20- Tempête en pleine mer

La réunion est sur le point de reprendre. Astos apporte un breuvage au goût amer à Sophia, semblable à un sirop oublié pendant des années au fond d'un placard, pour la revigorer. Pendant ce temps, des membres de l'équipage terminent la mise en place d'une nouvelle table, tandis que le propriétaire résume à la jeune femme les événements passés. Sophia, pianotant des doigts sur le bois de sa chaise, soupire d'ennui. Derrière son air impassible, Draguir se moque intérieurement d'Astos, qui s'exprime comme s'il parlait à une enfant.

— Voilà les dernières nouvelles,  as-tu des questions ?

— Pas qui me viennent à l'instant, tout reste flou encore.

— C'est logique, informe Elias, tu vas finir par t'y faire.

Il vient de rentrer dans la salle, suivi de Gabriel et Leah, et s'installent tous à l'opposé de Sophia. Luka et sa sœur échangent un regard et entament une discussion à voix basse pour que personne ne les entende. Mais même si un mot parvenait aux oreilles indiscrètes, leur langage propre ne serait pas compris.

Sûrement, un langage de jumeaux ! pense furtivement Sophia.

Bastos et Jojo s'installent aux côtés d'Astos, puis Guénaël franchit en dernier la porte. Sophia le remarque, se lève et s'avance vers lui tout sourire en levant les bras. Mais son geste est stoppé par les jumeaux qui s'interposent entre elle et le jeune métamorphe.

— Je peux remercier Guénaël comme il se le doit ? maugrée Sophia en plaquant ses mains sur les hanches.

— On ne préfère pas non, annonce Leah.

Je ne sais pas ce que c'est son problème à celle-là, mais elle commence sérieusement à me titiller ! pense Sophia en fronçant des sourcils.

Sophia s'apprête à jouer la carte du bluff en menaçant de leur apprendre à voler, mais Guénaël intervient brusquement. Il les écarte tous les deux sans ménagement et s'avance, prenant la demoiselle dans ses bras. Tous sont surpris par l'assurance qu'il a acquise.

— Merci, chuchote Sophia, la tête calée sur le haut de son crâne.

— C'est naturel, rit-il, mais je vais devoir prendre mes distances, les deux loups ont peur que je te fasse du mal et je crois qu'il n'y a pas qu'eux.

Elle regarde autour d'elle et remarque que tous, sans exception, ont les regards rivés sur le jeune garçon, prêts à intervenir au moindre faux pas. Seul Draguir continue de la surveiller attentivement. Guénaël se défait de son étreinte et va s'asseoir à côté de Bastos.

Tous les autres encore debout prennent place dans la salle. Tandis que Sophia tire sa chaise, elle sent encore le poids du regard du fauconnier sur elle, ce qui commence à la rendre mal à l'aise.

— Bon, on a plutôt bien fait le tour depuis le début, annonce Astos, et découvert d'autre chose, ajoute-t-il en glissant ses yeux sur Guénaël. Tout le monde est là, nous allons pouvoir aborder le sujet épineux.

Il se tourne vers Sophia, suivis par tous les autres. La demoiselle devine sans mal que le sujet « épineux » la concerne directement.

— Raconte-nous comment tu as obtenu ce bijou ?

Sophia est hésitante. Elle se triture les doigts, incertaine de savoir par où commencer sous l'insistance des regards fixés sur elle. Malgré sa gêne, elle finit par entamer son récit :

— Herba semblait m'attendre. Elle m'avait dit qu'elle se réjouissait que le dragon m'ait adopté. Quand elle a voulu m'en dire plus sur ses pouvoirs, elle a disparu, finit-elle par expliquer en étant la plus brève et concise.

— Quand est-ce que le dragon se manifeste, demande Jojo alors qu'il griffonne sur un papier, prenant des notes sur ce que la demoiselle dit.

— Il rugit quand il y a une tempête ou un orage. Ou encore quand je suis contrariée. Une fois dans le bus, je me suis crêpée le chignon avec...

— Attends-tu as dit quoi ? coupe Astos.

Arrêtée dans son explication, elle regarde le propriétaire, surprise par sa question. Ne comprenant pas, elle reprend là où elle s'était arrêtée :

— Que je me suis crêpée le chignon...

— Non, non, rétorque-t-il froidement, la première partie.

