27- L'enfant de la mémoire

D'abord tétanisé par cette information, Gabriel laisse son cerveau assimiler l'importance de ce que vient de dire Gan. Malgré lui, la réaction qui lui vient après le choc est un foutu rire nerveux. Il se plie en deux et s'esclaffe comme un forcené devant l'absurdité que vient de lui sortir son ennemi.

Lui, le mec silencieux, que l'on n'entend pas arriver, est le frère de H. Oui, non, là, je n'y crois pas du tout.

— Ma révélation à l'air de t'amuser, tranche-t-il glacial.

Gabriel se pince l'arrête du nez en tentant de se calmer se demandant comment aurait réagi ses collègues en apprenant ça.

— Gan, gan, gan, soupire-t-il, pourquoi me le dire seulement maintenant ?

— Parce que tu ne seras plus là pour le répéter aux autres, rétorque-t-il sur le même ton.

Gabriel tique sur sa phrase. Il se demande si Gan compte lui révéler son plan et ensuite lui faire la peau ou encore le manipuler comme Bastos en faisant de lui un pantin destructeur. Dans les deux cas, il ne compte pas se laisser faire.

Gan glisse sa main le long de la mâchoire de son adversaire, puis recule pour reprendre position sur son rocher. Il manipule dans ses mains un étrange objet qu'il s'amuse à tourner et retourner, sous son regard perçant, est mélancolique. L'hilarité de Gabriel s'est envolée aussi sèche qu'il était venu. L'oppression commence à se frayer un chemin vers son cœur, tandis que l'atmosphère devient de plus en plus lourde.

Il aperçoit du coin de l'œil, le pelage de la louve qui se fraie un chemin dans les broussailles de la forêt. Gabriel se dit que Gan l'a sûrement repéré, mais n'agit pas contre elle. Cela le soulage, et l'inquiète d'autant plus.

Il glisse une main dans son dos, là où se trouve son couteau cranté, et regarde furtivement le reste des hommes éparpillés sur les arbres, puis ferme les yeux. Il lui semble que ce doit être le bon moment pour le prendre à revers. Car si H est déjà dangereux, son aîné doit l'être tout autant.

Il avance un pas discrètement dans sa direction, levant délicatement l'arme dans son dos. Il profite de l'occasion de son absorption pour le prendre en traître. Gan ne le regarde pas.

C'est le moment ou jamais.

Gabriel lève son bras à quelques centimètres de sa proie, mais le regard vert de Gan croise le sien. Toute trace de tristesse a disparu, laissant son regard indéchiffrable. L'obscurité envahit son entourage. Comme si le paysage s'effaçait gommé par une encre invisible. Il n'y a plus que ses yeux qui planent dans le vide. Le bras de Gabriel est bloqué en l'air, et il n'arrive plus à l'abaisser. La peur le paralyse totalement, alors que la sueur froide couler le long de sa nuque.

— Tu pensais que je me ferais avoir si facilement. Tu penses trop fort.

Sa voix se répercute en écho autour de Gabriel.

— Je sais que tu ne me sous-estimes pas, mais là, c'était une décision vraiment grotesque.

Aucun son n'arrive à franchir ses lèvres. Seule la bile lui monte dans la gorge, alors qu'il ne voit pas à un centimètre. Un rire candide franchit la barrière du silence pesant. La joie d'une petite fille innocente résonne dans sa tête. Cela le terrifie, car ce son se transforme peu à peu à un gloussement sinistre. Il utilise la projection de Sophia enfant, pour la transformer en une gamine torturée.

C'est répugnant.

— Tu trouves ?

Sa voix lui pose la question d'une manière à laquelle il ne s'attendait pas.

— Elle sera mienne dans peu de temps. La vie. La mort. Que choisira-t-elle ?

Sa réflexion se balance telle une balle de ping-pong, alors que Gabriel pense que Gan a l'air de connaître déjà la réponse.

L'avenir de Sophia se joue-t-il en ce moment même à Imaginarium ?

