14- Evy montre les dents

Arrivée devant la façade de la caverne des boucliers de givre, Draguir descend de sa monture pour aller actionner le mécanisme permettant à la paroi de s'ouvrir. Il ne comprend pas pourquoi son collègue a indiqué cet endroit en premier au lieu de se rendre directement à l'endroit dont il avait parlé. Il se frotte le front devant les mises en scène qu'Elias s'amuse à faire.

Luka et Méric les accueillent chaleureusement quand ils entrent dans la caverne, leur indiquant que le reste du groupe n'est pas encore arrivé. Devant leurs inquiétudes, le fauconnier se dirige vers l'entrée et se cale contre la paroi en scrutant l'extérieur.

— Toujours personne en vue ? s'enquiert Méric.

Il pose sa main sur l'épaule de son ami qui secoue la tête. Une heure s'est écoulée depuis leur arrivée, qu'ils n'ont vu aucun signe d'Elias et de Sophia, tandis qu'une tempête de neige s'est abattue sur la région. Luka a profité de ce moment pour faire visiter l'endroit à Lyvia et Méric en leur racontant les anecdotes concernant l'arbre duquel Herba était sortie et Sophia qui avait asséché le bassin.

— Tu devrais rentrer, la nuit commence à tomber, propose Méric.

— Je souhaite rester encore un peu, rétorque Draguir sous son foulard.

— Si tu as besoin, on est dans le réfectoire, précise-t-il en partant.

Il regarde son ami s'éloigner. Méric attrape les épaules de sa sœur en la couvant, profitant de tous les moments avec elle comme il aurait dû le faire en grandissant. Malheureusement, il a été enlevé à l'âge de cinq ans sans pouvoir profiter de ces instants précieux. Quant à Lyvia, elle ne semble pas réceptive à son attention débordante. Elle est plutôt sauvage, bien entraînée au combat et, au grand désespoir du fauconnier, la connaît depuis de longues années.

Il porte son regard sur l'extérieur, pensant au joyeux bordel que va engendrer sa rencontre avec la jeune femme, laissant son esprit errer dans un vieux souvenir.

* * * * *

— Besoin d'aide, demande une jeune adolescente.

— De quoi je me mêle ? rétorque Draguir énervé.

Il tentait de se dépêtrer des pouvoirs qu'il avait obtenus auprès de la jeune enfant de l'autre monde sans lui rendre visite de nouveau depuis quelques années. Il ignorait ce qu'elle était devenue.

— Je te demandais simplement, si tu refuses de mon aide, je n'insisterai pas.

Il roule des yeux devant son insistance, mais il finit de lâcher dans en grommelant :

— Je veux bien que tu m'aides.

Ses mains étaient coincées depuis plus de deux heures dans le sol alors qu'il tentait de récupérer l'énergie de la terre, mais le résultat s'est retourné contre lui. Les racines l'ont emprisonné et le maintiennent depuis.

Devant la position insolite du fauconnier, la jeune fille se positionne derrière lui et l'attrape par le torse. Draguir grimace, ne supportant pas avoir une personne contre son dos, alors que l'adolescente tente de le tirer de toutes ses forces sans succès.

— Qu'as-tu fait à la terre pour qu'elle t'en veuille à ce point ? demande-t-elle en tirant une nouvelle fois.

Elle réussit enfin sa manœuvre en tombant à la renverse, les bras ballants, tandis que Draguir émet un faible rire en haussant les épaules. Elle se relève et attrape le cordon autour de son cou où une fiole contient un liquide brillant. La jeune fille se penche au-dessus des poignets du jeune homme en soufflant :

— Il n'y a plus qu'à prier pour que ça marche.

Les racines encore accrochées sur ses bras se délient, le libérant de sa position douloureuse. Il se relève et se craque le dos avant de tourner le dos à la jeune fille et de s'en aller.

— Même pas, tu me remercies, tu as été élevée dans une grotte ou quoi ? siffle-t-elle.

Un frisson parcourt le dos de Draguir se disant : si elle savait.

