28 - Une âme emporté par le vent

La tension est palpable, alors que le temps se fige. Loa s'apprête à combattre, tandis que Gan matérialise une arme entre ses doigts. Gabriel se lève en attrapant le corps inconscient de Cycla dans ses bras, puis court vers la forêt avant que la clairière ne devienne un lieu sans vie. Il regarde la déesse allongée derrière Loa, se promettant de revenir la rechercher.

— Arrête d'être dans mes pattes déesse de malheur, crache Gan aussi glacial qu'il le peut.

Loa ne prend pas la peine de lui répondre, et tourne son bâton strié autour d'elle. Gabriel sait que les pouvoirs des déesses sont limités sur terre, et comprend l'enjeu de leurs actions en entrant dans la bataille. Le corps statufié de Cycla démontre la faiblesse qu'emploie la terre sur leurs capacités.

Une équipe de Patrick arrive à sa rencontre au fur et à mesure qu'il s'enfonce dans le bois. Ils récupèrent le corps de la déesse, puis stop Gabriel qui va pour repartir aider les autres.

— Tu as ordre de ne pas y retourner, annonce l'un des soldats.

— Il y a d'autres blessés, crache Gabriel en se dégageant violemment de sa poigne.

Le garde à ses côtés se place devant lui en le menaçant avec son arme.

Savent-ils qui je suis ?

— Sérieusement les mecs, depuis le temps que vous voyagez avec nous, vous avez vraiment envie de vous en prendre à moi ?

Les soldats se regardent étonnés, mais redressent leurs fusils en les pointant sur Gabriel. Un rictus s'affiche au coin de la bouche du fauconnier en pensant à comment réagirait son ami Elias, et cela lui donne des idées. Il s'éclipse devant eux, pour réapparaître derrière le premier et lui donner une frappe du côté de la main dans sa nuque. Le s'écroule sous le choc quant à l'autre, il appuie sur la gâchette et tente de trouer Gabriel avec son arme.

Ce que Patrick ne leur a pas dit pour éviter de créer une panique dans ses rangs, c'est que, même si Gabriel est doté d'un pouvoir extrêmement vicieux, ses capacités aux combats ont été largement augmentées quand il était au service de H. Les fauconniers sont plus rapides, plus agiles, plus tête brûlée, et il y avait de quoi face à la chose qui les commandait. Ils ont beaucoup de mal à se faire passer pour mort, et monter cette rébellion.

Donc ce n'est pas un petit humain qui va me faire entendre raison. Et qui va m'empêcher d'aller chercher les autres blessés.

Jusqu'à présent, il put éviter tous ses tirs. Alors que le soldat se concentre sur sa cible, il oublie la personne se trouvant à ses pieds. Cycla pointe son doigt sur la cheville de l'homme et lui envoie une salve de jus dans le corps. Le soldat se met à trembler de toute part en ressentant la décharge.

Gabriel pose sa main sur l'épaule de la déesse pour lui signaler de s'arrêter, tandis que l'homme s'écroule, le corps secoué de spasme. Elle se lève avant de retomber sur ses genoux, épuisée. Le fauconnier se précipite vers elle pour la soutenir en l'aidant à se relever.

— Où sommes-nous ?

Elle pose la question comme si elle ne savait pas qu'elle se trouvait sur terre, alors que Gabriel sent sa peau froide.

— Je t'ai éloigné du combat, répond-il.

— Du... combat ?

Cycla n'arrive pas à remettre ses idées en place. Elle a utilisé une grande quantité de pouvoir dans un monde qui l'a chassé depuis des années, même si c'était pour protéger Gabriel, ça s'est retourné contre elle.

Si la déesse de la mort l'apprend, je ne donne pas cher de ma peau. Elles sont toutes liées, même si elles ne s'apprécient guère. Il faut qu'elle se repose. Je dois retourner sur place pour récupérer Leah, et l'autre corps.

Il se lève et commence à repartir, mais Cycla lui attrape le bas de son uniforme.

— Il y a des personnes à aller chercher, reste ici.

— Non, tu ne dois pas y retourner. Laisse Loa s'en charger. Elle est puissante.

Sa voix est craintive. Elle a peur de Gan, même si elle l'a affrontée il y a quelques heures.

À moins que ce ne soit pas de Gan dont elle est peur, mais de sa sœur. Ou de la personne inconsciente gisant à ses côtés. Il faut absolument que je sorte Leah de ce merdier.

— C'est hors de question, tranche-t-il sans appel.

