Les mains attachées au-dessus de la tête, Draguir gît les yeux bandés dans l'obscurité la plus totale. Des gouttes clapotent sur le sol rocheux, accompagnant le souffle de Luka qui veille sur le prisonnier.

Elias rentre dans la cellule, laissant la lumière des écuries envahir la zone. Il pose un sac sur le sol avant de se diriger vers son collègue, puis pose sa main sur son front en soufflant :

— Tu es encore brûlant, elle n'y a pas été de main morte.

Draguir fronce des sourcils devant le fauconnier qu'il admire. Il le considère comme une fleur s'épanouissant dans la neige, tel le printemps bravant l'hiver, mais son timbre de voix inquiet ne le rassure pas sur sa position. Il ignore pourquoi son collègue est intervenu en faveur de la jeune femme, alors que sa mère lui a indiqué qu'elle allait détruire ce monde. Il était à deux doigts de la rattraper, mais en la voyant s'envoler, il ne pouvait pas bouger comme hypnotisé.

— Il ne bouge pas et ne prononce pas un mot depuis tout à l'heure, indique Luka en ajoutant, tu as prévenu Méric ?

— Oui, reste à savoir que sera le résultat qui va en ressortira, soupire Elias.

Le jeune homme écoute leur échange en silence. Cependant, la présence de Luka l'irrite, ne comprenant pas sa présence en ce lieu. Il déteste sa race, et tout ce qui s'approche de près ou de loin d'un loup.

Je ne pensais pas que lui sauver la vie, à sa sœur et à lui, allait se retourner contre moi plus tard. pense-t-il.

— Nous allons bientôt commencer, informe Elias en scrutant son ami.

Luka hoche la tête et l'aide à installer des bougies en demi-cercle autour de Draguir, comme indiqué sur le parchemin que le samouraï a trouvé dans le bureau d'Astos. Une fois que tout est mis en place, Luka ferme la porte de la pièce et se dirige vers le fond de la cellule. Il s'adosse contre le mur, fixant Draguir les bras croisés, veillant au déroulement du processus.

Elias se positionne face au jeune homme et place ses mains sur les tempes de Draguir. Puis, il baisse la tête en prononçant une prière dans sa langue natale, forçant son esprit à rentrer en méditation et tente de se connecter à l'esprit du fauconnier.

Une douleur insoutenable commence à s'emparer des nerfs qui se chauffent à blanc à Draguir. Il se tend face à l'afflux en essayant de repousser Elias.

— Ne résiste pas, Draguir, c'est pour ton bien, presse-t-il dans ses paroles, laisse-moi entrer dans ta tête.

Son souffle se saccade alors que des perles de sueurs froides gouttent sur son front. Il gesticule pour se libérer de l'emprise du samouraï, mais celui-ci ne se laisse pas faire.

— Ne fais pas ta tête de mule, bon sang !

Les tentatives intempestives d'Elias arrachent des cris de douleur au fauconnier. Il se cambre en hurlant de toutes ses forces, se débattant, faisant résonner les chaînes contre les barreaux. Draguir ne peut pas se laisser faire ainsi, lui qui se considère être le plus dangereux des fauconniers après Gan. Elias arrive à maintenir son emprise alors que lentement son esprit se faufile tel un serpent dans l'esprit du jeune fauconnier.

Draguir tente de déployer son pouvoir pour le contrer, mais celui-ci refuse d'obtempérer. Il se rappelle quand son maître l'avait enfin libéré des entraves qui le maintenaient en cage dans son esprit. Il devait se débarrasser d'un insecte qui gênait les plans de son seigneur, et bien sûr, il croit avoir réussi. Or Elias contredit son souvenir en revenant à l'assaut, profitant d'une faille et riant :

— Ce que tu crois, Draguir, tu ne l'as pas éliminé, elle t'a même mis une sacrée raclée !

De quoi parle-t-il ? Il ne se peut qu'une personne contre mon pouvoir ! pense ce dernier.

— Je suis là, mon ami, reviens vers nous et souviens-toi d'elle, de ce lien.

