4- retour à la réalité
La révélation de papy jean fait l'effet d'une gifle à Sophia. Une avalanche de questions l'envahit alors qu'elle tente d'assimiler les informations fournies par son grand-père.
Pourquoi moi ? Je n'ai rien d'exceptionnel, pense-t-elle.
Sophia n'est qu'une jeune fille parmi tant d'autre, d'une banalité sans précédent et plutôt réservée. Certes, ellepossède une imagination débordante, mais pas au point d'être destinée à rejoindre un monde mystérieux. Elle se questionne sur ce lieu calme, plein de secrets, et ces gardiennes aux pouvoirs élémentaires...
Dans quoi je me suis embarqué maintenant !
C'est trop pour son cerveau qui commence à lui cogner dans les tempes. Ses forces la quittent, elle a besoin d'une bonne nuit de sommeil. L'envie d'entamer une nouvelle conversation à cette heure de la nuit l'épuise rien que d'y penser. Mais en se levant pour prendre congé, une question s'échappe, malgré elle :
— Comment as-tu su que j'avais franchi la porte ?
Papy Jean la regarde en souriant, révélant les pattes d'oie au coin de ses yeux :
— Je savais dès ton arrivée que tu allais ressentir la présence d'Imaginarium, explique-t-il avant de continuer. Le déchirement que tu as entendu la veille n'était autre que la porte tentant de s'ouvrir. J'ai feint l'ignorance, car je ne devais rien te divulguer avant que tu découvres tout par toi-même. Ensuite, il y a eu ton moment d'absence quand je suis revenu et t'ai vu fixer la porte de la cave. Je savais que ce n'était qu'une question de temps avant que tu ne descendes. Puis, tu t'es arrêtée de nouveau avant de te coucher. Enfin, essayer de ne pas faire de bruit dans un escalier aussi vieux, c'est très indiscret.
Il sourit sur cette dernière phrase tandis que Sophia rougit jusqu'aux oreilles comme si elle avait été surprise la main dans le pot à gâteaux. Elle réalise qu'elle partage désormais un secret avec son grand-père, et pas des moindres.
— Bon, annonce-t-il en se levant, trêve de bavardage, tout ça a dû t'épuiser, il est temps que tu ailles te coucher. Tes parents viennent pour le déjeuner et je ne voudrais pas qu'ils te voient avec une mine aussi fatiguée.
Sophia acquiesce. Elle se lève et se dirige vers les escaliers, mais une chose la taraude :
— Pourquoi Imaginarium ?
— Tout ce que je dessinais, se réalisait et créait son contraire. J'ai donc renommé cet endroit sans nom en Imaginarium, car, comme tu le sais, cette magie se crée selon l'imagination de ceux qui l'entoure.
Elle sourit à cette réponse puis monte dans sa chambre. Elle regarde l'heure sur le réveil qui indique qu'il est bientôt quatre heures du matin. Dépitée par cette information, elle se glisse sous la couette après avoir enfilé son pyjama et ferme les yeux en repensant à ce qu'elle vient de vivre.
Des flashes se projettent dans l'esprit de Sophia, rendant son sommeil agité. La plaine verdoyante défile à grande vitesse. D'un lac muni de cascades à une forêt arborant des montagnes enneigées s'étendent à perte de vue. Puis, une grotte sombre avec des pierres escarpées s'impose de sa noirceur. Un souffle chaud et nauséabond s'engouffre dans celle-ci.
Un regard brillant danse dans la pénombre, bloquant tout mouvement à Sophia. La peur lui glace le sang au fur et à mesure que cela s'approche d'elle. L'odeur d'œuf pourri et de souffre lui donne des hauts-le-cœur. Elle se sent piégée, ne pouvant s'échapper de cet affreux cauchemar. Paralysée, elle veut fuir, mais ses pieds refusent d'obéir.
Une main chaude se glisse dans la sienne, tandis que son corps est entraîné loin de la menace. Un grondement de désapprobation s'éloigne au fur et à mesure que la personne qui la tient la guide à travers un dédale de galeries.
— Il faut que tu t'échappes, cours... Cours !
Sophia tente de voir le visage de celui qui l'a arrachée à cet endroit horrible, mais elle est projetée hors de son rêve, se réveillant en sueur. La matinée est bien entamée lorsque qu'elle reprend ses esprits. Cette voix qui lui disait de s'enfuir laisse une empreinte sur son cœur. Il lui semble l'avoir déjà entendu, mais ne sait où ni quand.
