1 - Enterrement
En ce début d'après-midi, le vent souffle fort dans la commune. La pluie s'abat sur les toitures noires des maisons, accompagnant le temps sombre de ce jour funeste. Cela fait cinq jours que Sophia est revenue d'Imaginarium, le cœur lourd d'amertume. Assise dans son rocking-chair, elle pose son menton sur ses genoux repliés, perdant son regard dans le ciel gris.
Jean n'est plus. Elle se rappelle que les urgentistes ont eu beaucoup de difficultés à la séparer du corps froid de son grand-père, avant que son père ne prenne la relève en la prenant dans ses bras. Les gyrophares bleus des pompiers et des ambulances éclairaient le salon où Sophia pleurait dans les bras de ses parents.
Le silence planait malgré les allées et venues des professionnelles. Patrick les regardait en serrant sa fille dans ses bras, assis sur le divan, retenant les larmes qui se tarissaient dans ses yeux. Il avait senti Sophia devenir lourde d'épuisement quand les médecins poussaient le brancard hors de la maison.
La porte de la chambre s'entrouvre sur sa mère qui appelle la voix enrouée par la tristesse :
— Sophia ? Nous allons y aller.
— J'arrive, maman, répond-elle terne.
Elle rejoint sa famille dans le salon où tous se sont rassemblés. La jeune femme maintient depuis son retour une distance avec eux, ne pouvant révéler ce qu'il s'est réellement passé dans la crainte d'être pris pour une folle. Les médecins avaient conclu à une crise cardiaque et Sophia avait expliqué à la gendarmerie qu'ils étaient rentrés de la campagne et qu'il s'était soudainement effondré. Mais elle sait que si elle était revenue plus tôt, elle aurait pu intervenir pour le soigner.
Elle attrape son long manteau noir puis sort de la maison en ignorant sa famille pour rejoindre la voiture.
* * * * * *
Après un court trajet dans le silence, la voiture se gare dans une ruelle pavée. La cérémonie de Jean se déroule dans son village natal avant de rejoindre sa femme au jardin des souvenirs. Les mains dans les poches, la jeune femme regarde le paysage verdoyant qui s'offre sous ses yeux. Des chevaux dans un pré broutent paisiblement le foin, tandis que des fermiers discutent entre eux.
Patrick remarque que sa fille s'est arrêtée pour contempler la plaine et s'approche d'elle. Il lui glisse un bras sur ses épaules et reste avec elle en observant le paysage.
— C'est beau, n'est-ce pas ? commente-t-il paisiblement.
— Hmm.
Je l'entends soupirer, las avant d'ajouter :
— Ne reste pas dans ton coin, ma puce, la vie peut être cruelle en nous enlevant une personne chère à nos cœurs.
Elle tourne vers lui et l'observe. Son père ne détourne pas le regard des plaines, les larmes remplissant ses yeux. Elle le serre dans ses bras en posant sa tête contre son épaule pour lui montrer son soutien dans cette rude épreuve que tous rencontrent.
Depuis son retour, Sophia n'a pas réussi à rentrer en communication avec Draguir, et pour ainsi dire ne sait pas ce qu'il se passe à Imaginarium qui pleure également la perte de Jojo. Elle se dit qu'elle demandera à Gabriel s'il a pu obtenir plus de résultats de son côté.
Patrick et sa fille remontent la ruelle ensemble, rejoignant le reste de la famille qui se rassemble dans des accolades de soutien. Ils attendent ensemble le corbillard qui arrive devant l'église, se dressent par sa prestance devant eux. Son haut clocher domine la place, soutenue par ses anciennes pierres s'effritant au fil du temps. Ses arches forment un porche couvert donnant accès aux portes en bois massif.
Le prêtre, vêtu de sa longue toge blanche, s'approche et invite la foule à regagner l'intérieur de la bâtisse. Toute la famille proche se rassemble sur les premières rangées de bancs, laissant les amis et autres connaissances à l'arrière. L'église peine à contenir toutes les personnes venues rendre un dernier hommage à Jean.
Pendant la cérémonie, le prêtre chantonne les sacrements en laissant parfois sa place devant le pupitre à certains membres qui récitent leurs textes pour partager leurs peines. Sophia lève la tête pour admirer l'architecture des voûtes au-dessus de sa tête, contenant avec mal les larmes qui tentent de se frayer un chemin.
Ses mains liées, entrent-elles, jouent nerveusement avec ses doigts. Son regard se balade sur la façade où plusieurs statues représentent la vierge Marie et les autres figures de l'ancien temps. L'immense vitrail se dessine en son centre une rosace aux couleurs ternies par la faible luminosité de l'extérieur. La jeune femme ne se sent pas à l'aise, remettant en question ses croyances légendaires avec ce qu'elle a vécu.
