10- Visite surprise dans un coffre

Sophia rassemble du bois dans son coin alors que la nuit s'installe lentement dans le bosquet en ruine parsemant le ciel d'étoiles, sous le regard du fauconnier qui veille sur elle. Méric se rapproche de son ami et lui chuchote à cran :

— Je ne lui fais pas confiance.

— Tu ne la connais pas, peste Draguir en croisant les bras.

— Et toi si, peut-être ?

— Depuis plus longtemps que tu ne le crois.

— Vous vous appelez Méric ?

Les deux hommes tournent leurs têtes vers la jeune femme se trouvant derrière eux. Elle se tient droite, la lèvre fendue et des ecchymoses lui recouvrant le cou et les bras. Sa chevelure brune se termine en pointe bleu cyan, tandis que son regard les transperce de ses iris turquoise. Méric fronce des sourcils et rétorque sur la défensive :

— Et êtes-vous ?

La jeune femme triture ses doigts en baissant la tête, ne sachant pas par où commencer, alors que Luka se joint à elle et lui donne un coup de coude pour l'encourager en lui tendant son arme. Elle le saisit avec émotion en le caressant, puis se redresse afin de se présenter dignement :

— Je m'appelle Lyvia, fille de Loa, combattante du peuple de l'eau.

Méric écarquille les yeux devant le bâton, puis observe de haut en bas la jeune femme avant de se jeter à son cou en la serrant dans ses bras. Lyvia accueille son étreinte chaleureusement avant qu'il ne se décale :

— C'est... c'est réellement toi ? Ce n'est pas une illusion ? demande-t-il, une boule coincée dans la gorge.

Elle hoche la tête en souriant. Luka se racle la gorge, indiquant à Draguir de laisser leurs deux compagnons dans l'intimité de leurs retrouvailles. Il acquiesce et s'éloigne avec le loup, heureux pour son meilleur ami.

— T'es mignon quand tu souris, se moque le poilu à ses côtés.

— Ta gueule !

Luka s'esclaffe de bon cœur alors que Draguir roule des yeux en lorgnant sur Sophia, perdue dans ses pensées.

— Comment va-t-elle ? s'enquiert le loup soudainement sérieux.

— Mal.

Luka se passe une main dans ses cheveux, gêné de ne pouvoir intervenir pour la réconforter, ce que Draguir comprend parfaitement. Le lourd fardeau que porte la demoiselle sur ses épaules, peu de personnes ont le pouvoir de l'accompagner. Le fauconnier chancelle en perdant l'équilibre sous le regard inquiet de Luka.

— Tu devrais te reposer.

— Ça va aller, je dois aller chercher mon destrier.

— Je vais m'en occuper, repose-toi, annonce-t-il.

— Fais attention, il est blessé.

Il hoche la tête avant de prendre forme canin et part rejoindre la monture du fauconnier. Draguir s'adosse à un arbre, observant sa sauvageonne, le cœur lourd en ressentant la peine qui envahit sa dulcinée. Il résiste une dernière fois pour l'admirer avant que ses paupières ne se ferment.

Récupérant son manteau près du banc, Sophia jette un œil au campement où se trouve le restant du groupe avant de s'éloigner et de se caler contre un tronc couché recouvert de verdure. Elle se couvre de sa veste en guise de couverture. Malgré la fatigue, elle pense fortement à son père, laissant son esprit quitter son corps vers la destination qu'elle exige.

Son corps cahute contre des mallettes dures dans un endroit exigu. Elle tâtonne le sol, rencontrant un tissu rêche sur une surface dure. Repliée sur elle-même, elle valdingue dans tous les sens avant d'être projetée sur un métal froid quand le véhicule freine.

L'endroit est sombre, mais agréablement chaud. Elle profite de l'arrêt du véhicule pour tâtonner les alentours, mais elle sent son corps remuer quand l'engin se remet en mouvement. Sophia prend une grande inspiration et pose ses mains sur la planche rugueuse au-dessus d'elle et pousse de toutes ses forces.

La planche cède du premier coup quand elle se redresse dans l'habitacle du véhicule qui se met subitement à freiner en la projetant en avant. La faisant atterrir sur des sièges en tissu, se retrouvant dans une position peu recommandable.

— Sophia ? Que fais-tu ici ?

Gabriel l'interroge alors qu'elle se tortille dans tous les sens pour se décoincer avant de s'étaler contre la banquette arrière du van. Leah, à la main posée sur la poitrine, tandis que Patrick et Gabriel, assis à l'avant, la regardent, les sourcils froncés.

