17- Un rabatteur à la dérive

Elias profite du départ d'Evy et Sophia pour assommer son collègue en traitre avec le pommeau de son katana. Voyant qu'elles perdent le change avec le retournement de situation, les deux déesses se volatilisent dans une tornade créée par Cycla.

— Nous devrions l'enfermer, propose Luka en regardant Draguir.

Les hommes confirment et traînent le fauconnier jusqu'à une cellule proche des écuries.

— Luka, je te confie sa garde, je vais essayer de trouver un moyen de contrer le maléfice qu'il subit, informe Elias.

— D'accord. Crois-moi, s'il tente quoi que ce soit, il va amèrement le regretter.

Elias se tourne vers le rabatteur et pose sa main sur son épaule :

— Méric, tu devrais prendre du temps pour toi, ça fait beaucoup à encaisser d'un coup.

Le jeune homme regarde ses compagnons partir s'atteler à la tâche qu'ils se sont confiée, restant seuls au milieu du tunnel. Il regagne sa chambre et s'allonge sur son lit en calant ses bras derrière la tête tout en regardant le plafond, complètement dépassé par les évènements. Il ne pensait pas qu'en rejoignant le groupe, en se rebellant contre son maître, allait lui faire vivre de telles sensations.

Il repense à la forme liquide qui dessinait parfaitement les traits de sa mère. Elle était comme dans ses souvenirs qu'il avait enfouis au plus profond de lui. Méric avait ressenti l'émotion de Loa quand elle le regardait avec souffrance d'avoir perdu son fils, son aîné. De plus, sa sœur n'avait pas l'air réceptive à la présence de la déesse de l'eau.

Un long soupir s'échappe quand il repense au comportement de sa jeune sœur. Cette femme si sauvage, si inaccessible et qui le repousse dès qu'il reste trop longtemps auprès d'elle. Il se souvient des paroles de Sophia lors de sa fuite de Blackvoïd :

— Il ne tolère plus ta perte qui a provoqué celle de la femme qu'il a tant aimée en nous abandonnant, comme toi !

Méric se tourne sur le côté, se demandant réellement si la tirade de Sophia lui indiquait que son père était également en vie. Il a tenté d'en savoir plus auprès de Lyvia, mais celle-ci esquive ses questionnements, prétextant devoir s'occuper d'une tâche. Elle lui fait croire qu'elle est ravie de le retrouver, mais Méric n'est pas devenu le chef des rabatteurs sans savoir déceler les mensonges.

Seul Draguir pourrait le conseiller sur les doutes qui pèsent sur son cœur, cependant le maléfice que Gothika a semé sur son esprit ne lui permettra pas de l'éclairer en toute sincérité. De plus, le fait de tourner autour de sa sœur ne l'enchante absolument pas, alors que Lyvia se complaît d'être courtisée par le fauconnier, dévoilant ainsi que les deux se sont déjà rencontrés auparavant.

Méric se redresse en secouant la tête, trouvant que cette situation frôle le ridicule. Il se lève et sort de sa chambre, déambulant parmi les tunnels de la caverne, l'esprit tourmenté.

Elias fouille les archives du propriétaire à la réponse d'une solution concernant le maléfice qui hante l'esprit de son collègue. Il parvient à trouver une piste et s'empresse de sortir de la pièce, mais percute Méric qui se trouvait dans le chemin.

— Oh, excuse-moi, Elias.

— Toi, ça ne va pas, affirme-t-il en le regardant avec inquiétude.

Méric hausse les sourcils blasés, ignorant quoi répondre. Le samouraï comprend l'état dans lequel il se situe, mais ne lui laisse pas le temps de se morfondre, qu'il l'attrape par les épaules en le poussant vers la cellule de Draguir qui se trouve au fond des écuries en bougonnant :

— Je pense avoir déniché une solution pour savoir ce qui tourmente notre ami commun. Je vais essayer d'en savoir plus avant que l'on parte vers l'endroit que Jack m'a indiqué et nous allons prendre d'importantes décisions qui ne vont plaire à aucun d'entre vous.

Méric ressent une lueur d'espoir en regardant Elias, mais celui-ci augmente la fréquence de ses pas en expliquant ce qu'il va suivre :

— Draguir a comme Sophia le pouvoir de bloquer nos dons. Cependant, pour son cas, comparé à notre petite demoiselle, on peut contourner son blocage quand il est énervé ou dans le cas présent : plus lui-même.

— Mais tu n'as pas le don de rentrer dans sa tête, affirme Méric. Seul Alex et Gabriel peuvent le faire.

— C'est exact, confirme-t-il, néanmoins il y a également Gan qui a ce don et qui, plus est, est semblable à celui de Draguir.

Elias s'arrête devant la porte des écuries en posant la main sur la poignée, hésitant. Il pousse un long soupir et se tourne vers Méric, le visage assombri. Le rabatteur comprend que ce qu'il va annoncer est très important, et connaissant le fauconnier, il sait qu'il n'est pas du genre à inventer des histoires pour prétendre à la gravité d'une situation. Méric le fixe aussi impatient que stressé de ce qu'il va dire :

— Tu dois savoir maintenant de quoi il en retourne, indique Elias, plus que sérieux.