Mais, tu vas me foutre la paix, et sortir de ma tête, saleté ? Les violentes pensées de Draguir se dirigent vers Elias. Veut-il vraiment s'attaquer à moi ? Qu'il en soit ainsi.

Il imagine ses mains ancrées dans son esprit afin de déplacer son ombre mentale pour qu'elle se cramponne à lui. Tu veux jouer, mon gars, on va jouer. Un sourire malsain se dessine sur son visage, tandis qu'il sent ses ailes se déployer dans son dos. Il enveloppe le corps étranger de l'intrus qui tente de modifier ses souvenirs pour le rallier à une cause qu'il n'adhère pas et déploie la noirceur qui habite mon âme.

— Draguir non ! Ne résiste pas, souviens-toi de ton lien, panique Elias.

Le samouraï prononce sa prière avec plus de hargne alors que Draguir hurle de rage sous sa prise en réponse à sa détermination. Il continue d'envoyer des ondes de cri envers Elias qui repousse ses attaques mentales, propulsant son ombre dans ses retranchements.

Je vais le tuer !

Draguir flotte dans les abysses temporels de son esprit, ressentant une fureur implacable. Il tente de s'échapper en activant sa projection, se demandant qui pourra lui apporter les réponses concernant les actions de son collègue.

Maître H ? Gan ? Lyvia ?

Une idée éclaire son cerveau endolori alors qu'il se laisse glisser dans une chute libre interminable, jusqu'à ce que son corps astral percute un sol boueux.

— Draguir ?

Braquant son fusil d'assaut contre Draguir, Gabriel cligne des yeux en reconnaissant le jeune homme qui a atterri à ses pieds. Il s'approche et l'aide à se relever, puis l'inspecte avant de le prendre dans ses bras. Draguir se laisse faire, se demandant d'où vient cet élan chaleureux que lui procure le grincheux.

— Je pensais que ce serait Sophia qui viendrait nous voir avant, explique-t-il, son père est très inquiet à son sujet.

Draguir fronce des sourcils devant le nom de cette fille qui apparaît encore. Il feint l'ignorance devant sa joie en s'empressant de répondre :

— Non, elle est très occupée en ce moment.

— Est-ce que ça va ? demande-t-il, suspicieux.

Le jeune fauconnier hoche la tête, gardant son visage impassible. Leah le repère de loin et cours vers lui comme une furie avant de se jeter à son cou :

— Draguir c'est toi ? Je suis tellement heureuse de te voir, débite-t-elle rapidement. Comment va Sophia ? Elle est avec toi ? ajoute-t-elle en s'appuyant sur ses épaules pour regarder derrière lui.

Mais, ils ont quoi, ma parole ? Pourquoi Gabriel traîne-t-il avec cette louve ? Je savais qu'il était parti en mission, mais pas avec la sœur de Luka !

Draguir regarde tout autour de lui, ne reconnaissant pas le monde où il se trouve. Des tentes de fortune sont installées à la lisière d'une forêt où les véhicules blindés braquent leurs phares sur celle-ci. Des soldats courent tout autour de lui, rassemblant des armes et attrapant leurs paquetages. Gabriel l'observe, méfiant devant ses réactions, et l'ordonne de les suivre.

« Qui es-tu ? »

Une voix enfantine s'immisce dans l'esprit de Draguir avant qu'il ne fasse un pas. Il se retourne vers la forêt, mais n'aperçoit rien d'anormal. Il secoue la tête et se dirige vers Leah et Gabriel qui l'attendent au loin. Ensemble, ils marchent quelques minutes en silence avant d'arriver devant la tente principale. Leah entre la première, mais Gabriel barre le chemin de Draguir avec son arme et lui fait remarquer en plissant les yeux :

— Tu n'es pas comme d'habitude.

— Je ne vois pas de quoi tu parles, hausse-t-il les épaules.

— Hmm, je connais seulement deux réactions quand je te soupçonne comme cela, songe-t-il dans sa barbe de trois jours.