— Merci, rétorque-t-il en voulant décamper au plus vite.

Elle le rattrape et prend sa main dans la sienne qu'il retire aussitôt de peur de lui faire du mal.

— Tu n'as pas à avoir peur, tu sais, insiste-t-elle en lui reprenant la main, viens avec moi, je vais te nourrir, tu es aussi maigre qu'un animal mort.

Il refuse qu'elle reste auprès de lui, ne contrôlant pas encore tout à fait ses pouvoirs. Cependant, il a beau l'envoyer sur les roses, qu'elle insiste en le traînant dans une grotte de la chaîne des montagnes enneigées du lac de Cerulazu.

— C'est ici chez moi, mets-toi à l'aise, indique-t-elle en s'en allant vers un feu.

La jeune fille est plutôt débrouillarde en habitant dans cet endroit humide. Elle tourne un bâton dans un bol au-dessus du brasero tandis que Draguir s'installe sur un tas de tissus servant de lit de fortune à l'adolescente. Il repose son dos endolori alors que la jeune fille s'approche de lui en lui tendant le bol.

En goûtant précipitamment sa tambouille, il se brûle la langue, trouvant que le goût est infect, mais ne voulant pas la blesser, il avale le contenant en se retenant de grimacer. L'adolescente s'assit à côté de lui et le regarde, les yeux pétillants, en souriant.

— Je suis Lyvia, comment t'appelles-tu toi ? demande-t-elle trop curieuse.

* * * * *

Sa question se fane dans les souvenirs de Draguir alors qu'il repère du mouvement dans la brume épaisse. Deux silhouettes se dessinent en se dirigeant vers la caverne. L'une est plutôt imposante alors que l'autre est plus fétiche.

Il se détache de la paroi et s'avance en reconnaissant son destrier portant sur son dos Elias assoupi. Le fauconnier fronce les sourcils face à la personne encapuchonnée qui aide la monture à avancer dans le blizzard et crie :

— Arrête-toi !

Alerté par les paroles de son compagnon, Luka court vers Draguir les muscles tendus, suivi par Méric et Lyvia plus en arrière. Le loup tendu est prêt à passer à l'attaque en demandant la situation au fauconnier. Celui-ci lui fait un signe de tête, la mâchoire serrée. Luka serre les poings en prenant compte de ce qui se passe sous leurs yeux et ordonne agressivement :

— Montre-nous ton visage si tu veux passer.

La jeune femme lève son bras hors de la cape épaisse, montrant aux hommes sa peau recouverte d'écailles vert foncé, puis elle baisse sa capuche, la laissant retomber sur ses épaules alors qu'elle redresse la tête. Révélant un visage pâle reflétant des yeux vert émeraude.

— Evy, souffle Draguir choqué.

Evy s'avance en contrôlant totalement le corps de Sophia. Ses pieds nus foulent lentement la neige, révélant aux yeux des autres sa robe déchirée, tandis que ses cheveux volent à travers son visage sans la perturber la moins du monde.

Ne voulant pas affronter de nouveau la colère du dragon, Luka se décale pour libérer le passage. Evy s'arrête à son niveau, posant son regard froid sur lui et lui dit d'une voix blanche :

— Je ne t'en veux pas, jeune loup, tu pensais au bien-être de Sophia à ce moment-là.

Il se tourne vers Méric en lui tendant les rennes du destrier qui garde un calme serein auprès du corps de la demoiselle :

— Elias a eu un petit souci quand je suis arrivée. Le pauvre n'a pas fait attention à la grosse branche.

Méric la regarde abasourdi devant son comportement, alors que Luka s'approche de lui en lui expliquant ce qu'il se passe. Contournant la bête après avoir repris ses esprits, le rabatteur constate l'entaille que le samouraï a sur le front. Lui et le loup emmènent le destrier et le fauconnier dans la caverne sous le regard vide d'Evy.

— Elle a quoi encore, cette folle... commence Lyvia.

