34- Trahison forcé
Continuant leurs recherches, Bastos défonce les portes des dortoirs une à une. Il doit impérativement mettre la main sur Sophia avant que ce ne soit quelqu'un d'autre qui la trouve.
Il se tape le front avec son poing, rageant de faillir à sa promesse faite à Jojo de prendre un maximum soin d'elle. Mais ses collègues ont été assez malins pour la cacher aux yeux de tous, révélant seulement sa capture. C'est cependant quand Alex a fanfaronné sur son emplacement et la joie que sa séance de jeu allait lui procurer, que Bastos a pu s'organiser avec Méric sur ses intentions. Il a simplement fallu détourner son objectif des doutes du chef des rabatteurs.
Le problème qui s'est ajouté à l'équation a été le changement de comportement de son jeune protégé. Obéissant au doigt et à l'œil, Draguir est devenu la marionnette de H, et le passage des déesses n'était pas sans arrière-pensées.
— Argh, tout part en vrille, rage Bastos en tapant le mur de son poing.
Les suppositions affluent dans son esprit : avec ses blessures, Sophia n'a pas dû aller bien loin. Méric fouille les dortoirs sans succès, alors que Draguir était parti à leurs opposés, à moins que...
Bastos stoppe son geste et se retourne d'un coup sec en comprenant ce qui dérange dans sa pensée.
— Non mais ce n'est pas vrai, cri-t-il énervé.
Une aura aussi malfaisante que celle du maître se fait ressentir autour du logement du géant. Méric se précipite en contrebas, ayant ressenti la même chose que son collègue. Il s'aide de son bâton pour gravir les étages et rejoindre Bastos sur le seuil de la porte que celui-ci vient de défoncer.
Bastos connaît les origines de Draguir, mais le voir à l'œuvre est une autre affaire. Il prend subitement conscience que le verrou de la totalité de ses dons a sauté, révélant sa réelle nature au reste du monde et qui n'était connu que des fauconniers. Le sombre spectacle s'offrant à eux les déstabilise, en apercevant le jeune fauconnier positionné les bras en demi-cercle, protégeant sa proie avec ses ailes noires qui forment un cocon. Son regard vide est envahi par les ténèbres, il reste ainsi en silence au-dessus du corps recroquevillé de Sophia, tremblant, les yeux révulsés.
Méric et Bastos s'échangent un regard inquiet, ne sachant comment s'y prendre pour interrompre leurs amis sans créer plus de dégâts sur le mental de la jeune femme. Le rabatteur s'approche doucement en faisant un signe à Draguir sans grand succès, tandis que Bastos se retourne en voyant arriver un attroupement attiré par l'aura que le jeune fauconnier dégage. Alex, Keth, Félix et Gan courent dans sa direction, autant inquiets que curieux, de tel affolement ce produit rarement en ces lieux.
— Que se passe-t-il ? s'écrie tout à coup Keth.
— On était en réunion quand nous avons senti ce pouvoir, s'exclame Félix.
— Je savais qu'il nous cachait des choses, dit calmement Alex en regardant dans l'appartement.
Méric échoue à toutes ses tentatives pour distraire son ami qui maintient l'effroyable pression sur l'esprit de Sophia. Gan pose lourdement sa main rugueuse sur l'épaule du géant qui le regarde perplexe. Sans dire mot, il s'avance dans la chambre, confiant de contrer le jeune fauconnier. En termes de puissance, le fauconnier sournois est de loin son égal. En revanche, contrairement à Draguir dont les dons étaient en sommeil, Gan a eu le temps de s'approprier les siens.
— Que fait-il ? demande Méric en revenant auprès de Bastos.
— Il va contrer Draguir dans l'esprit de la demoiselle, souffle-t-il brusquement.
Sophia n'étant plus maîtresse de son esprit, se laisse envahir par le pouvoir de Gan en apportant de la chaleur à son corps. Draguir commence à perdre en puissance face au fauconnier. Il n'a pas prévu qu'il intervienne et commence sérieusement à peiner dans le maintien de sa pression. Gan use à peine de ses dons redoutables avec force pour le faire immédiatement sortir du corps inerte de la demoiselle, jouant un rude combat de force mental qui sous le regard de tous.