Draguir reste le plus stoïque possible en songeant :

Sois impassible, Draguir, ne lui montre pas que tu ignores ce que tu fais là ! Ne lui montre pas que tu veux des réponses et qu'Elias mène une expérience dangereuse sur ton esprit.

Un rire candide résonne autour de lui, perturbant sa concentration. Il regarde de nouveau autour de lui, n'apercevant rien d'autre que le bruissement des feuilles. Or Gabriel a capté ses paroles mentales et l'assomme avec la crosse de son arme avant de le traîner sur le sol.

— Tu penses que ce n'est pas réellement lui ?

— Il me paraît étrange. D'habitude, il est froid comme maintenant, mais dès que l'on aborde le sujet de Sophia, il n'y a pas cette petite lueur dorée qui apparaît dans son regard, démontre à voix basse Gabriel.

— Effectivement, il a été plutôt distant quand j'ai posé toutes mes questions, bougonne Leah avant d'ajouter, les aventures sans elle, ce n'est pas pareil.

Draguir se réveille en entendant leurs conversations. Il cligne des yeux pour repérer l'endroit où il se trouve. Cependant, le faisceau d'une lampe de bureau lui éclaire le visage de plein fouet, tandis qu'un lit avec des documents éparpillés est étalé sur les couvertures. Il remarque également, en tentant de se pencher pour regarder de quoi il s'agit, qu'il est saucissonné sur une chaise. Impossible pour lui d'émettre le moindre mouvement.

— Tu penses que ça va marcher ? interroge Patrick.

— Il n'y a plus qu'à tenter notre chance.

Draguir se penche en arrière pour faire basculer la chaise alors que les pas se rapprochent de la tente où il se trouve. Il entend le fauconnier donner une indication avant d'entrer :

— Resté ici pour l'instant, Patrick, on va comprendre le problème d'abord avec Leah.

Qui nomme-t-il de problème ? Moi ? Comment veut-il que j'en sois un, comme je suis attaché et solidement de surcroît ?

Gabriel soulève la toile de la tente pour entrer, suivi de Leah. La louve fixe le jeune fauconnier d'un air menaçant en s'asseyant sur le lit, tandis que Gabriel craque ses doigts en joignant son poing dans sa paume. Draguir sent qu'il va passer un mauvais quart d'heure. Le fauconnier, armé, croise ses bras sur son torse et demande simplement :

— On ne va pas passer par quatre chemins, Draguir, qu'elle est actuellement ta mission ?

Draguir glisse un regard sur la louve qui le toise en retour avant de reporter son regard sur Gabriel d'un air étonné. Celui-ci le rassure :

— Ne t'en fais pas pour Leah, elle est de notre côté, répond-il sèchement.

Draguir hausse les épaules et commence à lui expliquer :

— Depuis mon déblocage, j'étais en mission avec Méric pour retrouver l'épée pour notre maître, mais en chemin, nous avons croisé Elias, accompagné de Luka et de cette fille dont tout le monde parle. Je me suis infiltré et ai fait des rapports auprès de Gothika et Cycla pour avoir le plus d'éléments à apporter à H.

Gabriel donne une droite dans la joue de Draguir. Surprit, sa tête ayant tourné sous la violence reste ainsi. Il tente de porter sa main à son visage, mais étant attaché, il lui est impossible de faire le moindre mouvement.

— Oh que ça fait du bien, souffle Gabriel dans un soupir de soulagement.

Gabriel se met à tourner autour de la chaise comme un prédateur chassant sa proie, traquant le moindre faux pas.

— Te souviens-tu d'avoir giflé Leah à Pharekth ? lance-t-il.

— La seule fois que j'ai rencontré cette louve, c'était quand elle était jeune et malade avec son frère, rétorque acerbe Draguir en la pointant du menton.

Gabriel lui donne un autre coup de poing au visage en lui faisant cracher un flot de sang. Leah est surprise des agissements de son compagnon et se cramponne au matelas du lit. Alors que le rire enfantin entendu plus tôt résonne dans le crâne de Draguir alors qu'il se sent sonné.