— Qu'il rugit quand il y a de l'orage, répond Sophia en fronçant les sourcils. Généralement, la tête du dragon se tourne vers le ciel pour gronder contre les éclairs et une douleur extrêmement brûlante se propage dans mon bras en même temps. Si je compte bien, cette situation s'est produite trois fois.

Jojo se tourne vers les intéressés qui auraient pu assister à cela et demande :

— Est-ce que ces personnes peuvent me confirmer ses dires ?

— Devant la statue, répond Luka, il y a eu un orage soudain. C'était à la fois frappant de voir sa puissance, et aussi flippant de voir et d'entendre les rugissements du dragon, ainsi que le comportement de Sophia.

Le lapin hoche la tête.

— Pour ma part, je l'ai vu deux fois à l'œuvre, annonce Draguir.

Toutes les têtes sans exception se tournent vers sa direction. Sophia, ne se rappelle pas de sa présence la fois où le dragon avait rugi chez elle, mais seulement du bois sacré. Draguir se lève de sa caisse et explique les évènements :

— La première fois que cela s'est passé, j'ai été projeté dans une ruelle que je ne connaissais pas. J'ai vu une fille courir en voulant échapper à une grosse tempête qui semblait la poursuivre. Je n'ai pas pu plus observer, car je n'ai pu rester longtemps. Une fraction de seconde tout au plus.

Alors, c'est lui qui m'observe quand j'ai l'impression de voir une personne et qu'en tournant la tête, la personne disparaît ? Je pensais que c'était mon imagination qui me jouait des tours. Songe Sophia.

— La deuxième fois, c'était aux bois sacrés. C'est là que les choses ont failli empirer d'ailleurs. Quand elle est arrivée, j'avais pensé qu'elle se battait contre une force invisible, mais je comprends désormais que c'était de la danse...

Draguir ne lâche pas Sophia du regard, gardant un maximum sa connexion avec elle. Ce qui irrite Luka qui n'en perd pas une miette :

— Nous avons un peu discuté et je l'ai même embrassé, révèle-t-il dans un rictus.

Ouh, le bougre. Il n'a pas osé dire ça ? 

— Tu embrasses des personnes comme ça toi, le coupe Luka en grognant.

Draguir fusille Luka du regard, et ce dernier lui renvoie un regard tout aussi intense. Les deux se toisent, faisant monter la tension. Le fauconnier arbore un petit sourire en coin, révélant à Sophia que l'énoncé de ce détail avait été délibéré.

— Elle est tellement adorable que je n'ai pas pu résister, s'esclaffe-t-il.

Luka va pour bondir sur Draguir, mais est stoppé par une lame plus que tranchante provenant d'Elias.

— On essaye de réunir des informations. Donc, votre petite guéguerre, vous l'arrêtez tout de suite, s'agace-t-il les dents serrées.

Grognant face au fauconnier, Luka se rassied en croisant les bras, évitant soigneusement de regarder Sophia, ce qui l'étonne. Draguir, quant à lui, se positionne contre le mur, les bras croisés sur son torse, et reporte son regard sur la jeune femme.

— Donc, je disais, après l'avoir embrassée, insiste-t-il sur le mot, un coup de tonnerre a éclaté. Ce qui nous a surpris. C'est là que j'ai vu le bracelet luire. J'ai commencé à la questionner sur ce bijou, mais je devais être un peu insistant, car je me suis pris la gifle du siècle avant qu'elle ne se torde de douleur.

— Mais tu dis que cela aurait pu déraper, demande Bastos, perdu dans le récit, en quoi cela aurait pu être pire de ce que l'on sait auparavant ?

Draguir se défait du regard qu'il portait à Sophia. Son corps se tend en posant une question que seul Bastos a la réponse :

— Te souviens-tu du rapport que j'ai fait à maître H ? 

Bastos réfléchit un instant puis se crispe à son tour, tournant le regard vers elle, l'air soucieux. Les autres observent les deux qui ont communiqué sur une seule phrase, ne comprenant pas ce qu'il se passe. Ainsi que Sophia qui se sent complètement larguée.

— Dans sa douleur, Sophia, s'est dangereusement rapprochée du ruisseau des vies pour y plonger la main. Mais elle a été projetée avant d'y parvenir. Cela s'est joué à quelques centimètres, lâche Draguir à cran.

