25- Sauvetage risqué

Cela fait trois jours que les fauconniers partis en mission ne donnent aucun signe de vie. Astos et Jojo scrutent les cartes du pays pour établir un plan de sauvetage, mais l'incertitude quant à leur point de départ les paralyse. Ils ne quittent presque jamais le bureau pour ne pas alarmer la principale intéressée.

Pendant ce temps, les jumeaux aident Guénaël à maîtriser ses pouvoirs dans une salle dédiée aux métamorphes. Sophia passe la plupart de ses après-midi avec Elias et Jackiel, s'entraînant soit au combat, soit à la méditation pour développer son don de projection. Parallèlement, elle travaille sur le contrôle du pouvoir d'Evy.

— Essaie encore, crache Elias à bout de patience.

La demoiselle ferme les yeux pour la millionième fois, régulant sa respiration, soupirant et expirant en essayant de se vider la tête. Elle se concentre sur un premier objectif : sortir de son corps. Lentement, l'esprit de Sophia se détache de son enveloppe charnelle avec une certaine facilité, fruit de ses nombreux entraînements.

Elias remarque le corps de la jeune femme flotter, puis se reposer doucement sur le sol. Elle ouvre les yeux et s'observe, assise en tailleur, les yeux plissés. Mais le fauconnier ne lui laisse pas de temps avant de lui rappeler son objectif principal :

— Bon, à ce jeu, il n'y a pas de souci. Tu arrives à t'extérioriser. Maintenant, localise Leah et rapporte-moi un de ses cheveux. Tu as cinq minutes avant que je ne te réveille de force.

En levant les yeux au ciel, Sophia se dirige vers la sortie et entreprend de fouiller chaque pièce sans la trouver. Cette caverne est un vrai labyrinthe, et chaque membre ne connaissant pas bien le lieu a dû s'y perdre un nombre incalculable de fois. Sophia emprunte le quatrième couloir et entend une dispute au loin. Elle s'approche discrètement de la porte entrouverte et se glisse à l'intérieur, longeant les murs pour se cacher derrière un paravent.

— Tu crois que c'est une bonne idée de lui cacher ça, crie Leah.

— C'est un ordre de Jojo ! hurle Luka à son tour. Je ne peux pas aller à l'encontre de ses ordres, tu le sais que c'est grâce à lui que nous avons pu survivre après la boucherie qui a eu lieu ici.

— Je ne le sais que trop bien, évidemment. Mais tu as vu de quoi elle est capable quand elle est énervée. Et, là, vous nous demandez de lui cacher pourquoi Bastos et les deux autres ne sont pas revenus, et pourquoi tous l'évitent comme la peste ?

Sophia les observe, choquée par ce qu'elle entend. Elle regarde Evy, mais celui-ci réagit rarement lorsqu'elle est en projection. Leah s'approche de son frère qui tente de partir :

— Luka, regarde-moi ? demande-t-elle doucement.

Le loup tient la poignée avec force, tremblant de colère de cette situation. Sa sœur s'approche et pose une main sur son épaule :

— Luka, s'il te plaît ! Tu sais que je ne la porte pas dans mon cœur, mais toi, tu l'apprécies énormément, je le sais. Tu ne réagis pas de la même façon quand elle est proche de toi, et je commence à l'accepter, souffle-t-elle. Mais ne fais pas ça, s'il te plaît. Tu as bien vu qu'entre eux il y a un lien qui date depuis bien plus longtemps que vous deux. Si vous lui cachez que le groupe a disparu, et qu'elle remarque que le destrier de Draguir est revenu sans son maître, elle va péter une durite, c'est certain. Et, je ne donne pas cher de votre peau.

Voyant les minutes s'écouler, Elias fait un signe de tête à Jackiel qui commence à frotter avec force le bras de Sophia. Elle reçoit instantanément l'appel, le regard perdu à cause de la révélation de Leah. Rapidement, elle reprend ses esprits, tourne la tête vers la commode et attrape la brosse avant de revenir dans son corps. Elias lui tient les épaules, blanc comme un linge :

— Tu en as mis du temps, clame-t-il la voix grave, il ne faut pas s'amuser avec ce pouvoir. Je te l'ai pourtant répété des centaines de fois.

