36- Une vie pour sa survie
//Avertissement : Ce chapitre peu heurté la sensibilité des jeunes, scène non violente mais dur tout de même \\
Abandonné dans sa cellule, Draguir se ressasse en boucle les derniers évènements. Entendant inlassablement sa haine lorsque sa sauvageonne lui a crié :
Tu n'aurais pas dû te laisser faire !
Sa rancœur, sa douleur débordaient tel un flot de rage coulant dans ses veines. La lâcheté du fauconnier lui a explosé en plein visage. Il soupire en calant sa tête contre le mur rocheux en prenant conscience qu'il a été manipulé dans le but d'être le bouquet de misère. Devenant ainsi l'hérésie du clan, celui qui aide l'autre clan, fils de déesse aux pouvoirs incontrôlables.
Draguir est épuisé nerveusement, sentant la faim lui tirailler l'estomac depuis plusieurs jours. Sa vieille amie le hait, ses collègues se méfient, son maître l'a achevé. Il ferme les yeux en laissant son esprit en proie aux visions qu'Alex lui inflige. Celui-ci profite de son invention qui bloque les dons pour s'immiscer dans la tête du fauconnier et le torturer sans relâche.
Qui es-tu ? demande poliment une voix fluette.
Draguir ouvre instantanément les yeux en cherchant l'enfant lui ayant posé la question. Il scrute la pénombre, mais à part lui, personne ne l'accompagne dans sa cellule.
Aimes-tu le chocolat ? Maman a fait un délicieux gâteau, c'est bon, ajoute gaiement la voix candide.
Une image s'impose dans l'esprit de Draguir, aussi nettement qu'une photographie. Elle révèle un petit garçon aux cheveux bruns en bataille, et une adorable fillette en couche culotte qui se dandine maladroitement sur ses deux jambes. La gamine réclame deux parts de gâteaux auprès de sa mère, qui tricote une couverture sur un banc. Draguir n'arrive pas à reconnaître les lieux et voit la petite fille venir vers lui avec ses deux morceaux, qu'elle lui tend en souriant innocemment.
— Qui es-tu ? interroge-t-il à son tour.
La petite l'observe, surprise par sa question. Ses grands yeux marron reflètent légèrement un halo vert doré autour de ses iris. Le carré de ses cheveux entoure son visage radieux, et sa petite robe jaune suit les mouvements du vent malgré les taches de chocolat dessus.
En face du jeune garçon se trouve Sophia, enfant, du haut de ses quatre ans. Il se remémore automatiquement le commencement de leurs rencontres. Il s'assied en face d'elle, et prend une part de gâteau en souriant.
Il se souvient qu'il avait commencé à faire de la projection pour oublier la misère de sa propre enfance solitaire. Sans qu'il ne le comprenne, il avait été attiré vers cette petite fille qui pensait jouer avec un enfant du voisinage de la maison de campagne de son grand-père. Ce passage représentait un jour marquant pour Draguir, qu'il avait enfoui au plus profond de son âme jusqu'au verrouillage de ses pouvoirs.
La plupart du temps il s'amusait avec elle dans les champs dorés en jouant à cache-cache. Ils avaient entretenu une grande complicité malgré leurs différences d'âge, jusqu'au jour où tout a dérapé.
— Dit petit, tu ne saurais pas où se trouve Sophia ? demande d'une voix inquiète un homme assez imposant.
Draguir se voit lui répondre non, alors que l'homme paraît anxieux. Il n'est plus avec elle, quand il s'amuse à fouetter l'herbe avec un bâton. Il observe la personne, reconnaissant être l'un des proches de la petite fille. Le fauconnier s'approche de la maison, et remarque en épiant derrière le mur que les parents de Sophia sont entourés par le voisinage. Leurs états paniqués montrent que quelque chose s'est produit. Les paysans tiennent en laisse leurs chiens qui reniflent un vêtement que le père leur tend.
Non ! Je me souviens de ce qu'il s'est passé cette nuit-là, pense Draguir en ressentant l'angoisse l'étreindre.
Il se met à courir à vive allure vers la forêt sombre, espérant désespérément qu'il ne soit pas trop tard. Se rappelant comment l'évènement s'était déroulé. Son cœur pulse le sang dans ses temps, pressant de plus en plus le pas dans sa course infernale. Il entend à peine les chiens aboyer et fouiller en vain le sol tapi de feuilles mortes.