Tous braquent leurs yeux sur Sophia en la scrutant autant choqué qu'outré. Sophia, ne comprenant pas leurs réactions, pose la seule question qui lui parvient à l'esprit :

— En quoi cela choque que je plonge ma main dans un ruisseau pour apaiser ma douleur ?

— Ce n'est pas n'importe quel ruisseau, c'est le ruisseau des vies et des morts. Celui qui réunit la naissance de deux déesses, Herba et Gothika, explique Jojo. Les deux sont nées dans cet endroit. Comme je te l'avais expliqué quand tu es arrivée, Herba à un pouvoir de vie, alors que son contraire Gothika à un pouvoir de mort. Si tu as voulu immerger ta main dedans, ce n'est pas sans raison.

— Je ne comprends pas. Cela fait à peine une semaine que je suis ici. Je ne connais pas tout. Et, là, vous me dites que j'aurais pu créer un cataclysme ? 

— Un cataclysme peut-être pas. On ne sais pas ce qu'il se serait passé. Mais il est strictement interdit de se baigner dans ces eaux. Une simple précaution. Ce ruisseau ne doit être ni touché, ni bu, indique le lapin. Pourquoi avoir voulu y immerger la main d'ailleurs ?

— Mon poignet me brûlait, et je me sentais attirée par ce cours d'eau, répond-elle en haussant les épaules.

Après, je ne pouvais pas savoir que ce lieu est dangereux ! tout s'est tellement déroulé rapidement que je n'ai pas pensé à la conséquence de mes actes ! songe-t-elle à la suite.

Tous la scrutent de nouveau en la prenant pour une folle à lier. Bastos fronce les sourcils en détournant son regard de sa position. Il a l'air de penser à toute autre chose en fixant à présent Draguir. Celui-ci a profité du silence général pour se remettre sur sa caisse.

— Une chose me trotte, gamin ? 

Draguir lèvent les yeux vers lui. Son air est devenu sérieux face à la prise de parole de Bastos :

— Tu nous as dit, avant que Sophia ne se réveille, qu'elle fait de la projection astrale. Comment peux-tu le savoir ? Et, surtout, comment tu peux savoir à quel moment elle se réveille ?

Les muscles du fauconnier se contractent sous les questions de son collègue. Son regard, habituellement taquin, laisse place à une sourde colère et devient assassin. Le doré de ses iris se fond dans un noir ténébreux. Sophia comprend, en voyant ce changement chez son compagnon, que la réunion n'était pas seulement destinée à elle, mais qu'elle était aussi un piège subtilement tendu pour le fauconnier.

Ils veulent en apprendre plus sur Draguir, et sans s'en rendre compte, il est tombé tête la première dans leur piège.

Comment expliquer ce don, sans compromettre Draguir ? réfléchit rapidement Sophia.

Elle ne sait pas pourquoi, mais elle ressent le besoin de le protéger. Forcer quelqu'un à déballer sa vie sous la contrainte n'est pas la meilleure façon d'apprendre à connaître une personne.

— Il l'a deviné en me sauvant à plusieurs reprises, sort Sophia sans s'en rendre compte.

— Comment ça ? 

Astos est perplexe, il se retourne vers elle après avoir scruté longuement Draguir. La demoiselle baisse les yeux en pensant à ce qu'il va se passer à la suite :

— La première fois que ma compétence s'est manifestée, j'étais apparue dans une grotte sombre où ça sentait le soufre. J'étais effrayée... Un monstre, ou je ne sais pas quoi, se rapprochait de moi et une personne m'a attrapé et m'a dit de m'enfuir. C'était avant d'obtenir ce bracelet après ma visite au refuge.

Elle relève la tête et remarque que tous sont concentrés sur ses paroles. Draguir la fixe, encore plus en colère. Il lui fait un léger signe de tête pour lui indiquer de s'arrêter immédiatement, mais elle ignore ses indications et poursuit son récit :

— La deuxième fois, c'était juste après avoir rencontré Herba et essuyé l'orage. J'étais cette fois-ci dans une caverne sombre, et là aussi Draguir m'a trouvé et m'a protégé d'un groupe qui se rapprochait. La troisième fois, vous la connaissez déjà, c'était dans le bois sacré. Après le reste, reste encore flou, termine-t-elle voulant échapper à un interrogatoire plus approfondi.

— Nom d'une peau de loup mal découpé, s'écrie Bastos.

— Hey ! lâche un peu les loups, veux-tu ! hurle Luka en se levant avec rage, suivie de sa sœur.