— Souviens-tu d'elle ? pose-t-il en brandissant une image.

Draguir fixe la photo représentant une jeune femme souriante de joie à côté d'un arbre. Elle porte un long manteau noir et une grosse écharpe grise, avec un bonnet à pompon gris en blanc sur la tête. Il a beau se concentrer, il ignore qui elle est. Il sent un mal-être s'immiscer au fond de lui, l'indiquant qu'une information ne colle pas. Il tente le tout pour le tout en hochant la tête. Cependant, Gabriel ne se fait pas avoir aussi facilement et l'interroge une fois de plus sur son identité.

Le jeune fauconnier reste muet face à sa question, voyant que son collègue perd rapidement patience.

— Qui est-elle ? crie-t-il presque en lui plaquant l'image contre le visage.

Draguir refuse de répondre, sentant au plus profond de lui la connaître sans en savoir plus.

— Qui est-elle ? hurle-t-il à présent.

— Je ne sais pas, rétorque enfin Draguir sur le même ton, vous me faites chier avec cette gonzesse depuis le début.

— Patrick non !

L'homme rentre en trombe dans la tente et assène un violent coup de poing à Draguir qui bascule en arrière se cognant la tête contre le sol dans un craquement. Gabriel se précipite pour vérifier le pouls de collègue et souffle de soulagement en le détachant avant de le porter sur le lit.

— Il est inconscient, je vais pouvoir en profiter pour rentrer dans sa tête maintenant que la principale barrière est baissée, mais vous n'auriez pas dû intervenir, rétorque-t-il en se retournant vers Patrick.

Les yeux plissés de colère, l'homme se frotte le poing en baragouinant dans sa moustache. Il sort de la tente le pas pressé, hurlant des ordres cinglants à ses soldats, tandis que Leah pose une main sur l'épaule de Gabriel en tentant de le rassurer :

— Comprends qu'il soit inquiet pour sa fille, et entendre le prétendu ange gardien de Sophia parler d'elle comme ça l'a sortie de ses gonds.

Elle aurait aimé réagir avant Patrick pour gifler elle-même Draguir. Gabriel se renfrogne et attrape la chaise qu'il glisse vers le lit avant de poser ses mains sur les tempes du jeune fauconnier. Une nouvelle forme apparaît dans le dos des compagnons de Draguir. Une nouvelle version de lui-même voyant Elias et Gabriel maintenir la même position sur son corps et sa projection.

Draguir se recule d'un pas, ne comprenant pas comment il a réussi à s'extraire de lui en étant en voyage astral, alors qu'une petite fille apparaît dans son champ de vision. Elle se met à rire de sa petite voix candide avant de sourire en se balançant sur ses pieds et de disparaître en riant à travers la toile de la tente.

Le jeune homme se tient la tête, sentant des fourmillements dans son cerveau alors que ses deux collègues fouillent à l'intérieur, ainsi que leurs voix l'incitant à se rappeler Sophia. Il sait qui elle est, mais ne comprend pas ce qui l'empêche de s'en souvenir correctement en préférant Lyvia à elle.

D'autres souvenirs lui remontent à l'esprit, surtout celui où il avoue avoir toujours aimé Lyvia. Méric ne lui pardonnera jamais, alors qu'il espère que celui-ci comprenne qu'il n'était pas dans son état normal. Un sombre voile l'empêche de se souvenir qui il est et surtout à quel camp il appartient.

Le rire de la gamine résonne de nouveau à l'extérieur. Laissant son corps et sa projection aux fauconniers, Draguir se dirige vers la sortie. Il se rend enfin compte qu'il se trouve sur Terre en reconnaissant les engins utilisés par l'armée du père de Sophia. Les soldats qui se reposent dans leurs habitats de fortune ou qui discutent autour d'un brasero n'ont pas l'air de l'apercevoir.

Il remarque même Patrick assis sur une caisse se tenant la tête entre les mains, une bouteille gisant à ses pieds. Sa dernière phrase enragée avait secoué l'homme qui se demande si sa fille est en danger sur Imaginarium.

