19- Retour sur le cauchemar

Elias et Méric soutiennent le jeune fauconnier et l'emmènent dans sa chambre, suivie de près par Luka sous sa forme de loup, prêt à intervenir si le jeune homme se remet à délirer. Ils avancent tel un cortège, laissant les bruits de leurs pas rompre le silence macabre qui plane dans les tunnels.

Arrivé proche des appartements de Draguir, Elias ordonne à Lyvia et Luka de préparer l'attelage tandis que Méric ouvre la porte pour traîner son ami jusqu'à son lit. Il est rejoint du samouraï qui évalue les dégâts sur le bras du jeune fauconnier. Le rabatteur fouille dans une petite sacoche qu'il avait apportée et trouve une bourse contenant plusieurs fioles d'un liquide étrange. Il commence à défaire le bandage de fortune appliqué sur le bras de son ami et l'incite en décapuchonnant la fiole, ses dents :

— Ne bouge surtout pas !

Elias maintient les épaules de Draguir tandis que le liquide se déverse sur sa plaie. Il se met à hurler de douleur quand la substance rencontre le sang qui continue à jaillir. La souffrance est tellement insoutenable que cela lui cogne dans les tempes. De plus, Méric frotte sa blessure avec un linge, lui donnant l'impression d'être frictionné avec des bris de verres. Le rabatteur continue sa manœuvre alors que Draguir continue de se tordre dans tous les sens en criant.

— Reste tranquille, j'ai bientôt fini, soupire-t-il en essayant de planter une aiguille.

— Tu sais où tu peux te la carrer ton aiguille, rétorque Draguir les dents serrées.

— Tu n'as pas perdu ta fougue avec ce que tu as traversé, baragouine Elias en riant jaune.

Draguir se crispe en tentant de ne pas faire subir sa douleur à Méric.

— Voilà, c'est fini ! s'exclame celui-ci.

Le jeune fauconnier regarde son bras gauche bander jusqu'à l'épaule. Une tache de sang apparaît sur le tissu, mais ne se propage pas pour autant.

— Avec ce que je t'ai prodigué, cela devrait tenir le temps du voyage, annonce Méric en levant le doigt. Tu ne dois pas forcer dessus, ajoute-t-il.

Draguir hoche la tête, ne voulant pas le contrarier sur ce point. Son ami rajoute :

— Je vais aller aider les autres, on part dans deux heures.

Il se détourne, l'air soucieux, puis en s'approchant de la porte, il regarde Draguir en tournant la tête :

— Tu m'as fait très peur, Draguir, et le pire, c'est que ce n'est pas fini.

Draguir soupire en se redressant et s'examinant le bras. Elias récupère une chaise qu'il place devant lui avant de s'y asseoir dessus. Il joint ses mains en posant ses coudes sur ses genoux, le regard fatigué et troublé. Le jeune homme s'installe en tailleur devant lui et l'observe ouvrir la bouche plusieurs fois avant de la refermer.

— Elias, commence Draguir à voix basse.

Le samouraï lève la main pour le stopper dans sa lancée :

— Attends juste deux secondes que je trouve la bonne formulation, soupire-t-il.

Draguir souffle en croisant les bras sur son torse alors qu'Elias se lève en faisant quelques pas dans l'appartement. Puis, il s'agrippe au dossier de la chaise en demandant :

— Tu penses que c'est vraiment lui ?

Devinant de qui il parle, Draguir confirme en hochant la tête.

— Se pourrait-il qu'il soit aussi puissant que H ? se questionne Elias à lui-même. Comment ?

Il se tait un instant, bloquant ses gestes en suspens.

— Comment pourrait-il s'immiscer dans ta projection et te faire subir ce genre de cicatrice qui ne guérit pas ?

— Si je le savais, je te le dirais. Cependant, je t'avoue, comme tu as pu le constater, que j'étais impuissant face à cette situation.

Draguir prend une grande inspiration en se ravivant le sinistre spectacle qui s'est déroulé sous ses yeux.

— Sophia avait l'air d'être redevenue une enfant.

Sa voix se casse tandis que la bile lui monte à la gorge. Elias se rassied en observant Draguir comme un animal blessé, le voyant, fuir son regard avant de reprendre :

— Elle semblait si joyeuse et candide jusqu'à... jusqu'à ce que je... pénètre... dans cette sombre forêt.

Son souffle se saccade alors que des perles de sueurs froides se forment sur sa nuque.

— Tu n'es pas obligé de continuer Draguir, rassure Elias, je sais ce que tu as vu grâce au rituel que j'ai pratiqué sur toi.

