30 - La colère de Gothika
Les habitants de Destria courent dans tous les sens. Les vieillards et les enfants se faufilent dans la forêt, tandis que les guerriers et guerrières se mettent en avant formant plusieurs lignes face au danger arrivant dans leurs directions.
Riertsedi, reste en retrait avec Thomas, alors que Méric, Lyvia et Tidus affûtent leurs esprits derrière l'armée. Astos, reste près de Jackiel et Elias, quand à Luka il fait des aller et retour en guettant comme un prédateur. Le samouraï scrute par-dessus son épaule et repère en haut des piliers le jeune couple, puis il hoche la tête pour les prévenir qu'ils sont prêts.
Draguir resserre son bras autour des épaules de sa sauvageonne. Son souffle s'accélère, ses yeux se noircissent, il n'a pas envie de revoir la femme qu'il l'a retourné contre sa bien aimée il y a peu. De la où ils trouvent, ils peuvent être assez proche pour entendre, et assez loin pour pouvoir déguerpir au besoin, mais même s'ils veulent que Sophia se mette à l'abri, elle compte se battre jusqu'au bout.
La noirceur n'est plus qu'à quelques mètres, alors que la colère de la déesse est palpable jusque dans les tréfonds de la terre. Sophia aurait aimé qu'Evy soit là avec Herba, mais ni l'un ni l'autre ne fait don de leurs présences.
Elle garde son regard fixé sur le trajet de la déesse, qui fait ressortir son aura meurtrière à un point inimaginable. La jeune femme se demande si ses déductions par rapport à sa venue sont exactes. Ses mains se crispent sur la mousse poussant sur la roche du pilier, alors qu'elle retient sa respiration sur le dernier mètre que Gothika parcourt. Une perle de sueur froide coule le long de sa nuque, lui provoquant d'innombrables frissons.
Draguir ressent son angoisse grandissante, quand sa mère montre enfin son visage hors de la lisière de la forêt. Dans sa robe en mousseline noire, elle avance déterminée à provoquer le génocide du siècle. De sa main gantée d'une dentelle sombre, elle tient le bas de sa jupe pour mieux fouler le sol, tandis que l'autre est entourée d'un serpent se fendant autour de son bras. Sa peau aussi blanche que de la porcelaine contraste la couleur dominante de ses habits.
Elle porte une coiffe qui d'un voile en résille couvre ses yeux et son nez, mais sa bouche recouverte d'un rouge sang s'élargit de plus en plus, comme si ce qu'elle s'apprête à accomplir va lui procurer le plus d'excitation possible.
Gothika s'arrête à vingt mètres de l'armée. Un silence de mort plane au-dessus de toutes les âmes présentes au village. Reirtsedi s'avance à l'aide de sa canne, alors que tous retiennent leurs respirations. Le sage commence à passer la première ligne de défense, mais il s'arrête quand, d'un coup, les hommes et femmes devant lui s'écroulent dans un sommeil éternel.
La déesse n'a pas bougé d'un pouce. Son regard est passé sur l'un et l'autre au fur et à mesure, et dans sa sournoiserie, elles les ont fait tomber pour indiquer son avertissement.
— Où est-elle ? souffle-t-elle.
Sophia ressent une vile douleur au fond de son cœur. La perte, l'abandon, la mort... Alors qu'une larme roule sur la joue de Gothika, l'âme blessée.
— On devrait descendre, propose Draguir.
Sophia le regarde stupéfaite, mais il a le visage fermé. Il glisse son bras autour de sa taille et déploie ses ailes pour l'emporter jusqu'au sol. Le fauconnier attrape la main de sa sauvageonne, puis s'avance déterminer jusqu'au groupe. La demoiselle est tétanisée face à la déesse.
— Ils vont avoir besoin de notre aide pour contrer Gothika, annonce Draguir avant d'ajouter, je ne sais pas ce qu'elle veut, et pourquoi elle est ici.
— J'en ai une petite idée, murmure Sophia à elle-même.
Il s'arrête net en entendant les paroles de sa sauvageonne, puis resserre sa poigne contre sa paume. Il plonge ses yeux sur ceux de la demoiselle en la regardant avec insistance. Elle ne sait comment lui annoncer la mort de la sœur préférée de sa mère, alors que le voile qui obstrue ses pensées a dû mal à être contrôler.
— Draguir, nous devons y aller et affronter la colère de Gothika.
