11- Une beauté à coupé le souffle
À l'auberge des boucliers de givre dans la ville sous-marine de Cascalaris, le reste des compagnons établissent des stratégies en vue de la situation. Reculé dans une salle d'entraînement, Elias, habillé de son kimono bleu acier, enchaîne les mouvements avec sa lame. Les feuilles de papier voltigent autour de lui, qu'il coupe en deux sans savoir où les feuilles se trouvent.
Cet instant de paix où le samouraï ne fait qu'un avec son art l'apaise des tracas qui s'affaissent sur ses épaules. Il se demande ce que son père penserait de toute cette situation, appliquant les pratiques de sa culture natale avec ses gestes lents et raffinés. Il ne pensait pas que le doyen périrait sous les mains de son ancien maître en le pensant immortel et en se concentrant sur la rébellion qu'il avait organisée avec ses collègues.
Elias baisse son bras dans un air mélancolique avant de s'asseoir sur ses genoux. Délicatement, à la méthode de ses ancêtres, il tend son katana solennellement devant lui avant de poser la lame sur son bras gauche en le faisant glisser. Plusieurs fois, il répète le mouvement, indiquant son respect pour l'arme qu'il chérit respectueusement. Il prononce une prière aux dieux de la guerre pour la bénir, puis la range dans son fourreau.
Adossé contre le bâti de la porte, Jackiel l'observe faire sa manœuvre avec émotion. Il s'avance dans le dos du samouraï, ensuite pose sa main sur son épaule, lui transmettant sa compassion. Elias ramasse son katana avant de se redresser pour faire face à son ami. Jackiel plisse son regard et l'invite à le suivre.
Astos est penché au-dessus de son comptoir et fait les comptes des hommes qui se portent volontaires pour rejoindre leurs rébellions quand les deux fauconniers entrent dans le bar.
— Les marins vont arrêter leurs transactions maritimes, annonce Astos dans sa barbe.
— Comment ça ? demande Elias perplexe.
— Les rabatteurs ont avancé jusqu'aux falaises, ils refusent de prendre de risque avec celui qui les mène, répond-il gravement.
Le samouraï comprend tout de suite que Bastos mène la charge quand il décèle une pointe d'amertume dans la voix du propriétaire. Ils n'ont pas pu découvrir pourquoi le fauconnier de glace s'est rangé dans le corps ennemi. Elias demande si l'évacuation des villageois doit s'accomplir, mais Astos secoue la tête.
— Pour l'instant, nous sommes protégés par la sphère de la ville, ils n'ont aucune chance de la traverser.
Le propriétaire plie le parchemin et le range sous le comptoir, puis il sort trois grandes chopes et sert une liqueur acide à ses compères en annonçant :
— Pendant que tu t'entraînais, nous avons eu des nouvelles de Luka.
— Comment va-t-il ? s'empresse de demander Elias.
— Ils vont bien, ils sont à Pharekth et ont repris contact avec Sophia et les deux imbéciles qui l'accompagnent.
Un poids se libère enfin des épaules du samouraï. Draguir lui avait annoncé son inquiétude en ne réussissant pas à les joindre en projection. Cela l'avait grandement travaillé.
— Jackiel et Luka sont partis en repérage avant de se séparer et ce qu'ils ont vu semble...
Astos ne termine pas sa phrase, puis secoue sa tête. Ses petits yeux cernés de fatigue se baissent complètement abattus. Jackiel se tourne en posant ses doigts sur les tempes de son ami, le forçant à affronter la dure réalité.
Le refuge est encerclé par un campement de rabatteurs, alors que les montagnes de Voltamur crachent leurs flots de lave s'écoulant sur leurs flancs. Des centaines de cages s'entreposent les unes sur les autres, sous les complaintes des prisonniers. Au milieu de tout ce chaos, le destrier de glace trottine lentement, supportant sur son dos, le cavalier de givre annonçant l'apocalypse.
Elias cligne plusieurs fois les yeux d'effroi que lui suscite la vision cauchemardesque de Jackiel avant que celui-ci ne se recule. Le fauconnier se tourne vers le proprio, inquiet de la situation :
— Qu'allons-nous faire ?
— Entraîner ceux qui peuvent se battre et essayer de prendre contact avec Cerulazu, répond Astos.
— Évidemment, ceux-là sont de vraies têtes brûlées, souffle-t-il dans son coin.
