de toutes ses forces que celle-ci ne se percute pas contre la barrière.

Les bras tremblant et tendu à l'extrême, Sophia continuent sa manœuvre jusqu'à ce que soudainement, son corps parte en arrière libéré d'un poids. Elle remonte avec hâte le cordage, mais toutes sans exception sont grignotées.

Un silence pesant règne à présent. Son cœur cogne dans ses tempes avec une lenteur peu commune. Son cerveau s'embrouille, cherchant désespérément à savoir si les deux hommes ont pu rejoindre la terre ferme en toute sécurité, ou au contraire avec de gros dégât. L'ombre s'étale de plus en plus sur la plaine, recouvrant ainsi la vision des feux crépitant des torches brandies par les ennemis. Assourdissant les hurlements d'agonie, les cris de guerre et le fracas des lames qui s'entrechoquent.

Sophia se laisse planer au-dessus de ce vide abyssal, perdu dans son esprit. Ressentant les picotements d'un mauvais pressentiment. Lentement, sans qu'elle n s'en rende compte, l'ombre ondule et tente de se rapprocher d'elle. Cela lui rappelle la substance visqueuse tapie dans le bois sacré. Celle qui s'était emparée du corps de Jojo. Elle essaie de l'attraper et de l'emprisonner dans ses serres pour mieux l'étouffer.

Rien que cette image, remontant dans ses souvenirs, parvient à lui reprendre en main. Il a dû se passer seulement quelques secondes, mais ce temps si court a bien failli lui faire perdre la vie. L'oppression est constante. Ne se dissipant pas face au feu qui brûle en elle. Sophia tend les bras en avant et fait appel à la lumière d'Herba. Sa puissance jaillit du bout de ses doigts, avant de s'évanouir dans les ténèbres.

La jeune femme fait plusieurs essais, maniant si bien le torrent de Loa, que la foudre de Cycla. Alliant le feu de Flamma, à l'impétueuse ombre de Gothika. Ne sachant pas trop si la lumière déferlant en plus des racines provient bien d'Herba ou de sa tendre sœur Timéa. Ses attaques s'enchaînent au point de la mettre en âge, gardant à l'esprit que si une fois de plus elle se laisse faire, elle serait une proie faible que l'on peut manipuler à sa guise.

Evy n'est pas avec elle pour l'encourager. Luka et les autres se battent au risque de leurs vies pour qu'elle puisse récupérer cette maudite épée. Cette puissance qui sommeille sur la falaise de Blackvoïd. La demoiselle se rappelle très bien de cet arbre mort penché dans le vide, criant la fin de ce monde, mais malgré sa splendeur, les souvenirs qui entourent sa présence sous ses branches noires se grisent et se voilent.

En dessous de la brume, les combats sont acharnés. Bastos remarque l'ombre malfaisante que Draguir déploie dans le ciel.

— Déployez vous les garçons, il faut que nous soyons sur tous les fronts, ordonne-t-il à Keith et Félix.

Ils s'écartent de lui et foncent dans la bataille qui fait rage. Le géant de glace aperçoit Jackiel qui tente d'user de son pouvoir sur lui, mais il l'évite avec beaucoup d'agilité.

— Ne te met pas en travers de mon chemin Jack, hurle-t-il à son attention.

Puis il pointe sa hache vers le ciel pour lui montrer ce qu'il se passe.

— Bordel ! cri Gabriel qui accélère la cadence pour trouver la source de l'ombre se propageant au-dessus d'eux.

Jackiel quant à lui a ralenti, son destrier s'arrêtant face à ce spectacle. Bastos se positionne face à lui et le fixe droit dans les yeux.

— Jack, je ne te demande pas de m'arrêter. Je suis parfaitement conscient de ce que je fais, déclare-t-il. Use de ton don pour arrêter les rabatteurs, et laisse-moi sauver les autres.

Son air menaçant que lui renvoie le fauconnier ne lui fait aucun effet. L'ombre a pris possession de toute la surface du ciel, les plongeant ainsi dans une nuit sans étoiles.

— Je compte sur toi Jack !

Le destrier de Bastos s'impatiente, alors que le fauconnier lui donne un coup de talons en se rapprochant du centre de la bataille.

Le temps m'est compté. Si son calcul est bon, Sophia devra combattre ce brouillard noir, par une force qui sommeille en elle. Je vois déjà des impacts de lumière dans les nuages, songe-t-il face au vent.

Il force son destrier à s'arrêter quand il atteint le point culminant. À présent, le corps de Sophia irradie de lumière tout en combattant l'ombre qui la couvre de plus en plus. L'étincelle perpétue sa force, dépassant les puissants êtres de cet univers. Que ce soit les déesses, les fauconniers ou encore Hellakiel.

Réunie au creux de ses paumes, les bras tendus au-dessus de sa tête, une boule se forme réunissant tous les éléments en son sein. Grossissant à vue d'œil, chassant le velours enveloppant ses jambes, et emmagasinant la colère qu'elle entretient, elle l'entend.

Son appel, elle l'a entendu avant son réveil dans la source entourée des déesses. Il l'invite à le rejoindre, à prendre possession du trésor qu'il contient au creux de ses entrailles. À brandir sa puissance pour éradiquer le mal, sauver les terres d'Imaginarium et redonner de la prestance à ce monde qui a tant souffert de la sournoiserie, des vengeances et de la guerre.

