21- Evy
Un morceau de bois cogne contre une pierre avec le mouvement des vagues. Seul ce bruit brise le silence régnant sur la rive de Blasqueen. Sophia se réveille en entendant l'écho des vaguelettes, reprenant peu à peu conscience des derniers événements. Sa main tâtonne une texture poudreuse et froide alors qu'elle est allongée sur le côté. Elle tente de se redresser, grimaçant à chaque mouvement tandis que les courbatures lui irradient le corps. Elle parvient à s'asseoir, découvrant le paysage qui s'offre à elle et frissonnant face à sa beauté glaciale.
Les vagues de la mer Azura glissent sur le rivage enneigé, dévoilant des débris du bateau échoués sur le sol. Une falaise de glace aride se dresse derrière elle, s'élevant sur plusieurs mètres et abritant une forêt de pins croulant sous le poids de la neige.
Ne portant qu'un débardeur, un jean et ayant les pieds nus, Sophia se redresse en grelottant, portant ses bras à ses épaules pour tenter de se réchauffer.
— Eh oh ? Il y a quelqu'un ? cri-t-elle assez fort pour qu'une personne l'entende.
Seul le vent se levant lui répond. Elle se retourne et scrute de nouveau l'horizon de la mer, mais rien n'apparaît. Ses cheveux humides commencent à se solidifier sous l'effet de la température glaciale. Elle longe la rive, ramassant de petits morceaux de bois du navire au cas où ils lui seraient utiles, lorsqu'elle aperçoit un sac flottant plus loin. Sophia se précipite et découvre que c'est le sien. Elle ne prend pas le temps de fouiller à l'intérieur, car le jour décline rapidement, entraînant avec lui une baisse des températures déjà négatives.
Sophia se rapproche des parois de la falaise, marchant pieds nus dans la neige à l'abri du vent. Claquant des dents, elle longe le mur escarpé. Au bout de ce qui lui semble des heures, elle se retourne et n'aperçoit presque plus la rive. Ce mouvement lui fauche les jambes et elle tombe sur les genoux, découvrant avec frayeur l'état de ses pieds et mains, rougis par le froid. Ses muscles se raidissent sous le vent tandis qu'elle tente de continuer son chemin, trébuchant encore et encore.
— Pff, tu m'as encore battue, proteste-t-elle.
— Comment veux-tu me battre si tu n'appliques pas ce que je t'ai enseigné, rit-il. Allez encore une fois.
Un souvenir remonte à la surface dans ce moment de faiblesse. Une partie d'échecs qu'elle avait eue avec son père.
— Persévère ! encourage-t-il.
— Quoi ?
— Même si tu ne fais que perdre. Même si tu es fatigué et que tu n'en peux plus. Persévère ! Si tu te dis que tu n'y arriveras pas, tu n'y arriveras jamais. C'est toi qui décides, pas les autres, pas ton corps, mais toi. C'est ton mental qui doit mener la danse.
Sophia l'écoutait donner cette leçon de vie qu'elle trouvait inutile, tout en déplaçant les pièces sur les cases de couleurs.
— Si un jour, tu te retrouves dans la panade, garde à l'esprit que c'est toi qui décides. Tu es robuste. Chacun de nous est fort. Il te suffit de trouver ce qui te fera avancer. Et, pour finir...
Il hausse un sourcil, ancrant son regard bleu sur elle avec ses lunettes lui tombant sur le nez.
— Échec et math !
Sophia avait fulminé après cette énième défaite. De mémoire, elle ne semble jamais avoir gagné une partie contre lui. Mais ses paroles, résonnant chaudement dans son esprit, la convainquent de se relever et d'avancer de nouveau, ignorant la complainte de ses membres qui la supplient de s'arrêter. Ses pieds s'enfoncent lourdement dans la neige, craquant dans un bruit cotonneux à chaque pas.