— C'est bien ce qui me fait peur. Sa colère, soupire-t-il.
Ils arrivent à la hauteur du village quand le regard de Sophia croise celui de Gothika. Ses iris se dilatent quand ses yeux se posent sur les mains enlacées du jeune couple. Elle avance d'un pas, mais les guerriers choqués d'avoir perdu sous leurs yeux, amis, pères, mères, fils ou filles, brandissent à l'unisson leurs lances dans sa direction.
— Je ne ferais pas un pas de plus si j'étais vous, annonce calmement Reirtsedi.
Gothika sort un éventail noir brodé avec du fil pourpre de sa ceinture, et s'évente avec. Elle prend un malin plaisir de narguer le sage du village avec ses airs d'arrogance.
— Voyions grand sage, je ne ferai pas de mal à vos petits protégés, sourit-elle avec sarcasme.
— Et ça s'était quoi ? montre-t-il la rangée morte à ses pieds.
— Un simple avertissement.
Elle referme son épouvantail dans sa main d'un geste sec, faisant sursauter l'assemblée. Un sourire édenté s'élargit de plus en plus, alors que Sophia lâche la main de Draguir et s'avance vers elle en entendant les protestations ou insultes de ses compagnons. La jeune femme ressent parfaitement la douleur que la déesse tente de contenir au fond d'elle.
Gothika l'aperçoit arriver en plissant les paupières et en bombant sa poitrine, pour garder ses allures de provocation, mais Sophia ne ressent plus la peur, au contraire. Elle la fine conviction qu'elle peut la soulager de sa souffrance.
Ne t'avance pas plus.
Son pied s'arrête avant de franchir la ligne restante de défense, puis elle porte son regarde à son poignet et remarque une lumière brillante à la place d'Evy sans qu'il ne soit là.
Essaie de gagner du temps, le temps que l'on arrive.
Sophia ferme les paupières et concentre toutes ses pensées vers son ami.
Est-ce qu'Herba est avec toi ?
Oui, et elle souffre aussi. Mais surtout n'affronte pas Gothika, elle reste la plus dangereuse et imprévisible de toutes.
Sa voix, son message, s'est éteinte dans un écho lointain. Evy la prévient de ne pas affronter Gothika, mais qu'elles options leur reste-t-il ?
— Je comprends ta peine déesse de la mort, et je suis vraiment désolé, annonce-t-elle à son attention.
— Tu comprends ? Ah ! Ce ne sont que des balivernes ! commence-t-elle à s'énerver. Je le vois sur ton visage, les ravages qu'a provoqués la mort de ma chère sœur.
Des murmures d'incompréhension se propagent autour d'elles. Reirtsedi tourne la tête dans la direction de Sophia et scrute la moindre réaction qui palpite dans ses muscles.
— Tidus, non. Reste ici.
Astos tente d'empêcher le jeune homme de s'approcher, mais il l'ignore et se place au côté de Sophia.
— Que me veux-tu jeune effronté ? demande Gothika à son attention.
— Vous n'avez pas à lui parler ainsi, espèce de cinglée ! crache celui-ci menaçant.
— Voyez-vous ça ?
Gothika pose ses mains sur ses hanches, et le regarde de haut en bas. Sophia a peur que la déesse reconnaisse le fruit de sa chère sœur, puis elle se rapproche du garçon qui arrive à tenir tête à cette divinité malfaisante. Luka se poste également à ses côtés, retroussant ses babines et montrant ses crocs. Tous suivent le mouvement pour le protéger, mais celui-ci s'avance encore d'un pas, et brandit son poing qui se charge d'électricité.
— Vous ne faites pas le poids contre nous, annonce-t-il d'un ton ferme avant de plaquer sa main avec force sur le sol.
Le ciel se recouvre d'épais nuages, s'éclairant et tonnant face à la force de l'orage imminent. La bienveillance de Tidus se transforme en montrant une puissance inconnue de tous.
— Tidus ?
Sophia tente de tendre le bras vers lui, inquiète de ce changement soudain de comportement. Ses yeux gris métal reflètent les amas qui s'accumulent au-dessus de leurs têtes, alors que Gothika explose de rire devant sa démonstration. Elle n'a pas du tout peur, puis elle lève le bras au-dessus de sa tête et commence à l'abaisser.