— Bah quoi ?

Gabriel baisse la tête et se pince l'arête de son nez en secouant la tête d'exaspération :

— Bah quoi... répète-t-il... bah quoi.

Sophia le regarde curieuse et se dit que le fauconnier ne va pas tarder à exploser en comptant dans sa tête : cinq, quatre, trois, deux.

— Te rends-tu compte que tu viens de sortir du coffre et de pulvériser la plage arrière en nous faisant une frayeur pas possible alors que l'on est en mission délicate ? s'énerve-t-il en s'égosillant la voix.

— Je ne contrôle pas encore mes projections, je te rappelle, pointe-t-elle du doigt vulgairement, d'habitude quand je focalise mes pensées ou lorsque je m'évanouis, j'atterrissais dans la chaumière de mon grand-père, termine-t-elle en croisant les bras sur sa poitrine.

Les deux se toisent d'un mauvais œil, reprochant tout un chacun. Patrick pose une main sur l'épaule de Gabriel qui se redresse en lui faisant un signe de tête. Le blond décide de sortir de la voiture sans demander son reste.

Leah pose une main sur la cuisse de Sophia et la rassure en disant :

— Tu nous as fait peur, et tu connais Gabriel, il est toujours grognon.

Sophia hoche la tête et prend la louve dans ses bras, tant leurs présences lui manquent depuis leur départ.

— Alors, quoi de neuf depuis hier ? Vous avez une piste sur ce fauconnier ? interroge-t-elle.

— Hier ? On est partie depuis seulement une heure, indique Leah.

— Il s'est déjà passé une journée de ton côté ? Intéressant, marque Patrick dans un petit carnet.

— Le temps passe plus vite sur Imaginarium, indique Leah à celui-ci, mais d'après ce que Jojo disait avant de mourir, c'est qu'il ralentissait.

— Oui, rajoute Sophia, c'est ce que papy Jean me disait aussi.

— Très captivant, je n'avais pas connaissance de ce détail. Après, nous n'avons pas encore beaucoup discuté, nous sommes partis dans la précipitation, avoue-t-il.

Des pattes d'oies se forment autour des yeux de Patrick alors qu'il sourit affectueusement. Sophia a le cœur serré, sentant le besoin particulier d'obtenir le soutien de son père. Voyant le reste de ses compagnons la laisser à l'écart au bosquet, elle avait attendu que tous s'endorment avant d'appliquer ce qu'elle avait décidé de faire.

Elle s'était dirigée vers la source pour récupérer ses affaires, mais en parallèle, elle avait récupéré la fiole et de l'eau de la source avant de se diriger vers le destrier de Draguir. Elle avait remarqué que Luka tenait compagnie à celui-ci sous sa forme de loup, ronflant les pattes en l'air.

Sophia avait souri en voyant son ami dormir dans cette position, mais avait grimacé en remarquant les blessures de la monture du fauconnier. Sous le regard affûté de la bête, elle s'est avancée précautionneusement en tendant la main qu'elle posa sur son front. Elle lui transmit de sa force en lui déversant le liquide dans la bouche, puis posa son front contre le sien en lui confiant une mission.

Aussitôt rétablie, la bête s'était levée et s'inclina devant la jeune femme avant de disparaître dans la brume de sable. Sophia s'était redirigée vers la source et y plongea sa main où Evy se trouve et cala l'autre sur le sol. Elle s'est concentrée pour récupérer la magie du liquide en le déplaçant dans la terre grâce à la connexion qu'elle avait établie. Sophia est entrée dans une transe spectaculaire à l'abri des regards, accomplissant un tour de force avant de chanceler vers son lieu de repos.

— Sophia, tu es avec nous ? interpelle Patrick, inquiet.

— Oui, oui... murmure-t-elle en redressant la tête.

— Il a dû t'arriver une multitude d'aventures encore, rigole Leah, avec toi, rien n'est de tout repos.

— J'ai pu apercevoir ton frère, indique Sophia à la louve, il a pris du muscle.

Leah se met à rire en voyant le clin d'œil de son amie accompagné d'un sourire.

— Tu rigoles, j'espère, lui ? Du muscle ? C'est plutôt du gras, oui, rigole-t-elle.

— Je lui en ferais part quand je le reverrai, sourit cette dernière devant la boutade de la louve.