Sophia se lève, attrape ses affaires et se dirige vers la salle de bain. Sous le pommeau de douche, elle laisse l'eau laver de toutes les émotions de la nuit. Pourtant, elle n'arrive pas à oublier. C'était tellement réaliste, plus que ce que le subconscient peut montrer. Tellement prenant qu'on souhaite parfois savoir s'il y a une suite à ce rêve. Qui est la personne qui nous vient en aide ?
En se regardant dans le miroir, elle aperçoit les cernes de ses courtes nuits.Fixant son reflet, elle se perd dans la particularité de ses yeux marron entourés d'un halo vert doré, repensant à la révélation de son grand-père. Elle sursaute en entendant celui-ci renverser une casserole dans la cuisine et se dépêche de remonter dans sa chambre pour finir de se préparer.
Jean enfourne un gigot d'agneau dans le four et découpe les pommes de terre en dés quand Sophia arrive dans le salon. Elle s'affaire à mettre la table avant de le rejoindre dans la cuisine et s'appuie contre l'évier, la tête ailleurs. Son grand-père remarque son absence d'esprit et tente de savoir si elle a passé une bonne nuit. Face à son silence, il fronce les sourcils et ordonne doucement :
— Raconte.
Sophia est étonnée par sa demande. Ne lui laissant pas le choix, face à son regard insistant, elle lui raconte son cauchemar.
— En voilà une chose ! Quelqu'un tient à toi dans Imaginarium. Tu n'as pas pu voir qui c'était ? demande-t-il, intrigué.
— Non. Tout ce que je sais, c'est qu'il m'a dit de courir et de m'enfuir. Mais m'échapper d'un rêve est difficile quand tu es paralysée.
— Hmm, je pense effectivement qu'il se passe des choses là-bas...
Jean n'achève pas sa phrase. Il semble préoccupé. Sophia tente de le rassurer, mais la sonnette de la porte retentit au même instant. Elle se dirige vers le couloir, laissant son grand-père en proie à ses pensées. Elle accueille ses parents et sa sœur avec des embrassades. Jean les rejoint dans le salon, en proposant un apéritif à chacun. Ils passent à table en racontant le déroulement de leur week-end. Rien de passionnant pour le père de Sophia, qui n'a cessé de travailler. Cependant, sa sœur et sa mère ont assisté à un concert, sillonné les boutiques et brunché avec l'aînée avant de reprendre la route. Le repas se déroule sur les activités de chacun, jusqu'au dessert où Jean pose une curieuse question à son fils et à son épouse :
— Les vacances d'automne approchent bientôt. Si vous êtes d'accord, je proposerai bien à Sophia de passer quelques jours à la maison, histoire de changer d'air.
— Pourquoi pas, répond Valérie, étonnée. Qu'en penses-tu, Sophia ?
— Moi, je suis partante. Nous nous sommes bien amusés ce week-end, il m'a appris un tas de choses et j'ai une revanche à la belote à tenir.
Un sourire radieux s'affiche sur le visage de Sophia. Elle sait que derrière cette proposition, une aventure ce cache.
— Bon, si cela ne dérange personne, c'est d'accord. En plus, Lucie va passer ses vacances chez ta sœur, comme ça, ça nous permettra à ton père et à moi de nous reposer.
L'invitation de Jean est sans aucun doute destinée à ce que Sophia retourne à Imaginarium. Après le café, la famille Tellier prend la route pour rentrer à leur domicile. Ce week-end riche en découvertes et en émotions, empli Sophia à de nombreuses interrogations. Elle n'a qu'une hâte, pouvoir coucher dans son journal l'aventure qu'elle a vécue.
En arrivant proche de la commune, elle pose sa tête contre la fenêtre et plonge son regard sur le paysage. La rivière s'écoule doucement autour d'un îlot pas plus grand qu'un champ. Les arbres s'agitent sous la brise du vent, lançant un appel en sourdine qui interpelle Sophia. Or, son attention est détournée par sa mère qui tourne la tête vers elle en la questionnant :
— C'est surprenant que tu veuilles passer plus de temps avec papy ? D'habitude, tu trouves cela d'un ennui profond et tu es plus occupée dans ta rêverie.
Sa fille hausse ses épaules en se tournant vers elle :
— Oh, tu sais, j'avais ramené mon carnet de dessin, et il m'a montré des croquis qu'il avait faits plus jeune. Alors, nous avons beaucoup discuté de choses et d'autres.
— En tout cas, c'est très bien. Les vacances sont dans deux semaines et puis comme ça, ça te fera changer d'air avant ta fête d'Halloween.
— Je n'en doute pas une seconde.
Sophia regarde de nouveau par la fenêtre avec un sourire en coin, ne montrant en aucun cas son impatience de retourner à Imaginarium et de repartir à la découverte de ce monde mystérieux.
