15 - Mauvaise idée

Sous les couvertures épaisses, Sophia émerge lentement. Elle reconnaît sa chambre à la caverne des boucliers de givre, sans savoir comment elle a fait pour y parvenir. De plus, en repoussant les fourrures, elle remarque son changement d'accoutrement.

Réveillez ma belle endormie ? demande Evy.

— Que s'est-il passé ? l'interroge-t-elle en se levant.

Ta blessure te faisait trop souffrir, alors j'ai interverti nos places pour te soulager, répond-il avec bienveillance.

— J'ai eu une sensation étrange pendant mon sommeil.

Je t'ai couvé sous mon aile bichette.

Elle sourit en effleurant son bijou, gratifiant le dragon du réconfort qu'il lui fournit en veillant sur elle. La jeune femme s'avance dans la pièce pour aller s'admirer dans le miroir, ne reconnaissant pas les vêtements qu'elle avait laissés sous le lit.

Cependant, je l'ai un peu amélioré, annonce son ami.

— Je l'adore, sourit-elle en se cambrant devant la glace.

Quand tu rejoindras les autres, ne t'étonne pas de leurs comportements. J'ai mis un peu les points sur le i en arrivant, laisse-t-il entendre alors que Sophia enfile ses bottes.

— Evy qu'est-ce que tu as fait ?

Oh pas grand-chose, répond-il d'un air innocent.

Au réfectoire, une dispute éclate entre les fauconniers sous le regard de leurs compagnons qui essaient de les calmer.

— On aurait dû être ensemble pour le trajet, hurle Draguir en tapant sur la table.

— Peux-tu beugler moins fort s'il te plaît, s'exaspère Elias en soufflant, si j'ai procédé ainsi, c'était pour éviter que l'on tombe tous ensemble dans un des pièges des déesses et aussi parce que je craignais que Sophia ne tienne la route.

— Je me demande pourquoi on n'extrait pas cette chose de son corps, elle pourrait commencer à guérir, suggère Méric.

— C'est plus compliqué que ça, répond le samouraï. D'où nous venons, Sophia et moi, nous avons les technologies requises pour voir où se trouve exactement la balle. Malheureusement, ici, ce n'est pas le cas. Et, ces petites coquines sont réputées pour être vicieuses.

— Je vais aller dire deux mots à son père, grogne Draguir.

La porte s'ouvre sur ses dernières paroles, laissant découvrir Sophia qui a entendu une partie de la discussion en arrivant.

— Salut, lance-t-elle timidement.

Les garçons froncent légèrement les sourcils en la détaillant de haut en bas, alors qu'un silence pesant règne dans la pièce. Lyvia sort à ce moment de la réserve, les bras chargés de nourriture, mais en voyant la demoiselle, elle laisse tout tomber sur le sol en reculant d'un pas effrayé. Méric se lève et s'approche de sa sœur, faisant office de bouclier face à Sophia.

La jeune femme comprend mieux le sens de l'avertissement d'Evy qui sourit dans sa tête. Draguir contourne la table et s'approche d'elle en lui attrapant les épaules. Son regard est furieux, quand il la force à faire demi-tour en la poussant hors du réfectoire :

— Toi et moi, il faut que l'on cause.

Elle regarde son poignet pour fusiller Evy du regard, alors que celui l'ignore en calant sa tête sur son poignet.

Tu ne perds pas de temps, toi, fulmine-t-elle dans sa tête.

Draguir la pousse jusqu'aux écuries où les destriers broutent tranquillement le foin mis à leurs dispositions. Il s'arrête puis la contourne en se dirigeant vers le fond de la pièce en récupérant deux tabourets. Ils les placent l'un en face de l'autre en revenant et s'assied sur l'un en tranchant d'un ton sec :

— Assis !

— Je ne suis pas ton chien, rétorque-t-elle sur le même ton. Tu peux dire s'il te plaît, cela ne t'écorcherait pas le trou.

— S'il te plaît, Sophia, peux-tu t'asseoir sur ce tabouret mis à ta disposition ? demande-t-il en faisant un effort surhumain pour ne pas le dire en criant.

Elle s'installe sur le tabouret en croisant les jambes et entoure son genou relevé. Draguir prend une profonde inspiration pour tenter de se maîtriser et annonce :

— Pour commencer, comme tu dois t'en douter, nous avons eu la visite d'Evy.

Elle hoche la tête pour confirmer les paroles de Draguir.

— Bien, c'est déjà ça, baragouine-t-il, donc, pour te la faire courte, il a ramené Elias qui s'est payé une branche au moment où il a voulu te rattraper, puis il a fait comprendre à Lyvia de manière assez musclée d'arrêter de te chercher et il a commencé à me révéler un certain détail.

