23 - Destria


// Avertissement : le début de ce chapitre peut être un peu beaucoup glauque. Donc âme sensible merci de s'abstenir. Après j'ai essayé de ne pas trop faire dans le morbide. Bonne lecture! //

La vie, la mort. Deux entités bien distinctes s'assemblant et se complétant, mais que tout oppose. La vie, la mort, dont l'effroyable déesse a puisé dans le lien qui unissait deux êtres pour n'en sauver qu'un. Alors qu'une autre place l'âme dans une graine servant de réceptacle pour le maintenir en vie. Une vie pour une vie, telle est la phrase marquée au fer rouge.

Une ligne si facile à franchir entre la vie et la mort, quand l'un ne peut pas survivre sans l'autre. Un corps meurt, tandis que l'autre renaît de ses cendres tel un phénix après avoir vécu ses longues années de vie. C'est bien là un funeste sujet qui tourne en boucle dans l'esprit de Sophia.

Assise au milieu de la couverture d'eau qui recouvre finement le sol de son esprit, Sophia s'est une fois de plus enfermée dans son subconscient. Laissant les cauchemars, la hanter, plutôt que de s'envoler vers d'autres contrées.

Sa tête soutenue par sa main, elle fait tourbillonner le liquide avec son doigt en soupirant de lassitude, alors que de petits pieds apparaissent sous son regard. Elle lève la tête et découvre une petite fille se balançant d'avant en arrière, les bras dans le dos. Un simple drap recouvre son corps pâle tandis que des cheveux châtains encadrent son visage candide. L'enfant plisse ses yeux mi-verts, mi-rouge, tandis que sa bouche cousue forme un rictus.

Étrangement, malgré l'apparence flippante de la jeune enfant, Sophia se sent sereine en sa présence. La petite fille lui tend la main que la jeune femme prend avant de la suivre dans les méandres de son esprit. L'enfant lâche sa prise, tandis qu'elle se met à courir dans l'obscurité. La jeune femme tente de la rattraper, mais ses pieds courent dans le vide sans pouvoir l'atteindre.

La béatitude qu'elle ressentait laisse place à une présence oppressante. Une paire d'yeux verts étincelle dans l'obscurité, suivie d'un rire effroyable se répercutant en écho sur les parois de son esprit. Une voix glaciale transperce son âme comme un avertissement :

— Ne cherche pas à me fuir, tu me rejoindras le jour où tu l'auras trouvé.

Sophia se demande de quoi la voix l'avertit, alors que celle-ci lui indique :

— Regarde.

La petite fille tourne autour de l'ombre, maintenant un objet poilu dans ses mains et chantonnant une mélodie sinistre. Sa bouche cousue ne s'ouvre pas, mais elle dégouline de sang ainsi que ses mains. Sa présence rassurante, plus tôt, laisse place à un sentiment effroyable, comme si elle était habitée par le mal. Elle s'assied sur le sol, puis pose délicatement l'objet sur une chaise qui apparaît de nulle part, suivie d'une table, de même que d'autres petites chaises et des peluches difformes.

Un ours avec les yeux cousus en croix, un foulet qui n'a plus de tête, et un dragon aux ailes arrachées. Elle sert des tasses de sang à ses compagnons de jeu quand Sophia remarque que le compagnon le plus monstrueux est la tête de Jojo que la petite fille caresse avec affection. L'ombre s'esclaffe de son rire sinistre :

— Bientôt, tu seras mienne.

L'ombre caresse la tête de la jeune enfant, tétanisant la jeune femme par cette vision. La bile lui monte à la gorge, alors qu'elle ressent une douleur se propager à son poignet. Sophia ouvre les yeux, se redresse et se penche sur le côté pour vomir tout ce que contient son estomac.

Encore ce cauchemar.

Elle hoche la tête, peinant à retrouver son calme. Les larmes coulent sur ses joues, tandis qu'elle avale une salive acide.

C'est étonnant. Quand tu es happée par ce cauchemar, je n'ai aucun moyen d'observer ce qu'il se passe. Et, cela me trouble.