Draguir fronce les sourcils à son commentaire, mais n'a pas le temps de réagir à l'erreur de ses propos qu'Evy se déplace rapidement vers elle en l'attrapant par le cou et la plaquant contre la paroi. Le bras de Sophia se lève en même temps que la jeune femme qui tente de se débattre entre dans sa prise, mais celle-ci se resserre. Draguir essaie de les séparer sans grand succès, remarquant que la force que la demoiselle possède dans ces situations est incommensurable. Evy fixe Lyvia d'un air absent sans cligner des yeux et siffle :

— Tente encore une fois de m'arracher du poignet de ma maîtresse et tu subiras la colère d'un dragon très chère.

Les paroles froides parviennent à Lyvia qui cesse toutes tentatives d'évasion en regardant l'enveloppe de Sophia choquée. Séparées, Sophia et Evy possèdent chacune sa propre puissance. Cependant, quand les deux se réunissent en combinant leurs forces, cela donne un combo démesuré, comme lorsque la demoiselle a affronté H.

Le dragon libère sa prise et pose Lyvia sur le sol alors qu'elle chancelle. Il se tourne vers Draguir, ignorant la jeune femme qui se recule d'eux, apeurée, puis lève la main pour effleurer son visage. Le toucher glacé d'Evy envoie des décharges au fauconnier qui grimace de colère.

— Elle se repose je te rassure.

— Comment peux-tu me le prouver ? rétorque-t-il en tentant de se contrôler.

Draguir ne supporte pas d'être en présence directe d'Evy. Il préfère que sa dulcinée la regarde avec son air sauvage plutôt que de rencontrer les yeux froids du dragon. Evy lève son bras et décale les bandages en montrant le bracelet qui orne son poignet. Les crocs du dragon sont plantés dans la chair de la demoiselle alors que ses yeux sont clos. Sa couleur argentée luit sous les torches vacillantes de la caverne.

— Malgré l'eau de source, sa blessure ne guérit pas, commence-t-il à expliquer en le fixant. Au passage de la frontière, son corps ne supportait plus la douleur, alors j'ai interverti sa place à la mienne. Elias a senti le changement se faire quand son corps a heurté la neige, mais à l'allure où nous allons, il n'a pas pu freiner à temps lorsque la branche est apparue.

— D'où sa blessure, devine Draguir dans son récit.

— Que veux-tu, certains n'ont pas le pouvoir de guérison, hausse-t-il les épaules.

Le fauconnier est étonné par l'humour que tente de faire le dragon, et rétorque :

— Sophia ne l'a plus non plus, je présume.

— C'est temporaire, peux-tu m'accompagner à ses appartements ? demande-t-il froidement.

Draguir l'invite à le suivre alors que Lyvia les regarde stoïque dans un coin. Ils se dirigent ensemble dans les tunnels en silence. Draguir garde ses distances, ignorant quelle réaction peut avoir le dragon qui marche derrière lui. Arrivée à l'appartement de Sophia, Evy défait sa cape qu'il pose sur l'une des chaises, puis se dirige vers le lit et regarde en dessous en tendant le bras :

— Voyons si c'est toujours présent, marmonne-t-il.

— Qu'est-ce que tu cherches ?

Evy ne répond pas à la question et attrape l'objet de ses désirs. Il se redresse en tenant un sac dans les bras, puis se tourne vers Draguir avec un fin sourire. Jamais celui-ci n'aurait cru voir le dragonnet transparaître une émotion, il est d'autant plus surpris quand il ouvre le sac pour en sortir des vêtements.

— Sophia s'amusait à cacher des vêtements ici et là par prévention, répond-il à la question silencieuse de Draguir. Il y en a au refuge, à Cerulazu et à Cascalaris. C'était au cas où.

Draguir se tape le front avec la main en secouant la tête devant les idées farfelues de sa sauvageonne, mais son fil des pensées est interrompu par Evy qui lui demande naturellement :

— Bon, maintenant, je vais la laver. Pourrais-tu me défaire la fermeture de sa robe ?