Sophia sourit en entendant le début du retour des actions du dragonnet, mais se demande ce qu'il a pu raconter au fauconnier. Voyant son interrogation, Draguir pointe du doigt son épaule. La jeune femme se tape le front sur la décision qu'a prise Evy.

— Tu as compris, Evy m'a dit que tu avais transféré ton pouvoir, indique-t-il.

— C'est ce que j'ai supposé quand je me suis retrouvé au bosquet, répond-elle en soufflant.

— Et tu n'as pas d'autres explications à me fournir ? interroge Draguir en voulant lui tirer les vers du nez.

— C'est que, commence-t-elle en se frottant le bras, gênée et regardant ailleurs, il faudrait que j'aille vérifier s'il est toujours là.

— Comment ça, précise, s'agace le fauconnier.

La jeune femme soupire alors que Draguir s'impatiente, les bras croisés devant elle. Elle tente un regard vers celui-ci et remarque qu'il se contient d'exploser à tout moment.

— Te souviens-tu de ce qui s'est passé au bois sacré ? De la mort de Jojo ? demande-t-elle, peu rassurée de vouloir continuer.

Il hoche la tête et l'invite à poursuivre tandis qu'elle se triture les doigts :

— À ce moment-là, je n'étais plus moi-même. Sous la colère, j'ai voulu tuer Hellakiel une bonne fois pour toutes, mais comme il a réussi à s'échapper, ma colère s'est transformée en peine.

Elle prend quelques instants avant de continuer, repensant à ce moment douloureux :

— Je sais que tous, vous m'aviez déconseillé de plonger dans le ruisseau des vies. Cependant, au plus profond de moi, je savais que c'était ce que je devais faire.

Aussi immobile qu'une statue, Draguir ne la lâche pas du regard, écoutant attentivement le récit que sa sauvageonne peine à lui dire.

— Dans le ruisseau, j'ai fait pousser un arbre où j'ai déposé le corps sans vie de Jojo. Je pense alors que c'est à ce moment que j'ai dû transmettre mon pouvoir, finit-elle d'expliquer.

Un silence de plomb s'installe entre eux, brisé seulement par les sabots des destriers. Draguir fronce des sourcils à l'entente de l'action qu'elle a émise avant de partir d'Imaginarium et demande :

— Tu veux dire que Jojo...

— Je ne sais pas, coupe-t-elle la parole d'une traite, tout ce que je sais, c'est qu'avant de revenir ici, Loa m'a indiqué que je devais impérativement retourner aux bois sacrés, seule.

— Comment ça seule ? s'exclame-t-il en se levant d'un bond, il en est hors de question.

La colère qu'il retenait jusqu'à présent s'échappe d'un coup, alors qu'il commence à faire les cent pas en ruminant. Au bout de quelques minutes, il se place au-dessus de Sophia, forçant celle-ci à affronter son regard :

— Tu ne te rends pas compte du danger qu'il y a en ce moment dans la plaine, vocifère-t-il, de plus, tu es recherché par tous les rabatteurs sans exception. Tu ne vas pas te jeter dans la fosse comme ça, pour voir si tu as bien transféré ton pouvoir ou non à Jojo.

Draguir est fou de rage, tandis que la demoiselle tente de répondre calmement :

— C'est bien la seule solution pourtant, je ne peux pas me permettre d'aller à droite et à gauche sans aller à mon but principal.

— Le but pour l'instant, c'est de trouver cette épée, rétorque-t-il, la voix se brisant sous le flot de colère qui l'habite.

— Je pense que cela ne sert à rien de discuter, j'irai que tu le veuilles ou non.

Elle achève la phrase en se levant, prenant la direction de la porte.

— Et comment vas-tu t'y prendre d'ici ? lance-t-il sur un ton de défi.

Lui tournant le dos, Sophia lui répond en se tapotant le dos, ce que Draguir rétorque :

— Tss, tu ne sais même pas t'en servir correctement sans l'aide d'Evy.

Sophia baisse la tête, sachant elle-même ne pas avoir totalement le contrôle sur ses jumelles. Elle a des solutions telles que de se faire passer pour une paysanne, ou en empruntant la voie des mers, mais chacune de ses suggestions silencieuses se résume par un échec. Draguir voit les épaules de sa sauvageonne s'affaisser alors qu'elle pose la main sur la poignée.

— C'est si important ? quémande-t-il.

— Si vous souhaitez que je sois entière et que je guérisse, oui, ça l'est.

Il souffle en se prenant le front dans la main, puis se dirige vers son destrier afin de se hisser dessus. Il s'approche de la jeune femme avec sa monture et lui confie :

— J'ai peut-être une solution, mais tu vas devoir m'attendre ici.

— Et pourquoi ça ? demande-t-elle, offusquée d'être mise sur la touche.

— Ça, mademoiselle, cela regarde que moi, tranche-t-il d'un ton sec en lui faisant un clin d'œil.