Les ailes de Draguir se rétractent en reprenant place dans son dos, alors qu'il cligne plusieurs fois des yeux en faisant réapparaître la pointe dorée qui le caractérise habituellement. Il reprend peu à peu conscience en baissant la tête vers sa proie, chamboulé par ses actes. Plusieurs fois il considère Gan et Sophia en se prenant la tête.
Gan avait réussi par sa force intérieure à expulser son aura de l'esprit de la jeune femme et fusille à présent Draguir sévèrement.
— Circuler, il n'y a plus rien à voir, s'écrie Méric devant la foule qui se monte les uns sur les autres pour regarder ce qu'il se passe. Keth, Alex et Félix, aidez-moi, bon sang, ajoute-t-il avec nervosité.
— La poisse, je voulais en savoir plus moi, soupire Alex.
— Dégage ! s'exprime crûment Gan.
Tous sursautent devant le ton employé du fauconnier. Il ne parle pour ainsi dire jamais, mais le son lugubre sortant de sa gorge fige les plus téméraires. Énervé, Gan est bien la dernière chose à faire, et sa Bastos le sait très bien en l'observant appuyer sur le bâti de l'entrée. Il observe les rabatteurs se précipiter hors des lieux dans le silence, seul Méric lui lance un regard demandant des explications plus tard. Le géant hoche la tête en comprenant l'inquiétude qui se lit dans ses yeux, puis rejoint Gan dans son appartement.
Draguir s'est reculé de corps de la demoiselle quand il a entendu la voix de Gan. Il est effaré et se maintient la tête en glissant contre le placard, la plongeant par la suite dans ses genoux en comprenant la connerie monumentale qu'il vient de faire.
— Alors quels sont les dégâts ?
— Elle est inconsciente pour l'instant, mais elle risque de présenter d'énormes séquelles. Il faut les emmener tous les deux auprès du maître, répond Gan.
Bastos soupire longuement, l'angoisse le prend aux tripes. Les intentions de leur maître est encore inconnues, mais il avait impérativement demandé qu'elle soit en vie et sans trop de dégâts. Malheureusement, entre Alex et son fouet infernale et l'intervention fortuite de Draguir, les hommes ont échoué dans leurs missions et craignent la sentence.
Il prend Sophia dans ses bras, tremblant, tandis que Gan attrape brusquement Draguir par la peau du cou pour le faire avancer. Ils se dirigent vers la montagne en évitant soigneusement les passages peuplés. Si un malheureux se trouve sur leur chemin, il décampe rapidement en croisant les regards assassins d'anciens fauconniers. Draguir avance la tête baissée, regardant le sol poussiéreux avec honte. La peur de ce qu'il a fait l'étreint et il ne sait à quel point il a abîmé Sophia, ni quel châtiment il recevra. Bastos l'observe du coin de l'œil, ne comprenant pas comment le jeune homme ait pu infliger cela à celle qu'il aime.
H attend ses soldats qui franchissent la porte, il sourit narquoisement derrière son foulard opaque. S'approchant lentement, il observe Bastos déposer cérémonieusement la jeune femme sur le sol, remarquant la présence d'écailles sur son corps. Gan donne un coup à l'arrière des genoux du jeune fauconnier, le forçant à se mettre à genoux, pendant que Bastos fait le rapport sur ce qu'il vient de se passer en remarquant la propagation des écailles.
H s'agenouille près du corps de la jeune femme et passe une main gantée au-dessus de sa peau pour analyser le phénomène présent sur sa peau. Ses muscles se contractent au passage de la main, renforçant la barrière qui la recouvre. Sentant sa présence, Sophia ouvre d'un coup ses yeux, le regard flamboyant ses iris d'un halo vert doré. Satisfait, H se lève et se recule en captant la puissance de la demoiselle s'embraser.
— Je te félicite, mon jeune faucon, tu me l'as énervée, annonce H.
— Je vous prie de m'excuser, maître, s'incline lourdement Draguir.
— Je ne t'en veux pas, bien au contraire ! répond-il en le couvant du regard et en riant sarcastiquement.
— Je ne comprends pas ? demande Bastos, perplexe par ce qu'il vient d'énoncer.
Il n'a pas le temps d'en demander plus que Sophia se lève en brisant ses chaînes. Les menottes bloquant toute sa magie a été réduites en poussière. Elle attrape Gan par le col et l'envoie valser au travers de la salle. Instinctivement, H et Bastos se reculent pour éviter d'être pris au piège, et c'est à ce moment-là, en voyant le regard de son maître pétiller d'excitation, que Bastos comprend son plan.