En l'observant, un flash frappe Draguir. Il la voit, s'envolant dans les airs avec Evy vers sa destination, le laissant seul les yeux voilés par un sombre mur dressé entrent eux. Il se rappelle du sentiment d'avoir perdu sa proie, mais qu'il avait senti une émotion familière l'empêchant de la poursuivre.

L'enfant passe devant Draguir en sautillant de joie et en courant, tournoyant sur lui-même vers la forêt. Il se met à la suivre, remarquant que personne ne remarque leurs présences. La petite fille franchit la lisière de la forêt en disparaissant dans l'obscurité de la nuit. Il court à sa poursuite, passant entre les arbres et l'entendant glousser en écho au travers de l'épaisse brume qui s'immisce sous ses pieds.

Son cœur s'affole quand un silence morbide s'installe dans la forêt. Le souffle saccadé, il tente d'apercevoir le moindre son lui parvenant, mais il se heurte à un mur. Il avance à pas feutrés, ne se détournant pas de son chemin en essayant de se guider avec les étoiles qui se cachent de lui.

Un cri aigu attire son attention, suivi par des gémissements et des pleurs. Draguir se met à courir dans la direction des sons et arrive sur une clairière illuminée par la lune. L'enfant est recroquevillée sur elle-même, alors qu'une silhouette encapuchonnée se dresse au-dessus d'elle. L'intrus déploie sa cape ressemblant à d'immenses ailes et maintient sur la petite fille une pression irrépressible d'angoisse. L'enfant est en larme alors que ses habits sont en lambeaux et sa peau lacérée. Ses petites mains crasseuses salissent encore plus son doux visage.

Draguir se demande si c'est un souvenir de Sophia qui se matérialise sous ses yeux. Se rappelant que Jojo leur avait indiqué qu'elle faisait de la projection quand elle était enfant.

Il s'approche en silence pour ne pas se faire repérer, puis arrive à se mettre derrière l'intrus qui maintient sa position. Un râle sort de la gorge de la silhouette, maintenant la peur constante de l'enfant tremblant sous sa forme.

À demi accroupi, Draguir se rapproche un peu plus avant de bondir sur lui. Il tend le bras pour l'attraper après avoir poussé sur ses jambes, mais il rencontre du vide quand la silhouette disparaît dans un nuage noir. Il atterrit au pied de la gamine qui se tient à présent debout dans un état déplorable. L'intrus réapparaît derrière elle. Il se redresse devant l'effroyable vision qui lui fait face.

L'enfant n'est autre que Sophia. Elle tient une longue épée sombre avec un emplacement de la forme d'un dragon. Ses cheveux crasseux entourent son visage pâle, alors qu'un sourire malsain s'étend sur ses joues. Ses yeux brillent d'une intensité vert émeraude et doré, promettant mille cauchemars, accompagnés de l'ombre qui tient sa gorge d'une main griffue, tandis que l'autre est posé sur son épaule comme pour la guider.

À plusieurs occasions, Draguir avait eu peur de Sophia, mais en cet instant précis, il est horrifié par les personnes présentes devant lui. Il tombe à la renverse et recule sur l'herbe mouillée. Il se met à observer ses mains en s'apercevant qu'un liquide rouge dégouline dessus avant de reporter son regard sur le sol, constatant qu'il baigne dans une mare de sang.

Il tourne de nouveau la tête vers Sophia et remarque qu'elle a le bras tendu en avant, tenant dans sa petite main les oreilles d'un lapin contenant seulement la tête arrachée du reste du corps. Une phrase mentale que Gothika a prononcée frappe son esprit.

Un voile s'est posé sur ses yeux. Il ne te connaît plus. La seule manière de le lever est de franchir la ligne. La vie. La mort. L'amour. Le néant. À toi de choisir.