Ce qu'il ne fallait pas dire ! C'est un ancien tueur de loups. En jurant, il insulte cette espèce qui se trouve à moins de deux mètres de lui. Au moins, il a réussi à détourner la conversation de Draguir. Sophia observe les deux canidés et Bastos se disputer violemment au sujet de ses meurtres de loups passés, tandis que Gabriel et Astos tentent vainement de les séparer. Jojo en profite pour s'éclipser de la pièce, revenant quelques minutes plus tard avec un dossier dans une enveloppe kraft que la demoiselle reconnaît sans mal.

C'est l'enveloppe que mon grand-père m'avait demandé de lui transmettre. Pourquoi ramène-t-il ça ici ? songe-t-elle.

Elle fixe l'enveloppe kraft avec une curiosité malsaine. Jojo remarque le regard persistant de sa petite protégée, mais il attend que les tensions s'apaisent. Il évite soigneusement de croiser le regard de Sophia. Celle-ci, agacée, pianote la table de ses doigts. La vibration de ses ongles résonne sur la surface. Trop, c'est trop pour ses nerfs. Elle se tourne brusquement vers les cinq personnes qui se disputent et lâche d'un ton sec :

— Vous croyez que c'est le moment de savoir qui a tort ou raison sur ce qu'il s'est passé il y a un siècle ? Franchement, certains attendent que vous ayez fini vos gamineries.

Les cinq concernés se figent sous la tirade de Sophia. Mais au vu du changement de comportement d'Astos, Gabriel et Leah, qui deviennent encore plus en colère, son intervention n'a pas arrangé les choses. Elias se lève avant que l'un d'entre eux ne tente d'émettre un son :

— Si j'étais vous, je ne tenterais rien, Jackiel s'il te plaît.

Jackiel hoche la tête et pose son regard sur le noyau se disputant. La tension redescendant légèrement. Chacun se dirige vers leur place, groggy et titubant :

— Tu y es allé un peu fort, Jack, dit Gabriel, on est limite stone maintenant. Comment veux-tu que nous nous concentrions maintenant ?

Celui-ci arbore un large sourire, les yeux plissés, apaisant leurs émotions pour qu'ils puissent écouter sans créer plus de tension. Sophia se rassure en constatant que ce don n'a pas d'effet sur elle, contrairement aux autres. Leah lance un mauvais regard à Sophia, ce qui n'échappe pas à Elias :

— Ne tiens pas compte de ce que Sophia a dit, ma belle louve. Quand il y a de la tension dans l'air, son comportement a tendance à changer.

— Ce n'est pas une raison de piétiner sur nos histoires, grogne-t-elle.

— Oh, si je piétinais que ça encore, signale Sophia d'un air provocateur.

Leah toise sévèrement Sophia, qui lui répond par un sourire sarcastique, dévoilant toutes ses dents. Elle se réjouit de ne pas avoir perdu le contrôle et a même l'impression d'apprivoiser ce petit côté sombre en elle. Elle ne parvient pas à cerner les sauts d'humeur de la louve. La jeune femme n'avait pas conscience de lui avoir fait du mal à l'auberge, mais de là à ce qu'elle se comporte comme une peste, la demoiselle ne comprend pas.

— Quand vous aurez fini, on pourra continuer ? peste Luka.

— Bien sûr, mon beau, je suis tout ouïe, répond la demoiselle en lui faisant un clin d'œil.

Leah écarquille les yeux devant l'air aguicheur de Sophia. Même Draguir se tend face à la situation. Cela ne lui plaît pas que sa petite sauvageonne manipule sa noirceur grandissante et il commence à se lever.

— Il faut savoir partager mon ange, rétorque-t-elle à son intention.

Il se crispe de nouveau face à sa remarque. Son corps est plus que tendu. Sophia le regarde interrogateur et le voit serrer les poings.

Oh, ai-je abordé un point sensible ?

Sans prévoir quoi que ce soit, elle éclate de rire. Le fil de la conversation, qui tournait autour de ses capacités, a été complètement dévié. Son fou rire se propage dans la pièce, et elle tape sur la table comme si on lui avait raconté la blague du siècle. Tout le monde la regarde, surpris par ce comportement soudain, tandis qu'elle se tient les côtes, tentant péniblement de reprendre sa respiration et s'essuyant les yeux.