Son attaque est prête. Son souffle est court, tandis que ses cheveux lui fouettent le visage. Sophia regarde droit devant elle admirant un ciel étoilé et fusillant l'étendue d'ombre qui recouvre Imaginarium dans son ensemble. Elle ne sait pas qui a ce pouvoir funeste, mais il ne résistera pas à ce qu'elle va envoyer.

La jeune femme balance ses bras vers le sol, projetant la boule où les éléments se sont concentrés. Elle file dans le ciel, fonçant droit sur l'ombre. Un sourire malin s'affiche sur son visage, mais s'évanouit quand le tapis noir décide de s'ouvrir en son centre et de se dissiper. L'attaque ne l'avait pas encore atteint. Le stratagème de Draguir a bien fonctionné dans son sens.

Ses yeux s'agrandissent d'effroi quand la boule fonce droit sur les plaines où tous combattent. Son corps est tétanisé, ses membres atrophiés par l'énergie accumulée, son cerveau est vide de tout espoir. Elle se penche en avant et bat des ailes pour essayer d'empêcher le carnage de se produire, mais un souffle puissant la projette avec force en arrière, balayant tout sur son passage.

Bastos descend de son destrier, puis fixe les prunelles bleu givre de son fidèle ami.

— Nous allons rentrer à la maison Louadix. Ta force et mon pouvoir combiné nous permettront de protéger ceux que nous aimons.

Il ressent le désarroi de son destrier. Il a compris, depuis le retour de Draguir, que leurs voyages allaient s'achever ici. Bastos lui caresse le cou en posant son front sur le sien.

— Nous ne ferons plus qu'un, et ensemble nous préparons de la bonne bière de Blasqueen. Tu verras, tu vas t'y plaire dans la neige.

Les hurlements autour de lui ne brisent en aucun cas leurs connexions. Louadix le pousse de son front en lui indiquant qu'il est prêt. Bastos tourne la tête vers le ciel et remarque qu'une grande source de lumière se concentre au-dessus de l'ombre de Draguir.

Elle va tout anéantir sur son passage.

— Bastos !

Gabriel galope vers lui, son destrier a ressenti les émotions de celui du fauconnier de givre. Bastos tend le bras et le gèle alors qu'il arrive à sa hauteur. Il s'approche alors que les yeux surpris de Gabriel le fixent intensément.

— Prends soin de mon frère Gab.

Puis il se détourne et fait face à Louadix. Bastos tend ses doigts en avant, puis d'un geste sec il enfonce sa main dans la poitrine de son fidèle ami. Le hennissement de douleur se répercute dans ses entrailles. Son organe bat rapidement dans sa paume. Sa chaleur se mélange à son pouvoir qui le glace de plus en plus. Louadix se cambre et avec ses forces restantes, Bastos le serre contre lui, tandis que leurs corps gèlent ensemble.

Une colonne de givre grimpe dans le ciel et se propage tel un bouclier autour de chaque être dont l'importance lui est chère. Les fauconniers, certains rabatteurs, les loups... La lumière les atteint en ravageant tout sur son passage.

Bastos déploie toutes ses forces dans cette défense ultime. Il ressent le pouls de son destrier s'affaiblir. Il ne tiendra plus très longtemps, ses prunelles s'éteignent, son âme quitte peu à peu son enveloppe.

Merci de ton soutien, mon ami. J'ai été heureux de partager cette aventure avec toi.

Les battements de son cœur ne font plus aucun mouvement. Bastos ferme les yeux, laissant les larmes se déverser sur ses joues. Le paysage de Blasqueen apparaît devant lui, fleurissant sous les rayons du soleil. Le ruisseau s'écoule en se déversant dans la mer. L'ombre de ses compagnons des boucliers de givres apparaît en une ligne au-dessus d'une colline. Ils lui tendent la main, souriant, accompagnés de leurs montures tout aussi majestueuses qu'eux.

Son cœur est serein, quand ses pas se dirigent vers eux. Une chope de bière se lève dans les airs, en leurs compagnies il profite d'un merveilleux festin. Riant et pleurant de joie avec ses frères d'armes. Bastos abandonne loin de lui tous les tourments d'Imaginarium. Son frère voudra sûrement lui botter le cul, mais il les lui tendra quand son heure sera venue. Son organe s'arrête, laissant son dernier souffle s'effacer sur les plaines enneigées.

Sophia chute le cœur brisé de sa bêtise d'avoir détruit la plaine, alors que ses oreilles bourdonnent suite au bruit sourd de la détonation. Draguir la récupère dans ses bras et lui glisse une bague au doigt avant d'atterrir sur le sol en regardant vers le géant bouclier de glace.

— Bastos ? demande Méric inquiet.

— Je ne pense qu'il ait survécu, soupire le fauconnier de tristesse.

Leurs compagnons les ont rejoints, alors que Sophia se laisse transporter la vue embrouillée par les cendres qui tombe sur le feu qui crépite. Draguir la regarde, puis la dépose sur son destrier.

— Ramenons là. 

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