15- Retour d'entre les morts
Draguir soupire après avoir rendu visite à Félix à l'infirmerie. Les loups jumeaux ne l'ont pas épargné, et son coéquipier est maintenant déterminé à se venger d'eux, surtout envers la fille qui les accompagnait. Il marche pensivement le long du tunnel de la grotte avant d'être interpellé par Bastos, qui court vers lui :
— Hey Draguir ! Tu vas faire équipe avec moi.
— Et pourquoi tu ne pars pas avec Gan, répond-il en levant les yeux et marmonnant.
L'armoire à glace arrive à sa hauteur et lui assène un puissant coup à l'épaule, le faisant presque perdre l'équilibre. Draguir grogne de mécontentement ; il déteste quand il fait ça.
— Je t'expliquerai sur la route, mais pas ici, chuchote-t-il l'œil aux aguets. Organise tes affaires et rejoins-moi au crépuscule.
En mode commando, Bastos inspecte les environs avec vigilance avant de repartir, les bras ballants, comme un joyeux luron. Draguir ne comprend pas cette soudaine envie de faire équipe avec lui. Il préfère partir en mission en solitaire, le jeune homme est plus efficace de cette manière.
Avec méfiance, il se dirige vers son appartement. Il déverrouille son armoire, récupère sa besace et vérifie que la boîte à musique est toujours à l'intérieur. Un soupir de soulagement lui échappe, puis il commence à préparer ses affaires.
Draguir se fige un instant, une sensation familière le parcourant. Il ferme les yeux et se concentre pour identifier la source de son malaise. À travers un regard intérieur, il voit Sophia se laisser aller dans les bras d'un autre homme. Quand elle ouvre les yeux, elle recule brusquement, trahissant dans son regard l'identité du séducteur. Le fauconnier revient à lui, furieux, frappant du poing contre la porte de son armoire qui explose sous la force de son geste.
— Mais pour qui il se prend ce mec, grogne-t-il avant d'ajouter, je vais me faire un malin plaisir de me faire une cape en peau de loup.
Animé par la rage, il achève rapidement d'organiser ses affaires avant de rejoindre Bastos qui l'attend, les bras croisés, installé sur son destrier. Non sans agacer son maître, le sien traîne des sabots pour les rejoindre.
Quelle tête de mule celui-là, pense-t-il.
Quand la bête est à sa hauteur, il attache ses affaires et se hisse dessus avant d'interroger Bastos, irrité :
— Tu vas me dire où nous allons ?
Bastos secoue la tête avant de marmonner :
— J'ai avisé le maître que je sollicitais un fauconnier hors pair pour une mission longue durée.
— Et, il m'a choisi ? rétorque Draguir étonné.
— Non, il voulait que j'y aille avec Gan, mais celui-ci a décliné pour retourner enquêter dans le désert.
Le maître ne porte pas Draguir dans son cœur, si tant est qu'il en ait un, ce qui accroît la méfiance de celui-ci envers son collègue.
— Alors pourquoi me demandes-tu ?
— Parce que, comme je l'ai dit au maître, je voulais une personne de compétant. Toi ! Et, que je ne changerai pas d'avis là-dessus.
— Et il a dit oui ?
Bastos confirme d'un mouvement de tête, son visage restant impassible. Le fauconnier plisse les yeux, mais il est interrompu par l'appel d'une personne. Il se retourne et voit Méric courir vers eux, essoufflé :
— Attends, où vas-tu comme ça ?
— J'ai une mission avec Bastos.
— Nous retournons à Blasqueen, se prononce celui-ci alors qu'il s'impatiente sur son destrier.
Draguir fusille Bastos du regard. En présence du chef des rabatteurs, sa langue se délie enfin, alors qu'il n'avait jusqu'à présent réussi à obtenir aucune information.
— Mais ? Et, les nouveaux ? s'étonne Méric de leur départ soudain.
— Donne-les à Alex. Il pourrait leur apprendre quelques combines, et toi, tu les aideras dans la maîtrise de leurs talents, souffle Draguir.
— Si tu le dis, soyez prudent.
Ils acquiescent tout en enfilant leurs capuchons, puis d'un coup de talon, les destriers s'élancent en levant la poussière du sol. Bastos prend la tête de la chevauchée, suivi de près par son jeune compagnon. À la sortie de Voltamur, les étalons se faufilent dans la nuit comme des serpents glissant à travers les hautes herbes.