La nuit est complètement tombée, révélant une multitude d'étoiles dans le ciel, mais confondant les astres tant vus de renom sur terre. De la buée s'échappe de ses lèvres gercées, et après avoir encore bien progressé, elle s'écroule dans la neige, les jambes paralysées par le froid mordant. Dans un dernier effort, elle utilise une planche pour creuser un trou, criant en serrant les dents à chaque mouvement douloureux.
Une fois la tâche accomplie, elle se glisse à l'intérieur, frigorifiée par la tempête qui commence à se lever. En sortant ses affaires de son sac, elle découvre que rien n'est récupérable : son baladeur dégouline, son carnet est gelé et ses vêtements ont durci entre l'humidité et le gel. Elle cale son sac dans son dos pour s'en servir de coussin et se blottit dessus, sentant la fatigue la gagner à grands pas.
Sophia s'imagine sirotant un soda sur les plages des Caraïbes pour se réchauffer, même si ce n'est qu'une illusion. Son esprit divague vers un bon feu de camp, une tasse fumante de chocolat chaud entre les mains, et elle s'endort sur cette dernière pensée, frigorifiée et seule dans ce pays aride.
* * *
Une silhouette imposante découvre le corps de Sophia, à moitié enseveli sous la neige. Il la dégage et la place sur son dos avant d'entamer une course contre la montre.
Arrivé à l'entrée de la grotte, une paire d'oreilles se dresse vers le plafond en apercevant la découverte du loup. Tous deux déplacent son corps près du feu que le jeune chat allume avec son pelage, puis s'affairent à retirer les vêtements gelés de Sophia avant de la couvrir et de laisser son corps se réchauffer.
Le lapin pose sa patte sur le front de la jeune femme pour estimer sa température, mais perçoit du mouvement. À demi consciente, Sophia sent son corps se réchauffer, mais la lutte pour se réveiller est perdue d'avance. Elle ne reconnaît pas les silhouettes encapuchonnées qui veillent sur elle. Elle ferme de nouveau les yeux, laissant le sommeil la bercer dans une chaleur réconfortante.
* * *
Sophia émerge de son long sommeil, mais ne reconnaît ni le trou de neige ni la caverne qu'elle tentait de découvrir plus tôt. Au contraire, elle est emmitouflée dans une couette et découvre avec stupéfaction une chambre à la tapisserie démodée, ornée de grosses fleurs aux couleurs fanées, avec des teintes de jaune, d'orange et de blanc sur un fond brun marron. Une lampe sur la commode en bois vernis tamise la pièce avec un abat-jour vert bouteille et jaune moutarde.
Les rayons de la lune filtrent à travers les rideaux à carreaux. Sophia se lève et écarte le pan du tissu, observant l'extérieur. Une cour s'étend sous son regard avec un vieil hangar abritant un tracteur rouillé. À sa gauche, un champ de blé doré longe une immense forêt.
Sortant de la chambre avec une sensation de légèreté, Sophia découvre une nouvelle pièce de vie à la décoration champêtre. Deux vieux canapés en cuir marron se font face, encadrant une cheminée, avec une petite table basse entre eux. Un coin cuisine, équipé d'une gazinière, d'un évier et d'un placard, occupe l'angle de la pièce, avec une table et deux chaises disposées autour.
L'impression de ne plus être à Imaginarium se fait de plus en plus ressentir. Cette sensation se confirme lorsque la porte d'entrée s'ouvre sur une silhouette imposante portant un panier rempli de bûches.
— Papy ? demande-t-elle incertaine.
L'homme redresse la tête et la regarde surprit avant d'interroger à son tour :
— Sophia ?
Elle se met à courir vers lui et se jette dans ses bras, accueillant l'affection chaleureuse de son grand-père. Jean n'en revient pas de revoir sa petite-fille si vite et de pouvoir la réconforter après ses aventures. Il comprend qu'elle doit traverser une période difficile lorsqu'il sent son corps trembler dans un sanglot.