Depuis sa tendre enfance, elle croit aux créatures mythiques qui auraient pu ou non exister sur terre, mais à contrario, elle ne porte pas d'intérêt au dieu qui veille sur les êtres humains. Malgré le fait d'avoir affronté les déesses d'Imaginarium, un endroit tenu secret par l'homme allongé dans le cercueil brun qui dort paisiblement pour l'éternité. Un soupir s'échappe quand ses yeux rencontrent la boite ornée de gerbes de fleurs, de couronnes et de bouquets.
Elle ne peut défaire son regard du lit de son grand-père. Voyant dans le vide une rangée de personnes, déposer une rose blanche sur le couvercle, posant leurs mains dessus accompagnées de paroles ou restant silencieux les yeux fermés avant de quitter l'église.
L'organisatrice invite la famille à reprendre place sur leurs bancs quand ils ont fini. Sophia s'avance, le cœur lourd, se comprimant à chaque pas qu'elle fait en direction de Jean. Elle aperçoit sa sœur Marianne, secouée de spasme quand l'Ave Maria résonne dans les enceintes, et tente de contenir un sanglot coincé dans sa gorge. Son tour arrive lorsque sa sœur s'écarte de devant le cercueil où elle dispose sa main sur le bois froid. Dans un murmure étouffé, elle lui dit :
— Tu vas infiniment me manquer, papy.
Elle retourne à sa place en prenant ses sœurs dans ses bras, soutenant froidement leurs pleurs. Six hommes soulèvent le cercueil en même temps que le restant des personnes, se lèvent et avancent dans l'allée pour le déposer dans le corbillard. Tous escortent la voiture tel un cortège jusqu'à la dernière demeure de Jean.
La mise en terre se fait dans un silence de mort, brisé par les sanglots et le reniflement. Sophia reste seule devant la terre fraîchement déposée où les nombreuses compositions de fleurs décorent l'emplacement avant de pourrir dans les jours à venir. Les mains dans les poches, elle pousse un long soupir de mélancolie, quand deux personnes viennent se positionner à ses côtés. L'un silencieux tandis que l'autre glisse son bras sous le sien pour la soutenir. Elle pose sa tête sur l'épaule de Leah et attrape la main de Gabriel qui l'accompagne dans ce moment d'infinie tristesse, envoyant leur soutien à leurs compagnons éloignés.
— Comment m'avez-vous trouvée ?
— Ton père nous a invités pour le repas donné ce soir en l'honneur de ton grand-père, répond Gabriel platoniquement, je ne pouvais refuser comme je leur ai fait croire que je suis un membre éloigné.
Gabriel, après avoir échangé avec Patrick, a usé de son don pour faire croire à chacun qu'il était un cousin éloigné. Un soldat disparu qui aurait refait surface des années plus tard. Quant à Leah, elle se fait passer pour une étudiante étrangère découvrant la culture française, mais elle peine beaucoup à s'adapter à l'ambiance régnant sur la terre.
Ils rejoignent ensemble le père de la demoiselle qui les attend au bout de l'allée en scrutant sa fille avec inquiétude. Elle se détache de ses amis et se jette dans ses bras, laissant couler sa peine. Il la serre contre lui en caressant ses cheveux pour la réconforter. Ils restent ainsi de longues minutes avant de partir en tournant le dos à toutes les âmes reposant dans le calme.
* * * * *
— Cela te changera les idées ? s'inquiète Valérie qui tanne sa fille pour qu'elle maintienne sa soirée.
— Je ne pense pas que ce soit le meilleur moment pour honorer les morts ! réplique-t-elle dans son bol de chocolat.
Deux jours se sont écoulés après l'enterrement de Jean. Sophia pense que ses amis comprendront qu'elle n'a pas le cœur de faire la fête, même si elle aime énormément ces festivités. Elle adore surtout décorer la maison et l'allée pour terroriser les enfants réclamant leurs friandises.
Leah toque à la porte et se fait accueillir par Valérie qui s'étonne de l'heure pour recevoir du monde. Elle s'était réveillée en sursaut, entendant sa fille jurer dans la cuisine après avoir cassé un bol.
— Bonjour, Leah, tu es bien matinal !
La louve entre et embrasse les joues de Valérie qui échange des banalités avec elle. Elles arrivent ensemble dans le salon, où la mère essaie d'obtenir le soutien de Leah :
— Je tente de convaincre Sophia de faire sa fête d'Halloween, tu penses comme moi ?
— Halloween ? Qu'est-ce que c'est ? demande curieuse Leah.
Sophia s'étouffe à moitié dans son bol, s'éclaboussant avec le lait. Elle redresse la tête, s'essuyant le nez coulant de chocolat, ravalant les larmes de douleur que lui provoque son cerveau. Elle tourne la tête vers sa mère qui regarde Leah en fronçant les sourcils.