Elle caresse le dos du dragon sous son regard inquiet.

— Crois-moi, il vaut mieux ne pas savoir de quoi il en retourne. J'ai déjà dû mal à les déchiffrer, alors les expliquer, pour l'instant, tu oublies.

Il ronronne sous ses grattouilles et lui pose la question qui lui brûle les lèvres :

Comment as-tu fait le rapprochement entre Tidus et ses parents ?

— En me rappelant ce qu'avait dit Loa quand je l'ai invoqué à la caverne de givre.

Ça se tient effectivement, mais qui aurait pu croire que ces deux-là ont eu une aventure ?

Sophia hausse les épaules, puis regarde autour d'elle. Un feu crépite au centre de la pièce, alors que des peaux de bêtes sont accrochées à une toile en tissus l'entourant. Une table en osier se trouve à l'opposé du lit, tandis qu'aucune fenêtre ne donne sur l'extérieur. Elle se met debout et remarque un sceau avec de l'eau et une louche dedans. Mais, au lieu de s'hydrater, la jeune femme attrape une couverture et éponge le sol en bois pour nettoyer ce qu'elle a rendu plus tôt.

Astos et Tidus s'approchent du tipi de la demoiselle et ouvrent en grand la toile qui fait office d'entrée, aveuglant Sophia qui cligne plusieurs fois des yeux.

— C'est une scène que je ne pensais pas découvrir un jour, annonce le proprio enjoué.

Il se dresse devant la jeune femme qui est à quatre pattes sur le sol, alors que Tidus apparaît derrière lui, le sourire aux lèvres. Elle soupire devant leurs airs amusés, et termine sa pénible tâche.

— On pensait que tu dormais encore, mais apparemment ce n'est pas le cas, s'approche Tidus pour l'aider en ramassant le sceau contenant de l'eau souillé.

— Je me suis réveillé il y a peu de temps.

— Et qu'est-ce qui t'a provoqué ce désastre ? interroge Astos inquiet.

— Rien.

Elle fuit son regard inquisiteur sans s'attendre à la question qu'il pose à la suite. :

— Encore ce cauchemar ?

Elle se tourne vers lui, les yeux ronds, se demandant comment il pouvait le savoir, ce que répond ce dernier :

— Je m'en doutais. Nous avons peiné à te réveiller aux bois, c'est Evy qui nous a dit que tu en faisais de plus en plus et qu'il ne pouvait intervenir.

Sophia fusille l'intéressé du regard qui fait mine de regarder ailleurs, alors que Tidus revient après avoir jeté l'eau pour lui apporter une coupelle en bois contenant des aliments verts et un verre contenant un liquide bleu-turquoise :

— Ça va te redonner un peu de force, annonce-t-il, souriant. C'est... d'après ce que nous ont indiqué les gens de ce village, de la banane.

— De la banane ? Il existe de la banane dans cet univers ?

Ses deux compagnons la regardent, étonnés, tandis qu'elle se jette sur l'assiette. Le goût sucré de la banane est aussi appétissant que celle de sa planète, qu'elle savoure goulûment l'aliment. Un gros morceau se coince dans sa gorge, tandis qu'elle attrape le verre pour l'aider à descendre dans son estomac.

— Tu ne devrais pas le boire d'un trait, c'est plutôt fort, prévient Tidus.

Elle n'a pas le temps de tenir compte de son avertissement que le liquide commence à lui brûlé la trachée, la faisant tousser.

— Effectivement, c'est puissant, crache-t-elle, la voix éraillée.

— Ce n'était pas de l'eau, mais un alcool de ce village, rit Tidus.

— D'ailleurs, où est-on ?

Astos et Tidus se regardent, mais au lieu de répondre de vive voix, ils s'écartent en laissant entrer l'homme qui s'est présenté à eux dans la forêt, accompagné de Jackiel. Sophia se lève et court vers lui pour le prendre dans ses bras. Le fauconnier accueille son étreinte avec chaleur, calant les battements de son cœur au rythme de celui de la jeune femme.

— Je suis contente de te revoir Jack, sourit-elle en se reculant.