Le temps maussade se couvre d'épais nuages, menaçant tout à coup éclaté un orage. Une pluie diluvienne s'abat dans la contrée, réduisant la recherche des paysans à néant, qui sont bien loin de la zone où se trouve la fillette.
Draguir crie le nom de Sophia, sentant la panique gagner du terrain. Il sait que la gamine court un grand danger, il le ressent dans ses tripes. Sa course effrénée l'amène près d'un barrage, où il visualise tous les endroits pour repérer le corps de Sophia. L'eau s'écoule des tunnels dans un bruit assourdissant, n'aidant pas la recherche du jeune fauconnier.
— Sophia ! hurle-t-il à pleins poumons, Sophia ? Fais-moi un signe, un bruit, ajoute-t-il, le souffle saccadé.
Il tend l'oreille quand il perçoit un bruit faible. La petite fille s'était perdue en jouant près de la forêt. En marchant et pleurant à la recherche de ses parents, elle a glissé au niveau du barrage en se raccrochant au barreau qui endigue l'eau qui la pousse avec force vers le tunnel sombre. Les eaux usées rejoignent une turbine qui trie les déchets encombrants.
— Accroche-toi, j'arrive !
La petite peine à se maintenir quand Draguir glisse sur la paroi pentue et saute sur les barreaux. Il attrape sa main si frêle afin de la hisser dans ses bras, mais son pied glisse et les fait tomber dans l'eau. La gamine ne sachant pas nager, et épuisé par sa ténacité, sombre dans l'eau inconsciente.
Le jeune homme plonge immédiatement dans l'eau glaciale, et nage de toutes ses forces pour attraper sa main minuscule. La surface de l'eau déchaînée par la pluie reste un moment sans une once de vie humaine. Les arbres secouent leurs branches face à la force du vent, suspendant le temps autour du lieu de l'accident.
Draguir sort la tête de l'eau en maintenant Sophia dans ses bras, et en reprenant son souffle difficilement. Il nage jusqu'à la rive, puis traîne le corps inerte de la gamine sur le sol boueux. La pluie martèle la terre, tandis que l'orage éclate dans le ciel, fendant les nuages d'innombrables éclairs, éclairant la peau bleutée de la fillette.
Non !
Sans perdre de temps, Draguir posent ses mains sur le torse de Sophia et entame un massage cardiaque avec force. Il alterne ses mouvements en se penchant pour lui insuffler de l'air dans les poumons.
— Vie ma belle, reviens à moi, ne cesse-t-il de répéter.
Il appuie avec acharnement sur le sternum, mais l'eau qui emplit les poumons de Sophia ne s'évacue pas.
— Allez, petite, recrache-moi cette maudite flotte, implore-t-il avec hargne.
Ses cheveux dégoulinants lui collent au visage au gré de ses mouvements. La pâleur de la fillette embrasse lentement le violet qui s'insinue sur sa peau. Ses lèvres, d'ordinaire joyeuses, restent figées par la mort qui lui retire doucement son dernier souffle de vie.
— Non ! Je refuse, dit Draguir la voix rauque.
Les larmes roulent le long de ses joues, mêlées aux gouttes qui tombent des pointes de ses cheveux. Il serre le corps inerte de la jeune enfant dans ses bras en se balançant d'avant en arrière, pleurant et hurlant. L'injustice d'arracher cette fillette à ses parents dévaste Draguir. Il effleure les cheveux de Sophia, profondément endormie pour l'éternité, en priant de toutes ses forces qu'une puissance lui vienne en aide. Quitte à défier la mort, de le prendre à sa place.
Une douleur insoutenable lui transperce le dos, lui faisant lâcher brutalement le corps de la petite dans la boue. Draguir se tord face au déchirement qui se produit entre ses omoplates, en sentant quelque chose s'extirper de son dos.
L'effroyable orage se fait de plus en plus violent, alors que le fauconnier hurle de souffrance. Le craquement de ses os se fait plus intense, déployant peu à peu les nouveaux membres qui s'ajoutent à son corps. La lumière d'un éclair, présente l'ombre d'une paire d'ailes sur les troncs des arbres. Ses yeux s'écarquillent d'horreur, tandis qu'une énergie néfaste se répand dans ses veines.
