2 - Qui va à la chasse...

Profitant du temps humide et froid, Leah gambade dans la forêt qui longe le fleuve. Elle profite de sa forme de loup pour s'entraîner à se métamorphoser depuis son opération, et sent les nombreuses nouvelles odeurs qui emplissent l'air. L'ambiance n'étant pas la même que dans son monde, elle en profite le plus possible.

Pendant ce temps, Sophia est assise sur un tronc couché et consulte ses messages pour les préparatifs du lendemain. Elle sourit quand elle remarque que ses amis prévoient les choses en grand pour lui remonter le moral. Le nom d'Antoine apparaît sur son écran faisant sonner son mobile.

— Salut miss, alors prête pour demain ?

— Si tu vois actuellement ma tête, je pense que la marche des morts-vivants est déjà en action, répond-elle mollement.

— Allez, poulette, c'est des choses qui arrivent et malheureusement que l'on ne contrôle pas, tente-t-il de rassurer.

Un faible son sort de sa bouche, pas vraiment convaincant. Elle rassure son ami que sa tenue est prête depuis un mois, quand elle l'avait achetée avec Élise. Elle met fin à la communication quelques minutes après avoir réglé les derniers détails. Elle se lève pour s'étirer quand elle aperçoit Leah revenir vers elle en panique.

— Que se passe-t-il ? demande-t-elle en fronçant les sourcils.

La louve triture ses doigts gênés, ne sachant comment lui expliquer la situation. C'est seulement quand un homme âgé s'approche d'elles, un fusil en main.

— Dites-moi, jeunes filles, auriez-vous vu une bête gigantesque avec de longs poils blancs, décrit-il, comme... Comme un loup, mais géant et qui possédait étrangement plusieurs queues. Il était haut comme ça !

Le chasseur montre avec des gestes la hauteur de la bête, tandis que Leah se cache derrière Sophia en baissant la tête honteusement. Quant à Sophia, elle fait mine d'être surprise et remarque que le nez de l'homme est un peu trop rouge pour le milieu de la matinée. Elle lui répond sûre d'elle :

— Les loups ne vivent qu'en montagne, monsieur. Vous avez dû confondre avec un husky errant, celui de mes voisins s'échappe souvent.

— C'est vrai, je l'ai déjà croisé, renâcle-t-il, merci, jeunes filles.

Il fait demi-tour et remonte le chemin vers des habitations reculées, sortant une petite flasque de son veston. Leah lâche un long soupir après avoir retenu son souffle.

— Merci, dit-elle avec soulagement.

— De rien. Viens, on va aller voir Gabriel. On va éviter un autre accident.

En regagnant le sentier, elles passent devant le bosquet se trouvant sur l'îlot. Sophia s'arrête, repensant à sa première rencontre avec Herba et Evy, sentant son cœur se serrer. Elle observe les arbres bruisser sous le vent d'automne alors qu'un frisson lui parcourt le corps.

— Que se passe-t-il ? interroge Leah. Tu sembles ailleurs.

Sophia reprend ses esprits et lui sourit pour la rassurer. Elles reprennent la marche bras dessus, bras dessous pour regagner le bourg. L'impression d'avoir perçu un léger tintement provenant du bosquet lui fait douter sur si c'était vrai ou seulement son imagination.

Les filles arrivent à l'appartement en entendant Gabriel beugler contre le téléphone en rogne. Quand ils les voient, il s'éclipse dans sa chambre en les laissant seules. Sophia est surprise et Leah répond à sa question silencieuse en haussant les épaules avant de proposer un soda.

— Je ne sais pas si je réussirai à me passer de ces choses-là en retournant à Imaginarium, fit-elle en décapsulant une cannette.

Sophia sourit en buvant une gorgée, alors que Gabriel élève de nouveau la voix dans l'autre pièce.

— Tu sais de qui il s'agit ? demande-t-elle à Leah.

La louve secoue la tête tout en regardant ailleurs et change de sujet en demandant des précisions sur l'évènement du lendemain. Après une demi-heure à échanger sur la soirée, Gabriel les rejoint, le tensiomètre à son apogée. Il ouvre la porte du réfrigérateur, attrape une bière qu'il décapsule, et avale d'une traite avant de la poser de façon brutale sur la table.

— Ça va ? interroge Leah à pas de loup.

— À ton avis ! rouspète-t-il.