— D'où viens-tu déjà ?
Sophia se tend face à l'interrogation de sa mère, priant pour que Leah ne fasse pas une bourde. Elle a un sourire et entrouvre la bouche en entamant sa réponse :
— De Blas...
— De Belgique, coupe-t-elle brusquement la louve, un trou perdu dans le nord là-bas. Sa famille ne fait pas les fêtes, du coup elle ne les connaît pas.
Elle soupire de soulagement, mais Valérie n'a pas l'air d'être convaincue par la réponse de sa fille qui capitule en ajoutant :
— Je ferai la fête, pas de souci, comme ça Leah découvrira nos traditions à nous.
La réponse satisfait sa mère qui s'éclipse dans le couloir en les laissant. Sophia traîne Leah à l'étage et s'installe sur son lit. Depuis leurs retours, Gabriel et Leah ont pu obtenir des papiers et se trouver un logement dans le centre-ville. Ils tentent de rentrer en contact avec l'autre monde, mais sans succès. Cela intrigue beaucoup la demoiselle qui, dès qu'elle tente d'en savoir plus, entend :
— Secret défense fillette !
Quand elle reçoit cette réponse, et en observant le fauconnier, Sophia se doute que Gabriel a un lien fort avec l'armée que ce qu'il veut faire paraître. Quant à Leah, être aussi loin de son frère l'inquiète fortement, elle avait confié à son amie deux jours après leurs traversées que les bruits d'environnement des véhicules l'empêchaient de dormir. C'est pour cela que quand l'insomnie l'empêche de dormir, elle se rend chez Sophia pour se reposer.
La demoiselle repense au fait d'avoir été suivie au travers du portail par ses deux acolytes, et ne s'imagine pas comment elle aurait pu traverser le chagrin sans eux. Elle recouvre les épaules de Leah qui s'est profondément endormie et sourit avant d'attraper des affaires dans sa penderie, avant de se diriger à la salle d'eau.
Dans le miroir, Sophia distingue les cernes se creusant sur son visage pâle. Elle allume le jet de la douche et se glisse sous l'eau chaude. Le dos appuyé contre la cabine, elle tend le bras pour augmenter de plus en plus la température. Elle se décale légèrement et affronte la douleur de l'eau bouillante avec son poignet.
Depuis son retour, elle fait ce rituel pour tenter de ranimer Evy, qui depuis la bataille est profondément endormi. Sophia a tout tenté pour rétablir la connexion : l'appeler mentalement, le grattouiller, s'ébouillanter... Mais le dragon n'a jamais réagi. Sa magnifique couleur argentée a pris une teinte cuivrée dès que le liquide visqueux l'a enveloppé, et depuis ses yeux clos font office de murs de silence.
En entendant sa mère la gronder sur le temps passé dans la douche, elle sort de la cabine. Le contraste de la chaleur et du froid de la pièce lui fait tourner la tête. Elle perd l'équilibre et tente de se rattraper au meuble, mais le manque de peu en se sentant partir vers le sol. Des bras puissants la soutiennent à temps, avant de la relever. Elle se retourne et rencontre un regard familier.
— Draguir ? fait-elle surprise.
Le fauconnier la scrute sous toutes les coutures, inquiet. Cependant, un sourire en coin apparaît et son regard devient plus ardent quand il admire le corps nu de sa sauvageonne. Celle-ci s'en aperçoit et attrape une serviette sur le portant.
Il lève la main pour effleurer le visage de sa demoiselle, mais elle ne ressent pas son contact. Draguir fronce des sourcils et tente de prononcer son prénom, mais Sophia ne l'entend pas.
— M'entends-tu ? demande-t-elle le cœur serrer.
Il observe ses lèvres, et constate que lui non plus ne l'entend pas. Sophia lui fait signe d'attendre et se précipite dans sa chambre pour récupérer un stylo et une feuille, mais à son retour dans la salle d'eau, Draguir n'est plus là. Le cœur battant à tout rompre, elle scrute les environs à sa recherche, mais il n'est plus là.
Elle soupire et retourne dans sa chambre après s'être habillée. Sophia s'assied sur son rocking-chair, confirmant par message à ses amis le maintien de la fête. Elle tourne le visage vers le ciel, se dégageant, songeant au contact de Draguir.
Parmi ses nombreuses tentatives avec Evy, elle n'avait pas tenté de renouer avec Draguir. Le chagrin et la peur d'affronter sa colère depuis son départ n'avaient que repoussé sa décision. Elle avait fait croire à Gabriel qu'elle n'y arrivait pas, mais bien au contraire, elle ne voulait pas. Attrapant un plaid, elle se couvre les jambes, puis prend son carnet et un crayon, et se met à dessiner pour oublier le sentiment de frustration qui l'étreint.
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