19 - Guénaël

La surprise est palpable dans la salle de réunion. Draguir tente de cacher le fait qu'il ait pu se régénérer si rapidement, mais les regards furtifs en son encontre démontrent que l'un de ses nombreux secrets est découvert. Or, le spectacle que leur a offert le jeune Guénaël laisse chacun perplexe.

Les visages allaient de Gabriel à Sophia, et de la demoiselle au petit chat couché sur elle en ronronnant. L'expertise du docteur a été mise à rude épreuve avant de se faire littéralement dominer. Le pelage du félin s'était enflammé sans causer de dégât à sa fourrure. Son regard brun avait laissé place à une couleur de braise. Et, les fauconniers se regardant avec méfiance avaient vu cette étrange couleur une seule fois dans leur existence : celle de leur maître !

Le puzzle concernant le retour de Méric, Alex et Félix se reconstituent dans l'esprit de Draguir, comprenant de suite que le petit recherché est celui en face de lui. Ainsi, que la rencontre fortuite de ses compagnons ait tourné au vinaigre.

Pendant que le chat descend du corps de la demoiselle tout en reprenant forme humaine. Draguir se penche vers Bastos et lui murmure à l'abri des oreilles indiscrètes :

— Bastos, te souviens-tu de ce regard ?

— Je pense que notre équipe l'a remarquée aussi. répond-il à voix basse dans sa barbe.

Ils hochent la tête ensemble, tandis que Leah, silencieuse depuis le début de cette réunion, s'approche en ouvrant les bras de stupéfaction :

— Guénaël qu'as-tu fait ? 

— Ça ne se voit pas ? rétorque-t-il agressive, je lui ai sauvé la vie. Ce n'est pas avec les compétences merdiques du grand blond qu'elle aurait eu la vie sauve.

— Je te demande pardon ? rapplique Gabriel, énervé par la remarque acerbe du petit.

Leah ne prête pas attention à sa réplique et continue avec le plus de douceur possible :

— Guénaël, tu... D'où tu sors ces pouvoirs ? 

Le jeune garçon lève les yeux devant la demande stupide de la louve. Il se redresse et se tourne vers Jojo, lui demandant s'il pouvait conter son histoire.

— La réunion a été mise en place pour ça, indique le lapin, il est regrettable que Sophia ne puisse en profiter.

Guénaël se tourne vers elle, pose sa main sur son front et sourit tendrement en marmonnant :

— Je te rends le soutien que tu m'as apporté lors de l'attaque des rabatteurs et en me rassurant.

Il se retourne vers le groupe et s'installe sur le banc à côté du corps de Sophia.

— Seul Jojo connaît mon histoire. Je le lui ai raconté avant de me murer dans mon mutisme à mon arrivée au refuge. Ma mère n'est pas une mère comme les autres, mais plutôt une déesse,  et je vois devant votre air surpris que vous ne vous y attendiez pas.

Il marque un temps d'arrêt avant de lâcher l'information la plus croustillante :

— La déesse de l'amour et gardienne de Voltamur, plus communément connue sous le nom de Flamma est celle qui m'a bercé dans son ventre. Concernant mon géniteur, je ne le connais pas et ne souhaite pas spécialement en savoir plus sur lui. En effet, il a fait souffrir ma mère, la privant de ses pouvoirs et la forçant à me mettre au monde dans les cachots de Voltamur. Elle a réussi à s'échapper quelques années auparavant en m'embarquant sous son bras...

Guénaël se tait un instant, laissant le temps aux autres d'assimiler les informations.

— Ma mère a pu trouver refuge dans le désert de Pharekth, et recouvrer un semblant de pouvoir pour me réchauffer et me nourrir. Elle était extrêmement faible et si je ne m'abuse, c'était à l'époque du massacre qui a eu lieu à Blasqueen. Car ces deux régions pourtant opposées au niveau du climat se trouve côte à côte. Dans le village où nous nous situions, nous avions entendu parler de cette guerre sanglante. Je n'avais alors qu'à ce moment-là que cinq ans.

— C'est impossible que t'avais cinq ans, le coupe Luka, on en avait à peine dix avec Leah quand cela s'est passé et c'était il y a plus de dix ans.

Le jeune métamorphe émet un rire délicat :

— Je suis plutôt petit pour mon âge. Je vous parais naïf alors que j'en ai quinze. J'ai uniquement un an de moins que Sophia. Même elle, serait surprise, alors qu'elle croit que je ne suis qu'un gamin. Grâce à elle, je reprends confiance en moi, en ne vivant plus dans la crainte. Flamma, ma mère, avait avant de disparaître eu contact avec Herba, ma tante. La déesse des vies lui avait informé d'avoir trouvé la personne qui pourrait tous nous sauver de ce monstre qui envahit nos terres. Elle n'avait pas trop voulu m'en dire plus à l'époque...