Jean porte Sophia jusqu'au canapé et l'installe avant de la couvrir d'un plaid. S'essuyant les yeux, elle regarde son aîné préparer une mixture dans la cuisine. Elle a l'impression de l'avoir quitté depuis bien trop longtemps. Après avoir versé le lait chaud dans les tasses et ravivé les flammes de la cheminée, Papy Jean dépose deux tasses fumantes de chocolat chaud.
— Je suis ravi de te revoir. As-tu emprunté un portail pour revenir ? Comment as-tu retrouvé la maison ? s'empresse-t-il de demander.
— Je ne sais pas comment je suis revenu. Il ne me semble pas avoir franchi de portail, car celui que j'avais emprunté à la cave s'est refermé directement derrière moi, répond-elle en réfléchissant avant d'ajouter peu sur d'elle, il me semble... mais je doute... que je sois en projection astrale.
Sophia marque un temps d'arrêt afin d'assimiler cette capacité dont elle prend de plus en plus conscience.
— Oh, grand-père, tu m'as tellement manqué, renifle-t-elle ensuite. Où sommes-nous, quel est cet endroit ?
— Tu es dans ma résidence secondaire. Je te l'avais expliqué avant ton départ. Tu sais pour prendre un grand bol d'air hors de la ville. C'est une modeste chaumière en lisière de forêt, un peu coupée du monde. J'aime y passer du temps pour me détendre.
— C'est un peu vieillot, mais chaleureux. Cela ne ressemble en rien à l'endroit où je me suis endormie, déclare-t-elle avec un sourire fade.
Jean inspecte sa petite fille songeur. Une multitude de questions se bousculent dans son esprit, ce qu'il s'empresse de poser :
— Dis-moi ce qu'il s'est passé ? as-tu rencontré de nouvelles personnes ? Tu en as plus découvert sur ton bracelet ou d'éventuels dons ? Avez-vous désamorcé la menace ? Il a dû se passer déjà plusieurs années depuis que tu es partie...
— Des années ? s'exclame Sophia en le coupant. Pas du tout. Si mon calcul est exact, cela doit faire un peu plus d'une semaine et demie que je suis là-bas, et effectivement, rares sont les moments où je souffle.
Sophia entreprend de faire un résumé plus ou moins détaillé à son grand-père. Les heures s'écoulent au rythme des tasses qui se vident. Jean se lève pour replacer une bûche dans la cheminée, songeant à tout ce que sa petite-fille traverse, et ce sans pouvoir l'accompagner.
— Que d'aventure effectivement, et tout cela me semble extrêmement dangereux, énonce-t-il la mine sombre.
— Tu savais que je faisais de la projection astrale ? Pourquoi ne pas m'en avoir parlé plus tôt ?
— Tu m'aurais cru ?
Sophia comprend que croire à certaines choses et les vivres sont deux états d'esprit différents.
— Ça fait combien de jours que tu es ici papy ?
— Je suis ici depuis seulement deux heures. Je venais à peine de finir de décharger mes valises et de chercher du bois quand tu es arrivée, rit-il devant la question de Sophia.
— Je suis partie seulement qu'hier ?
— Non, j'ai quitté la maison une journée plus tôt, il est hum, déjà trois heures du matin, ça fait dix heures que tu es partie.
— Seulement dix heures ? J'ai l'impression d'y être depuis des années, s'étonne-t-elle.
— C'est ça qui me chiffonne. Il aurait dû se passer des années et pas une semaine et demie comme tu me l'as dit plus tôt. Le temps a l'air de ralentir à Imaginarium et si tu retrouves Jojo, il faudra l'en informer.
L'avertissement donné par papy Jean inquiète Sophia. Mais elle n'a pas le temps d'y songer plus longtemps avec lui, que son corps commence à scintiller.
— Que t'arrive-t-il ? demande papy, inquiet de ce phénomène.
— Je ne sais pas. Généralement quand je fais de la projection, on me sort de force. Peut-être que je commence à me réveiller.
— Vient là ma puce, je veux un dernier câlin avant que tu t'en ailles.
Sophia se précipite vers lui en voyant son corps disparaître, accueillant une dernière fois son étreinte et d'un murmure lui dit :
— À bientôt papy.
