34- Piégé de son corps

Dans les mines de Blackvoïd, les cliquetis des chaînes sont beaucoup plus percutants qu'à l'accoutumée, alors que les esclaves travaille d'arraché, brisant leurs pioches contre la roche. Leurs esprits embrumés par les visions d'Alex, leur fait tenir le rythme comme si la mort les surveillait.

Du haut de la cavité, Bastos les regardent suer sous le soleil d'aplomb, les bras croisés sur son torse en secouant la tête. Il se déteste à un point, qu'il lui est à présent impossible de faire marche arrière.

— Bastos, le maître te demande.

Keith se frotte la nuque, ne sachant pas comment se comporter en présence du géant de glace. Le chef des geôliers a été obligé de retenir le fauconnier entre ses chaînes pour que Gan puissent entrer dans sa tête, emprisonnant ainsi Bastos dans son corps, sans pouvoir ni dire mot, ni protester. Selon le fauconnier, c'est la pire torture qu'il subit.

Il se détourne de Keith, puis se dirige vers la montagne noire en songeant :

Que me veut ce bon à rien de H encore ? Il veut que je déploie plus d'hommes et que je franchisse les mers ? Que je retrouve la miss et ses compagnons ? Ou me pondre une absurdité comme la dernière fois !

Il s'arrête devant l'immensité rocheuse qui pointe ses piques de cristaux vers le ciel rouge orangé.

Quelle idée avait-il eu de me faire puiser de l'eau dans la mer des brumes pour la faire boire aux jeunes recrues. Les pauvres, avec tout le sel présent dans cette eau, il leur en a fallu des jours pour que leurs langues dégonflent.

Soupirant mentalement, il franchit la grande porte de la salle en s'avançant jusqu'au centre, puis il s'agenouille selon la coutume au milieu du cercle à six branches. Bastos bouillonne de rage en son for intérieur, alors que son corps est aussi froid que la glace.

Il est calme dans sa grotte le bougre ! Qu'est-ce que j'aimerais lui tordre le cou s'il n'était pas aussi puissant !

— Tu ne devrais pas souhaiter de telle chose, Bastos de givre.

Cette voix ! Il est revenu.

— T'ai-je manqué, mon ami ?

Son sang ne fait qu'un tour, alors que la voix glaciale de Gan chauffe à blanc tous ses nerfs sensibles. La douleur s'intensifie à lui en donner la nausée, tandis qu'il subit le supplice en restant de marbre.

— C'est vrai que tu ne veux plus parler depuis que je me suis immiscé en toi.

Tais-toi ! Tais-toi ! Arrête de jouer avec moi ! Hurle Bastos au fond de son âme.

Les larmes se tarissent sur mes joues, tant la frayeur prend possession de lui.

— Gan ! Tu es de retour, grogne H.

— Oui mon maître, et j'ai d'excellentes nouvelles, répond-il d'une voix faussement joyeuse avant d'ajouter, j'ai convié notre ami ci présent pour entendre mes exploits.

H sort de sa grotte en faisant résonner ses pas. Depuis le départ du fauconnier de la peur, il donnait ses ordres du fin fond de son antre, ne sortant pour ainsi dire jamais. Loin que cela déplaise à Bastos qui pense qu'à sa place il aurait été écrasé par la honte d'avoir lâchement abandonné son fils dans l'état dans laquelle il était. De plus sa bonne femme de Flamma, tout ce qu'elle sait faire depuis, c'est de gouverner les hommes de feu qui sont devenus beaucoup plus cruels que son armée.

Le maître se fait piétiner par son entourage.

— Ressens-tu de la peine pour notre maître ?

Le visage de Gan apparaît dans l'esprit de Bastos, alors qu'il détourne le regard en serrant les poings. Gan se met à rire de façon cynique, tandis que H l'ordonne de se lever, ce que le fauconnier de givre fait sans une once d'hésitation.

Il n'avait pas revu son maître en face depuis ce jour sinistre. Emmitouflé dans sa cape en cuir remonté jusqu'à son nez, seul un œil de braise luit. À l'intérieur de sa tête, Bastos fronce les sourcils quand il remarque que l'émotion qui traverse son regard est de la compassion.

Oh, oh, j'en connais un, il serait là, il se ferait un malin plaisir de lui faire ravaler ce sentiment.