Il abaisse la tête en se remémorant un souvenir pénible.

— Nous sillonnions le désert pour atteindre Cerulazu quand nous avions aperçu un cavalier sur un cheval gigantesque, aussi noir que les ténèbres, avec des pointes dorées...

Draguir tique sur la description du destrier, comprenant qu'il mentionne celui qui a été tué dans le désert.

— Il nous a reconnus, ma mère et moi. Du moins, je pense qu'il a particulièrement reconnu ma mère, car malgré notre cavale, elle ne voulait pas changer de tenue pour pouvoir secourir les villageois que l'on rencontrait. Elle avait le cœur sur la main. Le fauconnier a voulu s'emparer d'elle pour la ramener à Voltamur, là où se trouve sa place, mais elle a refusé. Ne pouvant trop utiliser ses pouvoirs, je me suis débarrassé de lui. Je... Je ne maîtrise pas encore mes pouvoirs, car sous une lumière rouge, je l'ai pulvérisé. Son destrier a explosé pour protéger son maître, mais pas assez vite parce que j'ai pu l'anéantir juste après.

Tous les fauconniers présents fixent Guénaël ahuri. Les loups jumeaux ont les yeux écarquillés, quant à Astos et Jojo, ils restent de marbre face à cette révélation. Cela indique clairement la puissance du jeune métamorphe, et Draguir comprend mieux pourquoi il est tant recherché. H le veut dans ses rangs sans aucun doute.

— Ma mère a assisté à ce flot de puissance et m'a regardé comme un monstre. Je ne comprenais pas pourquoi, et même aujourd'hui, je ne sais pas pourquoi elle a réagi comme cela.

Il baisse la tête d'un air mélancolique. 

— Elle a disparu d'un coup sans prévenir dans une tornade de flamme, me laissant seul dans le désert. J'étais triste, même effondré par sa disparition. Je me suis promis de ne jamais réutiliser mes pouvoirs. J'ai longuement marché jusqu'à arriver au refuge. Quand j'ai rencontré Jojo, je lui ai raconté ce que vous savez maintenant, mis à part la fois où j'ai attaqué Sophia.

— Comment ça ? siffle Draguir en se redressant, les poings serrés.

Guénaël se triture les pouces, l'air coupable. Remarquant son état, Leah tente de le consoler en se rapprochant, mais il se redresse et la fusille du regard avant de répondre au fauconnier.

— Quand Sophia à eu sa crise au moment de l'orage, elle s'est évanouie. Devant tout le monde, je me comportais comme un gamin ignorant alors que je comprenais parfaitement la situation. Luka était parti en ville. Par conséquent, c'était Leah qui la surveillait. Sophia s'est réveillée en rage, agrippant Leah, et je ne sais pas comment, elle avait réussi à bloquer son pouvoir métamorphique. Elle l'a balancée contre plusieurs murs comme si ce n'était qu'une poupée de chiffon. Je me suis pointé en percevant le vacarme et ne réfléchissant pas trop à ce qu'il se passait, j'ai tendu la main et... Et, j'ai enfin... Je lui ai fait croire que je lui avais cramé le cerveau pour qu'elle se rendorme.

— Tu as fait quoi ? demandent Luka et Draguir en synchronisation.

— C'était une illusion, essaie-t-il de se justifier.

— Mais tu dis ne pas maîtriser tes pouvoirs ! Alors comment t'aurais pu savoir que ton illusion allait fonctionner sans lui endommager réellement le cerveau ? interroge calmement Gabriel.

— Comme avec ce que je viens de faire, je souhaite la protéger. Alors, c'est mon cœur qui parle, pas ma colère. Je ne sais pas exactement ce que je maîtrise. Mais jusqu'à présent, je pulvérise des fauconniers, crée des illusions et grâce à ma morsure, je déferle un pouvoir de guérison dans le corps de mes alliées. Quand Leah était dans les vapes, instinctivement, j'ai mordu Sophia et sa blessure au front a commencé à disparaître au bout de quelques jours. Tout le monde a cru que c'était son bijou qui était intervenu, mais je sais que non. Alors, quand j'ai vu que vous n'arriviez pas à la soigner, je l'ai remordu pour la guérir.