— À bientôt ma grande.
Une larme roule sur la joue de la demoiselle alors qu'elle sent son corps tomber en avant, son grand-père et tout le décor l'entourant s'effaçant dans un nuage sombre. Chaque détail est gommé de sa vision, remplaçant petit à petit les meubles et la chaleur enivrante de ce lieu par des parois rocheuses où des roches s'élèvent vers le plafond.
Près d'un petit feu de camp, l'enveloppe corporelle de la demoiselle se soulève au rythme de ses respirations, recouverte seulement d'une couverture rêche. Sophia découvre, en plissant les yeux, qu'elle est nue comme un ver.
Oh my god ! Qui a osé faire ça ?
Elle s'approche lentement, remarquant les larmes qui se tarissent au coin des yeux de son corps. Sophia pose délicatement sa main sur l'épaule de son enveloppe, et se sent tout à coup absorbée à l'intérieur dans un cri de stupeur, retrouvant peu à peu les sensations et le poids de son vrai corps.
* * *
Des gouttes résonnent en tombant de la roche, brisant la sérénité de l'endroit. Le feu crépite, léchant les braises rougeoyantes posées sur un lit de cendre, éclairant faiblement la grotte. Sophia s'est assise, se couvrant les épaules et le corps avec la couverture. Elle relève ses genoux près de sa poitrine et pose son menton dessus, se demandant par quel miracle elle a été sauvée de la neige et surtout comment elle a échappé à la noyade.
Dans un soupir, elle observe les écailles qui se sont de nouveau répandues sur son poignet. Elle trace les lignes des reliefs, jusqu'à frôler le corps du bracelet et terminer par la tête du dragon.
Un phénomène étrange se produit alors que Sophia termine son inspection. Le corps du dragon s'allonge sur son poignet et s'étire en hauteur pour faire face à la demoiselle. Elle observe, louchant, la tête du bijou se secouer avant d'ouvrir ses yeux émeraude incrustés de points dorés qui la fixent. Sans se laisser surprendre, Sophia continue de grattouiller la tête du bijou, qui ronronne sous ses doigts. Elle remarque une fissure sur chaque flanc du dragon et se dit à voix haute :
— Ne me dis pas que je t'ai déjà cassé ?
Ne s'attendant pas à ce que le bijou lui réponde, elle ferme les yeux en soupirant d'exaspération :
— C'est bien, à présent, je parle toute seule à un objet vivant. Je tombe bien bas !
Contre toute attente, le dragon réagit à ses paroles et porte son regard vert émeraude sur ses entailles. Il se met à gesticuler, pointant sa gueule vers le ciel, et laisse apparaître une paire d'ailes argentées qui se déploient à la place des fissures.
Bouche bée, Sophia relève son bras à hauteur de ses yeux. Les détails sont plus frappants lorsqu'elle observe l'ossature argentée de ses articulations, tandis que les membranes sont noires striées de vert fluo luisant dans la pénombre.
Elle baisse légèrement son bras pour se mettre à hauteur de la tête du dragon. Sophia ne sait pas comment elle a réussi à se faire comprendre. Avec tous les événements récents, elle n'a pas eu le temps de réfléchir à comment elle a réussi l'exploit de se sortir de la noyade. Elle tente alors de questionner le bijou, se disant qu'elle est folle jusqu'au bout :
— C'est toi qui m'as sortie de l'eau ?
Le dragon hoche la tête. Surprise de se faire comprendre, elle enchaîne sur d'autres questions, devenant ridicule à la fin :
— Comment as-tu fait ? Et, tu m'as sauvé de la neige aussi ? Ne me dis pas que c'est toi qui m'as déshabillé ?
D'exaspération, le dragon secoue la tête. Sophia soupire, frustrée de ne pas savoir comment communiquer avec lui s'il ne peut pas parler. Le bijou s'entortille autour de sa main et allonge de plus en plus son corps pour approcher sa gueule du visage de Sophia. D'un regard, il sollicite son consentement, que celle-ci lui accorde sans savoir ce qui va advenir.