Sophia s'adosse au dossier de la chaise, renversant la tête en arrière et fermant les yeux, savourant cet instant infiniment épique de son rire inopportun. Son cœur retrouve calmement son rythme normal. Soudain, elle sent une main se poser sur ses yeux et une autre appuyer fermement sur son épaule, l'empêchant de voir qui la tient. Elias, Gabriel et Jackiel se tiennent derrière elle. Gabriel pose sa main sur son autre épaule, augmentant la pression. Jackiel s'empare des mains de Sophia et les lui plaque dans le dos tout en les ligotant. Elias s'affaire à lui bander les yeux, tandis que Gabriel attache ses chevilles aux pieds de la chaise.

Ils sont sérieux là ? Que se passe-t-il dans leur tête pour se comporter ainsi et m'attacher sans scrupules ?

Toutes les petites mains travailleuses ont fini de serrer les liens et se dispersent en laissant Elias derrière elle, profitant de sa confusion pour se pencher à son oreille :

— Voilà, jeune fille, en ayant compris que les dons des fauconniers ne fonctionnent pas sur toi, j'ai opté pour une toute autre stratégie quand tu perds le contrôle.

— À l'inverse, je n'ai rien perdu, répond Sophia dans un souffle.

Elias fronce les sourcils à cette information. Il se redresse en se frottant le menton et ajoute :

— C'est aimable que tu te souviennes, mais je ne préfère pas prendre de risque. Nous allons calmement continuer, et s'il te plaît, je te demanderai de rester sereine si tu veux comprendre ce qu'il se passe en toi.

Le fauconnier aux katanas se tourne vers les autres et d'une voix vigoureuse, il ajoute :

— Cela va de même pour les autres. Encore un dérapage et je me charge personnellement de vous.

L'effet a le don de maintenir tout le monde à carreaux. Même Sophia ne souhaite pas voir le duel qu'elle a promis à Elias se dérouler plus tôt que prévu.

— Bon, que voulais-tu dire Bastos quand tu t'es écrié tout à l'heure ? demande Astos.

Celui-ci se racle la gorge avant d'expliquer :

— Les endroits décrits par Sophia sur ses apparitions ressemblent étrangement à l'intérieur de la montagne noire de Blackvoïd.

— Maintenant que tu le fais remarquer, c'est exact ! s'exclame Gabriel. Pourrais-tu nous le confirmer ?

Son regard se porte sur Draguir qui, toujours le corps tendu, confirme d'un hochement de tête.

— A-t-elle eu d'autres apparitions en ta présence ? questionne de nouveau Astos.

Cette fois-ci, Draguir n'émet aucun geste. Il ne veut pas révéler à ses compagnons ses apparitions et les apparitions de Sophia.

— Bon, tu es peu coopérative, mais je ne t'en veux pas, soupire Jojo, Sophia fait bel et bien de la projection astrale. L'apparition dans la grotte n'était pas son premier coup d'essai.

Sophia sursaute face à cette révélation, elle tend l'oreille sur la suite des explcations. 

— Grâce à Jean, mon ami de longue date, j'ai pu découvrir certains points qui m'échappaient jusqu'à présent.

Le lapin déplie le dossier et le feuillette avant de reprendre :

— Mis à part le fait de me donner des nouvelles, il m'a informé que Sophia, depuis sa naissance, faisait des rêves étranges, la conduisant parfois dans des lieux insolites. Il le sait, car Sophia, prenant cela pour des rêves, n'avait pas cherché plus loin. Elle en parlait autour d'elle, faisant partager son imagination, et ça se trouve, elle aurait déjà mis les pieds ici sans s'en rendre compte.

Pardon ? C'est impossible ? s'exclame-t-elle dans son esprit.

— Son grand-père pouvait communiquer avec moi par rêve. Mais pas en accomplissant la projection. C'était vraiment des brides de rêve ici et là que nous partagions. Or, sa petite fille peut se balader hors de son corps.

Jojo pose le dossier sur la table, puis récupère son crayon et sa feuille :

— Contrôles-tu ce pouvoir ? interroge-t-il Sophia.

Elle secoue la tête par la négation.

— C'est un pouvoir que je pourrais t'apprendre à manipuler, explique Elias. Avec beaucoup de concentration et de méditation.

Sophia gesticule sur sa chaise en voulant lever le doigt pour poser une question.

— Qu'est-ce qu'il y a ? demande Jojo.

