32-Le miroir de l'âme
Elias règle les derniers détails du départ imminent de leurs groupes. Ils se sont scindés en deux équipes pour perturber les recherches de leurs ennemis. Astos, Gabriel et Jackiel sont partis en direction de Pharekht à la recherche d'un bateau pour se rejoindre au lieu de rendez-vous à Cascalaris. Gabriel avait expliqué à quoi ressemblait cette région devant l'air intrigué de Sophia qui ne connaît pas encore cette partie d'Imaginarium.
Leah arrive près du traîneau, les bras chargés. Elle a teint ses longs cheveux blancs avec une poudre noire pour ressembler à Sophia au cas où. Celle-ci attend patiemment sur une caisse, faisant en sorte de ne pas gêner les préparatifs. Ses pieds cognent contre le bois en repensant au comportement de Draguir qui aurait pu l'avertir directement, mais qui a préféré l'esquiver et aller voir ses collègues. Certes, la présence d'Herba n'a pas aidé, mais elle aurait aimé avoir de plus amples explications.
— Je ne pourrai pas vous accompagner dans ce périple, annonce Herba qui s'avance en sautillant, je dois passer aux bois sacrés et mon chemin sera différent du vôtre.
Ses manières délicates et ses airs enfantins n'inspirent pas Sophia quand la déesse s'exprime. Elle a constamment l'impression que ses paroles cachent des sous-entendus.
— Pourtant, vous nous serez d'une aide considérable face à ces personnes, indique la demoiselle encourageante.
Herba hausse les épaules, et rie avec son sourire fin de fille naïve :
— J'ai été absente bien trop longtemps, ma chère. Mais rappelle-toi de quoi nous avons parlé toutes les deux, je ne serais jamais loin de toi grâce à ça, explique-t-elle en désignant Evy, si besoin, j'interviendrai seulement dans un cas extrême.
Elle s'arrête net dans sa petite danse comme si elle venait d'obtenir une vision :
— J'oubliais, si en arrivant à Cascalaris, vous pouviez passer aux bois, ce serait parfait, dit-elle le regard dans le vague.
— Qu'est-ce qu'il y a d'intéressant là-bas, demande Sophia, curieuse.
— La suite de ton bracelet, glousse-t-elle.
Sophia regarde la déesse avec incrédulité, mais celle-ci n'en dit pas plus en voyant les jumeaux arriver. Elias finit de fixer les affaires au traîneau, puis se relève en s'époussetant les mains.
— Voilà, il n'y a plus qu'à décoller. Mets ça sur toi, indique-t-il en tendant une peau de fourrure à la demoiselle.
— On est obligé de tirer ce machin sérieusement, demande Leah en croisant les bras sur son torse.
— Si on veut se déplacer rapidement, sans trop se faire remarquer, oui, taquine Elias.
— Allez, ce n'est pas comme s'il y avait Bastos dessus, imagine le poids sinon, rigole Luka.
Leah n'est pas trop convaincue par la blague de son frère, mais décide tout de même de se changer en louve. Luka, qui continue à rigoler, se transforme également en allant se mettre en position à l'avant.
— Promis, je n'utiliserai pas le fouet, s'esclaffe Elias.
Leah lui grogne dessus, mais Elias ne lui prête pas attention. Il noue les cordages aux deux loups en invitant en même temps Sophia à prendre place sur l'un des sièges. Ce n'est pas commun de voir dans ce monde un loup blanc et un loup noir avec trois queues qui se balancent et s'entrelacent ensemble. Herba s'approche de la demoiselle et lui chuchote :
— Prends soin de toi, Evy sera sans cesse là pour te protéger. Il ne paraît pas, mais il tient à toi, susurre-t-elle, cache-le. Protège-toi et de mon côté, je trouverai une solution pour libérer Jojo et le jeune garçon. Pense à venir me voir aux bois.
Sophia hoche la tête alors qu'Elias prend place à ses côtés. La déesse se recule en les regardant s'emmitoufler dans leurs fourrures. La façade s'ouvre devant eux, donnant ainsi le départ aux loups qui s'élancent en tirant le traîneau. Sophia lance un regard en arrière, apercevant Herba tendre les mains au-dessus de sa tête et disparaissant dans une lumière blanche.