Il sourit à son tour, puis d'un signe sur son visage, il dessine une cicatrice, posant une question muette :

— Je pense que Gabriel va bien. Il est en mission sur Terre avec Leah et mon père.

— Tu devrais t'asseoir Sophia, invite Tidus à le rejoindre sur le lit.

Jackiel se tourne vers l'homme qui n'a pas encore prononcé de parole, puis hoche la tête avant de quitter le tipi. Astos prend position sur une peau de bête alors que l'homme s'avance en dégageant une certaine prestance.

Je te souhaite la bienvenue jeune force.

Une voix rauque et en même temps douce résonne dans la tête de Sophia qui en reste bouche bée. L'homme l'invite à s'installer sur le lit. Cependant, elle n'arrive pas à faire le moindre mouvement, alors que le chef du village reste de marbre en face d'elle, son regard recouvert d'un voile blanc.

— Je sais que c'est déstabilisant la première fois, mais tu devrais vraiment t'asseoir maintenant.

Le ton qui se veut rassurant d'Astos, cache clairement l'impatience d'un ordre derrière. L'homme métis s'installe en tailleur à même le sol derrière le feu qui crépite au centre de la pièce. Ses mouvements sont gracieux.

À présent que tu es réveillée, je vais pouvoir t'apporter plus de réponses, jeune force.

Il tourne la tête vers chacun de ses invités, comme s'il pouvait voir au travers de son regard blanc qu'il pose enfin sur la jeune femme. Sophia ressent un millier de frissons qui lui parcourent l'échine, alors qu'il tente de sonder son âme. La jeune femme sent sa présence, tandis qu'il essaie désespérément de renverser les murs qu'elle s'est érigés au fur et à mesure des évènements. Elle fronce des sourcils, puis se concentre de toutes ses forces sur son regard insistant. Un rictus se forme à la commissure des lèvres de l'homme, tandis qu'il plisse les yeux.

Ta puissance est sans égale pour contrer une telle intrusion de ma part.

Elle le fixe, surprise du fait qu'il avoue l'avoir testée volontairement devant ses camarades. Ceux-ci sont également étonnés par le risque d'avoir tenté de s'introduire en elle.

— La seule personne que j'autorise à lire en moi n'est autre qu'Evy.

Les poings serrés sur les couvertures, elle lui lance cette tirade sur les nerfs. Parce qu'il lui a été très difficile de parer son attaque mentale.

Et, encore, ton jeune dragonnet ne peut pas lire complètement en toi. Soumet-il en accentuant la phrase suivante, tu as réussi à lui cacher bien des choses.

Le regard de la jeune femme se durcit en entendant ses paroles alors que l'homme chasse un insecte avec nonchalance, tandis qu'un grand sourire s'étire sur son visage. Il se lève, puis tend sa main au-dessus du feu. D'abord, hésitante, Sophia se lève à son tour, puis tend le bras en retenant son souffle, pensant qu'elle sera envahie par une explosion d'information, mais quand sa paume rencontre la sienne, il la serre chaleureusement.

Enchanté Sophia, je me nomme Reirtsedi.

Quel nom étrange et comment se fait-il qu'il connaisse mon prénom alors que depuis le début il m'appelle jeune force ? songe-t-elle.

Tenant toujours sa main, Reirtsedi la traîne jusqu'à la sortie du tipi. Puis, une fois franchie la toile, il écarte les bras pour lui présenter le lieu qui se dessine sous ses yeux ébahis.

Et, bienvenue à Destria !

Des colonnes de pierre recouvertes de mousse s'élèvent de part et d'autre vers le ciel. Une terre rouge brique et poussiéreuse se fond dans un dégradé d'immenses champs, variant d'un doré comme les épis de blé en été, à un vert ressemblant aux vignes, de la terre s'étendant à perte de vue. D'innombrables ruisseaux d'un bleu éclatant traversent la plaine colorée alors que des tipis sont disséminés ici et là tout en restant éloignés les uns des autres.