— Alors je t'accompagne.

Gabriel lève les yeux au ciel songeant que son état sera plus une gêne qu'autre chose.

— Vous avez le petit ?

Pourquoi s'inquiète-t-elle pour le gamin ?

Il acquiesce malgré tout sous son interrogation, pour le lui affirmer. Elle lui répond bien avant de se redresser en chancelant, et de claquer des doigts pour faire naître une étincelle d'électricité. Son doigt est recouvert d'éclairs, puis elle appuie avec celui-ci sur les zones où se trouvent les impacts des projectiles en les cautérisant une à une, en se tortillant dans tous les sens.

Gabriel n'a pu obtenir plus d'informations concernant l'intérêt qu'elle porte à l'enfant de Flamma. Alors qu'ils courent ensemble à travers les troncs qui se dressent devant eux. Des éclats de voix et de rage fusent dans les feuillages. Des répercussions de coup se déploient dans le sillage du vent. Le combat opposant Gan et Loa sont sans pitié.

Il scrute les alentours pour épier les hommes qui se faufilent dans les fougères, armant leurs lunettes de visées pour garder un œil sur les puissances, et soupire devant l'absurdité de leurs actions.

Leurs petits jouets ne feront rien à part les chatouiller.

Ils atteignent la clairière où Gabriel tente de rechercher Leah des yeux. Mon cœur bat à tout rompre quand il l'a repère près de la lisière sur la gauche. Il va pour s'élancer vers elle, mais Cycla lui barre le passage de son bras.

— Que fais-tu ? demande-t-il inquiet.

— Laisse-la se débrouiller, elle en a dans la tête cette louve.

Il écarquille les yeux d'effroi. Leah est en train de ramper sur le sol, serrant des dents à chaque mouvement. Le restant de sa jambe arrière se traîne en laissant une ligne de sang après son passage.

— Ma cible c'est elle !

La déesse du doigt le corps allongé non loin de Loa, alors que Gabriel devine son identité. Il l'avait déjà rencontrée brièvement dans ses rêves, passant d'un temps à un autre. Elle ne disait rien, souriant et écartant les bras en regardant le ciel, pendant que le vent faisait voler ses cheveux aux carrés. Il la prenait pour une enfant qui s'amusait à tester ses pouvoirs, mais au contraire, c'était déjà une grande femme, aimée et jalousée de ses sœurs.

— Pourquoi ?

Il se retourne vers la déesse des tempêtes ahurie.

— Pourquoi est-elle ici ? précise-t-il sa question.

Cycla penche la tête sur le côté l'air de réfléchir. Elle plisse ses yeux, fixant la personne allongée dans les herbes hautes. Quand sa bouche s'ouvre, ses paroles lui glacent le sang.

— Pourquoi Jojo est encore en vie ? Si ce n'est grâce à notre petite protégée. Pourquoi nous souhaitons qu'elle bascule de notre côté tandis que les forces malfaisantes s'agrandissent face à nous ? Pourquoi Gothika et Herba travaillent ensemble en secret pour les mener sur de fausses pistes ?

Il recule d'un pas tandis que la déesse tourne la tête vers lui, souriant telle une prédatrice.

—J'ai toujours douté que ma petite sœur gardait un souffle de vie, mais je ne retrouvais pas sa dépouille quand elle est tombée dans le ruisseau des vies. Depuis la révélation de Flamma, avec Gothika nous faisons tout pour nous venger, mais la seule personne capable de la détruire est Sophia.

Elle baisse le visage mélancolique.

— Loa a toujours gardé un œil sur nous toutes. Elle est plus sage et plus réfléchie que ses sœurs. Elle souhaite conserver sa famille, mais s'est déjà résignée à ne pas la revoir au complet.

— Que...

Gabriel n'arrive plus à réfléchir à ce qu'il veut dire. Tout se bouscule dans sa tête.

Jojo est en vie. Sophia est attirée par les ténèbres par deux camps opposés qui veulent s'autodétruire.

Un voile se lève sur l'identité de cette personne. Timéa, déesse du temps... Son souffle se coupe quand l'information le frappe de plein fouet.

Il ne faut pas. Non, c'est impossible. Leurs histoires ne doivent pas influencer Sophia. Et pourtant, elle a l'air de me dire que son choix se dirige dangereusement vers cette voix.

— Je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour la protéger...

Cycla s'avance chancelante en se rattrapant à un arbre, fixant Gan avec un regard de haine.