Le vent glacial ne laisse pas de répit au voyageur qui lutte pour avancer. Même si l'allure des loups est à pleine vitesse, ils doivent faire attention de ne pas faire d'embardé avec leur attelage. Elias avait expliqué avant leur départ qu'ils traverseront le col de Blasqueen pour rejoindre la pointe de Cerulazu, là où il a vécu un temps avec Gabriel avant d'être enrôlé chez les fauconniers. De là, ils pourront longer les falaises pour rejoindre la ville de l'eau. Mais la grande difficulté sera de ne pas croiser Gan et Félix, qui empruntent cette route pour les traquer. Ce qui stresse fortement Sophia qui regarde les pins enneigés défiler sous ses yeux.
* * * * *
— Miss réveille-toi.
Sophia se réveille en sursaut en apercevant Elias qui pose un doigt sur sa bouche pour lui indiquer le silence. Le groupe s'est arrêté dans une grotte peu avant le passage sur l'autre rive, une tempête de neige les empêchant d'avancer. Les jumeaux en profitent pour se reposer, tandis qu'Elias souhaite montrer une particularité de ce lieu à la demoiselle.
— Qu'y a-t-il, murmure-t-elle.
— Rien de grave, je veux simplement te montrer une surprise, répond-il aussi bas.
Sophia suit le fauconnier vers le fond de la grotte, se déplaçant en crabe au travers des parois étroites. Elias se décale de sa vision pour lui faire découvrir une cavité révélant des milliers de petits cristaux se reflétant sur une eau bleu turquoise. Quelques clapotis de gouttes tombant du plafond font onduler ma surface. L'endroit est magnifiquement magique.
— Ça te plaît ? interroge-t-il en parlant d'une voix calme.
— C'est merveilleux, répond-elle des étoiles plein les yeux.
— Je me suis dit qu'en attendant que nos deux loustics se reposent, j'accomplirai ma promesse ici, et te raconterai d'où je viens.
Pivotant brusquement sa tête vers lui, Sophia est bouche bée et l'excitation d'en savoir plus sur Elias lui sert l'estomac. Elle s'assied au bord de l'eau, tandis que le fauconnier s'appuie contre la paroi, perdant un instant son regard dans le faux ciel étoilé présent dans la roche.
— Connais-tu les samouraïs ? demande-t-il soudainement.
La demoiselle acquiesce en ouvrant grand ses oreilles.
— Je viens du Japon. Plus précisément, de Tsumago qui se trouve dans la vallée de Kiso. Un lieu calme où le patrimoine faisait déjà tout à l'époque pour conserver la beauté des lieux, explique-t-il. Ma famille est une descendante directe d'une lignée de samouraïs. Très jeune, j'ai dû apprendre les bases du combat. C'était une tradition puissante aux yeux de mon père. Je devais apprendre à manier quarante armes différentes comme nos ancêtres, en privatisant surtout le katana qui reste et restera toujours ma favorite. C'est enfantin de le manier.
Il sort son arme de son fourreau, révélant une belle lame légèrement recourbée et pointue. Son pommeau argenté est orné d'un ruban bleu foncé qui s'entrelace. Des motifs de lierres sont cousus avec un fil bleu azur sur fond foncé. Sur le plat de la lame, on aperçoit une inscription gravée en japonais.
— Qu'y a-t-il d'écrit ? interroge Sophia curieuse.
Elias considère sa lame et sourit en répondant :
— Le miroir représente l'âme de la femme, comme le sabre est l'âme du guerrier. Mon père me le répétait souvent. Comme également sept fois à terre, huit fois debout.
Il s'assied en rangeant son katana dans son fourreau avec un geste cérémonieux, respectant l'arme qui le suit dans chacun de ses combats.