Une chaîne de montagnes noires s'étale à l'horizon, cachant un ciel orangé, tandis que le chaînon se rapproche, devenant plus haut, démontrant les alpages enneigés, contrastant leurs splendeurs. Une forêt se forme à la base des montagnes enneigées, bordant ses pieds d'une variété de vert. Sophia sent une main lui refermer la bouche en la faisant sursauter devant Luka.

— C'est magnifique, n'est-ce pas ?

Il lui pose la question aussi naturellement que la fois où il lui avait fait découvrir Cascalaris. Le loup a des cernes creusés sous les yeux et regarde le paysage d'un air absent, alors que Sophia hoche la tête, trop abasourdie de découvrir un lieu qui n'avait jusque-là jamais été mentionné : Destria.

Ce nom lui évoque une sensation familière, tandis que le martèlement de sabot la sort de sa réflexion. Trois destriers galopent côte à côte, faisant voler la poussière rouge brique après leurs passages.

— Destria. Destrier, murmure-t-elle à elle-même.

Tu as bien fait le rapprochement, jeune force. Destria est le pays de ces magnifiques créatures venues de mon univers.

Reirtsedi admire les montures galopant dans leurs courses folles, une certaine fierté dans son regard. La main de Tidus se pose sur l'épaule de la jeune femme en lui indiquant :

— Tu devrais aller te rafraîchir Soso, tu as une mine affreuse.

Il la scrute avec inquiétude puis porte son regard vers Luka qui se masse la nuque, l'air de confirmer ses dires. Un homme assez imposant, non pas par sa corpulence, mais par un certain respect qui s'en dégage, se rapproche d'eux à grands pas. Il s'avance à la fois pressée, mais en se contenant tout de même.

— Reirtsedi, tu dois venir au plus vite pour le fauconnier, son état ne s'arrange pas.

— De qui parlez-vous ? demande Sophia, soudainement inquiète.

L'homme la regarde de haut en bas avec mépris alors que Reirtsedi la regarde avec compassion. Il suit l'homme qui a déjà tourné les talons dans l'autre direction sans un mot de plus.

— Heu...

— Ne t'en fait pas Sophia, ce n'est rien de grave, tente de rassurer Astos en triturant sa barbe blanche.

Il fait un signe de tête vers Luka, qui lui rend son approbation.

— Tu auras plus d'explications ce soir, ma belle. En attendant, ne fais pas de bêtise.

Il emboîte le pas à Astos qui suit de loin les deux hommes présents avec eux, il y a peu.

— OK...

Sophia est totalement larguée et s'attendait à obtenir des réponses, mais pas d'attendre avant d'en avoir davantage. Ses épaules s'affaissent d'incompréhension.

— Soso, je vais t'accompagner à la lisière pour te montrer la cascade, après j'irai rejoindre Astos il va avoir besoin de moi.

— Ne m'appelle pas Soso, je déteste ça !

— Bien madame.

— Évite aussi.

La jeune femme se perd dans ses réflexions en suivant Tidus, se demandant de quel fauconnier il peut s'agir. Elle élimine d'office Gabriel, Gan, Bastos et Jackiel en reportant son attention sur les deux derniers restants : Elias et Draguir. Or Tidus la tire de ses pensées en lui indiquant :

— Sophia, on est arrivé.

Une imposante jungle se dresse sous son regard, alors que son cou se tire à mesure qu'elle lève la tête pour ne serait-ce apercevoir la cime des arbres. Elle n'écoute pas le jeune homme lui apporter des explications, qu'elle ressent un léger vertige en regardant les arbres se balancer sous les nuages passants. Le vent s'engouffre dans la jungle pour l'inciter à y pénétrer.

— Voilà. Tout droit et tu auras accès à la cascade.

Elle tourne la tête vers le jeune homme qui lui sourit, puis hoche la tête en lui faisant croire qu'elle a compris. Le regard de Tidus pétille, puis il s'éclipse en courant et levant la main pour lui dire à plus tard. Sophia lui rend son signe, puis se tourne vers la forêt avant de s'y engouffrer et de rejoindre le point d'eau. 

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