6 - Blackwoid

La main, posée contre la paroi rocheuse, reste figée à l'emplacement de là où se trouvait la jeune fille il y a quelques instants. Ce n'est pas la première fois que Draguir l'aperçoit. Elle hante ses rêves de temps à autre. Mais depuis leur rencontre au refuge, son visage s'est incrusté dans sa mémoire, à la fois apeuré et mystérieux.

Derrière lui, les voix du groupe se rapprochent, bruyantes et désordonnées. Le jeune homme s'adosse lourdement au mur , observant les silhouettes qui émergent de l'obscurité. perçante distingue aisément les traits de ses compagnons dans la pénombre. L'un des plus grands, un blond aux yeux bleu sombre, se rapproche de lui et lui crache au visage :

— Dis donc, tu n'es pas censé être ici ! il y a du travail à la mine.

— J'avais perçu du bruit, et je suis venu inspecter.

Le ton arrogant employé force le blond à le toiser sévèrement. Or, il se met à rire aux éclats :

— Toujours borné, à ce que je vois.

Il tape un grand coup dans l'épaule de Draguir en ajoutant et souriant de toutes ses dents, excité comme une puce :

— Viens, on va aller voir les petits nouveaux.

Il le suit dans le couloir obscur avec le reste du groupe. Après dix minutes de marche, ils débouchent dans une cour semi-extérieure entourée de falaises en terre orangée. Le soleil, haut dans le ciel, diffuse une chaleur torride qui met à rude épreuve les plus courageux. L'astre reste toujours aussi haut dans le ciel, composant ainsi la zone rêche et aride de cette partie de la région. Les hommes s'alignent devant un petit groupe de prisonniers du refuge, têtes baissées, effrayés par la présence de leurs tortionnaires.

Ce groupe se compose d'un chat zébré en noir et blanc et aux yeux vairon,  deux lutins agenouillés avec leurs bonnets rouges traditionnels, une petite fée en verre aux ailes fissurées, et un jeune culbutos bien arrondi, peinant à se tenir droit. Tous tremblent, pieds et mains liés, attendant la sentence. Le blond aux cheveux bouclés s'avance vers eux et leur sourit en exhibant sa dentition, puis frappent des mains en les faisant sursauter :

— Bon, commençons par les présentations.

Il laisse un silence s'installer, augmentant la tension. Puis, il reprend :

— Vous êtes à Blackvoïd, ce que vous nommez pompeusement, la zone de vide.

Le groupe se raidit, les tremblements redoublent, ce qui n'échappe pas à Draguir qui les guette.

— On vous a dit qu'il n'y avait rien ici, mais c'était un mensonge. Ici, la vie existe, et vous allez vivre votre pire cauchemar.

Le blond marche devant eux et éclate de rire, savourant son pouvoir. Il se tourne vers ses compagnons et appelle deux d'entre eux :

— Keith, Félix, emmenez-les aux cachots dans la grotte sud.

Keith, un jeune homme à la peau hâlée et aux cheveux bruns, avance. Ses cheveux bruns encadrent des yeux noisette. Bien que de stature plutôt menue, son allure distraite laisse entrevoir qu'il vaut mieux ne pas le provoquer. À ses côtés, Félix, son compagnon à la peau pâle arbore une chevelure rousse flamboyante et des yeux de chat vert pomme. Le contraste est frappant avec ses dents pointues, qui ressortent de plus en plus à mesure qu'il sourit. Il dévore des yeux les prisonniers, se léchant les babines, prêt à se repaître.

Ils s'avancent tous deux en exhibant des chaînes avec des menottes adaptées à toutes les tailles. Une fois le petit groupe attaché, Keith tire sur la chaîne pour les traîner derrière lui, tandis que Félix ferme la marche des condamnés. Ses griffes le démangent, prêtes à se déchaîner. Les créatures ne doivent pas s'aventurer à tenter quoi que ce soit, sous peine de voir leurs vies partir en lambeaux. Draguir les observe s'éloigner, perdu dans ses pensées, jusqu'à ce que le blond vienne poser un bras sur son épaule en soupirant. Il le sort de ses songes en passant une main dans ses cheveux.

— Ce n'est pas assez ce que l'on a ramené, il va falloir organiser une autre expédition.

Il se redresse et s'étire, puis se tourne vers son collègue avec curiosité :

— Que faisais-tu dans le couloir ? 

Avant que Draguir puisse répondre, un autre membre du groupe s'approche précipitamment.

— Alex, maître H, veut te voir pour un rapport, ordonne-t-il aigrement. Il n'a pas l'air content.

Alex souffle, las de rendre un énième rapport. 

— Très bien, merci Méric, j'y vais de suite.

Il lance un regard à Draguir avant de se tourner vers la montagne du nord, aux roches noires acérées, flanquée de deux piliers de cristaux noirs s'élançant vers le ciel.