— J'étais fière d'avoir été élevé dans les traditions de mon pays, continue-t-il, même si, quand j'étais jeune, je ne le montrais pas forcément. Mon père est décédé quand j'ai fêté mes dix-neuf ans. Je revenais d'un voyage à travers le monde, car je voulais apprendre toutes les techniques de combat et d'art martiaux. Mon père n'était pas franchement d'accord, mais je ne l'avais pas écouté et il est mort d'une longue suite de maladie.
Elias baisse les yeux pour éviter de montrer sa faiblesse :
— J'ai soutenu ma mère avant qu'elle ne succombe, elle aussi, d'un cancer. Nous étions peu riches. Ma mère ne travaillant pas, on avait seulement mon revenu pour subsister. Un soir, je suis parti dans la forêt qui longe ma maison. Tout était calme et le ciel était aussi étoilé que si je me trouvais dans l'univers. Je me suis rendu près d'une cascade qui s'écoulait non loin de la lisière. Je venais souvent ici avec mon père pour les entraînements, et je voulais lui rendre hommage à lui et à ma mère. Mais j'ai vu une chose briller qui a attiré mon regard, une petite poussière qui volait au gré du vent. Curieux, je me suis approché et quand la poussière s'est posée sur l'eau, je me suis senti projeté dans l'eau. Je n'ai pas réussi à remonter à la surface, j'étais comme attiré vers le fond encore et encore. Je ne savais pas quand je toucherai ce fond, qui n'était pas si profond que ça. Quand j'ai enfin pu remonter et sortir de l'eau, je n'étais plus dans la même forêt. J'étais arrivé à Cerulazu.
— Tu n'as pas essayé de faire le chemin inverse ?
— Si, mais je me heurtais constamment au fond du lac de la forêt. Sans succès. Je n'ai jamais pus revenir dans mon pays. J'ai dû apprendre à survivre dans un univers que je ne connaissais pas. Par chance, j'avais avec moi le katana que mon père m'avait offert. Je voulais le planter à la cascade, mais comme je me suis fait embarquer, je n'ai pas pu le laisser.
— Et comment t'es-tu retrouvé sous les ordres de H ?
— C'est Bastos qui nous a recrutés, Gabriel et moi, en effectuant des missions de repérage pour les rabatteurs. Il cherchait de nouveaux talents pour agrandir le cercle des fauconniers, et on peut obtenir ce statut seulement si nous avons un don rare. Ma maîtrise des armes n'était pas aussi anodine. Mon père pensait que j'étais une petite intelligence rare en matière d'arts martiaux, mais dans la vie active, ce n'était pas une chose répandue, même si c'était très respecté. Ma vitesse et ma connaissance des stratégies ont permis d'atteindre les rangs de H. en éprouvant du respect pour ce que je faisais, mais je n'honorai pas mon père en m'attaquant aux plus faibles que moi.
Les valeurs dans lesquelles il a été éduqué lui font éprouver un profond respect envers sa famille. Touchée par son histoire, Sophia ressent une pointe de nostalgie dans son regard :
— Ça ne te manque pas la terre ? interroge-t-elle.
— Un peu, mais je n'y ai plus de rattachements là-bas, à part mes parents, répond-il, j'étais plutôt solitaire. Ici, je me suis fait de bons amis comme Jackiel et Gabriel. Sans compter Bastos et le reste qui sont venus plus tard. J'ai appris à vivre ici et à découvrir ce merveilleux monde, tout en espérant qu'il restera tel quel encore longtemps.
— Je l'espère de tout cœur, murmure Sophia. Seulement... j'aimerais aussi revoir mes proches, ma famille, mes amis, ajoute-t-elle le cœur serré.
Depuis son arrivée, Sophia n'a pas eu une minute pour prendre le temps de réellement se poser. Voir son grand-père de temps à autre permet de la garder forte, mais ce n'est pas comparable à la chaleur d'un foyer. Même si elle se plaît ici malgré les nombreuses difficultés, elle aimerait être aussi avec ses amis pour préparer leur soirée traditionnelle, ou bien encore profiter des vacances. Une partie de sa vie monotone lui manque, faisant rouler une larme sur sa joue.