L'un des subordonnés de Patrick toque à sa fenêtre, indiquant solliciter son aide pour les préparatifs. L'homme acquiesce et demande à Leah de s'en occuper, voulant profiter d'un moment avec sa fille. Elle hoche la tête et prend Sophia dans ses bras en lui disant :

— Reviens nous voir vite, sourit-elle.

— Je n'y manquerai pas.

Puis, elle sort du van en faisant claquer la portière, laissant seule la demoiselle avec son père.

— Nous n'avons pas eu beaucoup de temps pour tout ce dire, commence-t-il, la voix grave.

Sophia confirme en hochant la tête.

— Tu as sûrement tout un tas de questions sur tout ce qu'il se passe, continue-t-il.

— J'ignore par quoi débuter, avoue-t-elle, perdue.

Patrick soupire et actionne une manivelle qui permet de faire tourner son siège avant pour faire face à sa fille. Il pose ses coudes sur ses genoux et entrelace ses doigts afin de les positionner devant sa bouche.

— J'ai fondé l'organisation IMP il y a maintenant plus de trente ans. Ces trois lettres signifient : « Imagination, magie et protection », débute-t-il pensif. Depuis longtemps, j'avais toujours cru aux histoires que me racontait ton grand-père. Sans pour autant apercevoir les créatures magiques peuplant notre univers. J'ai croisé bon nombre de personnes ayant des facultés hors norme, qui, mal exploitées, peuvent s'avérer dangereuses...

— Comme ceux de Gabriel, indique Sophia en lui coupant la parole.

— Entre autres, oui, répond-il. Vois-tu, Gabriel, en fait parti. Son pouvoir de modeler les souvenirs et la mémoire de ceux qui l'entourent est fascinant.

— Mais comment il a acquis un tel pouvoir ? demande-t-elle curieuse.

— Je ne peux te raconter son histoire, ce n'est pas à moi de le faire, surtout sans son autorisation.

— Il ne veut rien me dire, proteste-t-elle.

— C'est qu'il a ses raisons, réplique sagement son père.

Sophia soupire, sachant que tirer les vers du nez du grincheux n'est pas une mince affaire. Voyant son père répondre facilement à ses questions, elle en tente une qui s'impose en elle :

— Tu savais que j'étais prédisposée à rejoindre Imaginarium ?

Patrick hoche la tête, le regard se faisant plus sérieux :

— Ton grand-père m'avait expliqué le pourquoi de ta naissance. Avec ta mère, nous savions que ce moment-là allait arriver, explique-t-il.

— Pourtant elle feint superbement l'ignorance.

L'homme glisse son regard sur le côté au moment où il entend sa remarque, indiquant à la demoiselle que Gabriel a dû passer dans les parages. Elle demande outrée :

— Tu as modifié ses souvenirs ?

Il acquiesce.

— Je n'en suis pas fière, mais elle refusait que tu sois en danger. Petite déjà, tu te volatilisais vers cet univers. Et, quand tu t'es perdu dans la forêt à l'âge de quatre ans, c'en était trop pour elle. J'ai... enfin... nous avons pris la décision... depuis ce jour...

L'annonce que son père veut faire semble lui peser.

— Gabriel te connaît depuis ce jour avant de disparaître...

Sophia fronce des sourcils devant cette information.

— Il a su lire dans ton jeune esprit. C'est comme ça que je l'ai connu, continue-t-il, mal à l'aise. C'était à l'époque un jeune militaire en permission qui avait participé à ta recherche, avant que tu nous reviennes dans les bras de ce jeune garçon.

— Je ne vois toujours pas le rapport avec moi ?

— Papy savait que Draguir était d'Imaginarium, il me l'avait dit. Il m'avait également indiqué qu'il veillerait toujours sur toi, et qu'un lien unique vous unissait. Il l'avait pressentie.

Sophia s'aperçoit que son défunt grand-père cachait bien son jeu.

— C'est alors que j'ai pris la décision avec ta mère de t'effacer toutes traces d'Imaginarium de son esprit et du tien.

La vérité s'arrache tel un pansement d'un coup sec. Sophia n'en revient pas que le fauconnier ait pu obéir à un tel ordre pour modeler ses souvenirs. Pour Patrick, cela était la décision la plus difficile de sa vie, mais pour le bien de sa fille, il ne pouvait pas faire autrement.

— Alors, tu savais, commence-t-elle, la voix débordant de reproches, tu savais quand papy a proposé de me garder ce week-end-là que j'allais tout découvrir ?