Le regard de la jeune femme se dévoile, cachant sa colère. Elle se lève, attrape son poignet avec force et dépose une touffe de cheveux blancs arrachés de la brosse dans sa main. Les dents serrées, elle répond :

— Je sais !

— Je n'en ai pas l'impression, non ! Quand tu fais de la projection pendant que tu dors, ça va, car ton corps est au repos. Mais quand tu concentres ton pouvoir, c'est autre chose, tu t'exposes au danger et tu peux rester en esprit. Et, tu peux me regarder quand je te parle ? s'égosille-t-il dans son dos. 

Jackiel regarde en biais Sophia alors qu'elle le dépasse. Il se dirige vers son ami, pose une main en haut de son dos et applique son pouvoir. Les deux échangent un regard entendu. Sophia trace son chemin en repensant à la conversation, sentant son cœur se serrer dès qu'elle pense à Draguir. Machinalement, elle a adopté son comportement froid.

Guénaël croise la jeune femme qui sort de la salle d'entraînement et détourne la tête pour ne pas croiser son regard. Il sait au fond de lui qu'il aurait dû venir lui en parler dès qu'il a appris la disparition des fauconniers en même temps que les autres, mais comme la plupart, il craint une réaction démesurée. Il l'observe s'asseoir au bord du bassin avant de rejoindre Elias et Jackiel pour sa séance. Sophia regarde au fond de l'eau, mais ne repère rien, tandis qu'Evy la tanne depuis des jours.

— Ça va ? sollicite une voix dans son dos.

Sophia se retourne et découvre Leah se dandinant d'un pied à l'autre. D'un faible hochement de tête, elle reporte son regard et le perd dans la contemplation de l'eau. Elle sent la louve s'asseoir à ses côtés, mais n'y prête pas attention. Depuis qu'elle vient ici pour fouiller le fond du bassin du regard, chacun de ses compagnons apparaît peu de temps après pour la surveiller. Et ses entraînements intensifs avec Elias ne lui ont pas permis d'aller rendre visite à son grand-père, ce qui l'énerve. Leah interrompt les pensées de Sophia en demandant avec espoir :

— Alors, as-tu réussi ton entraînement ?

— Plus ou moins, en quoi cela peut t'intéresser.

— Toujours aussi sociable.

— Tu peux parler, soupire Sophia.

Leah baisse la tête. Elle peine à refaire confiance en la jeune femme, assise, la mine sombre à côté d'elle.

— Je suis désolée, avoue Leah.

Sophia relève brusquement la tête pour la regarder, étonnée par ce qu'elle vient de dire. Leurs relations étaient jusqu'à présent restées tendues, et elle est surprise qu'elle vienne lui parler après ce qu'elle a entendu dans sa chambre. Leah fixe un point invisible devant elle et explique :

— Je sais qu'entre nous, ce n'est pas l'amour fou. Même si je t'ai fait penser le contraire au début. Mais j'estime que certaines choses, doivent être dites. Elias pense comme moi d'ailleurs, sinon il ne t'aurait jamais demandé de prendre des cheveux m'appartenant.

— Attends, tu savais que j'allais venir dans ta chambre ? demande Sophia, confuse.

Elle hoche la tête et pose une main sur la cuisse de la demoiselle :

— J'attendais le bon moment. C'est Jackiel qui a fait le lien entre Elias et moi. Je suis vraiment désolée, sincèrement. Je sais que tu ne contrôlais pas ton pouvoir de blocage pendant que tu m'as attaquée et je t'en ai énormément voulu pour ça. Cela a entraîné un grand manque de confiance en moi. Mais grâce à Elias, je l'ai retrouvée et je peux de nouveau gambader. Et puis...

La louve ancre son regard dans celui de la jeune femme. Un sourire délicat se dessine sur son visage quant elle prononce sa phrase dans un chuchotement :

— J'ai une dette envers ton fauconnier.

— Ce n'est pas mon fauconnier... peste Sophia.

— Tutute, ne me l'a fait pas à l'envers ! Mon frère est peut-être un jaloux possessif notoire. Mais à moi, on ne me l'a fait pas.

