7- Une danse enivrante

Aucune manifestation étrange n'a eu lieu durant la semaine. Comme si une force mystérieuse empêchait les mauvais rêves d'importuner Sophia, la laissant en paix jusqu'au week-end, ce qui la ravi. Son esprit a pu errer dans des univers créés  par son inconscient, simples et sans artifice.

Elle n'a pas revu ce garçon qui l'a aidée lors de leur dernière rencontre. Son regard énigmatique et profond laisse un reflet jaune orangé danser dans les ténèbres. Sophia ressent des fourmillements au creux de son ventre. Elle serre les jambes sous son bureau, se mord la lèvre et se traite d'imbécile. Pourquoi repense-t-elle à lui, alors que ce n'était qu'un rêve ? Et puis, ce n'est pas comme si elle priait tous les soirs pour le revoir. Non, non, Sophia n'est pas comme ça.

Elle regarde l'horloge de la salle, indiquant bientôt l'heure des vacances. Le professeur de maths tente vainement de leur faire apprendre la leçon à ses élèves, qui sont plus concentrés à ne rien faire qu'à écouter. L'enseignant a abandonné l'idée de les rappeler à l'ordre pour aujourd'hui.

Élise se penche sur son bureau et pique le dos de Sophia avec son stylo. Celle-ci se retourne vers son amie :

— Après les cours, on va sortir. Tu nous rejoins ?

Sophia répond par la négation et lui rappel sa punition.

— Si ta mère me voit, ça ne la dérangera pas. Tu sais bien qu'elle a du mal avec Antoine. Je passerai te voir vers dix-huit heures, et on verra ce qu'elle dira.

Elle se gratte la tête et sourit à Sophia en trouvant une autre solution :

— Sinon, tu viens dormir à la maison. Comme tu seras absente quelques jours, on en profitera.

Sophia sourit à cette idée, mais reste à convaincre sa mère, surtout à la dernière minute. La sonnerie retenti enfin. Tous les élèves sortent en trombe, clamant en chœur les vacances. Les filles montent dans leur bus après avoir salué Antoine et  se calent sur les sièges du fond. Sophia pose sa tête contre la vitre, pendant qu'Élise discute avec d'autres filles.

Le paysage verdoyant de la forêt défile sous son regard, tandis qu'une ombre la poursuit en se déplaçant de fougère en fougère. Le jeune homme se positionne plus loin et sort sa tête de la plante lorsque le bus passe. Sophia sursaute en croisant son regard sombre et cogne Élise au passage. Celle-ci coupe court à sa conversation pour se tourner vers elle  inquiète :

— Qu'est-ce que tu as ? Tu es toute pâle ! As-tu vu un fantôme ? 

— Non, ce n'est rien, j'ai cru apercevoir un truc dans la forêt, rassure Sophia.

L'une des filles accompagnant son amie se permet une remarque :

— On a peur du grand méchant loup fofofofia ?

Son sourire de pimbêche placardé sur son visage, elle part en crise de rire avec les autres greluches qui l'accompagne.

— C'est plutôt toi qui en as peur, quand tu fréquentes ton mec.

Sophia a chuchotée ces mots rageusement, mais pas assez bas quand elle reçoit en pleine figure un sac remplit de livre de cours. Sa camarade hargneuse s'énerve contre elle :

— Qu'est-ce que t'as dit ?

— Rien, juste la vérité qui traîne dans les couloirs.

Les yeux plissés la défiant, Sophia sourit de plus belle. Ni une, ni deux, la fille se jette sur elle en voulant lui arracher les cheveux. Élise essai tant que mal de les écarter, tandis que les autres camarades se sont retournées pour acclamer la bagarre.

Le chauffeur de bus, voyant le grabuge s'intensifier dans son rétroviseur, attrape son micro pour leur remonter les bretelles dans les hauts parleurs. La pimbêche se recale dans son siège en remettant ses cheveux blond ondulé en place et lance un regard haineux à Sophia.

Celle-ci s'enfonce également dans son siège et reporte son regard vers le paysage. Elle ne supporte pas ce genre de fille qui se donne des allures de star de lycée, tenant les garçons entre ses ongles manucurés, comme des chiens en laisse. Elles rabaissent la moindre fille qui ose lorgner sur l'un deux. Sophia bouillonne tellement, qu'elle sent son bracelet chauffer son poignet.

Le petit dragon s'agite selon son humeur. Enfin, de ce que remarque Sophia, c'est quand ça lui chante, car lorsqu'elle s'énerve avec sa sœur, il ne réagit pas d'un pouce. Il ne doit pas apprécier cette fille. Sophia rigole intérieurement en découvrant ce point commun.