La louve baisse les yeux, ce qui rend le fauconnier encore plus irritable. Sophia le regarde avec méfiance, ne sachant pas pourquoi il est si brusque. Elle l'interroge sur qui était avec lui en ligne, mais elle se confronte à un énième mur en béton. Il rétorque à son tour :

— T'as des nouvelles ?

Mais Sophia lui répond par la négation, omettant volontairement l'apparition de Draguir plus tôt. Leah coupe leurs discussions pour parler de la soirée à venir, s'extasiant de participer à ce genre de tradition encore inconnu à ses yeux. Gabriel sourit en la voyant tout lui expliquer. Il repense à son lointain passé sur cette terre avant d'atterrir à Imaginarium.

— D'accord, si tu insistes, je viendrai. Ça ne te dérangera pas So ?

La tête posée sur sa main, Sophia les regarde échanger en se perdant dans ses pensées avant d'être interrompues par la question de Gabriel.

— Hein ? Quoi ?

Elle relève la tête surprise. Les deux la regardent, étonnés de son comportement.

— Je demande seulement si ça ne te dérange pas que je vienne à votre soirée de demain soir ?

— Non. Bien sûr que non, tu es le bienvenu Gab.

— Houlà, il se fait tard, fait-elle mine de regarder l'heure sur son téléphone, je devrais y aller.

— Tu es sûr que ça va ? demande Leah en fronçant les sourcils.

— Ne t'inquiète pas.

Elle s'approche d'elle pour lui faire la bise et fait un signe de salut à Gabriel avant de s'éclipser en les laissant bouche bée. En bas du logement, elle profite de passer à la boulangerie pour prendre une viennoiserie et se dirige vers le moulin en ruine. Quelque chose la tracasse, car dans l'appartement, elle a de nouveau entendu le tintement. Sophia veut en avoir le cœur net et ses pas l'emmènent tout droit sur la rive en face du bosquet.

Remontant ses manches, elle pose ses mains sur le sol et se concentre sur les racines sous terre. Elle sent leurs mouvements se libérer, entendant de nouveau le tintement carillonner, quand une main se pose sur son épaule en la faisant sursauter et crier à en percer les tympans.

Elle fait volte-face et découvre Draguir la mâchoire contractée. Son regard est glaçant, et fixe intensément la demoiselle, les bras croisés sur son torse et les muscles tendus. Il est dans une colère noire.

— C'est quoi ton problème ? Ça ne va pas de faire peur aux gens comme ça ? hurle Sophia.

Draguir renforce sa sévérité, même si le comportement de la jeune femme le surprend.

— Mon problème ? La bonne blague, répond-il sarcastique.

Sophia le toise pour comprendre son attitude. Il prend une grande inspiration avant de se lancer :

— Ça fait maintenant plus d'une semaine que je tente de te contacter, crie-t-il, dès que j'apparaissais, tu m'ignorais royalement et quand enfin, tu daignes m'entendre, tu fais la sourde oreille. J'ai un foutu loup au basque qui me menace quotidiennement pour savoir si j'ai pu avoir des nouvelles de sa sœur. Les anciens fauconniers qui essaient de trouver une solution sur les passages de portail d'Imaginarium. Des personnes se font enlever tous les jours par les rabatteurs, pendant que toi, tu te pavanes dans ta petite vie...

— Je ne me pavane pas, le coupe-t-elle en hurlant à son tour, je viens d'enterrer mon grand-père ! Il est décédé le même jour que Jojo, sombre abruti ! Mais ça, tu devrais le savoir, comme tu avais l'air de m'espionner, non ?

Il recule, décontenancer.

— Je ne le savais pas, je... Je suis sincèrement désolé.

Draguir ne sait plus où se mettre. La frustration des échecs de ses tentatives l'avait rongé des jours et des jours. Il pose un regard plus doux sur sa sauvageonne et se rapproche d'elle avec un faible sourire. Sophia recule instinctivement, sentant ses joues chauffer, n'échappant pas au regard de Draguir.

— J'étais extrêmement soucieux, annonce-t-il en s'arrêtant, tu sais, ne pas réussir à te joindre... Te voir sans que tu me sentes... Cela m'a blessé.

Le cœur de Sophia a instantanément engagé une course acharnée dans sa cage thoracique. Elle lève la tête vers lui, se rappelant que la dernière fois il s'était sacrifié pour lui sauver la vie lors de l'attaque des deux déesses. Elle fronce les sourcils en prenant conscience du rôle qu'elle a et qu'elle s'est évertuée à oublier ses derniers jours.

Sauver Imaginarium.