Elias le lève pour s'installer au côté de Draguir puis continue sur sa lancée :

— Je sais que tu te poses la question de comment j'ai pu rentrer dans ton esprit, seulement, tout ce que je peux te dire, c'est que j'ai pratiqué un rite très ancien qui provient de la terre et que j'ai retrouvé dans les archives d'Astos. Cela permet de posséder l'enveloppe et l'esprit de l'être ensorcelé.

— C'est peu compréhensible ton truc, bougonne Draguir.

— Je sais, je sais, mais tu n'as pas à en savoir plus, soupire-t-il. De plus, c'était très risqué que je le fasse, car jamais je ne l'avais pratiqué.

Draguir braque son regard dans le sien, surpris que le samouraï ait mené une expérience inconnue sur lui.

— Ce qui me rassure d'un côté, dit-il en coupant court à ses réflexions, c'est que, en activant ta double projection, cela nous a permis, à Gabriel et à moi, de plus ou moins lever le voile que Gothika a semé dans ton esprit. Mais...

Ah, il y a un mais ! Je pensais bien qu'il n'aurait pas pu contrer un pouvoir comme celui de Gothika. Pense ce dernier avant de demander dans le doute :

— Je risque de perdre de nouveau les pédales ?

Elias hoche la tête.

— Je m'en suis douté, c'est pour ça que je me suis gravé l'autre bras.

Draguir se tape le front en se traitant d'imbécile.

— Mais quelle idée ai-je eue en allant voir ce qui me sert de mère et lui demandant son aide à elle et à sa folle de sœur pour nous transporter Sophia et moi au bois sacré.

— Cela partait d'une bonne intention, malheureusement, tu t'es fait avoir, sourit Elias.

— As-tu des nouvelles d'elle d'ailleurs ? rétorque-t-il avec espoir.

Le sourire d'Elias s'efface et son air devient grave. Il se penche de nouveau en avant et pose ses coudes sur ses jambes :

— Pas pour l'instant, répond-il avant d'ajouter, en partant, on s'est donné rendez-vous au point où Jackiel nous attend au bout de deux jours.

— J'ai un peu perdu la notion du temps, tu sais, constate Draguir ne sachant plus s'il fait jour ou nuit dehors.

— Le temps d'évaluer toutes les possibilités et de te faire revenir, il s'est passé un jour et demi.

Draguir est choqué d'apprendre qu'il a fallu autant de temps à ses compagnons pour le sortir de son guêpier.

— Nous allons bientôt partir, tu penses que ça va aller pour préparer tes affaires ?

Il hoche la tête alors qu'Elias se lève en se dirigeant vers la porte et lui confirme :

— Nous la retrouverons, je te le promets.

— Il me suffirait d'utiliser ma projection pour savoir si tout va bien, propose Draguir confiant.

— Il serait plus approprié que tu ne l'utilises pas pour l'instant. Le voile n'est pas complètement levé, je te rappelle, et tes pouvoirs en souffrent et deviennent instables.

— Ça, c'est toi qui le dis, bougonne-t-il en croisant les bras comme un enfant.

— Dis-tu ?

— Non, rien.

Elias sourit et sort de la chambre. Draguir se lève à son tour pour rassembler ses affaires tout en bougonnant sur le fait de ne plus avoir la totale maîtrise de lui-même. Il est interrompu par quelqu'un qui frappe à la porte.

— Entrer ! lance-t-il, la tête dans un sac.

La porte s'ouvre sans qu'il prête attention à l'arrivant et entend la demande de Lyvia :

— Comment te sens-tu ?

Il regarde par-dessus son épaule, observant Lyvia entrer prudemment dans la pièce, puis reporte son attention sur le sac en répondant machinalement :

— Je vais bien.

Un silence s'installe doucement dans la pièce alors que Lyvia regarde Draguir avec passion pendant qu'il continue de s'affairer dans la chambre.

— Je sais que tu étais sous l'emprise de Gothika. Cependant, ce que tu as dit devant tout le monde était-ce la vérité ? demande-t-elle de but en blanc.

Les épaules de Draguir se crispent quand il se rappelle de quoi il s'agit. Il fixe sa besace sous ses doigts et lui répond aussi froidement que possible :

— Je ne t'aime pas et ne t'aimerais jamais.

— Mais, et... commence-t-elle.

Il se retourne et la coupe aussi sec dans son élan en la rembarrant sèchement :

— Avant, ce n'était pas pareil ! Je n'étais pas moi-même et qui plus est, j'ai profité de toi dans l'un de tes moments de faiblesse. Je t'ai fait croire monts et merveilles alors que pour moi, tu n'étais qu'une distraction de passage le temps que je me rétablisse.

Lyvia lui tourne instantanément le dos, ne voulant pas montrer les larmes qui lui montent aux yeux. Elle se redresse en reniflant et avant de sortir de la chambre en claquant la porte, elle dit :

— C'est peut-être mieux ainsi.