En rentrant chez elle, Sophia remarque un mot laissé sur la table par sa mère. Elle prévient qu'elle rentrera tard. Elle espérait la croiser pour qu'elle accepte sa soirée chez Élise, mais elle voit son projet tomber à l'eau bien avant d'avoir eu une réponse. Sophia monte dans sa chambre et balance son sac sur son lit en regardant l'heure : dix-sept quinze.

Elle envoie un message à son amie pour la prévenir que cela sera impossible pour ce soir, puis reçoit sa réponse aussitôt :

"Tant pis, ce sera pour une prochaine fois."

Sophia se change pour se mettre plus à l'aise : débardeur noir et jean troué. Elle attrape son baladeur et y insère un CD d'épic battle. Elle gagne le jardin, récoltant au passage un morceau de bambou et vérifie sa rigidité. Ses pieds nus épousent l'herbe fraîche quand elle se dirige vers le saule.

Elle met son casque sur les oreilles et monte le volume à son maximum. Après avoir fait un exercice d'inspiration, elle tend le bras en avant. Les premières notes d'un violon s'envolent, tout comme le bras de Sophia. Elle se laisse transporter au gré de ses mouvements, entamant un ballet. La branche siffle dans les airs en suivant chacun de ses gestes.

Pour évacuer ses émotions, Sophia aime plonger dans cet univers. Elle s'imagine courant dans un champ de bataille au milieu des cadavres et des guerriers qui combattent pour leur survie. Comme ce que l'on voit dans les films. Cela lui permet de s'évader et d'oublier tout ce qu'elle emmagasine en elle. Plus la cadence de la musique s'accélère, plus ses gestes s'intensifient. Tournant sur elle-même, tranchant l'herbe à ses pieds. Elle s'enivre dans une transe merveilleuse.

Le bâton tourne entre ses doigts au-dessus de sa tête avant qu'elle ne l'abaisse avec force devant elle. Le coup s'arrête brutalement, rencontrant une résistance avant la fin de sa descente. Sophia ouvre les yeux et distingue deux mains empoignant le morceau de bambou. Elle abaisse le regard vers la personne ayant osé l'interrompre et remarque un jeune homme. Plutôt grand, un bon mètre quatre-vingts, cheveux noirs en bataille, des yeux noirs avec une pointe de doré et un sourire malicieux ornant ses lèvres.

Elle cligne des yeux plusieurs fois et le regarde perplexe. Il est habillé d'un t-shirt noir avec une étoile à six branches sur le devant de couleur orange et d'un jean noir entouré de chaînes argentées. Il se tient droit, gardant ses bras tendus qui maintiennent le bout de bois. Essoufflée par sa prestation, Sophia se redresse en lâchant le bâton et se recule en prenant une position défensive. Elle scrute autour d'elle, mais ne reconnaît pas son jardin.

La nuit est présente malgré le nombre d'arbres qui l'entourent. Un ruisseau étroit s'écoule non loin de là, reflétant une couleur phosphorescente. Le jeune homme ne cesse de l'observer avec curiosité tandis qu'elle abaisse son casque, d'où un son étrange sort pour le caler sur son cou. Elle maintient son regard avec incrédulité et aperçoit les couleurs dorées s'agiter dans les yeux de l'inconnu. Surprise de ce phénomène, elle recule de nouveau, mais au fur et à mesure de ses pas, il se rapproche, la tête penchée, la regardant comme si c'était une bête curieuse. Le corps de Sophia ce stoppe quand son dos heurte le tronc d'un arbre. Le jeune homme s'arrête à peine à un mètre d'elle, la scrutant toujours.

— Qui... Qui es-tu ? souffle-t-elle angoissé.

Il a un regard rieur, un rictus se manifeste quand il lui répond :

— Pour une fois que tu choisis un endroit calme pour apparaître, ça change.

Elle est abasourdie. 

— Tu es le garçon de la grotte ?

Draguir hoche la tête et se rapproche un peu plus d'elle. Il sent que la jeune femme en face de lui ne sait plus où se mettre, ses joues rosissent à mesure qu'il avance. Il se penche à son oreille et lui répond dans un souffle :

— Tout juste, et toi, tu es l'inconsciente qui s'amuse à y pénétrer.

Le cœur de Sophia rate un battement. Il est si proche, qu'elle sent son souffle ardent sur son visage. Elle essaie de détourner son attention en lui demandant où ils se trouvent. Draguir la scrute, méfiant, croyant que la demoiselle lui fait une blague. Mais face à son silence, il s'écarte et s'assied sur un rocher non loin d'elle.

— Nous sommes dans le bois sacré, à quelques lieux de Cerulazu, annonce-t-il fier de lui.

— Cerulazu ? interroge-t-elle interloqué. Qu'est-ce que c'est ?