Les yeux émeraude de la bête luisent intensément lorsqu'il pose son front contre celui de Sophia. La jeune femme ferme les yeux, sentant la fraîcheur du bijou au contact de sa peau avant d'être irradiée par une chaleur familière. Des flashs apparaissent dans son esprit, montrant le déluge qui a submergé le navire, ainsi que sa descente dans les profondeurs des abysses de la mer Azura. Un frisson la parcourt en revivant ce qui aurait pu être sa fin, mais elle se concentre sur un point argenté qui se tortille sous les liens la bloquant à la chaise.
Profitant de l'inconscience de Sophia, le dragon s'était agité en claquant de la mâchoire pour couper la corde. Celle-ci était résistante, mais il y est parvenu en embrasant son corps afin de brûler les derniers filaments. Son corps ondulant sous des flammes dorées et verdoyantes dégageait une telle puissance que la chaise n'a pas pu résister, mais il protégea le corps de la jeune femme. Déployant ses ailes, il s'enroula autour de son hôte pour la maintenir, puis il décolla dans une intense lumière, perçant les eaux et les nuages avant de disparaître dans le ciel, laissant une traînée aveuglante derrière lui, prenant la forme d'un majestueux dragon.
Sophia ouvre les yeux et observe la créature devant elle. Elle a survécu grâce aux pouvoirs inconnus du bijou qu'elle porte au poignet et qui la fixe intensément. Elle lève son autre main, gratte doucement sous son menton et lui souffle un merci rempli de reconnaissance. Cet instant entre ces deux êtres est unique aux yeux de la demoiselle, et elle souhaite en apprendre plus sur le dragon qui l'accompagne dans ses aventures.
— As-tu un nom ?
La bête hoche la tête avant de poser son regard sur les écailles qui couvrent partiellement le bras de Sophia. Des traits dorés commencent à se former en relief sur sa peau. Le dragon déplace son corps en entourant le mot qui s'est formé. Sophia, émerveillée, peut y lire : Evy.
— C'est joli comme prénom, Evy, murmure-t-elle à elle-même.
— Qui se nomme Evy ? sollicite une voix dans la pénombre.
Sophia sursaute et se couvre à la hâte avec la couverture qui avait glissé de ses épaules. Evy en profite pour reprendre sa position autour de son poignet, ne voulant en aucun cas révéler sa nature à des inconnus.
— Qui... Qui est là ?
Sa voix résonne faiblement aux oreilles de l'homme caché sous son capuchon. Un sourire taquin se dessine sous son foulard, profitant de l'ignorance de la demoiselle. Il pose un doigt devant ses lèvres pour indiquer à son compagnon de ne pas se dévoiler.
Ils s'avancent tous deux devant elle, leurs tenues recouvertes de neige. Sophia les détaille en essayant de deviner qui ils sont. Mais l'homme qui la scrute ne prononce aucun mot, profitant de la faible luminosité et de sa capacité à voir dans le noir pour observer la jeune femme se crisper sous de la couverture. Sans crier gare, les deux hommes reçoivent un coup de patte derrière la tête avant de se faire sermonner :
— Bon, vous avez bientôt fini de lui faire peur !
Le lapin s'avance entre les deux pour se présenter devant Sophia qui s'exclame :
— Jojo !
— Salut ma grande, excuse-nous de cette interruption et de leur comportement, se plaint le lapin. Ils sont un peu tendus depuis le naufrage.
Chacun se découvre de son capuchon, révélant Guénaël et Luka. Le jeune métamorphe s'avance vers les braises endormies, tend la main au-dessus et ravive le feu avant d'y jeter deux bûches. Sophia, tout sourire en les voyant, s'exclame :
— Je me lèverai bien pour vous serrer dans mes bras, mais comment dire...
— Tu n'as plus de vêtements, complète Luka.