— Elle savait qu'elle serait des nôtres. Elle savait qu'Imaginarium était en danger, mais nous avons toutes fait la sourde oreille.

Un filet de sang s'échappe du coin de la bouche de Cycla, alors que Gabriel réalise seulement trop tard que les blessures qu'elle s'est cautérisées n'étaient que les superficielles. Une douleur plus meurtrière déploie ses ailes en son sein.

Elle le regarde en lui souriant, paraissant sereine, trop sereine à son goût. Il lève sa main et caresse son visage. Elle appuie sa joue dessus en accueillant sa chaleur sur sa peau froide, tandis que le cœur de Gabriel se resserre. Cycla a une idée derrière la tête, et il ne pourra pas l'en empêcher. Il faut que je puisse mettre Leah à l'abri, alors que la louve vient de revêtir sa forme animale, retroussant ses babines dernières Gan. Loa, repérant la bête, éloigne dans une bulle d'eau le corps de Timéa.

— Prends soin de notre fils, annonce Cycla avec un sourire en coin avant d'ajouter, ne crois pas avoir aussi facilement effacé ma mémoire.

Gabriel se frotte la nuque gênée que sa manipulation n'est pas fonctionné sur elle, mais dans un sens, cela ne l'étonne que peu. Il retire sa main quand il aperçoit des étincelles se dégager de son corps, tandis qu'elle s'avance vers le combat se jouant sous leurs yeux.

Gan tiens le choc, mais il est essoufflé face aux attaques intempestives de Loa. Elle ne relâche pas la pression un seul instant, se matérialisant et dématérialisant en un liquide translucide. Ses projectiles d'eau s'éclatent contre la flore, prenant bien soin de ne pas toucher ses alliés et se protège derrière des murs invisibles à l'œil humain.

Gan, lui, projette son aura noire, usant de coup bas. Il indique une direction, pour ensuite prendre à revers son adversaire. Il calcule tout ce qui se passe autour de lui, à un détail près, la louve. Tapi dans les herbes, Leah se déplace tel un félin et adopte leurs caractéristiques pour attaquer au bon moment. Gabriel ne sait pas comment elle a pu se sortir de son état statufié, mais songe au fait que Loa canalise tous ses pouvoirs contre Gan.

— Tu commences à me taper sur les nerfs, rage Gan en levant les bras.

Une vague déferlante se propage de ses mains couchant tout sur son passage. Cycla qui s'avance en pétillant d'éclair, peine à s'approcher plus. Leah, déjà couchée prête à attaquer, se maintient comme elle le peut sous la force de la bourrasque. Loa, protégée de son mur, grimace contre la force de l'attaque qui arrive, malgré sa protection, le tissu de sa robe se lacère de part en part.

Gabriel se cramponne contre un tronc, croisant les doigts pour ne pas s'envoler. Le grésillement de talky de Patrick lui indique qu'il tente de rentrer en communication :

— Gabriel... que... passe...

— Mettez vos hommes à l'abri. Bientôt, il ne restera plus rien.

— Quoi ?

Patrick n'entend pas son retour. Ayant rejoint l'extérieur de la forêt pour mettre le petit à l'abri, il regarde impuissant avec son armée, le déchaînement des éléments au-dessus d'eux. Garbiel regarde face à lui le désastre qui se produit.

Si je m'en sors, ce sera un miracle. Dans le cas contraire, il faut que quelqu'un puisse informer Sophia de tout ce qui se trame.

— Loa ! cri-t-il à son intention.

Elle le regarde furtivement en continuant de parer l'incessante attaque de Gan.

— Essaie de faire repartir l'un de nous vers Imaginarium, pour que l'on puisse la prévenir de ce qu'il se passe.

Elle fronce les sourcils et oriente son regard vers sa sœur qui s'avance de nouveaux vers Gan en se protégeant avec sa barrière de vent. Un imperceptible hochement de tête de la part de Loa, l'informe qu'elle a compris ce qu'il va arriver. Gabriel envoie rapidement un message crypté à Patrick :

— Fuyez. Explosion. Retour.

Seul le grésillement lui répond, mais il comprend vite que ce qu'il a dit a bien été intercepté, quand les lumières rouges des viseurs disparaissent au fur et à mesure. D'une main, Loa emprisonne Leah dans une bulle d'eau pour l'écarter de ce qu'il va arriver. De l'autre, elle maintient son bouclier en place tout en se déplaçant en arrière. Gabriel se dirige vers elles, pour se mettre également hors de portée de la puissance que Cycla va dévoiler.