Un sourire malicieux se dessine sur ses lèvres, comprenant qu'un précieux cadeau lui a été offert pour sauver la jeune enfant. Draguir plongent ses mains dans le sol spongieux, s'accommodant de l'énergie vitale qui se répand sous ses pieds. Il puise la vie de toute forme de vie l'entourant. Les arbres, les animaux, les insectes, tout.
Il pompe littéralement la vie qui l'entoure, et dans un dernier espoir, il se penche et dépose un baiser sur le front de la fillette en lui transmettant la vitalité qu'il vient d'aspirer.
Draguir la prend délicatement dans ses bras en même temps qu'il continue d'imposer ses lèvres sur sa peau frêle. Les ailes les entourent en leur apportant de la chaleur, et les protégeant de la tempête faisant rage.
Sophia recrache l'eau qui entravait ses poumons, toussant et sanglotant dans les bras du jeune garçon. Sa peau livide reprend une couleur rosie, redémarrant son cœur battant à tout rompre. Le soulagement de Draguir est au point culminant quand il sent l'énergie se répandre dans la chair de la petite. Sa vie est sauvée.
Il se relève péniblement en la maintenant contre lui, puis étend ses ailes sombres afin de prendre son envol. L'orage s'est calmé et laisse apparaître la lueur de la lune qui en a profité de se lever. Sophie s'endort contre le torse de Draguir qui se dirige en battant des ailes vers la chaumière.
Il repère d'étranges lueurs bleues tournoyer autour de la maisonnée, avec plusieurs personnes vêtues d'imperméables sombres. Draguir décide d'atterrir à l'orée de la forêt, puis essaie tant bien que mal de remettre ses ailes dans son dos après avoir déposé Sophia contre un arbre.
Il réussit péniblement au bout de plusieurs minutes, et reprend la fillette dans ses bras en se dirigeant rapidement vers la foule amassée dans la cour. Draguir les interpelle en criant avoir trouvé Sophia, relevant la tête de plusieurs personnes. Un adulte s'approche de lui, et prend délicatement la petite dans ses bras en l'emmenant vers un véhicule d'urgence.
Les parents de la fillette rejoignent les professionnelles qui s'affairent autour d'elle, les yeux cernés par la peur et le soulagement de revoir leur tendre fille. L'homme austère que Draguir avait vu plus tôt s'approche de lui pour le questionner, mais le jeune homme ne lui en donne pas l'occasion avant de se volatiliser.
Draguir se réveille en sursaut, retrouvant la noirceur de sa cellule. Il doute fort de la capacité d'Alex pour lui avoir façonné une vision pareille. Il mise tout sur un souvenir profondément enfoui. Il se redresse pour essuyer une larme qui roule sur sa joue et soupire, le cœur lourd.
L'inconscience du fauconnier déverrouille un à un les souvenirs qu'elle avait cachés de sa mémoire. Gothika l'avait abandonné misérablement quand il commençait à peine à marcher, le laissant seul au milieu de la forêt de Blasqueen. Rapidement, il avait appris à utiliser ses dons de naissance et avait pu survivre contre les dangers qui le menaçaient. Depuis l'incident avec la fillette, il se projette sur terre pour veiller à son bien-être, apparaissant en coup de vent.
Mais lorsque Gothika a appris la grandeur du pouvoir que son fils avait obtenu, elle s'est empressée de le retrouver et de l'emmener à H pour qu'il verrouille ses pouvoirs. La vieille mégère, ignorait à quel point son fils la surpassait avec ses dons venus d'ailleurs.
Draguir, tente de s'extraire de ses chaînes sans grand succès. Il se demande encore comment sa sauvageonne s'y est prise pour les réduire en miettes. Mais le grondement sourd de son ventre l'empêche de réfléchir plus.
Le bruit de la serrure qui se fait crocheter, redresse la tête de Draguir. Il est un instant aveuglé par la lumière quand la porte s'ouvre à la volée. Une personne rentre en vitesse dans la cellule, et s'attaque directement à déverrouiller les chaînes sans perdre de temps.
— Que fais-tu, jeune imprudent, chuchote Draguir curieux.