La vision d'une gigantesque vague détruisant tout sur son passage lui apparaît. Des forêts sont déracinées. Un mur de glace a détruit une bonne partie de la plaine. De la lave s'écoule sur les montagnes. Ses yeux s'agrandissent d'horreur devant ce désastreux spectacle.

— Je vous plain qu'à moitié, pauvre que vous êtes.

Il annonce cela, alors que Gabriel s'effondre impuissant devant les images qui défilent sur le fond noir. Imaginarium se meurt. C'est le début de la fin.

— S'il ne nous avait pas trahis. S'il n'avait pas préféré la vie paisible à notre mort destructrice. S'il ne l'avait pas rencontré. Tout ceci ne serait jamais arrivé. Mais ce ne sont que des si.

Parle-t-il de H ?

— La demoiselle fera l'affaire. Mon frère a détruit tant d'univers, tout en la recherchant.

Sa voix n'est plus qu'un murmure qui s'éteint peu à peu. Gabriel doit beaucoup se concentrer pour l'écouter.

— J'ai absorbé tant de dons, et pourtant il me résiste encore. Il se bat à ses côtés, la protège.

Draguir ?

— Tant d'illusions qu'il manifeste de jour en jour.

Que veut-il dire ? Ses phrases deviennent de plus en plus énigmatiques. Je n'en comprends plus le sens.

— Quand ils l'auront trouvé, cela déterminera le destin de chacun. Gothika, je compte sur toi, sinon je ne répondrais plus de mes actes.

Le souffle manque à Gabriel qui remarque qu'il se fait envelopper par une substance visqueuse. Le pouvoir de Gan est effrayant, telle une araignée qui empoisonne sa proie pour mieux la dévorer. Grincheux s'est fait piéger comme un bleu, alors que ses larmes coulent le long de ses joues sans qu'ils ne puissent les retenir.

Me voilà comme un con, emprisonné dans les serres de Gan, avec aucune échappatoire. C'en est fini, et cette fois-ci, aucun retour en arrière n'est possible. J'aurais tant voulu le revoir. Mon fils !

Il essaie de le visualiser une dernière fois, avec ses petites bouclettes blondes, et ses yeux particuliers d'une teinte métallique. Recroquevillé sur lui-même, il repense à tout ce qu'il a fait depuis la découverte de son maudit don.

Bien avant qu'il ne mette les pieds à Imaginarium. Bien avant de rencontrer Patrick. Bien avant la mort d'un innocent. Gabriel était un médecin militaire. Sa passion, aider les personnes vivant dans des difficultés extrêmes. Il faisait tout son possible pour soigner les enfants dépérissant par le manque de nourriture, les vieillards en leur apportant une mort confortable. Aidant les soldats qui revenaient parfois troués comme du gruyère. Ça, pour avoir du sang sur les mains, il en avait pas qu'un peu. Mais malgré tout c'était son fardeau, sa torture. À chaque vie qui s'éteignait entre ses mains, il faisait tout son possible pour en sauver autant.

Jusqu'à ce que cet enfant apparaisse. Aussi maigre que ses congénères. Aussi sale que le fond d'une cave, et pourtant, souriant et respirant la joie de vivre. Il était très respecté par son entourage, et Gabriel ne comprenait pas pourquoi. Ce n'était pas un prince ni un grand seigneur, seulement un gamin de dix ans. Il arrivait à lui dire où était la douleur de chaque personne se présentant devant lui. Il mettait fin à la vie de ceux à qui il ne pouvait plus intervenir en posant la main sur eux. Jusqu'à ce que Gabriel comprenne qu'il possédait ce don. Son visage lui apparaît toujours flou, mais son sourire reste gravé dans sa mémoire. Il était malade. Son pouvoir lui rongeait les entrailles, mais il luttait. Pour lui, mais surtout pour les autres.