Au grand étonnement du jeune fauconnier, Bastos ne prend pas le chemin le plus direct vers Blasqueen, mais se dirige plutôt vers la ville d'eau. Ils dépassent le refuge sombre qui se perd dans l'obscurité, puis longent les rivières jusqu'à atteindre l'arche aux cascades multiples. Bastos tire sur les rênes pour stopper son destrier avant de descendre et de s'asseoir lourdement sur un rocher, s'étirant longuement.
— Nous allons attendre ici, déclare-t-il.
— Et tu peux me dire ce que l'on va exactement attendre ? siffle Draguir en descendant de sa monture.
Bastos rie aux éclats devant l'air incrédule de son compagnon qui caresse le flanc de son destrier.
— Toi, tu me feras toujours marrer, t'es toujours à côté de la plaque.
Celui-ci prend la mouche en croisant les bras sur son torse. Il tape du pied en attendant que le géant lui fournisse une explication valable.
— Allez, Draguir ne fait pas le malin avec moi, je ne suis pas née de la dernière pluie.
Il ricane d'un air enjoué, mais l'expression sous-entend beaucoup de choses. Le jeune fauconnier se crispe. Toute sa vie, il a soigneusement dissimulé une grande partie de lui-même. Il ne pense pas avoir été découvert parmi ses pairs. Pourtant, les yeux blancs plissés de Bastos le font douter.
— Je vais te poser une question, petit. Connais-tu ton passé ?
Draguir soutien le regard de son collègue sans sourciller, restant le plus impassible possible.
— J'ai passé mon enfance dans les cachots, répond-il la mâchoire serrée, tout le monde le sait ça.
— C'est là que tu te trompes.
— Quoi ? s'exclame le fauconnier surpris.
— Tu as vécu un temps à Voltamur, mais tu ne viens pas de là-bas.
Devant le sérieux de Bastos, Draguir est abasourdi par sa réponse. Il a toujours cru avoir été élevé par les hommes de feu, enlevé à ses parents alors qu'il n'avait que quelques jours. Il tente d'en savoir plus, mais Bastos n'est pas disposé à en dire davantage :
— Je ne peux rien t'expliquer, tu comprendras peut-être un jour.
— Mais, dans combien de temps ? rétorque l'intéressé largué.
— Peu de temps, ils arrivent.
Draguir se retourne et aperçoit cinq personnes s'approcher d'eux. En plissant les yeux, il distingue trois visages censés être morts : Elias, Gabriel et Jackiel. Il trouvait étrange que sur les quatre fauconniers partis en mission à Blasqueen, seul un soit revenu.
Derrière eux, un homme de la même stature que Bastos et Jojo ferme la marche. Draguir serre les poings, ne comprenant pas comment ce maudit lapin se retrouve ici avec eux. Il lance un regard interrogateur à son collègue, qui lui sourit en retour. Bastos se lève et s'avance vers le groupe, faisant une accolade à chacun de ses compagnons. Jojo se perche carrément sur son épaule. L'homme accompagnant Jojo serre fort Bastos dans ses bras. Ils se ressemblent beaucoup, à un détail près : le second géant a les cheveux et la barbe blanche.
— Pourquoi l'as-tu emmené, siffle Gabriel en jetant un coup d'œil vers Draguir.
Draguir lance un regard menaçant à Gabriel ainsi qu'à ses collègues revenus d'entre les morts. Gabriel est un homme chevronné, marqué par une cicatrice qui fend son visage et empêche son œil gauche de s'ouvrir. Son regard noisette rencontre celui du jeune fauconnier, ses cheveux dorés retombant sur ses épaules. Plutôt grand, il est accompagné de son ami Elias. Ce dernier a toujours eu une allure étrangement différente, avec ses longs cheveux noirs attachés en une queue-de-cheval descendant jusqu'au bas de son dos. Il a des yeux bleus en amande et affiche toujours un air sage. Les deux soldats viennent d'un village non loin de Cerulazu.
— Laisse-le tranquille, dit-il à Gabriel, Astos a insisté pour que Bastos l'emmène avec lui.