— Tu n'es pas sérieux là ? rétorque-t-il, choqué. Tu ne vas pas utiliser son corps pour te prélasser sous la douche.

Evy le regarde, ne comprenant pas mon comportement.

— Elle... elle refuserait...

Un rictus se dessine sur le visage d'Evy en voyant le fauconnier perdre ses moyens :

— Je l'ai déjà vue plusieurs fois nue, tu sais, il n'y a aucune gêne entre nous deux, la question ne s'est même pas posée, explique-t-il avant d'ajouter, elle mettait même l'eau bouillante exprès pour moi.

Draguir se passe une main sur la nuque, exaspéré par ce que lui dit le dragon. Plusieurs fois, Sophia s'était lavée en la présence d'Evy gardant à l'esprit que même si l'entité a sa propre conscience, il reste avant tout un bijou.

Le jeune homme soupire et se dirige vers l'enveloppe de Sophia et passe derrière elle. Il décale les cheveux de la jeune femme, révélant sa peau nue. Draguir se retient de lui déposer un baiser à la base de son cou, et commence à faire glisser la fermeture éclair avant de se retourner.

Evy se dirige vers la salle d'eau en retirant la robe qu'il laisse traîner sur le sol, ainsi que tous les vêtements et accessoires qui suivent le même chemin. Il se glisse dans la cabine et allume le jet, savourant la chaleur qui s'en dégage.

Draguir se souvient de la fois où il avait vu sa sauvageonne complètement nue, mais il n'y avait pas prêté attention alors qu'elle semblait faire la sourde oreille devant son engueulade. Evy interrompt son souvenir fugace en l'appelant :

— Peux-tu te rapprocher ?

Et puis quoi encore ! N'a-t-il pas de respect envers elle ? pense ce dernier.

— Je ne te demande pas de mater, je veux te dévoiler sa vérité, je te fais confiance contrairement aux apparences.

Draguir se renfrogne, puis fait glisser une chaise contre la roche à côté de la salle d'eau.

— Je t'écoute, indique-t-il en s'asseyant.

— Si notre amie commune ne guérit pas, c'est parce qu'elle a transmis son pouvoir.

Transmit son pouvoir ? Comment a-t-elle pu faire ? Et, quand surtout ? Se demande Draguir silencieusement.

— À ton silence, je devine que tu cherches à savoir comment, réplique-t-il.

— Et tu sais comment elle a fait ?

— Peut-être oui, peut-être non, répond-il mystérieux.

L'eau cesse de couler, laissant l'énigme planer entre eux. Evy apparaît quelques instants plus tard devant Draguir vêtu d'un jean troué. Son haut de couleur noire a de longues manches amples alors qu'un corset en cuir marron lui affine la taille. Le dragon dépose des bottes en cuir qu'il tient dans la main.

— Ça fait du bien de ne plus ressembler à la sorcière, avoue Evy, je me suis permis de retoucher un peu sa tenue.

— Tu fais dans la couture maintenant ? rétorque Draguir les bras croisés sur sa chaise.

— Non pas que je sache, répond-il en réfléchissant, puis ajoute, bon, Sophia te dira la suite de son réveil. Toutefois, ne pas tarder trop car sur le chemin, j'ai perçu l'aura de Cycla et Gothika, elles sont proches.

— J'en ferai part à nos compagnons.

— Prends soin d'elle, en ce moment, elle est plus que vulnérable et je ne peux me permettre d'intervenir tout le temps, souligne-t-il en s'asseyant sur le lit.

— Je te le promets, affirme le fauconnier devant ces informations inquiétantes.

Draguir se lève en n'entendant pas de réponse lui parvenir et remarque qu'Evy s'est endormi. Sa respiration est lente et paisible alors qu'il s'est allongé à moitié assis sur le lit. Le fauconnier se rapproche et allonge correctement le corps de Sophia sur le matelas en la bordant. Il dépose un baiser sur son front avant de quitter la pièce avant de se diriger vers l'infirmerie, souriant machiavéliquement en pensant à la blessure d'Elias. 

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