La petite fille le regarde avec haine tandis que l'ombre derrière elle se décale et s'approche de Draguir. Elle lui attrape le bras et se met à lui graver à même la peau une inscription. Il hurle à chaque tracé, ressentant une brûlure se propager dans ses veines, alors qu'il entend la gamine se moquer de lui dans un rire hystérique.

L'ombre a cessé son activité créative sur le bras de Draguir et le fixe intensément de son regard voilé. Son souffle nauséabond lui parvient aux narines, lui donnant envie de vomir, mais il remarque un regard reconnaissable. Le seul ayant des yeux aussi verts et manipulant le même pouvoir que lui.

Gan !

Le fauconnier de la peur a profité de la faiblesse de Draguir lors de ses projections pour se faufiler sous sa véritable forme. Son pouvoir se décuple face au jeune homme, soufflant sa terreur qui s'immisce dans le cœur de Draguir qui frissonne, happé par le vide présent autour de ses yeux.

Sophia se positionne au côté de Gan et tire sur sa cape. L'ombre se détache du corps tremblant de Draguir et prend la main que la petite fille lui tend. Elle tient contre sa poitrine la tête de Jojo qu'elle laisse tomber en traînant sur le sol, les yeux ouverts.

Draguir les voit disparaître dans la brume alors que son cœur se remet à battre douloureusement. Son souffle lui brûle les poumons alors qu'il tente de contrôler les tremblements qui le prennent d'assaut. Il lève son bras dégoulinant de sang pour observer l'inscription qui apparaît sous le fluide :

« Pour te sauver, elle doit tuer. Sinon, tu l'oublieras. L'épée est la clé. La vie, la mort réunie. Que choisirez-vous ? »

— Sophia...

Il soupire son prénom dans une complainte alors qu'une douce chaleur se propage en lui. Il la ressent près de lui, sa vraie nature. Une bienveillance qui l'apaise de ce cauchemar épouvantable.

— Il ne faut pas que je t'oublie.

Il se met à crier au milieu de la plaine, les mains posées sur ses genoux. En baissant le regard, il remarque une griffe luire sous la lune qu'il attrape avant de se scarifier sur le bras :

« Souviens-toi de l'enfant, souviens-toi de la vraie Sophia. »

Draguir sait qu'avec ce souvenir douloureux, il aura constamment une piqûre de rappel à portée de main. Mais, des voix familières l'interpellent, le forçant à revenir auprès d'eux. Son corps se soulève et part en arrière, traversant la forêt, le campement avant d'atterrir de force dans sa première projection.

Gabriel et Leah sont effrayés et s'activent auprès du jeune fauconnier qui perd énormément de sang. Le soldat remarque que Draguir se réveille et se penche au-dessus de lui alors que le jeune homme remue les lèvres. Draguir lui raconte dans un soupir ce qu'il s'est passé.

Gabriel pose une main sur l'épaule de son ami en hochant la tête de soutien, alors que Draguir sent son corps principal devenir de plus en plus faible. Les scarifications sur son bras ne cicatrisent pas correctement. Il ferme les yeux et se laisse repartir dans son enveloppe.

— Il faut le détacher, il va finir par crever sinon, hurle Méric.

— Sans l'aval d'Elias, je ne fais rien, rétorque Luka sur le même ton.

Elias hoche la tête en direction du loup qui s'affaire à défaire les chaînes. Le corps de Draguir tombe comme un bloc dans les bras tremblants du samouraï.

— Je suis ravi de te retrouver malgré cette torture.

Elias maintient son étreinte quand il entend Draguir pleurer contre son torse. Il lui promet que ce qu'ils ont vu ensemble n'arrivera jamais. Tous ses compagnons le regardent, le cœur meurtri de le voir ainsi.

La bataille pour retrouver ses souvenirs a été rude et éreintante. La cicatrisation de son bras commence à s'activer, tandis que celui blessé par Gan reste à vif. La nouvelle mission pour Draguir sera de ne jamais oublier sa sauvageonne et de tout faire pour qu'elle ne bascule pas dans les méandres de la mort. Et, ça, Gan et Gothika l'attendent avec impatience.