Il paraît déconcerté par sa question, et éclate de rire. Sophia n'apprécie pas son ton moqueur et croise les bras en fermant son visage. Draguir s'arrête et toussote un peu pour reprendre son sérieux.

— Sérieusement ! Tu ignores où on est ?

Un hoquet de rire s'échappe, tandis que Sophia répond par la négation et se laisse glisser contre l'arbre. Effectivement, elle ne sait pas où elle se trouve, ni dans quel univers elle se situe. Elle lève la tête vers les étoiles à la recherche d'un indice, mais ne voyant pas les constellations habituelles de son ciel, l'inquiétude la submerge.

Sophia commence à avoir froid. La tenue qu'elle porte convient seulement quand elle exécute son ballet. Et puis elle a eu la fabuleuse idée de ne pas mettre de chaussures, ce qui intensifie ses tremblements. Elle aime sentir l'herbe sous ses pieds quand elle danse.

Draguir l'observe dans les moindres détails. Il s'aperçoit qu'elle grelotte quand elle étend ses bras sur ses genoux et qu'elle baisse la tête dessus. Intrigué, il se lève et part s'asseoir à ses côtés. Il passe son bras autour des épaules de Sophia, diffusant sa chaleur pour la réchauffer. Les tremblements cessent instantanément. Draguir se penche à son oreille et lui demande sérieusement :

— Quel est ton nom ?

Sophia ressent les tremblements reprendre de plus belle. Pas à cause de la fraîcheur, loin de là. Mais la proximité du jeune homme ne la laisse pas indifférente. Elle relève la tête et la tourne vers lui, mêlant son regard au sien. Il la détaille sans cacher son indiscrétion, affichant un sourire en coin.

— Je... Je m'appelle Sophia, dit-elle tout bas.

Son regard la pénètre de plus en plus. Il cherche toutes les informations que celui-ci peut lui communiquer. Il redresse son bras et glisse sa main le long du dos de Sophia. Ce contact l'a fait frissonner, tandis que le cœur de Draguir s'emballe. Il se rapproche de plus en plus, n'étant plus qu'à quelques centimètres de son visage.

— J'ai tant rêvé de toi, susurre-t-il tendrement.

Le cœur de Sophia cesse aussitôt toute activité à ses mots. Il se rapproche encore plus, frôlant ses lèvres ardentes sur celles de la jeune femme. Ils ne comprennent pas ce qu'il se passe. Chacun n'arrive pas à détacher son regard de l'autre. Draguir émet une pression dans le dos de Sophia pour l'attirer encore plus contre lui. Lorsqu'un coup de tonnerre, grondant au loin, les fait sursauter, brisant ce moment étrange. Draguir s'écarte en remettant son masque d'indifférence.

Sophia sent son poignet chauffer. Elle porte sa main sur celui-ci sous le regard de plus en plus sérieux du jeune homme. Son sourire disparaît quand il aperçoit le dragon enroulé autour du bras de la jeune femme. Le noir voile l'aspect doré dans son regard, et il fusille Sophia en crachant :

— Où as-tu eu ce bracelet ?

Sophia cligne des yeux, surprise par sa réaction. Elle ne saisit pas son changement soudain de comportement. Elle bascule entre son poignet et lui, tout en se demandant comment il peut le voir. Jusqu'à présent, aucune personne de son entourage n'a remarqué la présence du dragon qui luit de sa couleur argentée en émettant des vibrations.

La colère de Draguir se ressent de plus en plus et quand elle ose le regarder de nouveau, elle s'écarte précipitamment de lui en se levant. À son tour, l'agacement pointe le bout de son nez. Elle rétorque, énervée :

— Non, mais t'es sérieux là ? Tu te pointes devant moi, dans un endroit que je ne connais pas. Tu changes d'humeur comme de chemise. Tu me dis rêver de moi alors qu'à chaque fois, on fait juste se croiser dans une grotte flippante !

Elle reprend sa respiration, car sa voix commence à monter dans les aigus.

— T'es en mode séducteur et la seconde d'après, t'es furieux parce que je porte un bracelet en forme de dragon ? Mais ça ne va pas bien dans ta tête ! En plus, je ne connais même pas ton prénom, c'est quoi ton foutu problème à la fin !

Son souffle est saccadé et son poignet la brûle de plus en plus. L'orage menace à tout moment d'éclater. Draguir s'avance de nouveau, mais Sophia se recule instinctivement. Elle ne lui fait pas confiance et aimerait qu'il évite de récréer cette proximité. Il croise les bras sur son torse en la toisant du regard. Malgré son air sombre, une infime pointe dorée y reste ancrée.