— C'est un pouvoir intéressant, je le conçois, mais est-ce que cela peut expliquer que je me suis retrouvée avec le corps quasiment recouvert d'écailles de serpent ? Et, pourquoi le dragon a planté sa queue dans mon poignet ?

— Là où l'on va, on trouvera réponse à ces questions. Malheureusement, nous n'en savons rien. Je suis désolé, répond Jojo sincère.

— Et cette force d'où me vient-elle ? 

— Elle provient certainement du dragon, répond Astos, mais encore là, nous ne détenons pas de réponse.

Sophia plonge dans ses pensées, sans en apprendre davantage sur son état ou le contrôle de ses pouvoirs. Les membres du groupe discutent et débattent des dernières informations, laissant l'écho de leurs conversations flotter sur la surface de l'eau.

Au loin, sur le rivage nord de Blasqueen, une femme se tient au-dessus de l'eau. Sa silhouette est dissimulée dans un tourbillon de vent, ses yeux métalliques cherchant l'objet de tous ses désirs. Lentement, elle avance dans les airs, provoquant le déchaînement des vagues et le grondement du tonnerre.

À des lieux de là, le navire vogue tranquillement sur les eaux de la mer Azura, profitant d'une brise pour déployer ses voiles. Au cœur du bateau, les discussions vont bon train. Soudainement, Sophia se crispe en ressentant une douloureuse chaleur à son poignet. Contrairement à la sensation exquise ressentie plus tôt dans l'après-midi, due à ses nombreux agacements.  Non, là, attachée à la chaise et sentant le métal du dragon se frotter contre sa peau, elle devine sans mal que quelque chose ne va pas.

— Heu... Excusez-moi ? intervient-elle la boule au ventre.

Tous sont absorbés par leur échange et ne remarquent pas le comportement de la demoiselle. Elle sait qu'à l'extérieur un évènement se produit dès qu'elle sent le bateau vibrer et se pencher.

— S'il vous plaît, voyez-vous ce qu'il se passe à l'extérieur ? insiste-t-elle.

— Quoi donc ? répond Gabriel, il fait beau dehors.

— Je ne crois pas qu'il fasse beau, au son que j'entends et que j'ai déjà entendu une fois. Un orage arrive, s'exclame Luka.

Le silence s'impose dans la salle. Chaque oreille est aux aguets. Le bruissement des vagues cognent contre la coque du navire, quand un martèlement, résonne dans le couloir. Un marin ouvre la porte à la volée et s'écrit :

— Jojo, je n'ai jamais vu ça, vous devriez venir voir.

— On arrive.  Astos, tu m'accompagnes.

Ils sortent en trombe, suivant le matelot jusqu'au pont et découvrent avec effroi la tempête qui s'amoncelle à l'horizon et qui s'approche à une allure inquiétante vers eux. Le marin se trouvant en haut du mât attrape une ficelle et l'agite rapidement, sonnant la cloche d'alerte.

Entendant le son émit sur le pont supérieur, Bastos racle sa chaise en se redressant et annonce les ordres :

— Leah, Gabriel et Guénaël vous allez rassembler les affaires, nous allons affronter une tempête et au vu de l'agitation, elle n'a pas l'air petite.

Il se tourne vers les autres en continuant :

— Jackiel et Elias, vous resterez ici avec Luka et Sophia pour analyser ses réactions. Draguir, tu vas venir avec moi, les destriers vont être infernaux et s'il se passe quoi que ce soit, je veux qu'ils soient à l'abri.

— Peut-on me détacher au passage ? Ce serait gentil de votre part, supplie Sophia, mal à l'aise.

— Tu ne crains rien, donc tu peux rester sur ta chaise ligotée, répond Elias d'un air taquin.

Là, franchement, je ne le sens pas. Pour l'instant, la douleur est supportable, mais me séquestrer vraiment ? Il leur manque une case. se renfrogne-t-elle sur sa chaise.

Tous se précipitent aux tâches qui leur a été confié, se retenant contre les murs en sentant le bateau tanguer dangereusement. Un éclair frappe la surface en envoyant une onde de choc contre le navire.

Oh punaise, ça va être violent et je ne suis vraiment, mais vraiment pas rassurée de rester attaché sur cette foutue chaise, pense Sophia.

Elle entend Luka commenter l'approche rapide de la tempête, décrivant à Elias et Jackiel l'épisode de la statue à Cascalaris et leur donnant raison de la garder attachée pour éviter qu'elle ne se blesse. 