Il donne un coup de talon dans le flanc de son destrier et part à vive allure, laissant Sophia seule dans les écuries. Des heures s'écoulent ainsi en l'absence de Draguir alors qu'ils s'affairent dans son coin.

Sophia se rend à la pièce principale où repose l'arbre central, offrant un décor unique en ce lieu. Elle s'approche d'Elias assis sur le bord de l'ancien bassin tandis qu'il nettoie la lame de son katana.

— Ça va mieux ta tête, demande-t-elle en examinant le pansement.

— Oh, ce n'est rien, répond-il en souriant, la prochaine fois, je te saucissonne sur mon canasson pour éviter que tu tombes.

Ils se mettent à rire en imaginant la scène. Elias s'étire après avoir rangé son arme dans son fourreau, puis regarde Sophia, le regard perdu sur les branches de l'arbre. Il se retient de lui demander comment son entretien avec son collègue s'est passé en s'allongeant que le sol pour entamer une petite sieste.

Méric les rejoint, alors qu'Elias commence à tomber dans les bras de morpheus, bercé par le crayon que Sophia utilise sur un carnet. Il demande inquiet :

— Dites, vous n'aurez pas vu Draguir ?

Elias se réveille en ouvrant un œil, réfléchit puis secoue la tête avant de se relever. Sans lever les yeux de son dessin, Sophia lui répond :

— Il est parti.

— Comment ça ? rétorque Méric, surpris.

Elle lève la tête en lui faisant comprendre qu'elle-même ignore en le fusillant du regard. Elle était restée un long moment dans les écuries à l'attendre. Méric se masse la nuque, exaspéré :

— C'est bon, ne t'énerve pas. C'est juste qu'il n'a pas dit où il allait ? tente-t-il de savoir.

Sophia secoue la tête à son tour et replonge sur son dessin tandis qu'Elias se lève pour rassurer le rabatteur :

— Je pense qu'il n'en aura pas pour longtemps, il va vite revenir.

Il pose une main sur l'épaule de Méric qui baisse la tête sur ses pieds en soupirant. Or Sophia songe que les paroles de son ami lui sont aussi destinées.

Ébranlant sa concentration, l'estomac de la demoiselle se met à réclamer sa pitance, arrachant un rire au fauconnier. Elle se lève, rougissant de honte, sentant les crampes de sa faim s'intensifier, puis se tourne vers les garçons qui se retiennent de rire plus en leur proposant :

— Souhaitez-vous que je fasse à manger, histoire d'être utile à quelque chose ?

— Cela ira, hem, Lyvia a fini de tout préparer, annonce Méric en gloussant. C'est pour ça que je cherchais Draguir, pour l'inviter à passer à table.

— Bah, il n'avait qu'à ne pas partir, réplique le samouraï.

Luka termine d'installer les assiettes autour de la table, tandis que Lyvia attrape à l'aide de tissus épais un plat dans le four à bois. Elle le dépose sur la table quand Sophia, Méric et Elias entrent dans le réfectoire.

— Ça sent bon, remarque Sophia en même temps que son estomac.

Lyvia lève un regard vers elle sans lui lancer de pique acerbe, et invite le groupe à passer à table. Sophia tente une approche pour s'excuser du comportement d'Evy, mais celle-ci lui tourne le dos.

Ils s'installent tous autour de la table en se servant des nombreux plats que Lyvia a préparés, savourant les mets dans une ambiance sereine. Elias prend des notes sur des rouleaux de parchemin, alors que Lyvia se cache sous ses longs cheveux, mangeant en silence. Sophia écoute Méric et Luka lui raconter leurs séjours à Pharekth, riant de situation improbable concernant leurs cohabitations.

Luka s'arrête de parler en dressant la tête en même temps qu'Elias qui ressent également la même chose. Un frisson glacé les parcourt alors que le bruit de pas s'intensifie dans le tunnel menant au réfectoire. Evy s'extirpe de son sommeil, rugissant à l'entente des talons claquants sur le sol glacé.

Méric et Lyvia sortent leurs bâtons, tandis qu'Elias porte sa main sur le manche de son katana. Luka se transforme et se positionne devant Sophia en passant par-dessus la table, renversant les chopes et piétinant certains plats.

La tension monte à son comble quand les pas s'arrêtent devant la porte avant que celle-ci ne s'ouvre à la volée sur deux déesses. L'une prend une pose aguicheuse, mais l'autre fusille directement Sophia de son regard noir.

— Salut, les filles, on vous a manqué ? rétorque Cycla provocante.

Draguir apparaît dans l'entrebâillement de la porte en levant les yeux au ciel. Il se conforte dans sa décision d'avoir été chercher les déesses les plus dangereuses d'Imaginarium en s'installant lourdement sur le banc et en demandant simplement :

— Est-il possible de rajouter trois assiettes ? 

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