L'orage gronde dans le ciel. Les éclairs fendent les nuages. Le vent se lève telle une force venue de nulle part, mais à la fois, venant d'un seul être. Un tourbillon d'étincelles bleutées crépite autour de la déesse. Ses cheveux argentés volent au-dessus de son visage. Ses yeux, d'un naturel gris métal, se durcissent en anthracite. Gabriel l'observe, le cœur en peine s'avancer et s'interposer entre Gans et eux.

Il vérifie rapidement les plaies de Leah qui saigne abondamment, tandis que Loa lui jette une fiole qu'il réceptionne et verse sur le corps de son amie.

— Je vais devoir créer un bouclier pour nous protéger, je vous renverrais tous après à Imaginarium.

— Même Cycla, demande-t-il le souffle coupé et plein d'espoir.

Loa ferme les yeux. Elle sait tout autant que lui, que Cycla ne reviendra pas. Des larmes s'échappent malgré lui et s'écoulent sur son visage.

Toi, ma beauté, toi, ma moitié, je ne pourrai t'oublier. Je sais que depuis cette nuit, tu n'étais plus toi-même. Tu avais tout abandonné dans la folie. La folie d'une vengeance sans espoir, sans failles, et sans soutien que j'aurais dû t'apporter.

— Préparez-vous ! hurle Loa en brandissant les bras au ciel.

Sa sœur fait de même à l'opposé. Gabriel ne voit plus son visage, mais sa posture est meurtrière. Une tornade se forme dans le sillage des nuages et l'a rejoint au centre de la plaine. Les arbres se déracinent face à la force de la tempête qui fait rage autour d'eux. Des cailloux et des branches se répercutent contre le mur de Loa. Désarçonné, Gabriel observe achever son ultime attaque. Celle contre qui elle avait été vaincue par la force de mère Nature.

Sa tête se décale vers lui, elle est paisible. Gan, l'est un peu moins et commence à paniquer. Cycla abaisse les deux bras vers lui, et un déluge s'abat sur l'ennemi. Un mixte de toutes les catastrophes naturelles qui peut exister dans tous les mondes réunis s'effondre comme un seul être sur Gan. La pluie, la grêle, la neige, les éclairs... Le sol se fissure et gronde dans sa colère, en faisant échapper sa chaleur extrême.

Une vive lumière blanche s'éclaire soudainement, avant de disparaître comme un flash. Le temps se fige. La poussière retombe. Gabriel écarte les branchages qui se sont accumulés sur le bouclier de Loa. Celle-ci a pu tenir bon jusqu'à la fin du cyclone, mais est à bout de force hurlant en larme. Leah se repose au côté de la déesse du temps qui n'a pas bougé d'un pouce.

Gabriel se redresse en toussotant, essayant d'adapter sa vision face à la brume qui les entoure. Il s'avance prudemment dans l'épais brouillard, son cœur battant la chamade. La silhouette de Cycla se dessine enfin. Elle est debout et regarde le ciel. Il se sent soulagé d'un poids.

Elle a réussi !

Il court vers elle, et se positionne devant pour la prendre dans ses bras, mais son sang se glace quand elle apparaît complètement. Une flèche aussi noire que l'ombre des abysses transperce sa poitrine. Son regard est vide, tourné vers les étoiles de la nuit. Sa peau se fissure, laissant les derniers souffles de vie s'échapper dans un craquement. Du sang s'écoule le long de sa gorge.

Gabriel tente dans un tremblement de la prendre dans ses bras, mais son corps devient poussière et s'envole dans une légère brise. Il tombe à genoux, en pleurs, essayant en vain de rassembler ce qu'il reste d'elle, entendant le déchirement de ses sœurs à travers celles déjà présentent. Elle a donné sa vie pour vaincre Gan.

Un léger rire rauque se détache du silence, brisé seulement par les sanglots.

— Ce n'est pas passé loin, il me faut retourner auprès de H.

Gabriel tape du poing contre le sol, se lève et se dirige avec haine contre Gan. Celui-ci lui sourit le visage ensanglanté et disparaît dans un trou noir. Le fauconnier s'effondre à l'endroit où il se trouvait il y a maintenant quelques secondes.

— Tu me le paieras Gan ! Je jure sur ma vie que je te tuerai !

Son hurlement brisé se répand en écho dans le ciel.

Oui, la seule solution me frappe à présent. Il faut que Sophia bascule dans la noirceur. Pour les vaincre, c'est inévitable. J'en fais le serment.

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