Remarquant la détresse émotionnelle de la demoiselle, Elias la prend dans ses bras pour la réconforter. Ils restent tous les deux ainsi devant les éclats luisants sur la roche.
* * * * *
Le groupe atteint le col de Blasqueen à l'aube. Les jumeaux avait accéléré leurs cadences, galopant comme si les chiens de l'enfer les poursuivaient. Un pont en bois se présente devant eux, ne montrant pas le bout de la traversée suite à la brume qui ne s'est pas encore levée. Chacun attrape des bagages en se préparant, ne pouvant parcourir la passerelle avec le traîneau.
— Nous avons été chanceux de ne pas avoir croisé Gan ou même Félix, dit Elias. Une fois dans la forêt de Cerulazu, nous pourrons respirer un peu.
— Si tu le dis, en attendant, nous devons tout porter de l'autre côté, presse Luka.
Rassemblant son courage et chargée comme un âne, Sophia se place derrière Elias et Leah qui ouvrent la marche. Loin d'avoir le vertige, ses muscles se tendent au fur et à mesure de ses pas. La brise matinale fait tanguer le pont, et avec cette purée de pois, la peur d'avoir un vide dans un fond l'étreint de plus en plus. Luka ferme la marche et remarque les tremblements de la demoiselle à chacun de ses pas, et son cas ne s'arrange pas quand la brume décide de se lever lorsqu'ils arrivent au milieu du pont. Sophia regarde instinctivement en bas et découvre que plusieurs mètres la séparent des vagues de la mer Azura. Ses dents se crispent tandis qu'elle avale difficilement sa salive.
— Avance Sophia, ne regarde pas en bas, encourage Luka dans son dos. Fixe un point devant toi.
Elle redresse la tête et tente de concentrer son regard sur la chevelure ondulante de Leah qui a bien avancé. La demoiselle s'avance progressivement, comptant ses pas, pour se distraire de regarder ailleurs. Sentant son pied touchant un morceau de la falaise, elle détache son regard de la louve pour le poser sur un arbre, et se précipite dessus en le serrant dans ses bras pour calmer ses tremblements et reprendre sa respiration.
— Il faut une première à tout, sourit Leah.
— Plus jamais je ne passe par là, dit Sophia entre deux respirations, quel est l'imbécile qui a créé ce chemin sérieusement, il faut être taré pour passé là-dessus.
— Et encore, avec nos destriers et leurs rapidités, on saute directement sans utiliser le pont, éclate de rire Elias.
— Tiens, il faudrait que j'essaie sous forme de loup, s'interroge Luka.
Sophia les regarde estomaquer devant leurs stupidités face au danger.
— Ne fais pas cette tête, Sophia, tu as bien sauté avec moi du haut des falaises de Cascalaris, s'esclaffe Luka.
— Comme si j'avais eu le choix, peste-t-elle.
Luka lui récupère deux sacs avant de partir en riant aux éclats, suivit du fauconnier et de sa sœur. Sophia secoue la tête d'exaspération et regarde en direction du pont qui tangue de plus en plus sous les rafales du vent qui se lève. Elle a un haut le cœur et se précipite vers ses compagnons qui l'attendent à l'orée de la forêt.
Un épais brouillard couvre la rive de Blasqueen, cachant la région enneigée des regards curieux, tandis que de gigantesques arbres aux multiples racines se présentent aux groupes. L'écho du bruissement du feuillage et de la faune environnante offre un aspect apaisant et chaleureux. Le fauconnier et la louve ont repris leurs positions en tête, quant à Luka, il se positionne aux côtés de Sophia pour ne pas la laisser à la traîne.
— Je t'ai entendu discuter avec Elias cette nuit, tu sais, dit Luka sans la regarder.
— Et qu'est-ce que tu as entendu, demande-t-elle sans s'arrêter pour autant.
— Que ta famille te manque.
Il croise le regard de Sophia qui s'est postée devant lui en fronçant les sourcils.
— Je n'arrivais plus à dormir et en tendant l'oreille, j'apercevais une discussion au fond de la grotte, alors je me suis approché et je t'ai entendu lui dire que l'endroit d'où tu viens te manque, se justifie-t-il.