Saisissant et tout autant imprévisible, le gamin a expliqué dans son récit qu'il est un demi-dieu. Des murmures se propagent entre tous les occupants de la salle de réunion. Seul Draguir fixe le jeune garçon avec méfiance. Jojo se lève de la caisse où il s'était positionné :

— Guénaël comprend les sentiments de Sophia dans le sens où vous l'avez traitée comme un monstre. Je lui ai confié la surveillance de celle-ci quand elle dort. Mais il n'a pas eu la tâche aisée avec deux rôdeurs comme vous, indique-t-il en pointant Luka et Draguir de sa patte.

Le loup baisse honteusement la tête, alors que Draguir en profite pour révéler une information de façon nonchalante :

— Pas ma faute si Sophia à un pouvoir de projection astrale.

Jojo écarquille les yeux et Luka le fusille du regard. Draguir se délecte de la réaction de celui-ci.

Que c'est délicieux de lui faire comprendre qu'elle ne lui rend pas visite dans ses rêves, pense-t-il.

— Elle possède quoi ? s'estomaque le loup.

— Projection astrale, tu ne connais pas ? annonce le fauconnier avec un sourire en coin. C'est quand une personne se projette hors de son corps pour apparaître dans un autre endroit. Or, Sophia n'a pas l'air de le maîtriser, car au début, elle atterrissait dans la montagne de notre maître, ce qui est plutôt dangereux même sous sa forme secondaire.

— Nom d'un glacier, elle est apparue dans la montagne noire ? demande Bastos sous le choc.

Draguir hoche la tête.

— On devrait faire une pause, informe Jojo, fatigué par autant de révélations.

— Oui, le temps que la demoiselle se réveille, ajoute Astos.

Chaque membre se disperse. Leah demande à Guénaël de lui parler en tête-à-tête, tandis que Luka, décrochant son regard acéré du fauconnier, s'agenouille auprès de Sophia en lui prenant la main. Draguir ne voit pas d'un bon œil ce rapprochement et tente de le communiquer, mais Bastos l'attrape par les épaules et le conduit sans ménagement dans le couloir.

— Deux choses, tu vas m'expliquer comment tu as pu guérir aussi vite et me donner ton avis sur le petit ? interroge-t-il avec sérieux.

— Alors, sur le petit, je pense que c'est un demi-dieu ayant hérité des pouvoirs de la gardienne de feu. Mais pour son regard, je ne peux pas encore m'avancer.

Draguir évite soigneusement de répondre à la première question.

— Tu n'aurais pas oublié ma question essentielle ? réclame-t-il en croisant les bras et tapant du pied.

Le fauconnier hausse les épaules en levant les yeux au ciel. Il ne sait pas comment expliquer cette capacité de guérison, alors que lui-même ne sait pas d'où il l'a obtenue. Parfois les cicatrices restent, mais ses blessures se referment automatiquement dès qu'il n'y a plus d'objets qui l'en empêchent. D'où son soutien envers Sophia quand ils étaient tous les deux empalés. Il savait que pour lui, ça n'allait pas durer.

Dans sa réflexion, Draguir ressent de nouveau une aura familière. Il perçoit la projection de Sophia activée et sait que d'un instant à l'autre celle-ci va se réveiller. De manière expéditive, il tente de faire faux bond à Bastos qui attend sa réponse :

— Je n'en sais rien, mais je vous attends pour une explication. Vous semblez en savoir plus que moi, si tu veux que je te rappelle ce que vous avez fait aux chutes, balance-t-il irrité.

— Je vais en parler à Astos et nous en reparlerons. Mais pas pendant la réunion.

— Ça tombe bien, je n'aime pas que l'on parle de moi. Allez, je vais me passer un coup d'eau sur le visage, la miss ne va pas tarder à se réveiller, rétorque Draguir en s'éloignant.

— Comment peux-tu le savoir ?

Le fauconnier ne prête pas attention aux beuglements de Bastos et marche d'un pas pressé vers sa cabine. Il n'aime pas se sentir épié au moindre de ses faits et gestes. L'envie de monter sur son destrier se fait ressentir de plus en plus, mais au milieu de l'eau il se retrouve coincé sans une once de liberté.

Il positionne sa main sur la poignée de la porte de sa cabine et ferme les yeux un instant, ressentant encore plus fortement la présence de l'astre de Sophia. Il ne comprend pas pourquoi il perçoit ses appels lorsqu'elle est en projection, ou quand il sait qu'elle va se réveiller, ou l'endroit où elle va apparaître...