L'étincelle qui luit dans le regard d'Elias fait place à la froideur que lui imposent les circonstances :

— Il est important que tu saches qui est vraiment ton meilleur ami Méric, répète-t-il en appuyant sur chaque mot.

Pour la première fois de sa vie, Méric prend peur devant l'aura pesante qu'Elias lui transmet, lui faisant ressentir des sueurs froides. Il l'invite après avoir dégluti, alors que le fauconnier étudie ses faits et gestes sous son regard acéré pour savoir s'il sera bien à l'écoute. Elias commence son explication :

— Avant que Draguir ne soit affecté au cachot de Voltamur pour la deuxième fois...

Méric tique sur le second mot. Voyant sa tête, Elias lui explique rapidement :

— Notre jeune fauconnier s'était enfui et baladé dans tous les pays.

Le rabatteur secoue la tête d'exaspération devant l'impertinence de son ami, déjà bien présente à cette époque.

— Donc, je disais, avant qu'il ne te connaisse, Draguir a acquis un pouvoir nous dépassant tous. Sa mère Gothika a pu mettre la main sur son fils et a fait appel à H pour les bloquer, explique-t-il, à ce moment-là, nous étions déjà tous présents. Tous les fauconniers. Sans exception. H a bloqué une partie de ses dons maléfiques, car comme tu as pu le découvrir quand il déploie ses ailes, il peut rentrer dans la tête d'une personne et lui faire vivre l'enfer. Et, encore, ce mot est un euphémisme, se dit-il à lui-même. Mais, à contrario, avec Sophia, il y a une connexion entre eux, qu'eux seuls semblent connaître. Même Luka qui en pince pour la demoiselle l'a compris, mais il ne s'est pas résolu à lâcher l'affaire.

— Mais en quoi ce qu'il va venir concerne ce qu'il se passe à présent ? demande Méric, perplexe de son récit.

— C'est un point non négligeable, indique Elias. Si Sophia perd ses moyens ou se trouve en danger, les seules personnes pouvant la sauver sont Evy et Draguir. Evy étant à moitié hors service et Draguir ayant eu un sort qui a voilé la vision qu'il a de Sophia, fait qu'elle se retrouve plus vulnérable que jamais. Or, elle a compris une chose avant de prendre la décision de mener sa mission principale à bien, et cette chose concerne notre fauconnier.

— Je suis désolé Elias, mais je ne comprends toujours pas pourquoi cela va nous mener à prendre des décisions difficiles.

Méric a les sourcils froncés, ne comprenant pas le but du récit du fauconnier.

— Si j'arrive à pénétrer dans l'esprit de Draguir grâce à la méditation, je découvrirai l'enjeu que Sophia a découvert. Si tout se passe bien dans le meilleur des cas, nous aurons une solution pour lever ce voile. Sinon...

Elias se tait, puis fixe Méric encore plus intensément qui perd patience et grogne, irrité :

— Sinon quoi ?

— Il faudra l'emmener à H, répond-il d'une traite.

Méric lâche un rire sarcastique malgré lui, se tenant le front en secouant la tête. Il n'imagine pas retourner la bouche en cœur dans l'antre H pour régler le problème de Draguir. Mais, devant le sérieux qu'impose Elias, son visage se décompose :

— Ce sera la seule solution, ajoute-t-il dépité avant d'abaisser la poignée et de s'engager dans l'embrasure de la porte.

Elias disparaît dans les écuries, laissant les signaux d'alerte de Méric s'activer. Rôdant dans les tunnels, Lyvia n'a pas perdu une miette de l'échange entre les deux hommes. Son frère la repère et prend son arme et la menace sans de réelles intentions :

— N'aggrave pas les choses si tu ne veux pas que je m'occupe également de ton cas !

Lyvia est blessée en son for intérieur en entendant l'avertissement de son frère et s'enfuit en courant et sanglotant. Méric soupire en baissant son arme, se disant y être allé un peu fort, mais des cris hystériques lui parviennent aux oreilles, reportant son attention sur la pièce au fond des écuries.

Draguir est une personne si calme, si réservée, intrépide dans ses provocations envers Alex, pourtant brillant. Méric l'a toujours considéré comme un frère dès qu'ils se sont rencontrés dans les cachots. Le fauconnier l'avait rassuré, lui promettant qu'ils graviront les échelons ensemble et qu'ils feront tout pour s'en sortir. Il savait que son ami lui cachait des choses, comme lui ressentait au fond de son âme la puissance de la déesse des océans coulants dans ses veines, même s'il faisait tout pour le nier.

Un autre hurlement déchirant transperce les murs qui perturbent les destriers qui frappent leurs sabots sur le sol pavé, hennissant la douleur de leurs camarades.

Mon ami. Mon frère. Je t'en conjure, laisse-nous t'aider. Laisse-nous te sauver, prie Méric.

Il lève sa main pour abaisser la poignée de la cellule, mais la laisse en suspens tant il tremble de découvrir ce qu'il y a derrière.

Jamais ! Ô grand jamais, je n'ai tremblé de la sorte. Pourquoi ?