Il ne voulait pas la capturer pour mieux la pulvériser, mais tester ses limites pour qu'elle révèle sa force. La libération des dons de Draguir, les pleins pouvoirs sur le jeu d'Alex, tout avait été mis en œuvre pour la pousser dans ses retranchements. Mais Bastos ne comprend pas comment son maître a pu deviner le lien qui unit les jeunes se trouvant devant eux. En observant le seigneur qui se délecte du spectacle, il se rend compte qu'une taupe s'est immiscée dans leur rang.
Une chaleur intense se forme autour de Sophia comme un tourbillon de feu, faisant voler ses cheveux. Une rage sanguinaire sort de ses pores, provoquant la peur dans le regard des anciens fauconniers. Draguir se relève en sentant le pouvoir grandissant de sa sauvageonne et tente de la raisonner. Mais elle lève la main, soulevant par une force mentale le jeune fauconnier, avant de refermer le poing et de l'abaisser. Draguir s'éclate sur le sol dans un craquement sourd, mais se relève pour l'affronter.
— Sophia, écoute-moi, je ne voulais pas, je ne maîtrise pas mes pouvoirs, implore-t-il.
Elle l'ignore sciemment, ses supplications et d'un geste, force Draguir à riposter. Il sort ses ailes en évitant l'attaque, et s'approche d'elle en employant la force pour lui faire entendre raison.
— Écoute-moi, s'il te plaît, je ne contenais pas mon corps ! hurle-t-il en battant des ailes pour contrer l'attaque de Sophia.
— Tu n'aurais pas dû te laisser faire, répond-elle sèchement, la voix empruntée d'un grognement féroce.
Bastos est impuissant devant le combat qui se joue sous ses yeux. Seul Draguir peut l'aider à se calmer, mais les tensions ont été animées entre eux depuis la révélation d'Herba. Il ne sait pas ce qu'il adviendra de Sophia si le jeune fauconnier échoue.
Une intense lumière se forme autour de Sophia suivie d'un déchirement. D'énormes ailes flamboyantes lui sortent du dos, se différenciant de celles du fauconnier en prenant la forme de celles d'un dragon. Des flammes jaillissent de toutes parts, forçant les autres à esquiver. Elle manipule ses mains en les faisant danser pour matérialiser dans les racines présentes dans les roches une arme. Son regard étincelle de rage dans sa confection.
Et malheureusement, un vent tournoyant empêche quiconque osant se rapprocher en les repoussant. Draguir peine à se maintenir sur place en étant à quelques centimètres d'elle. Bastos se cache le visage quand les bourrasques s'intensifient en faisant tout voler dans la salle. Gan arrive à se maintenir sur place malgré lui, quant à H, il peine à regagner l'entrée de sa grotte pour se protéger.
Une gigantesque épée s'est formée dans les mains de Sophia, qu'elle lève sans perdre de temps. Bastos panique en comprenant ses intentions, et tente d'avancer en se gelant les pieds au sol à chaque pas. Il sait qu'elle a été manipulée, et que si elle abat son arme sur le jeune fauconnier, elle ne s'en remettra jamais.
— Sophia, stop ! Cri Bastos dans ce vacarme.
Elle n'écoute pas son ami et abat l'arme que Draguir arrive à contrer de justesse avec une épée d'ombre qu'il a réussi à matérialiser dans l'urgence. Bastos craint pour l'avenir des deux jeunes alors qu'ils combattent férocement. L'un pour résonner et survivre, l'autre pour tuer et déverser le sang. Les deux s'affrontent sans répit, usant passablement de bassesse pour retourner sans cesse l'avantage de l'autre.
La porte de la salle s'ouvre à la volée sous l'œil interrogateur du maître sur l'intrusion dans son spectacle et découvre le doyen entré en catastrophe. Il se fige en découvrant la scène se jouant sous ses yeux, ne profitant aucunement de l'occasion qu'il a eue pour s'enfuir, mais de venir ici pour mettre fin à l'affrontement.
Quel sombre idiot celui-là, pense Bastos en le repérant.
— Sophia, ce n'est pas toi, tu le regretteras si tu le tues ! hurle Jojo.