Draguir a également la maîtrise de ce don. Depuis sa plus « tendre » enfance, il se balade en projection sur la terre où vit Sophia. Il ne saisit pas cette connexion entre lui et elle, loin que cela lui dérange, bien au contraire. Mais leurs univers sont bien trop différents.

Il entre dans sa cabine en se faisant cette réflexion et découvre que sa petite sauvageonne dort paisiblement sur son lit. Le jeune fauconnier se rapproche silencieusement d'elle tout en l'observant. La respiration lente de la demoiselle soulève sa poitrine, alors qu'elle se repose paisiblement, loin de tous les tracas de la réunion.

— Tu n'es pas un monstre, soupire Draguir, les loups sont stupides !

Cela lui démange de coller une droite à Luka, qui se cache sous une pseudo-attirance pour la garder à l'œil. Ils ne comprennent pas le genre de Sophia, qui ressemble à plusieurs points au fauconnier et jusqu'à récemment à Guénaël. Draguir soupire devant la naïveté de la demoiselle. Il s'adosse contre le mur en respectant une certaine distance, fulminant en regardant ses pieds contre Luka.

Sophie ouvre les yeux sur le plafond de bois. En regardant autour d'elle, elle remarque qu'elle n'est pas dans sa cabine, mais dans celle de Draguir. Celui-ci n'a d'ailleurs pas remarqué son réveil. Elle glisse en silence sur le matelas, se lève et à pas de loup s'avance jusqu'au fauconnier.

Draguir sent la chaleur de la main de Sophia se glisser sur sa joue. Un instant, il ferme les yeux à ce contact, avant de les rouvrir et de croiser son regard inquiet. Cet air que Sophia lui offre lorsqu'elle est seule avec lui. Ce contact qu'avec les autres, elle n'a pas et que Draguir avait vu depuis le moment où elle s'était perdue dans les bois non loin de chez elles lorsqu'elle était enfant.

Elle n'a aucun souvenir de lui, il le sait. Mais depuis qu'il l'a croisé de plus en plus souvent ces derniers temps, sa mémoire se débloque sur des scènes de son passé. Il connaît Sophia depuis très longtemps, et il en est certain.

Putain, ce qu'elle est belle avec son regard vert et or qui saisit le pas sur ses iris châtains, frissonne-t-il en son for intérieur.

Ne résistant pas à la tentation, Draguir glisse ses mains sur les hanches de Sophia et l'embrasse fougueusement. Elle est surprise de son geste, mais accueille le baiser, ressentant des picotements le long de son dos. Un instant après, Draguir se détache d'elle à contrecœur par peur de ne pouvoir se contenir.

— Que s'est-il passé ? demande-t-elle en reprenant son souffle et rougissant.

Draguir lui résume ce qu'il s'est passé depuis son évanouissement. La demoiselle accueille les informations une à une. Une fois fini, le fauconnier s'attend à toutes les questions possibles et imaginables concernant la réunion, mais pas à celle qu'elle pose :

— Qu'est-ce que je fais dans ta chambre ? C'est toi qui m'y as emmenée ?

— Crois-tu ? Faut-il que je te rappelle que c'est toi qui apparais toujours devant moi quand il ne faut pas, répond-il suivis d'un clin d'œil.

Elle rougit de plus belle lorsqu'elle comprend qu'elle est en projection. Draguir lui effleure tendrement la joue et se penche à son oreille en lui soufflant :

— J'apprécierais profiter de ta présence, mais les autres guettent ton réveil, alors je vais te renvoyer dans ton corps.

Sophia ferme les yeux à ses mots, sentant que le fauconnier lui dépose un baiser dans le creux de son cou, elle frémit à ce contact. Draguir positionne sa main au-dessus de la poitrine de la demoiselle et émet une pression afin d'enclencher le processus de retour. Le corps astral de Sophia disparaît en un instant dans le vide, laissant Draguir seul avec lui-même. Il souffle un coup en se redressant avant de remettre son masque impassible et de regagner la réunion où tous attendent tranquillement.

Les autres n'ont pas à savoir le lien que j'entretiens avec elle, car moi-même, je ne le comprends pas toujours, pense-t-il en franchissant les portes de la salle de réunion.

Sophia s'éveille doucement et s'aperçoit qu'elle est dans les bras de Luka. Le loup se rend compte du réveil de celle-ci quand il sent qu'elle lui rend son étreinte. La demoiselle remarque l'entrée de Draguir, toutes ses émotions ont disparu. Elle lui sourit au moment où il passe à côté d'elle et du loup. Pourtant, il n'émet aucun retour à son geste et s'installe sur sa caisse au fond de la pièce, fusillant le dos du loup.

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