Draguir glisse son bras autour de la taille de la demoiselle et de son autre main force le visage de Sophia à lui faire face. Il la scrute intensément, voyant la bataille se jouant dans son regard et tente de discerner le fond de sa pensée. Elle tente de se décaler, mais il resserre sa prise, puis il se penche à son oreille et lui susurre d'une voix suave :

— Tu m'as manqué ma petite sauvageonne.

Le cœur de Sophia fond instantanément en entendant ses paroles, craignant que ses jambes se dérobent sous son poids. Sentant l'effet que son comportement provoque chez la jeune femme, Draguir sourit à son oreille avant de se redresser et d'adopter de nouveau son attitude sérieuse :

— Tu es resté en contact avec nos amis communs ? Car si je n'obtiens pas au plus vite de leurs nouvelles, ma patience va se perdre en disloquant la mâchoire d'un loup.

Sophia fait mine de dégoût face à l'image et l'invite à la suivre. Durant le trajet, le silence s'est imposé entre eux. Elle le l'observe du coin de l'œil, remarquant que ses traits sont épuisés.

— Tu peux rester combien de temps ?

— Pourquoi, tu veux me garder pour toi toute seule ? répond-il un sourire en coin.

Elle lève les yeux en rougissant. Sophia ne répond pas et continue sa marche, les mains dans les poches. Ils arrivent devant la porte de l'appartement et avant qu'elle puisse toquer, Draguir la tire en arrière.

— Que fais-tu ? interroge-t-elle surprise.

— Une chose avant de rentrer. Quoi que tu entendes, surtout ne t'énerve pas. Je voudrais éviter que tu exploses le quartier, d'accord ? demande-t-il avec beaucoup de sérieux.

Elle hoche la tête devant son insistance, puis toque en trépignant d'un pied à l'autre. Leah ouvre la porte et découvre Sophia qui la regarde l'air ailleurs, avant qu'elle ne lève la tête sur Draguir. La particularité de la louve, à ce moment-là, est que ses cheveux, cristallins, blancs, se contrastent avec les couleurs qui disparaissent de son visage. Gabriel peste en arrière pour savoir si c'est encore un foutu démarcheur, avant qu'il n'ouvre entièrement la porte.

— Nom d'un fusil à pompe, c'est bien toi ? fait-il sous la surprise.

— Eh oui, grincheux, je t'ai manqué ? réponds l'intéressé avec humour.

Gabriel pousse Sophia sur le côté afin de prendre Draguir dans ses bras en l'étouffant sous sa force.

— Je ne pensais pas dire ça un jour, mais je me réjouis de te voir. Allez, entre, ne reste pas dehors.

Draguir les suit en se grattant la tête, gênée par l'affection de son collègue. Ils s'installent tous autour de l'îlot central où Leah sort quelques boissons qu'elle dispose.

— Tu ne nous avais pas dit que tu avais réussi à reprendre contact, demande Leah sous la surprise.

Sophia baisse les yeux sur sa canette en la faisant tourner dans ses mains. Ignorant la demoiselle, la louve s'empresse d'ajouter :

— Comment va Luka ? Et, Elias, Astos, Jackiel...

— Tout doux ma belle, limite Gabriel en lui posant un bras autour des épaules, le sourire aux lèvres.

Draguir rigole devant leurs entrains et lève les mains pour calmer Leah :

— Doucement, doucement. Déjà, pour commencer, tout le monde va bien. Luka est un tontiné, agaçant, ce que je peux comprendre sans sa sœur à ses côtés. D'ailleurs, Leah, je t'invite à lui écrire un mot pour le rassurer, ajoute-t-il avec un clin d'œil. Ensuite, nous nous sommes séparés pour mieux contrer l'ennemi.

— Comment ça séparé ? s'inquiète Gabriel.

Draguir lève le doigt pour le faire taire, sous l'interrogation de ses compagnons, il continue :

— Les rabatteurs deviennent de plus en plus nombreux. Après votre départ, nous avons tous sans exception, même les déesses, été éjectés du bois sacré.

— Quoi ? s'indignent en même temps Leah, Gabriel et Sophia.

Le fauconnier se lève et regarde par la fenêtre en poursuivant :

— Nous-mêmes n'avons pas l'explication. Tout ce que l'on sait, c'est que ce jour-là, plusieurs personnes ont disparu.

Il se retourne pour énumérer les actions de chacun :

— Herba, après le lancement de son sort, s'est volatilisé. Gan et le véritable Guénaël, ont traversés le portail avant vous. Et, pour finir, vous trois, ajoute-t-il en me lançant une œillade noire, de même que nous avons perdu...