Sophia rigole devant son air de maîtresse d'école et comprend que l'abcès est en train de se percer. Un nouveau départ renaît entre les deux filles. Elle va pour se lever, mais Leah presse sa main sur sa cuisse.

— J'espère que nous pourrons devenir de bonnes amies, finit-elle par dire en exerçant de nouvelles pressions sur sa jambe.

Sophia pose sa main sur celle de Leah, qui la retire hâtivement. La demoiselle comprend immédiatement, en sentant un morceau de papier sous sa peau, l'insistance de Leah. Elle commençait à se poser des questions sur ses intentions.

La louve se lève après un regard soutenu, et trotte gracieusement vers la salle d'entraînement où Elias l'attend, l'épaule appuyée contre l'encadrement. Il lance un clin d'œil à la demoiselle avant de s'éclipser dans la pièce.

Les malins, ils dissimulent bien leurs jeux ces trois-là, pense Sophia.

Sophia se rend compte que le groupe s'est scindé en deux : ceux qui pensent la protéger en la gardant dans l'ignorance et ceux qui estiment qu'elle est assez résistante pour se débrouiller par elle-même. Elle se lève, serrant le papier dans son poing, et se dirige vers sa chambre. Dans le couloir, elle croise Luka, remonté comme une pendule.

— Quelque chose ne va pas ? s'inquiète-t-elle sincèrement.

— Oh non, ne t'en fait pas. J'ai eu une dispute avec ma sœur tout à l'heure, rien de bien méchant, explique-t-il en haussant les épaules.

— Tu sais, j'ai souvent des disputes avec ma grande sœur, mais on finit toujours par se réconcilier autour d'une blague ou d'un gâteau. Apporte-lui un truc qui lui fera plaisir et le tour est joué..

Elle sourit, tandis que Luka la regarde méfiant.

— T'es-tu pris un coup sur la tête pendant ton entraînement ou tu apprécies d'un coup ma sœur ?

— Je t'apportais simplement un conseil de mon vécu entre fratries. Cependant, si tu le prends comme ça, je vais aller dans ma chambre et je ne te dirais plus rien.

La voyant faire demi-tour, l'air contrarié, Luka se saisit de son bras et la retourne. Surprise, Sophia manque de lâcher le papier de peu.

— Excuse-moi, je suis un peu tendu.

Elle penche la tête, feignant de ne rien comprendre,mais il la prend brusquement dans ses bras en la serrant fort. Ses muscles sont tendus par toute la tension ambiante. Il s'éloigne ensuite et dépose un baiser sur le front de la demoiselle.

— Merci du conseil, sourit-il, je vais aller manger un morceau, tu veux venir ?

— Non merci, ça ira, je n'ai pas trop faim. Je suis surtout épuisé de mon entraînement du jour, j'allais me reposer.

Elle feint de bâiller pour prouver ses dires.

— Très bien, repose-toi bien.

Il s'éloigne dans le couloir sous le regard contrarié de la demoiselle. Il ose encore lui mentir, droit dans les yeux, et elle garde cette trahison bien au chaud dans un coin de sa tête. De retour dans sa chambre, elle verrouille rapidement la porte derrière elle. Sans perdre une seconde, elle déplie le papier et lit attentivement son contenu.

"Deux jours. Destrier dans l'écurie. Projection. Lien."

Elle fronce les sourcils en comprenant que les trois premiers mots signifient que le groupe mené par Bastos a disparu depuis deux jours. Tous l'ont réalisé lorsque le destrier de Draguir est revenu. Elle rassemble les pièces du puzzle : pour ne pas l'informer, ils ont caché la créature dans l'écurie. La suite du message explique qu'elle doit faire une projection, ce qui justifie les entraînements intensifs des dernières heures. Cependant, le mot « lien » reste un mystère pour elle.

Comme une ampoule s'allumant dans son esprit, elle se dirige vers son sac, fouille à l'intérieur et trouve la pile fabriquée par Draguir, contenant le liquide orange. Sophia comprend immédiatement que le lien mentionné sur le papier, ainsi que celui dont Leah a parlé, concerne la connexion qu'elle entretient avec le fauconnier. La demoiselle retrousse sa manche et frotte le dos du dragon, une idée lui effleurant l'esprit.