— Tu en avais gros sur le cœur à ce que je vois, rétorque-t-il poursuivant sa marche. C'est exact, je ne me suis pas présenté. Je m'appelle Draguir, et il n'y a pas que dans la grotte que tu me croises.

Il ajoute cette révélation en souriant de toutes ses dents. De nouveau, le cœur de Sophia ratte un battement. Elle continue de reculer, mais trébuche et tombe sur le derrière. Draguir s'avance davantage, tel un prédateur prêt à bondir sur sa proie.

— Ton bracelet, où l'as-tu trouvé ? Qui te l'a donné ? siffle-t-il hargneux.

Elle ne répond pas et recule toujours sur le sol. Draguir arrive à sa hauteur et s'accroupit devant Sophia :

— Si tu ne me le dis pas, je vais devoir lui demander à lui, dit-il en désignant le bijou.

Sophia tient son poignet contre son torse. La chaleur du dragon l'irradie tellement qu'elle se retient de hurler. Draguir tente de le saisir, mais c'est le geste de trop. La résonance de la gifle s'abat sur sa joue avec violence. Surpris, il recule en se tenant la joue et la regarde avec méfiance. Mais Sophia ne peut apercevoir plus de réactions, que son corps se tord soudainement de douleur. La chaleur est devenue insupportable, elle prie pour que cela cesse au plus vite.

Elle rampe sur l'herbe en tentant de s'approcher du ruisseau qu'elle avait repéré plus tôt. Elle concentre son regard et sa volonté sur celui-ci pour faire abstraction de la souffrance qui l'habite.

Il faut que j'immerge mon bras dans quelque chose de froid ! songe-t-elle les dents serrées.

Elle n'est plus qu'à quelques centimètres et tend son bras en avant en l'étendant au maximum vers le ruisseau. Ses doigts ont a peine effleuré l'eau, que son corps se soulève du sol et la projette brutalement en arrière.

Sophia se réveille en sursaut, une douleur lancinante dans la tête. Elle porte sa main sur son front et remarque un gant de toilette dégringolé sur son visage. Dehors, la nuit est tombée, couverte par d'épais nuages. Une lampe tamise sa chambre, la laissant apercevoir son poignet devenir rouge violacé juste en dessous du bracelet. Sa porte s'ouvre sur sa mère, qui entre la mine inquiète.

— Oh ma chérie, ça y est, tu t'es réveillée ?

Elle s'approche et s'assied au bord du lit posant sa main sur le front de sa fille :

— On était inquiet avec ton père. Quand on est rentré, on t'a cherché partout. Ton père a été voir dans le jardin et il t'a retrouvé évanouie près du saule, explique-t-elle avant d'ajouter, tu as dû te fouler le poignet en tombant dessus, car tu as une grosse marque tout autour.

Valérie observe les réactions de sa fille. Mais Sophia ne réagit pas. Elle essaie de se remémorer les évènements avant de tomber dans les vapes. La rencontre officielle avec le jeune homme, de ses rêves, leur rapprochement et sa colère étrange, puis la douleur qu'elle a ressentie. Pour finir, le trou noir avant de se réveiller dans son lit.

— J'ai dû trop forcer. Je me suis plongée dans ma musique, je ne me souviens plus de la suite. annonce-t-elle un peu honteuse.

Sa mère soupire et se lève quand elle entend la sonnette de la porte d'entrée. Elle s'absente de la chambre, laissant Sophia distinguer un échange entre son père et une autre personne à la voix rocailleuse. Quelques minutes plus tard, elle est entourée de ses parents et d'un médecin qui examine son poignet en le manipulant de haut en bas et de gauche à droite. Sophia grimace à chaque mouvement. Il prend la température de la jeune fille et enfile un bandage bien serré autour de son poignet en le reliant à sa main.

— Tu devras garder ce strapping durant un mois, le temps que ton poignet se rétablisse. Pas d'effort inutile et beaucoup de repos, prévient sérieusement le médecin.

Il range ses outils dans sa valise, présente une ordonnance aux parents de Sophia et prend congé suivi de Valérie. Quand la porte se ferme derrière elle, son père la regarde avant d'ajouter :

— Tu nous as fait peur, tu sais ?

Sophia ne sait quoi répondre. Sa main paralysée, elle ne peut plus l'utiliser à sa guise. Dessiner, écrire... toutes ses activités qu'elle aime pratiquer l'ennuient d'avance. Son père s'assied sur le bord de son lit, et la force à se rallonger pour la border :

— Demain, on organisera tes affaires pour chez papy, en attendant, repose-toi.

Il dépose un baiser sur le front de sa fille avant de sortir de la chambre. Sophia fixe un moment le plafond avant de tomber dans un sommeil profond sous les effets des antidouleurs. 


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