Jackiel réfléchit un doigt devant la bouche alors qu'Astos les informe qu'il enverra un émissaire à Cerulazu pour les convaincre de se joindre à eux. Mais, leur discussion est interrompue quand un jeune homme rentre en trombe dans l'auberge, essoufflé.
— Qu'est-ce qui se passe, Tidus ? s'inquiète Astos.
— Un... un grand... des... destr... tente-t-il de dire le souffle court.
— Un destrier ? propose Elias en réponse à sa devinette.
Tidus hoche frénétiquement la tête en montrant du doigt vers l'extérieur, complètement paniqué. Les trois hommes se précipitent dans la ruelle et découvrent le destrier de Draguir arrivé vers eux dans un calme olympien.
Jackiel s'approche de la bête et pose sa main sur son front. Les yeux fermés, il recueille les informations que la bête lui transmet. Un sourire malicieux s'affiche sur son visage alors qu'il lui caresse la tête.
— Petit, va nourrir le destrier de Draguir et prends-en soin comme la prunelle de tes yeux, ordonne Astos.
— Oui, monsieur.
Tidus se rapproche du destrier effrayé et attrape les rennes de celui-ci en essayant de le faire avancer.
— Comm... comment... s'appelle-t-il ? bégaye Tidus en tentant d'appeler le canasson.
— Je ne peux pas te dire son nom. C'est ce qui caractérise le lien entre lui et son maître, rétorque Elias, passablement irrité par sa question.
Le nom qu'un fauconnier donne à son destrier signifie le lien qui unit les deux êtres lors de leur passage dans leurs fonctions. Cet animal mystérieux aux yeux du peuple d'Imaginarium cache précautionneusement leurs origines. Révéler le nom de leurs montures et dévoiler leurs caractéristiques affaiblit le cavalier et la bête.
Tidus s'éloigne avec le destrier, laissant Astos et Elias songer à ce qu'il peut faire ici sans son maître, mais ils remarquent que Jackiel n'est plus avec eux et regagne l'auberge. Tout est en dessus, dessous quand il rentre dans le bar, car leur ami court dans tous les sens, les bras chargés d'affaires. Étonné, Elias demande à Astos :
— Heu, que se passe-t-il là ?
— Aucune idée, répond celui-ci en haussant les épaules aussi surprises.
Une voix ultra-aiguë et speed les fait sursauter.
— Pas le temps, pas le temps, marmonne Jackiel à lui-même.
Il continue de remplir des sacs d'affaires et de provisions alors que ses compagnons le regardent abasourdi. Non que le fait de s'activer comme une puce leur soit inhabituelle, mais parce qu'il vient de parler. Jackiel range ses armes à sa ceinture, puis respire un bon coup pour se donner du courage avant de se tourner vers eux.
— Astos, reste ici pour entraîner et protéger Cascalaris. Elias, je t'ai fait un plan d'accès pour te rendre dans mon village, je t'attendrais quand tu auras récupéré Sophia et les autres.
Il attrape son paquetage pour se le mettre sur le dos et s'avance vers la sortie en plaquant ses mains sur leurs épaules.
— Tu trouveras Sophia grâce au destrier de Draguir. Prends également le tien, je vous attends au point de rendez-vous. Tenez bon, les amis.
Il s'en va, les laissant là comme des cons, alors que le martèlement des sabots de sa propre monture foule le sol. Astos et Elias se regardent complètement incrédules par la tornade qu'ils ont affrontée, puis éclatent de rire en se tenant par les bras.
Le ton si sérieux que Jackiel avait été porté à défaut par sa voix si particulière ne lui rendant pas justice. Astos se dirige vers son comptoir, hilare, alors que le samouraï peine à s'en remettre. Reprenant son sérieux, Astos sert une autre chope avant de demander :
— Qu'a-t-il entendu par sa région, je pensais qu'il venait de Pharekth ?
Elias hausse les épaules :
— C'est ce qu'il nous a fait croire.
— Tu ne vas pas devoir trop traîner, j'ai vu qu'il t'a préparé tes armes et ton bagage.
Il regarde par-dessus son épaule et aperçoit que tout a été disposé dans un coin avec soin. Elias finit sa boisson et fait une accolade au proprio tout en lui souhaitant bonne chance.
— Tenez-moi au courant par n'importe quel moyen, d'accord ? implore-t-il.
— Promis, répond-il en lui serrant la main et en posant sa paume sur leurs mains liées.