Instantanément, les joues de Sophia deviennent aussi rouges qu'une pivoine. Le loup s'en délecte, savourant ce moment de gêne qu'il a provoqué en elle. Par contre, il ne s'attendait pas à la tirade qui s'ensuivit :
— C'est toi qui m'as déshabillée ?
Luka recule en levant les mains en signe de défense. Malgré son sourire en coin toujours présent, il répond avec sérieux :
— Désolé d'avoir voulu te sauver d'une mort inévitable. Quand on t'a trouvée, tu étais gelée et livide.
Sophia reste stoïque en réalisant que c'est grâce à lui qu'elle est encore en vie. Elle se recroqueville sous la couverture, frissonnant malgré le feu, tandis que Guénaël et Luka s'installent à ses côtés.
Jojo fouille dans la caverne et s'exclame en trouvant l'objet tant désiré. Avec ses petites pattes, il soulève une grande planche en bois qu'il place entre deux rochers, la calant avec des pierres. Il invite Sophia à aller derrière pour pouvoir s'habiller convenablement, lui tendant des vêtements et une cape en fourrure molletonnée.
— Alors, que c'est il passé ? demande la demoiselle en attrapant un t-shirt.
— Concrètement, nous avons affronté une tempête, et nous savons d'où elle provient, répond Jojo.
— Vraiment ? Mais les autres, où sont-ils ?
— Nous ne le savons pas, ajoute tristement Guénaël.
Sophia se fige en revêtant le vêtement qui recouvre ses écailles. Une multitude de questions et d'inquiétudes lui traversent l'esprit. Elle continue de s'habiller en silence, perturbée par cette dernière pensée. Elle enfile la longue cape, aussi douce qu'un plaid et aussi chaude qu'un feu de cheminée, puis entoure son cou d'un grand foulard gris perle tacheté de noir, assorti à la fourrure gris anthracite.
Elle rejoint les autres autour du feu et leur demande de raconter leurs péripéties, mais sa demande se heurte à un silence tendu. Guénaël trace des lignes sur le sol poussiéreux, Jojo réfléchit à par où commencer, tandis que Luka a le regard perdu dans les flammes dansantes devant lui.
— Luka, raconte-moi ce qu'il ne va pas.
Sophia tente de rassurer son ami en posant sa main sur son bras. Le loup lève les yeux vers elle, le cœur serré. Toute trace d'amusement a disparu, laissant place à l'inquiétude de la voir de nouveau disparaître. Sous la surprise de la jeune femme, il l'attrape dans ses bras et renifle profondément ses cheveux :
— Je pensais... Je pensais t'avoir perdue, murmure-t-il faiblement.
— Eh, je suis là, hein ? Dis, je suis désolée de vous avoir inquiété, et explique-moi ce qu'il s'est passé.
— Quand tu étais attachée, j'ai demandé que l'on défasse tes liens, mais Elias a catégoriquement refusé. Il y a eu un coup de tonnerre qui a séparé le bateau en deux dans toute sa largeur et tu es tombée dans les fonds marins.
Il resserre son emprise.
— Tout s'est passé si vite. Je voulais sauter pour te sauver, mais une bourrasque a poussé le bateau tellement fort que nous avons été projetés dans la cale où il y avait les chevaux.
— Des destriers, corrige Sophia, compressée contre Luka.
— Hein ? Ah oui, les destriers. Nous avons retrouvé Bastos et Draguir qui essayaient de les calmer. Mais en vain. Bastos s'est concentré et a gelé toute la cale, nous protégeant, Elias, Jackiel, Draguir, les destriers énervés et moi de la chute du bateau. Nous pouvions remarquer que tout se désintégrait autour de nous. Bien sûr, je ne te cache pas que je n'étais pas calme du tout en te sachant dans l'océan.