La personne ne répond pas et poursuit son fastidieux travail, qui, après plusieurs essais, réussit à libérer le prisonnier. Il aide à relever Draguir, que celui-ci remarque, caché sous le capuchon, les yeux que nul autre rabatteur ne peut avoir.
— Méric putain, mais tu es inconscient, s'exclame-t-il.
Méric lui plaque la main contre sa bouche, en lui faisant percuter le mur rugueux. Draguir n'a pas pu parer son geste, le corps affaibli par ses longs jours passé dans la cellule. Son ami le fixe intensément, incitant le fauconnier à rester muet. Draguir acquiesce et emboîte le pas de Méric qui l'invite à suivre.
Le rabatteur ne se dirige pas vers la surface, et s'enfonce de plus en plus dans les galeries d'une chaleur étouffante à la limite de l'insoutenable. Ils continuent d'avancer avant de bifurquer dans une immense grotte que le fauconnier ne reconnaît pas. Le bruit de vague s'entrechoquant et l'odeur amèrement salée, lui fourni une idée sur leur emplacement.
Méric défait sa capuche et baisse son foulard, avant d'avancer et de se baisser pour récupérer des sacs posés contre la roche. Son ami remarque que le rabatteur a l'air de porter tout le poids du monde sur ses épaules, puis il se retourne et menace d'un ton pressant :
— Tu vas déguerpir d'ici ! Ton destrier t'attend au bout de la grotte.
— Méric, que fais-tu ? demande Draguir gravement, inquiet de son comportement.
Son ami fuit son regard, ne montrant en aucun cas sa peur.
— Méric, s'il te plaît ? implore-t-il à son ami.
Il hausse faiblement les épaules et soupir longuement :
— Le loup, ton ami, est rentré en douce ce matin et a réussi à libérer le lapin, répond-il assez bas.
— Déjà, ce sac à puces n'est pas mon ami, rétorque Draguir acerbe, et en quoi cette libération à effet de te mettre dans un tel état ?
— Je sais vaguement qui est la personne qui rapporte les informations compromettantes auprès de notre... du maître.
Des bruits de pas résonnent au-dessus de leurs têtes, signifiant que la disparition du fauconnier de sa cellule a été alertée.
— Viens avec moi.
Draguir le presse dans sa proposition, mais Méric secoue la tête et sort son arme :
— Part Draguir, j'ai une dette envers toi que j'honore à présent, annonce-t-il solennellement, va-t'en et mets-toi à l'abri.
— Non, je ne pars pas sans toi, tu n'as pas à rester ici.
— Au contraire, il le faut !
Il s'arrête brusquement, et soupire, las et fatigué, avant de reprendre :
— Des rabatteurs ont été postés sur chaque route, va dans l'endroit où nous... Où on a l'interdiction de pénétrer.
— Le bois sacré... Et, Guénaël ? demande Draguir instantanément.
— Qui ?
— Le soi-disant fils du maître, a-t-il été libéré aussi ?
Méric n'a pas le temps de répondre que des voix s'intensifie dans la grotte adjacente. Il menace son ami avec son bâton pour qu'il parte de suite, mais Draguir attend la réponse à sa question. Le rabatteur râle en ne révélant rien de plus, alors que son compagnon plante son regard dans le sien.
— Je viendrai te sauver, ainsi que tous les jeunes enlevés impunément à leurs infortunés parents, annonce Draguir comme une ultime promesse.
Le fauconnier récupère les sacs et se dirige vers la sortie. En longeant la paroi, il trouve son destrier qui l'attend patiemment. Draguir balance les sacs sur le dos de sa monture et se hisse dessus malgré ses forces amoindries. Il s'allonge sur son destrier pour se confondre dans sa crinière, en insistant sur la bête de se rendre au bois sacré à vive allure en se détournant du chemin habituel.
Le canasson martèle deux coups à terre avant de se mettre à galoper comme si la mort lui colle au train. Draguir regarde en arrière et repère en haut de la falaise abrupte, Bastos hoche la tête leurs victoires. Le fauconnier se repositionne, et s'agrippe de toutes ses forces pour ne pas tomber. Il disparaît dans l'épais brouillard que produit l'eau de la mer des brumes.
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