Son père hoche la tête d'un air désolé.

— Pourquoi n'avoir rien dit ? Pourquoi m'avoir laissé dans l'ignorance ?

— Pour ça, dit-il en désignant Evy du doigt. Je l'ai remarqué depuis ce dimanche où un étrange orage a éclaté. J'avais immédiatement appelé mon père pour savoir si c'était vrai, si tu avais découvert ce lieu qui te mettrait en danger, ce monde qui t'arracherait à nous, tes parents, s'écrit-il, de colère.

Sophia est abasourdie par ses paroles. Les larmes roulent sur son visage en comprenant que ses propres proches lui ont menti toutes ses années. Elle pensait partager le secret d'Imaginarium qu'avec son grand-père, mais la discussion lui révèlent bien des désillusions.

Un courant d'air s'infiltre dans l'habitacle alors qu'une nouvelle présence s'installe à côté de la demoiselle. Draguir avait senti le désarroi de Sophia et avait activé immédiatement sa projection vers elle. Il l'a prend dans ses bras en foudroyant Patrick du regard en lui reprochant :

— C'est vous qui faites pleurer ma sauvageonne ?

— C'est de ma fille dont vous parlez, menace-t-il.

— Elle est assez épuisée après ce qu'elle vient de faire, ce serait bien de ne pas abuser de son pouvoir, enchaîne le fauconnier.

Sophia le regarde tel son chevalier venant à son secours, alors que les deux hommes se toisent en chien de faïence. La portière passagère avant s'ouvre à la volée sur Gabriel qui est remonté comme une pendule.

— Draguir, je me disais bien que je reconnaissais cette aura meurtrière, sourit-il en montant sur le siège avant.

— Gabriel, ravi de voir que ton humour n'a pas changé, rétorque-t-il sèchement.

La portière arrière s'ouvre également sur Leah qui s'installe à son tour.

— Eh là, eh là, vous allez vous calmer, demande-t-elle doucement avant de se tourner vers Patrick, l'un de tes hommes nous a informés d'une piste, nous devrions repartir.

Celui-ci hoche la tête avec sérieux et détache son regard de Draguir pour le poser sur sa fille.

— Ne m'en veut pas ma chérie, nous l'avons fait pour te protéger, annonce-t-il le regard inquiet.

Elle hoche la tête, le cœur serré de colère et de tristesse.

— Bon, je la ramène auprès de moi, sinon elle va calciner ce qu'elle a eu du mal à reconstruire, enchaîne Draguir comme un avertissement.

Les deux autres le regardent perplexes, alors qu'il ajoute dans un sourire espiègle :

— Je vous raconterai.

Sans la regarder, il pose sa main sur la poitrine de Sophia et la propulse dans son corps. Elle sent ses membres s'alourdir tandis qu'une chose humide se pose sur son front.

— Elle se réveille, tu as réussi, indique Luka soulagé.

Méric se concentre pour refaire les pansements de la jeune femme alors que Luka lui humidifie le front avec un linge. Tous s'affairent autour d'elle tandis qu'elle se remet péniblement de sa projection et des informations qui l'ont percuté. Une main se tend devant son regard qu'elle lève et découvre une personne qui l'avait tant manqué.

Elias lui sourit, retrouvant la jeune femme aussi forte et impitoyable qu'il puisse connaître, mais avant que celle-ci puisse attraper sa main Luka pour le samouraï et lui reproche sans ménagement :

— Ne me refais plus jamais ça !

— Tu y vas fort, indique Elias, tu ne peux pas attendre qu'elle recouvre totalement ses esprits ?

— Oh non, il faut qu'elle arrête d'abuser de ses dons, elle va finir par nous claquer entre les doigts à ce train-là.

Sophia sourit devant son inquiétude débordante et l'attrape par le col pour l'attirer vers en et le prendre dans ses bras. Luka est surpris et se rattrape avant d'accueillir son étreinte sans l'écraser alors qu'elle lui murmure à l'oreille :

— Toi aussi tu m'as manqué.

Le loup resserre son étreinte en posant son visage dans le cou de la jeune femme. Ils restent tous les deux ainsi pendant de longues minutes, profitant de la chaleur de l'autre. Sophia ouvre les yeux pour repérer Draguir et le repère non loin de là adossés à un arbre en se faisant soigner par Lyvia. La jeune femme applique un bandage autour de son torse en le lovant du regard, ce qui ne passe pas inaperçu aux yeux de la demoiselle qui vire au rouge. 

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