Sans manquer d'originalité d'un monde à l'autre, une faux gigantesque se matérialise dans la main de la déesse. Elle le tient en l'air, puis commence à abaisser son bras pour accomplir sa sentence. La déesse est irritée par ce manque de respect, et veut abattre ses ennemis dans de violente souffrance.
Sophia, NON.
Sophia étouffe la voix d'Evy au fond de son esprit et éveille tous ses sens endormis. Il n'en est pas question pour elle que ses amis se fassent tuer. Poussée par l'élan de ses ailes, elle se met à courir en direction de Gothika. Ses compagnons s'écartent en la voyant arriver, tandis que Draguir se joint à ses côtés le regard éteint.
Le fauconnier attrapé par le col de Sophia, puis tenté de l'arrêter en attrapant son cou entre ses mains.
Elle a repris le contrôle sur son fils, la saleté.
Sophia se débat comme elle le peut sous son emprise, alors qu'il tente de s'immiscer en elle avec son pouvoir destructeur. C'est extrêmement douloureux de le regarder dans les yeux, tout en essayant de défaire sa poigne, tandis qu'elle sent la peur se frayer petit à petit un chemin dans ses entrailles, lui projetant des visions morbides de ses amis.
Luka, en forme de loup, avec la colonne vertébrale lacérée. Elias, dégoulinant de sang sur ses épées enfoncées dans son corps. Astos, pendu dans sa cave, après avoir vu tous ses amis périr... Tout le monde défile dans son regard voilé de blanc, alors que son corps tremble sous les doigts de Draguir quand il impose dans son esprit un arbre.
Un arbre tortueux, où en son cœur brille l'objet de tous les désirs. Un arbre qui se penche dangereusement au-dessus d'une falaise abrupte contemplant avec effroi, le monde autour de ses vieilles racines se briser.
Sophia cramponne ses mains plus fermement autour des poignets de Draguir, puis augmente sa force en lui faisant craquer les os. Le fauconnier hurle de douleur, tandis que la pression qu'il maintient sur son cou diminue de plus en plus. Tidus s'est jeté sur les épaules fauconnier en lui envoyant une puissante décharge, alors que Luka est en train de tirer son corps vers lui en le maintenant fermement dans sa gueule.
Draguir a perdu le combat face à sa mère. Tous les efforts fournis pour le récupérer définitivement ont échoué. Arrivant à se libérer, Sophia se tourne vers Gothika qui a les yeux complètement enveloppés d'une noirceur infinie. Ses cheveux balayent son visage avec force. Ses mains, réparties de chaque côté, sont tendues vers le bas, les paumes crispées retournées vers l'armée. Sa poitrine se soulève rapidement, en faisant appel à toute sa puissance.
L'aura grisonnante tourne autour d'elle, tandis que la fumée, en forme de serpent, se dessine autour de son corps. Gothika rapproche ses mains pour ne faire plus qu'un.
Si je ne l'arrête pas tout de suite, s'en est fini de cette zone, et nous avec. Songe Sophia.
La jeune femme s'élance à nouveau, mais cette fois-ci, dans sa direction. Malgré la douleur qui se répercute dans sa trachée, malgré les cris de souffrance de ses amis qui se battent contre un Draguir incontrôlable, malgré la violente tornade qui se forme dans le ciel, son objectif c'est elle !
L'armée part en soutien à ceux qui empêchent le fauconnier de s'échapper, laissant Reirtsedi seul entre Sophia et Gothika. En hurlant de rage, la jeune femme tente de tendre le bras pour l'écarter, mais il ne l'entend pas de cette manière. Reirtsedi hoche la tête vers une tout autre personne, puis lève son bâton vers le ciel.
En l'espace d'un millième de seconde, Sophia a pu apercevoir dans son regard une couleur ambrée traverser ses iris. Le choc la percute avec une violence telle, que quand il frappe la pointe de sa canne contre le sol, un tremblement ébranle chacun d'eux. La demoiselle s'écroule sur le dos, les oreilles sifflantes comme le son d'une grenade assourdissante. Tous tombent à terre en se tenant la tête pour calmer la douleur, de même pour Gothika qui n'échappe pas au mauvais sort.
Reirtsedi brandit à nouveau sa canne vers le ciel, où un vortex se forme au centre de l'amas de nuages. Il tente d'abaisser encore sa canne, mais il est projeté en arrière avec force par une branche le balayant sur son passage. Sophia ressent à nouveau la connexion se faire avec Evy.
On est de retour bichette, et on n'est pas seul.
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