— Evy réveille-toi, j'ai un marché à te proposer.

Evy redresse la tête en feignant en bâillement, et fait apparaître ses lettres :

" T'es-tu enfin décidé à plonger ?"

— Presque.

Écarquillant ses yeux émeraude de surprise, il écoute attentivement sa maîtresse :

— Comme tu as dû assister aux événements, le groupe de Bastos est porté disparu et je souhaite les retrouver.

Elle observe un instant une quelconque réaction, mais le dragon ne laisse rien transparaître. Elle décide donc de lâcher d'une traite :

— Si tu me prêtes de ta force sur une projection, je pourrais renforcer le lien que j'ai avec Draguir ! Et, dès mon retour, je te jure que je pique une tête dans le bassin.

" C'est hors de question. "

Scotchée, la réponse d'Evy est sans appel. Lui qui attend depuis des jours cette occasion, il refuse sa proposition.

— Mais pourquoi ?

"D'une, je t'ai dit que ce Draguir est dangereux et apparemment, tu ne le vois pas ! Et, de deux, je ne peux renforcer un lien qui existe déjà depuis des années. "

— J'ai loupé un épisode ou quoi ? Comment ça existe depuis des années ?

Mais Evy refuse d'en dire plus en secouant la tête .

— Très bien, si tu ne veux pas m'aider, à ce moment-là, je me débrouillerai toute seule.

"J'interviendrai uniquement en cas de besoin. Aie confiance en toi et à l'entraînement fait avec Elias. "

— Merci, grogne-t-elle.

Sophia s'assoit en tailleur sur son lit, ferme les yeux et serre fermement la pile dans sa main. Elle visualise le fauconnier dans son esprit, se concentrant avec intensité. Elle imagine sa silhouette, son regard perçant, sa force, son sourire en coin, et sa froideur...

Une légère brise souffle dans sa nuque. En ouvrant les yeux, elle réalise que cela a fonctionné, mais elle se trouve dans un endroit inconnu. Devant elle, une grotte blanche abrite des sapins noirs géants. Plusieurs entrées, barricadées par des pics de glace qui montent et descendent, empêchent toute intrusion ou sortie. À travers ces barrières, elle aperçoit un garçon, la tête en sang et les bras attachés au-dessus de lui. Lorsqu'il lève la tête, il écarquille les yeux de frayeur en voyant Sophia. Elle se couvre la bouche de sa main et court vers lui, traversant la barrière, puis s'agenouille à ses côtés.

— Que fais-tu ici, chuchote-t-il paniqué.

— Je viens d'apprendre que vous étiez porté disparu depuis deux jours, suite au retour de ton destrier, répond-elle en lui attrapant le visage. J'ai eu si peur, mue-t-elle dans un sanglot.

Sophia ne parvient pas à retenir les larmes qui roulent sur ses joues. Elle se redresse et examine les liens qui l'entravent. Elle commence à les défaire, tandis que Draguir s'impatiente de retrouver sa liberté. Ses bras tombent lourdement lorsque le dernier cran cède, lui permettant de se masser les poignets.

— Merci, lâche-t-il dans un souffle.

Il relève la tête et la fusille de son regard le plus noir :

— Tu n'aurais en aucun cas dû venir ici, c'est dangereux !

Elle reçoit sa tirade comme une gifle et rétorque :

— Il le fallait ! peste-t-elle en posant ses mains sur les hanches. C'est Leah qui m'en a informé indirectement, les autres ne voulaient pas que je le sache.

Draguir plisse les yeux devant ses dires. Il écoute attentivement le bref récit que Sophia conte en l'aidant à se relever.

— Je vois, certains craignent ton pouvoir, prononce-t-il tout en réfléchissant. Mais, je le répète, tu n'aurais vraiment pas dû venir me rejoindre.

Elle le repousse et croise les bras devant son entêtement. À son tour, elle le fusille du regard, prête à l'entendre se moquer d'elle à nouveau ou de l'incendier. Mais au lieu de cela, il l'attire brusquement vers lui et l'embrasse avec passion. Son cœur s'emballe en sentant ses lèvres chaudes sur les siennes.

— Je suis quand même heureux de te revoir et de savoir qu'elles ne t'ont pas repérée.