Il défait son étreinte pour fixer son regard sur le feu :
— Quand nous l'avons dit aux autres, Draguir nous a fusillé du regard avant de disparaître. Nous avons été séparés après avoir aperçu une lumière verte flamboyante sortir de l'eau. Je me suis réveillé seul sur la rive de Blasqueen. Je n'ai pas attendu pour me transformer en loup et rechercher des survivants. J'ai d'abord trouvé Guénaël roulé en boule dans la neige sous sa forme de chat et l'ai pris dans ma gueule tout en me dirigeant vers une grotte que je connais bien. Sur le chemin, je suis tombé sur Jojo, calée au fond d'un trou, puis toi dans un autre trou. Je vous ai ramenés ici en vous portant sur mon dos. Et oui, je t'ai déshabillé, car tu étais trempée et glacée.
Sophia rougit de plus belle, alors que Luka continue son explication :
— Tu as repris connaissance quand Guénaël allumait le feu, mais pas assez longtemps avant que tu ne te rendormes. Nous étions heureux que tu sois saine et sauve, alors nous sommes repartis à la recherche d'autres survivants.
— Tu as pu localiser d'autres personnes ? Pas même la trace de ta sœur ?
Luka secoue la tête, ce qui l'inquiète d'autant plus. Leur lien de communication fonctionne jusqu'à une certaine distance. Soit, elle est trop loin, soit c'est pire et le loup essaie de ne pas y penser.
— Elle a dû se transformer en louve pour faire comme toi, rassure-t-elle pleine d'espoir.
Tous se figent autour d'elle, la forçant à froncer les yeux avant de se rappeler un détail du rapport d'Astos lors de la réunion, une information dit pendant son inconscience.
— Elle ne peut pas se transformer, chuchote-t-elle surprise.
— C'est exact, confirme Jojo. D'une façon qui nous est inconnue, tu lui as totalement bloqué ses pouvoirs.
— Mais comment ?
— C'est ce que l'on essaye de découvrir, informe le lapin sans plus de réponses.
Voulant penser à autre chose, Luka questionne Sophia sur la suite du naufrage :
— Comment as-tu fait pour parcourir une longue distance dans le froid glacial de Blasqueen ? Quand je t'ai retrouvé, tu étais près des falaises. Or, elles sont assez éloignées de la rive.
Sophia hausse les épaules sans pouvoir lui expliquer la détermination qui a réussi à la faire bouger. N'obtenant pas d'information, le loup tente une autre question :
— Et qui est Evy ?
La demoiselle détourne le regard vers le feu, ne voulant pas révéler cette information. Elle vient seulement de réussir à entrer en contact avec le dragon et ne veut pas partager cela avec les autres. Cherchant à détourner la discussion, elle se souvient soudainement de son voyage astral. Elle se lève et fixe son regard sur le lapin :
— Jojo, je dois te dire une chose qui alarme mon grand-père.
Ne comprenant pas ce qu'il l'attend, il écoute attentivement le récit de sa protégée en commentant impressionné :
— Ton pouvoir à l'air de se développer.
— Apparemment, répond-elle rapidement.
Elle ne s'attarde pas dessus, voulant à tout prix donner l'information capitale que son grand-père souhaite transmettre :
— En faisant état du temps passé ici, et de mon voyage, il était étonné du peu de jours écoulés ici. Et, il m'a dit de te dire que le temps ralentit.
Jojo ouvre grand les yeux et la bouche, montrant une multitude de couleurs passant sur son visage. Il lève la patte pour parler, mais ses yeux se révulsent, entraînant son corps en arrière.
— Franchement bravo Sophia, gronde Luka en accourant vers Jojo.
— Je n'y peux rien si l'information de mon grand-père lui à fait un tel choc.
— Luka n'en rajoute pas, rouspète Guénaël, essaie de retrouver d'autres personnes avant que la nuit ne tombe. Avec Sophia, on va s'occuper de prendre soin de Jojo.
— Tu as raison, soupire le loup impuissant. Guénaël va te montrer où tu peux trouver de l'eau et où sont les provisions.
— Fait attention Luka.
Il regarde Sophia d'un air entendu avant de se transformer en loup et de quitter la grotte, laissant ses trois compagnons seuls à l'abri du froid glacial de Blasqueen.
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