La demoiselle pose sa main sur sa poitrine, ressentant le pincement dû à sa discussion avec Elias. Elle baisse les yeux et avoue :
— Oui, c'est vrai, ça me manque comme tu dis. Mais malgré toutes ces péripéties, je me suis fait de véritables amis ici. Vous avez certes chacun un passé plus ou moins difficile. Et, j'arrive dans votre univers comme une fleur fragile que vous devez impérativement protéger, car apparemment, je suis instable, imite-t-elle à la fin en faisant des guillemets.
Luka attrape le menton de Sophia pour la forcer à le regarder et profite pour lui décaler une mèche de cheveux qui s'est échappée. Il sourit en lui répondant :
— Tu n'es pas une fleur fragile, tu es un souffle de vie dans cet univers, susurre-t-il. Je ne dirais pas non plus que tu es instable, mais que tu te cherches encore parmi tout ce que tu apprends autour de toi.
Elle sourit à son tour devant le regard sérieux de son ami. Cette proximité, ils ne l'avaient pas eu depuis l'arrivée de Draguir, elle s'était volontairement éloignée pour ne pas lui faire plus de mal, et pourtant il est toujours là à la rassurer.
Luka fronce des sourcils en percevant un bruit lointain. Il s'écarte de Sophia et regarde en arrière, affûtant sa vue et son ouïe dans la direction de Blasqueen. La faune si chantonnant a laissé place à un silence angoissant, et ses craintes se confirment quand sa sœur apparaît près de lui. Les loups ont senti la menace se rapprochant à vive allure.
— Luka, le ressens-tu ? questionne Leah sur le qui-vive.
— Oui, ils ne sont plus très loin. Transformons-nous, on va vous porter, presse-t-il.
Ne perdant pas une seconde de plus, les jumeaux se transforment, indiquant à leurs compagnons qui va sur qui. Sophia grimpe sur Leah en demandant inquiète :
— Qu'est-ce qu'il se passe ?
— Nos traqueurs ne sont pas loin derrière nous, répond-il à la hâte. Cette nuit, ils ont dépassé la grotte où nous nous trouvions. Cependant, ils ont dû comprendre que nous n'étions plus à la caverne et ils arrivent vite.
Leah grogne, ne voulant pas perdre plus de temps à bavasser.
— Point de rendez-vous, le refuge, annonce Elias.
La louve hoche la tête, ainsi que son frère. Elle démarre alors au triple galop en déviant du chemin pour s'enfoncer plus en profondeur dans la forêt. Sophia se cramponne difficilement, mais tient bon à chaque bond de Leah au-dessus des racines. Elle regarde de temps à autre en arrière, voire si leurs poursuivants apparaissent, mais rien ne se distingue des arbres qui s'amassent.
Elles arrivent aux abords du lac après quelques heures de courses. Des montagnes aux pointes enneigées surplombent l'eau, à l'opposé des filles offrant un tableau serein face à leur survie. Leah renifle les alentours si le danger est toujours aussi présent, et indique à Sophia de descendre avant de reprendre sa forme. La demoiselle regarde autour d'elle, ne se sentant pas plus en sécurité ici qu'ailleurs.
— Rafraîchissons-nous avant de repartir, je vais devoir réaliser le tour du lac pour les égarés, ne traînons pas.
Sophia s'approche du lac et s'agenouille pour plonger ses mains dans l'eau, mais Leah se jette sur elle en la plaquant au sol. Le sifflement d'un objet métallique passe au-dessus d'elles, les ratant de peu. Ils avaient réussi à camoufler leurs distances, pour pouvoir les attaquer au moment opportun. Le rugissement d'un félin s'approchant à vive allure fait redresser les filles en quatrième vitesse.
— Je vais les retenir, cours aussi vite que tu le peux, je préviens mon frère, presse Leah.
Hésitante, Sophia reste à ses côtés. Elle ne veut pas la laisser les affronter seule, mais la louve en a décidé autrement.