Malheureusement, les soldats n'étaient pas en sécurité dans leur petit village, et la guerre a éclaté. Le sang s'est répandu comme une traînée de poudre. Les habitations brûlaient et les balles fusaient. Gabriel a tout tenté pour le sauver, mais il se tenait au milieu de tous les cadavres qui jonchaient le sol. Il n'était pas en colère ni n'avait de peine. Il marchait au milieu de se carnage tel un ange de la mort répandant sa miséricorde.

Il s'est avancé avec ce sourire malsain. A tendu la main vers le fauconnier, alors qu'il lui pointait une arme vers lui. Gabriel était terrorisé. Cela avait dégénéré d'une manière incompréhensible, et sans qu'il s'en rende compte, le coup est parti. L'enfant s'est écroulé dans ses bras.

Il lui a maintenu le visage dans ses mains ensanglantées, puis dans son dernier soupire, il lui a transmis son savoir. Sa malédiction.

Un rictus apparaît sur son visage, alors que le liquide le recouvre quasiment dans sa totalité. Il se concentre de toutes ses forces en comprenant seulement que maintenant : l'enfant n'était pas si innocent que ça. C'était lui qui a provoqué ce massacre en manipulant la mémoire de chaque personne, et même la sienne pour qu'il le tue.

Le petit malin.

Gabriel relève la tête et fixe un point invisible devant lui. Il transmet toutes les images qui lui reviennent pour les faire répercuter sur Gan. Il tente de contrer son pouvoir maléfique tel un miroir reflétant son attaque. Gan hurle de rage, comme un grognement provenant des entrailles de la Terre, alors qu'une main se pose sur son épaule.

En levant la tête vers la personne, il a l'illusion de revoir cet enfant. Il l'accompagne souvent quand il force sur son talent, en souriant sincèrement, tandis que l'image s'effrite et la remplace par une beauté sans pareil. Les cheveux ondulant face au vent. Le reflet argenté de sa chevelure au clair de lune. Ses courbes exquises sous son regard assassin et protecteur. Elle est d'une telle beauté. Même quand elle employait la torture sur lui, qu'il ne pouvait s'empêcher de l'admirer.

L'attaque part en un éclair, alors que la foudre brise la malédiction de Gan. Les nuages s'amoncellent tel un tourbillon se formant dans le ciel. Gabriel n'a jamais pu cerner ses intentions, mais clairement là, il ne doute pas un seul instant que Cycla va faire mordre la poussière à son ennemi.

Le liquide visqueux disparaît, laissant Gabriel se redresser en chancelant à moitié. Cycla se positionne devant lui telle une barrière protectrice. Le vent qu'elle souffle les entoure formant un mur invisible. Les bourrasques sont puissantes, alors que Gabriel ouvre sa bouche s'ouvre pour l'appeler, mais elle ne lui laisse pas le temps de formuler sa phrase.

— J'ai toujours gardé un œil sur toi, blondinet.

Elle a conservé ce surnom débile, ça me dépite.pense-t-il en secouant la tête.

— Je suis venue, dès que j'ai ressenti que ta présence dans les étoiles s'amenuisait.

Elle décale légèrement sa tête vers lui, exposant ainsi la sensibilité qu'il a auparavant connue chez elle. Autrefois, elle est arrivée sur leur planète, créant une multitude de catastrophes, mais elle a lamentablement perdu face à une force bien plus supérieure à elle. Cycla avait échoué dans le désert, blessé de toute part. Il l'a secouru, et a pris soin d'elle, mais elle n'est pas restée longtemps, juste quelques jours. Elle l'a quittée après qu'ils ont passé une nuit passionnée ensemble, et depuis il ne l'avait pas recroisée avant d'atterrir à Imaginarium, seulement quelques mois après.

Gabriel ne pensait pas qu'elle le gardait à l'œil. Pour lui, elle avait tourné la page en lui balançant le petit dans les bras. Comme quoi, on ne connaît pas vraiment les sentiments des personnes et Gan ne s'attendait pas à une telle intervention. Il est aussi puissant qu'elle.

— Tu ne te battras pas seule.