— Elles ?

— Je t'expliquerai, grâce à ta présence, j'ai une pêche d'enfer. Allez, on va chercher les deux autres et on rentre.

Draguir brise les barreaux de sa prison et se dirige vers la cellule voisine, répétant l'opération pour libérer Gabriel.

— Mais t'es taré ma parole, qu'est-ce qu'il te prend, grogne celui-ci.

— Ferme là, et dis-moi si elles sont dans le coin.

— Non, elles sont parties en chasse, mais que...

Gabriel écarquille les yeux en découvrant Sophia qui sort de l'ombre de son collègue.

— Putain, mais tu fous quoi ici ?

— Plus tard, les questions grincheux, rétorque-t-elle sèchement, Bastos est à côté ?

— Oui, mais il est sonné, répond Gabriel, et ne m'appelle pas grincheux.

— Ok, je me charge de lui, ajoute Draguir, tu sais si son destrier est toujours là ?

— Affirmatif ! Je les ai entendus dire qu'elle voulait le manger ce soir, il est enfermé plus loin.

Draguir défonce les barreaux de Bastos, défait ses liens et, avec une force mystérieuse, soulève le géant sur son épaule. Gabriel, soutenu par la demoiselle, peste, furieux.

Ils arrivent devant une cellule plus grande où le destrier s'agite, frappant le sol avec frénésie. Draguir dépose Bastos et entreprend de libérer la créature. Il effleure son front et murmure à son oreille pour le calmer. Après quelques minutes, la bête retrouve son calme.

— C'est bon, Gabriel, tu peux monter sur lui. Prends Bastos avec toi, il va vous ramener au quartier général en un rien de temps.

— Et toi ? Tu ne vas pas rester là tout de même ? s'enquiert Gabriel.

— T'inquiètes pas pour moi, je renvoie la demoiselle dans son corps et je vous rejoins là-bas.

— Je peux me débrouiller sans toi, tu sais, rétorque-t-elle sûr d'elle.

Draguir la regarde et sourit :

— Je n'en doute pas. Allez Gab, file d'ici avant qu'elles ne reviennent.

Grincheux hoche la tête, installe Bastos à l'avant, puis monte. D'un coup de talon, il indique l'urgence au destrier, qui s'élance en un éclair. Draguir attrape la main de Sophia et s'engage dans un escalier taillé dans la glace pour prendre de la hauteur.

Arrivés au sommet d'une montagne, le vent glacial leur fouette le visage, rendant leur respiration difficile à cause de l'altitude. Le fauconnier se penche au-dessus du vide et désigne deux silhouettes du doigt. La première, se détachant de la lisière, passe une main dans sa chevelure noire ébène qui ondule au gré du vent. La seconde, ses cheveux argentés plaqués sur son dos. Elles s'arrêtent, sentant un changement dans leurs plans, et lèvent en synchronisation leurs regards vers le sommet du pic glacé.

Draguir tire Sophia d'un coup, et lui indique de ne rien dire en posant un doigt sur sa bouche.

— Je vais te renvoyer, murmure-t-il.

— Non, je t'accompagne jusqu'à ce que tu sois à l'abri.

— Oh, mais quelle tête de...

Il n'a pas le temps d'achever sa phrase qu'un orage éclate, provoquant une vive douleur dans le bras de Sophia. Le tonnerre puissant lui arrache un hurlement, la forçant à se plier en deux. Draguir se précipite vers elle et la presse avec urgence :

— Elles t'ont repérée. On a plus le temps d'en discuter, je te renvoie immédiatement !

Il plaque sa main sur la poitrine de Sophia, mais rien ne se produit. Intrigué par l'inefficacité de son pouvoir, il réessaie sans succès.

Un éclair frappe le sommet de la montagne, obligeant les jeunes à se protéger les yeux, éblouis par la lumière intense. La femme aux cheveux argentés apparaît devant eux, portant une robe moulante qui dévoile la naissance de ses cuisses. Une goutte révèle son décolleté, orné d'un col roulé. Au-dessus de sa poitrine, un pendentif en forme de tornade brille. Ses yeux sombres et métalliques glacent le sang de Sophia. D'une démarche aguicheuse, elle s'approche du couple, un sourire malsain peint sur son visage gris perle.