— Comment se porte Guénaël ? interroge sèchement H.

— Un peu perdu, mais il tient le choc. Par contre, je ne sais pas où cette maudite Loa l'a embarqué.

De légère vibration se ressent dans le sol.

— Il va bien je te rassure mon frère, j'ai bien protégé ton petit héritier chéri. Au point même que Cycla en a payé de sa vie, ajoute-t-il en s'esclaffant.

Les yeux de Bastos s'agrandissent d'effroi devant les informations qu'il entend.

— Ce ne sont pas de « bonne nouvelle » ce que tu m'indiques Gan. Et aurais-tu oublié que nous ne sommes pas seuls ?

H montre du bras le fauconnier de givre, mais Gan balaye son geste de la main. Il s'approche de son frère et lui attrape le visage entre ses deux mains. Gan semble murmurer d'autres révélations, que Bastos n'arrive à percevoir tant son cœur assourdi, ses oreilles.

Le maître baisse la tête, puis pose une serre sur l'épaule de son frère en lui accordant son approbation. Gan lui fait une révérence exagérée avant de s'éloigner et de sortir de la grande salle. H s'approche de Bastos jusqu'à lui faire face en le dominant de sa hauteur. L'une de ses griffes caresse l'arête de sa mâchoire, sous les tremblements de peur du fauconnier. Or son enveloppe ne fait pas paraître son état. Sans un ordre direct de son maître, Bastos de peut allez et venir à sa guise hors des frontières de Balckvoïd.

La dernière fois qu'il avait pu respirer l'air des plaines, c'était pour inspecter l'avancée de l'armée, et heureusement que sa présence a été avec les jeunes rabatteurs pour les secourir. Son action a pu éviter aux soldats d'être emportés par la vague qui s'est abattue sur eux, lui permettant de revoir dans les airs son frère, mais surtout Sophia. À ce moment, son cœur s'est libéré d'un poids cachant avec difficulté le retour de la demoiselle face à son maître, mais avec le retour de Gan cela lui sera inconcevable d'enfouir plus longtemps se renseignement valant de l'or.

— Bastos de givre, commence H d'un ton trop calme à son goût. Tu vas te rendre au lac de Cerulazu avec Félix, Alex et Keith.

Son étonnement devant cet ordre n'échappe pas à la chose en face de lui.

— L'heure est venue pour que la jeune force regagne notre camp. Elle y est plus ou moins prédisposée. Capturez là, et tu seras libéré des entraves dans lesquels mon frère t'a emprisonné.

Et si je refuse ? Pourrais-je l'avertir que l'endroit où elle se rendra prochainement sera un piège ?

— Si elle est accompagnée, tue ceux qui l'entourent.

Son œil luit d'une grande excitation en sentant la crainte du fauconnier qui pourrait se retrouver face à ses anciens camarades, et qu'il n'aura que d'autres choix que de les combattre.

— Keith, entre !

Le jeune métis fait son entrée dans la grande salle et s'agenouille. H lui présente le plan, alors que Bastos tergiverse dans sa tête sur les solutions qui peuvent se présenter à lui. Les bribes de leurs conversations ne lui échappent pas non plus.

— Il est opérationnel ?

Keith baisse les yeux devant son maître, puis hoche la tête avec hésitation. Si Bastos doit refaire confiance à une autre personne comme Méric au sein de Blackvoïd, ce serait bien ce jeune garçon. Second des rabatteurs, ayant maintenant pris la tête à la place du fils de Loa.

Il a vécu une cuisante défaite face aux déesses qui l'a beaucoup marqué depuis, et la démonstration de force de l'ennemi, ne l'a pas laissé indifférent. Keith avait tenté de se battre avec autant de hargne que Félix ou Alex, mais il s'est vite laissé submerger par les informations contradictoires qu'il recevait. Comparé aux deux autres, il réfléchit beaucoup, et reste en retrait avant de dévoiler tout son potentiel.

Le second n'a pas forcément de don, mais il est très ingénieux dans la conception d'objet, de prison ou encore d'arme. Cette fois-ci, il tend la main en redressant la tête bien haute devant son maître et garde le poing fermé tourné vers le ciel.