Draguir soupire en regardant la poignée de la porte, en pensant qu'il n'y avait pas d'autre façon pour la remettre à sa place. Il attrape un autre sac en se tournant toutes ses pensées vers sa sauvageonne et le cauchemar qui mettra du temps à s'estomper.

Dans la grande salle, les destriers sont attachés aux traîneaux, piétinant le sol d'impatience. Elias caresse le sien pour le rassurer, tandis que les autres posent les derniers sacs dans les luges. Draguir s'approche de son destrier, posant son front contre le sien en lui caressant le cou. La bête lui transmet toute sa compassion et la hâte de pouvoir un jour gambader en toute liberté dans les plaines. Le destrier ardent est plus sauvage que ses congénères, mais en même temps il est très fidèle, ressemblant en tous points à son maître.

— Méric va monter dans ton traîneau, annonce Elias avant d'ajouter, je prends Lyvia et Luka va nous ouvrir la voie des potentiels dangers.

Le samouraï fixe son collègue en sous-entendant qu'ils ne seront pas à l'abri dès qu'ils seront sortis de la caverne. Même si ce dernier ne sait toujours pas où leurs traversées les mèneront.

— J'ai donné le chemin aux destriers si c'est la question que tu te poses, répond Elias en coupant court à sa réflexion.

Il s'approche de lui et pose une main sur son épaule :

— Comment te sens-tu ? interroge-t-il, inquiet.

— Comme une personne qui a fait un long voyage à travers de nombreux esprits, répond Draguir molasse.

Elias lui sourit et lui tapote l'épaule en lui répondant :

— Bienvenue au club, mon petit, bienvenue.

Puis, il s'éloigne en se tenant le front. Draguir l'observe, les sourcils froncés, alors qu'il aperçoit le samouraï flancher dangereusement. Il a le temps de courir vers lui et de le rattraper avant qu'il ne se cogne violemment la tête sur le sol.

— Méric ! hurle-t-il en redressant le corps d'Elias sur ses genoux.

Son ami accourt à ses côtés et prend le pouls au poignet d'Elias en se concentrant un moment dessus, puis pose deux doigts sur sa jugulaire alors que le teint du samouraï devient blafard.

— Il faut partir et vite, annonce Méric, inquiet, il a puisé énormément de pouvoirs qui me sont inconnus.

— Mais peux-tu faire quelque chose ? presse Draguir apeuré de perdre leur leader.

Méric secoue la tête, navré devant le froncement de sourcil de Draguir. Le jeune fauconnier se redresse tant bien que mal en tenant Elias dans ses bras. Ils le transportent jusqu'au traîneau le plus proche et l'emmitouflent dans les couvertures. Draguir se penche à l'oreille d'Elias et lui glisse subtilement :

— Je te préviens que si tu me claques entre les doigts, c'est moi qui viendrai te chercher pour te botter le cul en personne, et crois-moi, je ne serai pas tout seul.

Il se redresse pour repérer un sourire qui apparaîtrait sur le visage du fauconnier, mais celui-ci dort profondément, soulevant son torse avec lenteur. Draguir voit les derniers détails avec Luka, connaissant très bien les dangers réservés par Blasqueen et indique les instructions au groupe, ne laissant à quiconque le soin de lui désobéir :

— Méric, tu vas monter dans le traîneau d'Elias et vérifier son état pendant que Luka prendra les rênes de son destrier.

— Quoi ?! Tu veux que je monte sur cette bête ? s'exclame le loup, surpris de sa décision.

Tyrol le fusille de son regard pourpre, puis tourne son museau vers son maître avant de le reporter sur le loup.

— OK, OK, je m'excuse, mais tu sais, j'ai plus l'habitude que l'on me monte que de chevaucher un destrier, abdique-t-il en levant les mains devant la monture.

Méric souffle un coup en secouant la tête et s'installe en calant Elias entre ses jambes. Lyvia fait de même, mais en grimpant dans celui que tirera Draguir. Chacun prend position, se couvrant sous d'épaisses fourrures et couvrant leurs bouches avec un foulard. Draguir se tourne vers ses compagnons et annonce tendu :

— Nous fonçons, nos destriers savent où ils doivent aller.

La question de survie est imposée quand tour à tour les têtes se hochent pour indiquer leur sérieux. Le danger que les déesses et les rabatteurs apportent planent au-dessus de leurs convois. Draguir frôle sa main sur le cou de son destrier et se penche à son oreille pour se connecter à son esprit :

Galope ! Galope aussi vite que le brasier enflamme la forêt. Galope comme si ta propre vie en dépendait. Galope, mon ami. Galope, Firelesse !

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