— En voilà une surprise, rie-t-elle d'une voix cinglante.

Sophia ressent un million de frissons lui parcourir le corps à l'intonation de sa voix. Elle sent Evy s'agiter sur son bras bouillant, et tente un rapide coup d'œil dessus.

"Laisse-toi faire, je vais prendre possession de toi ! Tu ne dois pas rester ici et dis à ton ami de te tenir le bras. "

— J'en connais une qui va être contente de te voir, ajoute-t-elle sur sa lancée en pointant Sophia du doigt. Elle a tant envie de faire la connaissance de celle qui s'est éprise de son fils.

Draguir devient livide aux paroles de la déesse, le sang quittant ses joues. Sophia fronce les sourcils, se demandant de quoi elle parle. Une chaleur, concentrée principalement dans son bras, se propage dans tout son corps. Elle n'a pas le temps de transmettre le message à au fauconnier et lui serre fermement la main avant de laisser le dragon prendre le contrôle. Son corps se redresse, la tête haute, faisant face à la femme qui la regarde avec dédain.

— Tu crois que tu peux m'affronter, jeune effrontée. Tu ne vaux rien face à ma puissance.

La déesse élève ses bras au-dessus de sa tête, faisant déchirer le ciel d'éclair. Or, Evy se fond de plus en plus dans le corps de Sophia, surprenant la déesse.

— Mais que ?

Draguir remarque également le changement et hurle le nom de sa sauvageonne, mais il est déjà trop tard. Les yeux fermés, son corps se transforme en braise. Les écailles se propagent tandis que la puissance monte en flèche. Elle ressent la présence de cet esprit puissant qui s'installe, transmettant ses paroles par télépathie :

"Je vais seulement libérer une infime parcelle de mon pouvoir. Accroche-toi, l'atterrissage va être violent, et honore ta promesse à ton réveil."

Sophia sourit et lui murmure son accord :

— Vas-y, je suis prête.

— Sophia, non, arrête !

Draguir est choqué de rencontrer le regard vide de Sophia. Il fronce les sourcils en cherchant à savoir qui possède son corps et son esprit. Evy tente de le rassurer :

— Ne t'inquiète pas, mon ange, Sophia est en sécurité. Cramponne-toi bien à elle, car c'est pour elle que je te sauve.

Les yeux du fauconnier virent au noir instantanément. Il devine de suite que ce n'est pas Sophia qui parle à l'intonation du timbre bestiale de la voix.

— Tu ne vas pas t'en tirer encore une fois, jeune fille, hurle la femme à quelques mètres.

— Ça, vieille peau, c'est toi qui le dis, pas moi, rétorque Evy en se tournant vers elle.

La déesse envoie un flot d'éclairs sur Sophia qui stoppe l'attaque avec sa main.

— Une simple caresse sur mes écailles, pitoyable. Et, ça se dit déesse, pff.

Sophia est toujours présente avec Evy et est stupéfaite d'apprendre l'identité de la femme, mais surtout du fait qu'Evy n'a pas peur de l'affronter. Enragée par la remarque du dragon, la femme tente une nouvelle attaque, mais Evy la balaie d'un geste, la propulsant dans les airs. Son poing se ferme, puis s'ouvre et s'aplatit sur le sol, projetant des racines qui jaillissent de la glace, attrapant et immobilisant la déesse dans leur étreinte.

« Allons-y, ton corps commence à faiblir », s'inquiète Evy.

Sophia ne répond pas, excitée par ce que son bijou a fait à la déesse. Elle a envie de découvrir les autres talents encore cachés, mais Evy l'en empêche. Une lumière vert doré enveloppe son corps, et elle sent sa main perdre le contact avec Draguir. Elle tente de le retenir, mais le dragon les propulse dans les airs.

"Alors comme ça, tu voles aussi. Suis-moi ! "

Sophia se sent soudain très faible et entend à peine la phrase prononcée par Evy, dont elle ne comprend pas le sens. Un choc électrise son corps, ramenant son esprit dans son enveloppe.

Le sang de tous se glace en entendant un hurlement sinistre se propager dans la caverne, suivi d'un silence pesant.



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