Bastos scrutent chaque mouvement. Au fur et à mesure que ses doigts se soulèvent pour dévoiler la chose qui leur permettra de capturer Sophia, et dont il essayera s'il arrive à reprendre possession de ses mouvements, à dérober. Or une lumière aveuglante apparaît soudainement.

Le fauconnier de givre cligne plusieurs fois des yeux, s'habituant à nouveau au paysage qui l'entoure. Il remarque qu'il n'est plus dans la grande salle, mais face à son destrier. Un long soupir s'échappe malgré lui en découvrant que son maître n'a pas souhaité lui faire part de l'arme prévue pour contrer la demoiselle.

Les pas lent et lourd de Louadix s'approchent de lui, son esprit meurtri par sa situation. La bête ressent tout le poison que Gan à propagé dans le corps de son maître. Son doux pelage rentre en contact avec le front de Bastos, qui lui est soulagé que le fauconnier de la peur n'ait pu lui faire quoique ce soit.

Déjà que je me suis promis de le tuer, là j'aurais été obligé de me rendre dans l'autre monde pour lui botter le cul pendant une éternité.

— Tu ne pourras me détruire, je suis plus fort que toi.

Ses poils se hérissent le long de la nuque, tant sa présence en devient insupportable, tandis que son destrier lui tourne le dos, puis s'éloigne le cœur lourd.

— C'est une brave bête que tu as là Bastos, je n'en dirais pas autant du mien.

Bastos fronce des sourcils, puis remarque que le destrier de Gan n'est pas présent dans l'enclos. Il observe son camarade qui admire la robe de sa monture, perdu dans ses pensées. Le fauconnier tente de reprendre le contrôle de son corps, mais ses tentatives se résous à un échec, et n'échappe pas à Gan.

Rapidement, il se retourne pour s'agripper à la tête de Bastos en le fixant droit dans les yeux. Trop faible pour résister, le géant de glace tombe sur les genoux, les yeux révulsés par l'acte de Gan. Sa noirceur envahit son âme et prend possession de son esprit en manipulant consciencieusement ses peurs. Il se sent comme un petit garçon abandonné dans le noir, ne pouvant bouger ou échapper au monstre se trouvant sous le lit. Il a peur, tellement peur.

Une voix glaciale se faufile au plus profond de son cœur, alors que l'image de son destrier apparaît de plein fouet, agonisant, se débattant sous la torture d'une petite fille. Il ressent la douleur et la tristesse que Gan subi en faisant ce cauchemar effroyable, mais il amplifie ses émotions en Bastos pour qu'ils les ressentent plus puissamment. Il a envie de hurler face à la petite fille riant avec son arme tranchante, mais Gan empêche sa bouche de s'ouvrir.

Ne tente même pas de résister, il ne sert à rien.

Tu es faible. Obéis et je te rends ta liberté. Trahis-moi, et tu vivras un enfer encore plus néfaste que ce que tu vis actuellement.

Ses mains se détachent de sa tête, laissant son corps allongé sur le sol, tremblant et bavant comme un vieillard.

Il est la mort en personne.

Bastos ne peut lui résister. La peur déchire son cœur en un millier d'éclats qui se répand et qui se fait marcher dessus.

Gan s'éclipse tandis que les trois chefs des sections accourent vers Bastos qui relève avec peine. Le fauconnier remarque les étranges expressions qu'ils abordent. Alex, souris les bras croisés, mais derrière son regard se cache de la peur. Félix évite tout contact visuel et s'assure que le destrier ne présente pas de séquelles, en ressentant ses émotions. Et Keith, que dire... La pitié, la peur, l'incompréhension envahit son âme. Tous trois restent silencieux.

Bastos passe devant eux, chancelant de l'attaque mentale qu'il vient de subir, mais restant toujours aussi froid que les banquises de Blasqueen. Or Keith lui attrape le poignet et le fixe intensément. Il tente d'apaiser sa souffrance en lui montrant qu'il sera toujours là ; mais à ce niveau, le fauconnier ne souhaite qu'une chose : mourir.

Le chef des geôliers sent la souffrance de Bastos, puis lui lâche le bras et l'informe qu'ils partiront dans quelques heures. Le fauconnier hoche la tête, puis se dirige vers ses appartements, détruit de part en part.

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