Astos est celui qui ressemble à Bastos. Draguir les regarde avec perplexité et n'aime pas perdre le contrôle des événements. Il se retourne, sentant le poids du regard de Jojo sur lui, ce qui le perturbe. Mais si le lapin est là, la demoiselle ne doit pas être bien loin. Cette pensée réchauffe le cœur du jeune fauconnier, espérant la revoir bientôt sans qu'elle ait à recourir à sa projection astrale.
— Voilà frangin, comme tu me l'as demandé.
Bastos indique en faisant un large geste du bras pour désigner Draguir.
— J'ai fait des pieds et des mains pour l'avoir avec moi durant ma mission.
Il s'était approché sans que Draguir s'en rende compte. Il est accompagné du fameux Astos, qui l'examine attentivement de la tête aux pieds.
— T'es sûr que c'est bien lui ?
— Sur la tête du dernier loup ! Je le jure.
— Ne plaisante pas avec ça, crétin. J'en ai deux dans la taverne.
Draguir réalise soudain que les deux hommes sont frères, une information qu'il ignorait jusqu'à présent. Astos tend la main et ordonne sans ménagement :
— Fais-moi voir ton dos, gamin !
Il refuse catégoriquement cet ordre. De mémoire récente ou lointaine, Draguir n'a jamais permis à quiconque de toucher une partie de son corps. Il l'avait durement rappelé à Alex, lors de sa mise à pied, les conséquences de l'illusion qu'il avait tentée sur lui.
— Ne me fais pas répéter. Le temps presse et si tu refuses, je regarderai d'une façon ou d'une autre.
Draguir recule d'un bond, mais malheureusement, il bute sur le torse de Jackiel. Silencieux dans ses déplacements comme dans ses paroles, ce fauconnier est celui qui inspire le plus la terreur. Sa peau chocolat et son crâne rasé, agrémenté de clous le long de la raie, donnent un air menaçant à son regard noir qui se fixe intensément sur sa cible. Il saisit les épaules de Draguir et le plaque violemment au sol. Ce dernier ne se laisse pas faire et se débat de toutes ses forces, mais Elias et Gabriel se rajoutent à la scène en maintenant ses bras de part et d'autre.
— Bandes d'enfoiré, crache-t-il.
— Mais c'est qu'il est sauvage le petit, ricane Astos.
Il grogne de plus en plus lorsque Bastos soulève son t-shirt pour dévoiler son dos aux yeux de tous. Sa peau pâle révèle une multitude de cicatrices datant de son enfance, qui se fondent et se confondent les unes avec les autres, cachant délibérément celle que Draguir ne souhaite pas révéler. Il continue de se débattre alors que les autres discutent entre eux, imposant leur poids sur lui.
— Vous me le dites si je ne vous emmerde pas trop, lance-t-il hostile.
Le poids qui le maintient au sol se retire. Draguir se relève rapidement, fusillant du regard chaque être qui l'entoure. Sa posture indique clairement que s'il est approché, il ne répondra de rien. Mais Jojo semble ne pas prendre en compte son avertissement :
— Te souviens-tu de tes parent Draguir ?
— Qu'est-ce que ça peut vous foutre ? Hein ? répond Draguir plus qu'à cran avant d'ajouter, et qu'est-ce que l'on fout ici d'abord ! Vous n'êtes pas censé être mort, vous ?
Il pointe du doigt les trois fauconniers qui regarde ailleurs.
— Et puis, merde Bastos ! Si H l'apprend, il va nous tuer.
— Il ne peut pas nous atteindre. Il reste cloîtré dans sa grotte sans dire ce qu'il projette. Même Gan n'est pas au courant et pourtant nous ne sommes pas alliés.
— C'est la meilleure, ça, on est dans le même camp, non ? braille Draguir.
— Franchement, gamin, tu te sens de continuer à servir aux côtés de ce fou furieux ? s'énerve son collègue.
Draguir ne prononce plus un mot. Il ne s'est jamais senti à sa place à Blackvoïd. Malgré les nombreuses tortures infligées par H, il n'a jamais cédé devant son maître. Il se cache derrière un comportement façonné selon les attentes du seigneur, mais cette stratégie n'a pas fonctionné face à ses coéquipiers présents, qui semblent en savoir plus sur lui que lui-même.
— Es-tu sûr de vouloir aller jusqu'à Blasqueen ? interroge Astos à Jojo.