— Cours ! Dépêche-toi ! Ne t'en fais pas pour moi, hurle-t-elle.
— Je...
— Mais tu vas me le bouger ce cul, oui, dégages !
Devant ses insultes, Sophia tourne les talons et se met à courir aussi vite que ses jambes le lui permettent. Ne pouvant pas se métamorphoser en quelconque animal, ni de profiter de la rapidité d'une monture, elle fait appel à la seule source qui peut lui permettre d'accélérer.
— Evy, que peux-tu faire pour m'aider ? Il n'y a pas un sort ou un pouvoir qui pourrait me sortir de là ? demande-t-elle en courant, essoufflée.
Elle ne perçoit aucune réponse de son ami, mais ressent un flux chaud lui traverser les jambes, la rendant soudainement plus légère et lui donnant l'occasion de redoubler sa vitesse.
Le hurlement de la louve la presse dans sa course, et s'amplifie quand l'écho de la réponse de Lukas se fait à peine entendre. Leurs distances les unes des autres s'intensifient, ne permettant à aucun d'eux de pouvoir se secourir en cas de problème, et Sophia comprend tout de suite la stratégie de leurs ennemis, qui les ont séparés pour mieux régner.
La demoiselle gravit plusieurs racines et passe en dessous d'autres pour pouvoir avancer dans la forêt dense. Elle court sans faire d'arrêt, sentant ses poumons lui brûler la cage thoracique et la gorge asséchées par ses essoufflements.
D'abord, imperceptible, mais devenant de plus en plus présent, le martèlement des sabots du destrier de Gan se rapproche de plus en plus de sa cible. Elle regarde en arrière et repère la monture ressemblant à celle des fauconniers, mais arborant un flanc vert, lui foncer dessus. Elle tourne la tête devant et prend un virage serré derrière un arbre pour continuer sa course en déviant sa trajectoire.
Sophia trébuche sur une racine en déviant de nouveau son chemin et s'étale de tout le long, le souffle coupé par le choc. Elle se relève péniblement et se remet à courir. Gan perd patience devant ses nombreux détours, il accélère la cadence de sa monture et dépasse la fugitive en tournant les menottes au-dessus de sa tête.
La demoiselle change de nouveau de cap et esquive de justesse les entraves que lance son assaillant. Elle perçoit le hurlement de Luka qui se rapproche de plus en plus dans sa direction, mais le fauconnier n'a pas dit son dernier mot et grogne en donnant un coup puissant de talons à son destrier.
Evy pitié, je ne contrôle rien, à part quand je suis sous la colère, aide-moi ! Prie-t-elle en son for intérieur.
Déploie tes ailes, répond-il.
— Putain, je ne sais pas comment on fait. Je n'étais jamais consciente quand je le faisais, crache-t-elle.
Je vais t'aider.
Mais il n'a pas le temps d'actionner la manœuvre que Sophia reçoit un violent coup à l'arrière du crâne. Elle s'écroule à terre de douleur, en tentant de ramper pour continuer à fuir. Gan se penche dans la course de sa monture et attrape la demoiselle par le col de sa veste et l'immobilise sur son destrier en lui attachant les mains avec l'invention d'Alex dans son dos. Félix le rejoint en grognant et en reprenant sa forme humaine.
— La louve est en piteux état, ça va les stopper un moment. Ils ne sont plus très loin, annonce-t-il.
Gan plisse les yeux, satisfait de leurs chasses, et donne un ordre à sa monture qui repart au galop. La chaleur de Félix sous sa forme de Félin ferme la course endiablée que subit Sophia avec les à-coups brutaux du destrier dans l'estomac. Elle perçoit au loin un hurlement déchirant, lui engageant une promesse de vengeance.
Leah baigne dans une mare de sang sous le regard de son frère qui hurle sous sa forme la défaite de sa mission et l'état de sa sœur. La tristesse, la rage et la haine se déploient dans le son qui sort en puissance de sa gueule, prévenant quiconque qu'il ne s'arrêtera pas tant qu'il n'aura pas scellé le sort de ses ennemis.
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