— Bon, tu vas me dire ce qu'il s'est passé au refuge Draguir ? demande Méric, suspicieux.

Méric, le plus petit du groupe, est considéré par Draguir comme un petit frère. Petit mais robuste, ses cheveux châtains clairs aux pointes bleues contrastent avec ses yeux azur. Il scrute Draguir qui regarde Alex s'enfoncer dans la montagne, impatient de sa réponse. 

— Rien, pourquoi me demandes-tu ça ? répond Draguir, feignant l'étonnement.

— Ton comportement laisse croire que tu as croisé quelqu'un ou quelque chose.

— Juste ce maudit lapin. Je n'ai pas voulu envenimer les choses, on n'était pas assez nombreux, alors lâche-moi les basques.

Draguir essaie de rester vague, mais Méric croise les bras et le toise d'un œil perçant. Il tente de déchiffrer les secrets que Draguir s'efforce de cacher. Après une longue insistance, il secoue la tête et ajoute :

— Ne fais pas le malin avec moi, je vois que quelque chose te tracasse. Si je l'ai remarqué, Alex l'a sûrement vu aussi. Tu sais qu'on peut se déjouer d'eux ici.

Il se rapproche de son ami en continuant de proférer :

— Tu sais bien que l'on peut se déjouer d'eux ici.

— Tss, qu'il essaye ! Ils ne savent rien de moi, et n'en sauront ri...

Méric, sans attendre, sort son arme, un bâton noir avec des striures argentées virant au turquoise, et fauche Draguir. Celui-ci atterrit sur le dos, ressentant une douleur intense le faisant grimacer. Il se redresse, fusillant Méric du regard, se demandant s'il doit encore le considérer comme un frère.

— Je suis peut-être plus petit, mais je suis ton supérieur ! ricane Méric en tendant la main. Va te reposer et change de comportement. Ça ne plaît vraiment pas à Alex, et il te le fera comprendre d'une manière ou d'une autre.

Draguir saisit la main tendue et se relève. Un sourire en coin apparaît sur le visage de Méric avant qu'il ajoute :

— File, je dois rattraper les autres à la mine.

Méric part vers l'Est où se trouvent les mines dorées, tandis que Draguir se dirige à l'opposé vers ses appartements. Les deux se connaissent depuis de nombreuses années malgré leur jeune âge. Les soldats peuplant ce lieu sont pour la plupart des enfants volés à leurs proches ou achetés au marché noir. Vendu comme du bétail. Malgré ce passé sombre, ils servent H avec dévouement.

Draguir donne un coup de pied dans une caillasse et regarde le ciel, songeur. Il ne se souvient pas de son enfance, seulement des cachots des montagnes de Voltamur et de leur chaleur insoutenable. C'est dans cet endroit sordide qu'il a fait la rencontre de Méric, un enfant volé à sa mère à l'âge de cinq ans. Il faisait partie du village de Cascalaris, le peuple de l'eau. Malgré sa jeunesse, était fort et courageux.

À dix-sept ans, ils ont été emmenés à Blackvoïd, un endroit stérile, désertique et brûlant. Le soleil y reste constamment au zénith, dans un ciel jaune orangé. Entouré de roches et de montagnes noires, le sol est creusé de gouffres et de mines profondes. Une falaise escarpée surplombe une mer brumeuse, où les vagues s'écrasent avec violence. Un arbre mort se tient au-dessus du vide, criant le désespoir.

Draguir monte les escaliers de pierre jusqu'à son appartement sculpté dans la roche. Il verrouille la porte et se dirige vers la salle d'eau. L'espace est modeste mais suffisant. Il tourne la poignée et laisse l'eau couler sur son corps. Épuisé, il soupire de lassitude, posant son front contre la paroi rocheuse de la douche, fermant les yeux un instant. Le visage de la jeune femme envahit son esprit.

Qui est-elle ? Pourquoi s'amuse-t-elle à apparaître dans les endroits improbables de ce domaine ?  songe-t-il.

Il se rappelle de ses yeux châtains avec un halo vert doré lorsqu'il l'a croisée au refuge. La surprise avait été totale en découvrant que la fille de ses rêves était réelle. Après leur départ, il s'était détaché du groupe pour l'épier à nouveau, observant son regard intense près du portail. Draguir s'était promis de la revoir, encore et encore.

Mais cette infraction lui avait valu une mise à pied. Pendant les deux semaines suivantes, il devra travailler dans les mines avec les esclaves, extrayant les pierres précieuses.

Il s'allonge sur son lit après la douche, croisant les bras derrière la tête, fixant la lueur du jour sur le plafond.

Il ne faut pas que j'abuse de mes pouvoirs, ça me fatigue, raisonne-t-il.

Il se tourne sur le côté et contemple le soleil de plomb. Les questions se bousculent dans son esprit jusqu'à ce que le sommeil le gagne. 



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