Elias se dirige vers la sortie après avoir récupéré ses affaires et se retourne une dernière fois. Astos lui tourne le dos en attrapant plusieurs verres qu'il essuie, le regard pensif. Le samouraï soupire, promettant en son for intérieur qu'il trouvera une solution pour secourir Bastos.
Tidus apporte un seau rempli de pomerolles au destrier de Draguir, ressemblant à de vraies pommes, mais avec la particularité d'être turquoise et extrêmement acide.
— Maître Elias, vous êtes là, s'exclame-t-il, pard... pardonnez-moi pour ma question de tout à l'heure.
Elias s'approche de lui et pose une main sur ses cheveux blonds mi-longs. Il rechigne quand il entend le jeune homme l'appeler « maître », tout ça après que celui-ci l'a vu manier son katana.
— Je dois m'absenter petit, reste avec Astos et aide-le comme tu le peux, indique-t-il.
Ses yeux argentés s'illuminent de joie. Le jeune homme a toujours vécu seul, mais il a eu la chance d'être recueilli par Astos quelques jours après l'incident au bois sacré. Frôlant l'âge de la demoiselle, Elias ne peut pas s'empêcher de le couver en lui attribuant le surnom de « petit ». Tidus part au fond des écuries préparer quelques affaires, tandis que le samouraï pose sa main sur le front du destrier de Draguir.
— Montre-moi le chemin, destrier ardent.
Il ajoute par la pensée :
Tyrol te suivra.
Tidus s'approche d'eux en tenant les rênes de sa monture alors que les deux canassons communiquent à coups de talons. Puis, le destrier ardent se dirige vers l'entrée tandis qu'Elias dépose ses bagages sur le dos du sien avant d'agripper sa crinière en se hissant dessus.
Le destrier ardent file comme l'éclair aux côtés de Tyrol portant Elias sortant de la ville sans encombre. Ils ralentissent proches des falaises, empruntant des chemins escarpés pour contourner la ligne des rabatteurs, puis filent à toute allure.
* * * * *
Le soleil baigne sa lumière au bosquet de Pharekth alors que Draguir s'éveille lentement. En ouvrant les yeux, il remarque que Luka est sous sa forme de loup assis à côté de son destrier miraculeusement guéri. Il cligne plusieurs fois des yeux en découvrant le nouveau lieu qui se présente face à lui. Méric pose sa main sur son épaule, puis l'aide à se relever en souriant. Lyvia reste près de son frère, époustouflée par la beauté qui les entoure.
Les arbres déracinés ont pour la plupart retrouvé leur place dans le sol qui nourrit leurs racines si fragiles. Les branches dépérissant se tapissent de feuillage verdoyant laissant filtrer les rayons du matin. L'herbe a repris possession de la terre, alors que des fleurs se parsèment ici et là, recouvrant le banc de mousse. Des particules de poussière dorée s'élèvent autour d'un tronc allongé où se repose Sophia qui a la main plongée dans la source qui s'écoule lentement, réfléchissant la flore marine fluorescente.
Draguir s'avance comme hypnotisé par tant de beauté, puis s'arrête aux côtés de son destrier qu'il caresse affectueusement. La bête rend son affection en se laissant faire. Luka lui lance un clin d'œil, se portant ensuite sur la demoiselle, la langue sortant de sa gueule. En se redressant, le fauconnier remarque que l'une des ailes de Sophia est sortie et qu'elle la couve, propulsant son énergie en ondes autour d'elle. Ce qu'il tarde à repérer est l'aspect livide de la jeune femme.
— Non !
Ses jambes fléchissent avant de se mettre à courir dans sa direction, puis glissent sur ses genoux pour dégager l'aile qui se rétracte. Il dégage les cheveux de Sophia de son visage, alors que les autres le rejoignent en sentant sa détresse. Un soupir de soulagement se dégage de Draguir quand il remarque qu'elle dort profondément, mais fronce les sourcils, sentant la continuité de son pouvoir se dégager. Il retire la main de Sophia de la source en la prenant dans ses bras.
— On va s'occuper d'elle, annonce Lyvia, nous avons de quoi la soigner.
— On repartira, quand elle aura repris des forces, ajoute Méric.
Ils la soulèvent avant de l'emporter près du camp, puis la déposent sur les couvertures. Evy dort à poings fermés, savourant les bienfaits de sa maîtresse, alors que Draguir l'admire encore plus. Méric et Lyvia s'affairent autour de la jeune femme tandis qu'une voix à la lisière du bosquet les interrompt :
— C'est magnifique.
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