Méric ignore pourquoi, dès qu'il fait face à une situation inhabituelle, il se met à stresser à un point inimaginable. Se rappelant la légende que sa mère lui racontait, enfant, lors de son coucher concernant l'épée que Sophia avait mentionnée. Il sait que l'histoire contient des indices, mais ses souvenirs se perdent dès qu'il y repense.

Le rabatteur se remémore la promesse qu'ils se sont faite avec Draguir dans les cachots. Celle de libérer tous les esclaves et les enfants enlevés à leurs parents pour devenir des soldats et qu'ils n'ont pas pu tenir de peur d'être tués ou pire.

Un autre cri brise le fil de ses pensées. Draguir est plus agressif et se débat dans sa détresse sur sa chaise.

Draguir, tu es plus fort que ça ! Ne te laisse pas manipuler par cette sorcière.

Méric serre le poing et l'écrase contre le mur avec force, alors que ses jambes flanchent, le rendant complètement impuissant. Il s'agrippe les cheveux, se balançant d'avant en arrière de peur de perdre son frère. Trop de responsabilités lui pèsent sur les épaules, trop de souvenirs douloureux le hantent tandis que son esprit part à la dérive :

Est-ce que ce que m'a dit Elias est vrai ? Va-t-on devoir t'emmener jusqu'à Hellakiel ? Je n'y crois pas un instant. Tu es plus fort que ça, Draguir ! Dis, tu ne vas pas laisser ton esprit être embrumé par les ténèbres ? Si ? Non, je n'y crois pas !

Je me sens abandonné sans toi. Je revis mes pires cauchemars quand tu es absent. Je me revois dans le coin sombre d'une pièce faiblement éclairée. Les genoux écorchés, repliés sur moi-même, me balançant d'avant en arrière, alors qu'à peine quelques jours avant notre rencontre, les hommes de feu me faisaient subir toutes sortes de tortures pour me forger le caractère. Je pleurais sans cesse pour revoir mes parents, ma petite sœur qui venait de naître.

Dis-moi que tu me protègeras encore de ces monstres. De ce monstre aux griffes acérées. De cette noirceur qui hante chacun de nous.

— Méric, appelle une douce voix dans le lointain.

Non ! N'abusez pas de vos dons pour matérialiser la voix de ma mère pour me faire plier.

— Méric, écoute-moi, regarde-moi, appelle Lyvia.

Arrêtez !

Il crie dans son esprit, hanté par ses fantômes du passé. Alors qu'une douleur vive se ressent sur sa joue gauche. Lyvia l'a attrapé par les épaules et le secoue pour le faire ramener à lui :

— Méric, réveille-toi, c'est une illusion, Méric, s'il te plaît.

Il ouvre ses yeux, désorienté et la respiration saccadée par l'effroyable cauchemar qui s'est immiscé en lui. Lyvia le regarde, inquiète et aussi soulagée d'avoir réussi à le ramener vers elle alors qu'ils sont tous les deux assis sur le sol de l'écurie. Elle tend la main pour essuyer les joues de son frère baignant de larme, puis cale son front sur le sien, l'indiquant de se caler sur sa respiration.

Ai-je un jour aussi perdu le contrôle de moi-même ? Moi, le chef des rabatteurs ? songe-t-il.

Il ferme les yeux, écoutant les battements de son cœur qui ralentissent et prononcent dans un murmure :

— Lyvia...

— Ne dis rien, répond-elle.

Elle renifle.

— Je sais que je ne suis pas la meilleure des petites sœurs et que j'aurais dû continuer mes recherches pour te sauver, commence-t-elle faiblement, je sais que je ne devrais pas être aussi sévère avec cette jeune fille qui n'a pas demandé à vivre tant d'épreuves, aussi difficile soit-elle. Mais, je sais que c'est la seule avec Draguir qui puisse accomplir ce que nous pouvons faire en soulevant le peuple.

Elle se tait un moment avant d'annoncer la fatalité dans un souffle :

— Car les deux ne font qu'un.

La porte s'ouvre à la volée derrière Lyvia, les faisant tous deux sursauter, tandis que Luka apparaît devant eux, le regard affolé :

— La méditation se complique, annonce-t-il, essoufflé. Draguir est de plus en plus violent. On requiert tout le monde.

Le loup disparaît de nouveau dans la cellule plongée dans la pénombre au milieu des cris hystériques qui résonnent en écho dans la pièce. Méric se lève et s'avance, le pas pressé, mais Lyvia le retient par la manche de son veston, tremblante de peur. Il se retourne et la prend dans ses bras en la berçant :

— Souviens-toi de l'histoire que maman nous contait chaque soir. Souviens-toi, petite sœur, et tu trouveras le courage d'affronter la souffrance de notre ami.

Elle s'essuie les yeux embués de larmes en faisant une remarque à son frère :

— Cependant, c'était papa qui me racontait l'histoire.

Méric sourit en découvrant que la légende a pu perdurer au travers de leurs parents. Il se décale et tend la main à sa petite sœur, qui, sans une once d'hésitation, l'attrape avant de se mettre à courir avec lui dans les entrailles de l'obscurité.

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