— Pas le choix si on veut découvrir ce qu'il se passe. Elle m'a dit avoir vu Herba et par la suite disparaître, marmonne-t-il dans sa moustache. Si elle est revenue dans le coin, c'est là-bas qu'elle se cache.
Le frère de Bastos regarde le jeune fauconnier en lui disant :
— Toi, tu restes là.
Puis se retourne vers les Elias et Jackiel :
— Vous deux, vous allez au port trouver un navire. On vous rejoint dans l'après-midi.
Ils hochent la tête et s'éclipsent dans l'instant.
— Gabriel, je sollicite tes talents pour une demoiselle, je vais t'expliquer sur le chemin, ajoute-t-il. Bastos, Draguir vous nous accompagnez, par contre, vous restez sous vos capuchons, je ne veux pas remarquer un membre dépassé.
— Et nos destriers ? argue Draguir.
— Bastos va leur enseigner le chemin pour le port, ils sauront se débrouiller.
Celui-ci s'approche des montures et pose ses mains sur leurs fronts. Comme s'ils avaient reçu un signal, les destriers s'éloignent au galop dans la direction opposée. Draguir et Bastos enfilent leurs capuchons et se couvrent le visage d'un foulard.
— Surtout, précise Jojo, vous ne révélez sous aucun prétexte votre visage sans avoir perçu un signe de notre part, est-ce que c'est clair ?
Après avoir clarifié les choses, le groupe d'hommes et le lapin se dirige vers le chemin escarpé. La ville, ensevelie dans le lac, n'est accessible que par le passage derrière la plus grande cascade. Cet endroit, autrefois fréquenté par les marchands de Cascalaris mais abandonné depuis la menace de H, est fait de glace. La ville est calme alors que le groupe la traverse dans l'obscurité. Seuls les lampions à l'extérieur de l'auberge indiquent sa position à leur arrivée.
Leah et Guénaël sont dans un petit salon quand ils entendent plusieurs personnes arriver. Le jeune garçon court, puis se jette dans les bras de Jojo en le renversant. La présence des loups dans la taverne ne fait plus aucun doute à Draguir qui sourit derrière son foulard.
— Jojo, tu es enfin de retour, on s'inquiétait.
Leah le serre dans ses bras à son tour. Or, elle lève la tête en remarquant la présence de Bastos et de Draguir derrière le lapin.
— Qui est-ce ?
— De l'aide, répond vaguement Jojo. Est-ce qu'elle s'est réveillée ?
Leah devient étrangement pâle à sa question, inquiétant tout le groupe d'hommes qui s'attend au pire. Guénaël les rassurent en voyant leurs têtes se décomposer du mieux qu'il peut :
— Oui... Mais... Il... Il y a eu... Enfin, elle... Heu...
Le jeune rouquin ne sait pas par où commencer. Jojo perd patience et demande un coin tranquille à Astos pour en savoir plus.
— À gauche. Par contre les garçons ne vont pas camper dans le couloir. Je les amène au bar, vous nous rejoignez plus tard.
— Luka est justement dans la salle avec elle, annonce Leah en recouvrant l'usage de la parole. Elle s'est réveillée en début de soirée.
— Elle a dormi cinq jours ? s'écrit Jojo, surpris.
Elle hoche la tête, la mine sombre.
— Bon, je veux avant tout savoir ce qu'ils vous tracassent, on vous rejoint après.
Ils partent dans l'autre pièce pendant que le reste se dirige vers le bar. Draguir ressent un frisson d'excitation quand son regard se pose enfin sur la créature exquise qui hante ses nuits. Il se retient fortement de courir vers elle pour la prendre dans ses bras. Mais, il déchante quand il aperçoit le second loup s'asseoir à ses côtés tel un protecteur en lui déposant un baiser sur le haut du crâne. Ses poings se serrent aussitôt, contractant chacun de ses muscles devant cette vision.
— Si tu tentes quoi que ce soit, je te fais bouffer la pierre, murmure Bastos en le mettant en garde.
Draguir baisse la tête en serrant les dents. Astos les accompagnent jusqu'à une table non loin du couple. Il revient quelques instants plus tard avec deux chopes pour les désaltérer. Le jeune fauconnier guette le moindre signe qui lui indiquerait de pouvoir se révéler.
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