Gabriel se positionne à ses côtés, ne prenant pas la menace en face d'eux à la légère. Cycla lève les yeux agacés, mais ne tente pas de lui faire changer d'avis. Gan quant à lui, a le regard qui pétille, le revirement de la situation l'excite au plus haut point.

Cycla claque des doigts pour ordonner à la foudre de s'abattre sur l'adversaire, mais il pare l'attaque grâce à sa cape. Seuls des résidus de cendre restent dessus, alors que Gan n'a rien. Elle tente de lancer une salve de grêle sur lui. Augmentant la vitesse, la grosseur, et la trajectoire de l'impact. De son autre main, elle provoque un tremblement de terre. Le sol se fissure de toute part, créant ainsi un gouffre si profond, que la lave gronde en crachant sa chaleur.

Gabriel profite de la confusion qu'elle a créée pour s'écarter et se rapprocher de Gan en contournant largement les zones sinistrées. Il veut qu'il lui révèle comment Sophia est censée basculer du côté obscur. Et surtout, trouver la faille de son plan.

Les bourrasques sont tellement violentes, qu'il a l'impression de manquer d'oxygène, alors qu'il avance difficilement, tout en gardant un œil sur le combat se jouant sous ses yeux.

— Gabriel ! hurle Leah.

La louve se transforme prête à intervenir. Alors que son ami ne veut surtout pas qu'elle se mette en danger, mais un grésillement surgit à son oreille. Dans sa réflexion, il n'a pas remarqué que Leah s'est rapprochée de lui et qu'elle lui a plaquée dans un flot de bave, une oreillette.

Il ne prend même pas le temps de grimacer ni de l'essuyer, qu'il écoute la voix de Patrick :

— Le petit est entre nos mains... État critique... Fuis.

La communication est hachurée, mais de ce qu'il comprendre, Patrick lui indique de fuir, parce que Guénaël a été récupéré. Gabriel tourne la tête vers la louve qui s'est un peu éloignée, et secoue la tête de gauche à droite. Grâce à son ouïe fine, elle a très bien compris pourquoi il réagit comme ça, et sa réaction est sans appel. Son museau pointe la tempête, tandis que le signal est donné. Après son champ de bataille, elle fonce droit sur Gan, alors que Gabriel se met à courir à ses côtés.

Cycla, arrive à leur ouvrir un passage vers cette enfoirée. La déesse maintient une pression phénoménale sur lui. Il n'arrive pas à bouger, pourtant son regard reste inchangé.

— Leah écarte toi ! cri-t-il à son attention.

Elle le regarde étonnée, avant de couiner de souffrance. Sa patte mécanique explose en millier de projectiles. Gabriel saute à temps sur le sol, protégeant sa tête des impacts, se répercutant sur eux. Il tente de regarder autour de lui en levant légèrement la tête. Les arbres ne sont plus secoués par la tempête. La terre a arrêté de gronder.

Leah à sa gauche est enveloppé d'un liquide transparent, tout comme la personne au-dessus de lui. Gabriel se dégage de celle-ci qui retombe avec lourdeur sur le sol. Il tend sa main pour caresser sa joue, alors que sa peau si pâle est souillée par le liquide rouge figé sur sa robe. Ses yeux fixent le ciel avec une profonde tristesse. Il se retourne vers Gan, qui n'apprécie pas les nouvelles arrivantes. De justesse, elle a réussi à préserver le souffle de la déesse de la tempête, et contenir l'hémorragie de la louve. Elle est accompagnée de sa sœur, qui lui a fourni un peu d'énergie pour pouvoir intervenir avant de sombrer de nouveau dans un profond sommeil.

Loa l'a couche délicatement sur l'herbe avant de se redresser, de sortir son arme, et de défier Gan, qui vire sur une sourde colère. La tension est palpable, tandis que les dégâts sont déjà bien trop considérables. Une seule chose vient à l'esprit de Gabriel en observant se désister.

Que foutent trois déesses au même endroit ?

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