* * *
La semaine passe avec avec une lenteur interminable. Il ne reste plus que six jours à tenir avant que les vacances ne commencent. Sophia n'échappe pas aux remontrances de ses professeurs, due à ses endormissements en classe et ses absences mentales.
Ce dimanche ensoleillé, elle se balade avec son ami Antoine dans une petite forêt qui longe la rivière et la commune. Ils s'amusent ensemble comme comme des enfants, inventant des histoires de sorcières, de possession, de magie... Chose improbable dans ce monde, mais bien réelles dans celui d'Imaginarium, changeant ainsi la perspective de Sophia.
Marchant aux côtés de son ami, elle songe au fait que depuis ce rêve étrange chez son grand-père, elle ne se souvient d'aucun rêve ultérieur. Les nuits sont devenues fades, sans histoire, sans aventures, sans images. Même les cauchemars ont pris la fuite. Elle ne comprend pas pourquoi ce phénomène persiste. En relevant la tête, elle remarque qu'elle est seule. Antoine n'est plus là. Elle tourne sur elle-même en l'appelant :
— Antoine ? Antoine, où es-tu ?
Agacée mais inquiète, elle avance en fouillant derrière les fougères et les arbres. Rien de bien méchant ne peut arriver à son ami. Cette forêt n'est pas dense et la faune est plutôt inoffensive : quelques biches, des sangliers, des renards et autres petits rongeurs, volatiles et insectes. Pourtant, Sophia ne se sent pas à l'aise pour autant. Elle crie de nouveau :
— Allez Antoine, arrête de faire l'imbécile et sort de ta cachette, ce n'est vraiment pas drôle.
Aucune réponse ne lui parvient. Elle poursuit son chemin en cherchant, s'attendant à ce qu'il surgisse pour lui faire peur, mais personne à l'horizon. L'agacement prend le pas sur son humeur, la faisant marmonner entre ses lèvres, jusqu'à ce qu'elle sente son téléphone vibrer dans sa poche. Elle le sort et découvre un message d'Antoine :
" Désolé miss, je ne sais pas où tu es passée, mais je dois rentrer chez moi, mes parents viennent d'appeler. On s'appelle plus tard."
Sophia cligne des yeux, abasourdie, puis jure ahurie :
— Nan, mais il est sérieux ? Il me plante dans le petit-bois et ensuite, il se casse !
Elle tape avec acharnement sur les touches de son mobile pour lui répondre, frustrée que son ami l'ait laissée seule :
"Déjà, c'est toi qui me plante pour partir je ne sais pas où, et ensuite, tu dis que tu m'as perdue. Bref, rentre chez toi ! À plus tard."
Elle range son téléphone dans sa poche, et décide de continuer son chemin malgré son énervement. Elle le ressort tout de même pour envoyer un message à sa mère, la prévenant qu'elle rentrera qu'en fin d'après midi.
L'ondulation de la rivière reflète Sophia qui marche les mains dans les poches. Elle s'interroge sur le déroulement de son futur voyage à Imaginarium. Si Jojo lapino sera là pour l'accueillir ? Ou si elle recroisera ces personnes habillées en orange ? Peut-être créera-t-elle de nouveaux horizons, en prenant garde aux contreparties qui pourraient émerger ailleurs.
Une racine profite de la rêverie de la demoiselle pour sortir de terre et provoquer sa chute. S'écrasant sur le sol de tout son long, Sophia s'écorche les mains et les genoux contre les cailloux et les branches. Elle se relève en grimaçant sur l'état de ses vêtements, puis tourne la tête pour voir ce qu'il s'est passé. Mais la racine qui a causé sa chute a disparu sous terre, cachée à la vue.
Sophia ne sait si elle devient folle ou si elle sait encore marcher. Optant pour la seconde option, elle remarque qu'elle n'est pas très loin du vieux moulin en ruine et décide de s'y rendre.
Les racines ont envahi les vieilles pierres du moulin, qui s'effrite d'année en année au bord de la rivière. Un petit bosquet repose sur l'eau, visible depuis le pont reliant la commune au reste du monde. Les arbres sont grands, ornés de feuilles jaunissantes en ce début d'automne.
Sophia s'assied au bord de l'eau pour contempler ce paysage serein. Écoutant le ruissellement de la rivière, le bruissement des feuilles sous la brise douce de l'été indien, elle trouve une certaine paix. Les quelques voitures passant sur le pont ajoutent un bruit de fond urbain qui se fond avec l'environnement. Rien de tel pour se vider la tête dans cet environnement paisible.
— Te voici, je t'attendais, entonne une voix fluette.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top