La jeune femme arrête son mouvement à temps, ce qui aurait pu être fatal pour Draguir. Dans sa colère, elle avait réussi à lui coincer ses ailes et allait les lui trancher. Elle se tourne craintivement vers Jojo, faisant apparaître une infime pointe de regret dans son regard. Sophia lâche sa prise, tandis que le jeune fauconnier tombe sur ses genoux, épuisé par le combat, en rétractant ses ailes.
La demoiselle désintègre son arme en poussière, mais garde ses membranes déployées. Son regard se déplace de Jojo, effaré de la voir ainsi, à Draguir qui reprend sa respiration. Un mélange de rage, de trouble et d'angoisse s'acharne en son for intérieur, la figeant un instant avant de donner un coup de pied dans l'abdomen de Draguir qui le fait voler contre la paroi rocheuse. Elle s'entoure d'une barrière de vent avant de décoller par le trou présent au plafond de la salle sous le regard de ses spectateurs.
Draguir tousse violemment en crachant un flot de sang sur le sol marbré. Bastos s'approche de lui, inquiet de son état, et relève sa tête pour l'examiner.
— Quel spectacle extraordinaire, je n'en attendais pas moins, s'exclame soudain d'une voix glaciale maître H.
— Comment va-t-il ? chuchote Jojo en regagnant Bastos.
Le géant fait un signe de tête pour le rassurer, ignorant les commentaires de son maître. La guérison du jeune fauconnier a commencé son processus, mais son cœur a pris un coup dur.
— Gan, raccompagne notre invité indésirable dans sa misérable cellule, ordonne sèchement H.
Gan s'exécute en s'inclinant avant de disparaître en embarquant Jojo. H se tourne vers les fauconniers restants et assène sèchement :
— Quant à toi, Draguir, tu me déçois beaucoup ! Me trahir, moi ? Que t'a-t-il traversé la tête ? Par respect pour ta chère mère, je ne te tuerais pas. Mais tu vas croupir dans une cellule qui t'est spécialement réservée.
Dans sa fougue impétueuse, Draguir se débat sauvagement dans les bras de Bastos qui le retient de force contre sa volonté. N'arrivant pas à le maintenir, il lui assène un coup à l'arrière du crâne, puis le balance sur son épaule en se relevant.
— Pourquoi avoir laissé filer notre prisonnière ? demande-t-il à son maître.
— Pour pouvoir me mesurer à elle la prochaine fois. Je connais dorénavant ses faiblesses.
Le seigneur s'esclaffe froidement en se détournant, et en retournant dans son antre. Bastos soupir et sort de la salle, tombant nez à nez devant Méric. Le rabatteur dandine d'un pied à l'autre, s'inquiétant de l'état de son ami. Bastos remarque également qu'un autre sentiment prend place sur le jeune homme. Il l'invite à le suivre.
Les deux compères déposent Draguir dans sa cellule et lui attachent les mains avec les menottes réservées aux déesses. Ils se dirigent ensuite vers les appartements de Méric, puis Bastos vérifie qu'aucune oreille indiscrète ne traîne avant de demander :
— Je t'écoute, pourquoi tu te sens honteux ?
— Je pense avoir trahi lâchement H, murmure-t-il timidement, la tête baissée.
Bastos fronce les sourcils sur la dites trahison et l'invite à développer.
— C'est moi qui ai libéré le lapin, souffle Méric. Je suis passé devant sa cellule quand j'ai senti deux puissances s'affronter. J'ai distingué celle de Draguir. Le lapin m'a appelé et m'a convaincu de l'emmener immédiatement là où se trouvait le combat si je voulais revoir mon ami vivant.
— Il m'étonnera sans cesse cette petite boule de poil, rie Bastos.
Méric relève sa tête, surpris.
— Tu tiens tant à la vie de Draguir ? interroge le géant.
— Il m'a sauvé la vie dans les cachots quand nous étions petits. C'est grâce à lui que j'ai une place aussi importante, je lui dois tout jusqu'à ma propre vie. Je ne comprends pas en quoi il a pu trahir H, se justifie-t-il en faisant de grands gestes.
Bastos l'écoute et comprend qu'un allié de taille va pouvoir se ranger de leurs côtés. Il s'installe sur une chaise et entame son récit concernant sa mission avec Draguir. Ensemble, une complicité se créer dans le dos du maître qui n'en finit pas de s'extasier sur les récents évènements.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top