— Jojo, souffle Sophia pour achever sa phrase.

Son cœur se serre en pensant à la perte du doyen et de son grand-père. Elle comprime ses mains entre elles, sentant sa gorge se nouer et les larmes menaçant de se déverser.

— Comment peux-tu savoir que c'était Gan ? interroge Gabriel.

— Tu en connais beaucoup parmi nous qui sont constamment recouverts de la tête au pied, répond Draguir sarcastique, ce que je ne comprends pas, c'est pourquoi il a traversé.

— Hmm.

La réaction de Gabriel montre qu'il en sait plus qu'il ne veut paraître, mais Sophia souhaite en savoir plus sur le reste du groupe :

— Tu dis que vous vous êtes séparé, mais pour accomplir quoi en fait ?

— Nous nous sommes établi plusieurs missions, commence-t-il en la scrutant avec sérieux, Astos, Jackiel et Elias sont à Cascalaris pour prévenir et monter une armée contre H. Il est devenu enragé au point de mettre à feu et à sang tous ceux qui se trouvent sur son passage.

Il soupire et attend un instant avant de reprendre :

— Gothika et Cycla se sont retirées temporairement de la course. Quant à Luka, Méric et moi, nous sommes à la recherche de l'épée et essayons de reprendre contact avec vous.

— Méric est avec vous ? Mais vous êtes malade ! s'écrit Gabriel.

— C'est un allié de taille, rétorque Draguir.

— Ce n'est pas comme si sa mère était Loa, lâche soudainement Sophia.

Toutes les têtes se tournent dans sa direction. Même Draguir fronce les sourcils en entendant ses paroles. Sophia ne développe pas la bombe qu'elle a balancée quand elle sent son téléphone vibrer dans sa poche. Elle s'excuse auprès des autres et s'éclipse dans une autre pièce en voyant plusieurs appels manqués de sa mère.

— Tu as vu l'heure ? hurle sa mère une fois qu'elle décroche.

— Oui, désolé, je n'avais pas vu. Je suis chez Leah et Gabriel, je rentre tout de suite.

— Bon, au moins tu vois du monde, se rassure-t-elle à elle-même.

— Je rentre de suite, bisous, maman.

Draguir observe sa sauvageonne sortir de la chambre et attraper son manteau. Il ne veut pas qu'elle s'en aille et lui attrape le bras :

— Où vas-tu ? s'inquiète-t-il.

— Je dois rentrer chez moi, passe le bonjour à tout le monde à ton retour, sourit-elle faussement.

Sophia va pour déverrouiller la porte, mais Leah s'interpose et lui sourit avec un air malicieux :

— Dis, tu pourrais inviter Draguir pour ta soirée de demain ? propose-t-elle en se triturant les doigts. En plus, votre connexion à l'air de nouveau fonctionner.

Sophia lève les yeux et se retourne devant le regard insistant de la louve. Elle fixe Draguir qui lui renvoie un regard animé de passion, la troublant. Face à la difficulté de prononcer un mot, Leah place un bras sur ses épaules et parle à sa place :

— Comme tu as retrouvé le chemin vers Sophia, tu vas revenir plus souvent ?

— Oui, mais en quoi cela trouble Sophia ? demande-t-il inquiet.

— Ne t'en fais pas de son état. Demain soir, elle organise une soirée et elle t'invite également, déclare Leah.

Il braque son regard sur Sophia qui rougit en baissant la tête.

— Intéressant, lance-t-il dans un chuchotement.

— Ce n'est pas grand-chose. Ils te mettront au parfum, moi, il faut que j'y aille, salut.

Elle se faufile comme une souris dans l'entrebâillement de la porte et se met à courir. Dans la discussion, elle a remarqué que l'épée a été mentionnée et qu'ils sont aussi à sa recherche. Elle enfonce sa tête entre ses épaules en se protégeant du froid et en sentant que la journée de demain va être comique.

En arrivant à hauteur de son portail, elle aperçoit dans la pénombre une paire d'yeux verts la fixer et disparaître instantanément. Un frisson désagréable lui parcourt le dos. Elle compose rapidement le code du portail en se trompant plusieurs fois, sentant la peur aux tripes, et cours jusqu'à sa maison. Elle pensait en avoir fini avec ses hallucinations, mais le danger rôde autour d'elle sans qu'elle s'en aperçoive. 

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