Mais quelle idée grotesque !

Le vent crée de fortes bourrasques, imposant un nouveau rythme au bateau qui tangue de gauche à droite, faisant glisser ceux qui ne peuvent s'agripper d'un côté à l'autre. Sophia, en l'occurrence, se retrouve emportée par cette glissade infernale, sentant le dragon gesticuler de plus en plus sous sa prison de cordage et rugir à chaque coup de tonnerre. La douleur qu'elle ressent devient de plus en plus insurmontable.

— Je te retire ce que j'ai dit plus tôt, s'écrit Luka sous le vacarme ambiant. Cela me semble de pire en pire comparé à la dernière fois, on devrait la détacher.

— Combien de temps cela a duré à Cascalaris ? questionne Elias en criant à son tour.

— Pas longtemps, l'île s'est mise en alerte et le dôme et apparût. Alors que là, on n'a rien.

— Jackiel va aviser les autres, ordonne Elias.

Mais cet ordre est de courte durée, car un hurlement déchirant, accompagné d'un rugissement alarmant, transperce le vacarme de la tempête. Les sons, ne faisant qu'un, font trembler les murs et le sol par leur puissance. La pluie diluvienne s'abat sur le pont où tous les marins courent et s'accrochent, tentant de traverser cette tempête déchaînée. Le capitaine et Astos peinent à garder la barre dans son axe alors que de gigantesques vagues s'écrasent sur le pont.

Les éclairs aveuglent Sophia à travers son bandeau, tandis qu'elle sent son bras brûler comme plongé dans de la lave en fusion. Son cœur tambourine dans sa cage thoracique, cherchant à s'expulser de son corps. Sophia se tord de douleur, un second hurlement franchissant ses lèvres.

La détresse de la situation devient de plus en plus palpable, elle veux à tout prix se lacérer le corps, mais ne peux bouger à cause des liens. Les rugissements du dragon couvrent ses hurlements sous les yeux ébahis de Luka et Elias. Un autre éclair frappe la coque du navire, faisant exploser le mur et projetant des éclats de bois à travers la pièce.

— Va la détacher, crie Luka à Elias.

— On ne peut pas, ce sont les ordres.

— Mais vous êtes con, ma parole. Si vous ne le faites pas, c'est moi qui le ferai.

Elias tente de le retenir en criant « non » plusieurs fois, mais le vent s'engouffrant les empêche de faire le moindre mouvement. Plusieurs voix s'élèvent, indiquant de se mettre à l'abri, résonnant à travers le navire. C'en est trop pour Sophia, qui hurle à pleins poumons, effrayée :

— Détachez-moi !

— J'arrive, tiens bon ! beugle Luka au loin.

La foudre percute à nouveau le bateau, provoquant un craquement sinistre. Deux fissures se déploient à partir du trou dans la paroi, scindant le navire en deux. Des cris retentissent dans le fracas du bois. Luka et Elias se protègent les yeux avec leurs bras et, lorsqu'ils les retirent, Sophia a disparu, remplacée par un vide immense là où elle se tenait.

La mer l'accueille en son sein, étouffant son cri désespéré, et le poids de sa chaise l'entraîne dans les abysses. En levant la tête, elle aperçoit le ciel illuminé par une multitude d'éclairs et voit plusieurs corps de marins tombant à la surface de l'eau. Elle tente de se détacher, mais les liens résistent. Elle s'arrête, comprenant tristement que son heure est venue, sans avoir la perspective de revoir ses proches, son papy, ou de découvrir ce que recèle cet univers.

Un dernier hurlement s'évanouit dans les bulles d'oxygène qui remontent à la surface, laissant son corps couler plus profondément, seule. Sa vision s'embrume, ses cheveux ondulent avec légèreté, et sa peau blanchit sous les reflets de la surface qui s'éloigne. C'est la fin, elle est proche. La sensation que la mort l'accueille dans ses bras alors que le ciel se dégage, laissant un calme sinistre peser sur les alentours.

L'eau se lisse autour des débris du navire. Soudain, une lumière apparaît dans les profondeurs des abysses et se met à scintiller de plus en plus. Elle jaillit hors de la surface, provoquant de grosses vagues et repoussant les rares rescapés de la zone, avant de s'évanouir dans le ciel étoilé.


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